CIV. 2 LM
COUR DE CASSATION
Audience publique du 8 juillet 2004
Rejet
M. ANCEL, président
Arrêt n° 1341 FS P+B
Pourvoi n° E 02-19.171
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la société Bausch et Lomb France, venant aux droits de la société anonyme Chiron vision France, dont le siège est Montpellier Cedex,
en cassation d'un arrêt rendu le 24 juillet 2002 par la cour d'appel de Montpellier (5e chambre, section A), au profit
1°/ de M. Serge X, demeurant Perpignan,
2°/ de la société Le Sou médical, dont le siège est Paris ,
3°/ de Mme V, demeurant Pollestres,
4°/ de la Polyclinique Saint-Roch, dont le siège est Cabestany,
5°/ du ministère public, représenté par M. l'avocat général T T, domicilié Montpellier,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 23 juin 2004, où étaient présents M. Ancel, président, M. Vigneau, conseiller référendaire rapporteur, MM. Séné, Dintilhac, Mmes Bezombes, Foulon, MM. Loriferne, Moussa, Boval, conseillers, Mmes Karsenty, Guilguet-Pauthe, M. Trassoudaine, conseillers référendaires, M. Kessous, avocat général, Mlle Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Vigneau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Vier et Barthélemy, avocat de la société Bausch et Lomb France, de la SCP Richard, avocat de M. X et du Sou médical, les conclusions de M. Kessous, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpelllier, 24 juillet 2002) et les productions, que Mme V a assigné M. X, médecin, et la SA Polyclinique Saint-Roch (la polyclinique) devant un tribunal de grande instance pour obtenir la réparation du préjudice résultant d'une infection nosocomiale dont elle a été victime à l'occasion d'une intervention chirurgicale pratiquée par ce médecin dans les locaux de la polyclinique au moyen d'un appareil fourni par la société Bausch et Lomb (la société) ; que M. X et la polyclinique ont appelé celle-ci en garantie ; qu'après avoir accordé à Mme V une provision, le juge de la mise en état a joint les deux affaires ; qu'entre-temps, M. ..., autre patient de M. X, opéré lui aussi à la polyclinique au moyen du même appareil médical et ayant été victime du même germe que celui de Mme V, a assigné ce médecin et la polyclinique qui ont appelé en garantie la société ; que la première chambre du Tribunal saisi a déclaré la polyclinique et M. X responsables du préjudice subi par M. ..., les a condamnés à lui payer une certaine somme et a condamné la société à les garantir à hauteur des deux tiers ; que la société a déposé une demande de renvoi devant une autre juridiction, pour cause de suspicion légitime, de l'affaire concernant Mme V ; que le président du Tribunal s'étant opposé au renvoi de l'affaire, la requête a été transmise à la cour d'appel qui l'a rejetée ;
Sur le premier moyen
Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa requête, alors, selon le moyen, qu'il résulte de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; que cette exigence, qui découle de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile selon lequel le juge doit observer lui-même le principe de la contradiction, implique que chaque partie ait la faculté de prendre connaissance et de discuter de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d'influencer sa décision ; qu'il ressort expressément de l'arrêt attaqué qu'il a été rendu sur la base des observations par lesquelles le président du tribunal de grande instance s'était opposé à la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime, expressément visées et analysées dans la décision de la cour d'appel et auxquelles étaient jointes les observations des trois juges récusés ; que ces observations n'ont pas été communiquées à la société Bausch et Lomb qui n'a donc pu ni en prendre connaisance ni les discuter ; qu'en se prononçant néanmoins sur la base de ces observations, la cour d'appel a méconnu l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime, qui n'emporte pas détermination d'un droit ou d'une obligation de caractère civil, n'entre pas dans le champ d'application de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors, l'absence de communication à la partie qui sollicite le renvoi pour cause de suspicion légitime de l'avis du président de la juridiction visée par la demande ne peut être sanctionnée au titre de l'article précité ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, pris en ses deux branches
Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa requête, alors, selon le moyen
1°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial, que l'exigence d'impartialité doit s'apprécier objectivement et que lorsqu'un juge a pris publiquement parti sur des faits, il n'est plus impartial ; qu'il en résulte que ce magistrat ne peut connaître une deuxième fois du même litige ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que, par jugement du 22 janvier 2002, la première chambre première section du tribunal de grande instance de Perpignan, composée de Mme ... ... ... ..., de Mme Patricia ... et de M. Jean-Marie ..., a pris parti sur l'appel en garantie dirigé par la société Polyclinique Saint-Roch et M. X contre la société Bausch et Lomb en condamnant cette dernière à relever et garantir la société Polyclinique Saint-Roch et M. X des condamnations prononcées à leur encontre au profit d'un patient (M. ...) à hauteur des 2/3 ; qu'il ressort aussi de l'arrêt attaqué que la même section du tribunal de grande instance de Perpignan, pareillement composée, est saisie, à la requête d'un autre patient, Mme V, d'une affaire identique à celle déjà jugée par cette section et notamment du même appel en garantie de la société Polyclinique Saint-Roch et M. X contre la société Bausch et Lomb ; qu'en rejetant néanmoins la requête aux fins de renvoi pour suspicion légitime de l'affaire Casals devant une autre juridiction ou une autre formation, la cour d'appel a méconnu les conséquences nécessaires de ses propres constatations selon lesquelles le Tribunal saisi avait déjà pris parti publiquement sur un appel en garantie identique mettant en cause les mêmes parties et les mêmes faits et violé l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe d'impartialité objective ;
2°/ que l'impartialité est requise de toute juridiction, que par suite il appartient au juge de rechercher s'il existe, compte tenu des circonstances relevées par une partie, une cause permettant objectivement de douter de l'impartialité de la juridiction ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par la société Bausch et Lomb dans sa requête, si la circonstance que, dans son ordonnance du 4 mai 2000 rendue dans l'affaire de Mme V, Mme ..., juge de la mise en état " avait souligné et isolé des éléments semblant mettre en cause la responsabilité de la société Bausch et Lomb d'une manière d'autant plus tendancieuse que celle-ci n'était pas présente à la procédure pour se défendre et apporter la contradiction ", n'était pas de nature à faire apparaître " la partialité d'un juge dans le fait d'avoir abordé, en l'absence de la société Bausch et Lomb une partie de la discussion qui devait être laissée à l'appréciation du Tribunal ", la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 356 du nouveau Code de procédure civile et de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que l'arrêt retient exactement que la seule circonstance que les faits soient semblables à ceux déjà jugés entre d'autres parties n'interdit pas au juge de statuer, à défaut de démontrer l'existence d'autres éléments de nature à faire peser un doute raisonnable sur l'impartialité de ce juge au sens des articles 356 du nouveau Code de procédure civile et 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le troisième moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bausch et Lomb France aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Bausch et Lomb France ; la condamne à payer à M. X et au Sou médical la somme globale de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille quatre.