COMM. C.F
COUR DE CASSATION
Audience publique du 7 juillet 2004
Rejet
M. TRICOT, président
Arrêt n° 1164 FS P+B 1er moyen
Pourvoi n° D 02-15.950
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par
1°/ la société Hubert, société à responsabilité limitée, dont le siège était anciennement La Chaussée Saint-Victor, et actuellement Meaux,
2°/ M. Bernard Hubert,
3°/ Mme Claudine XY, épouse Hubert,
demeurant La Chaussée Saint-Victor, et actuellement Meaux,
en cassation d'un arrêt rendu le 14 mars 2002 par la cour d'appel de Paris (5e chambre, section B), au profit de la société Esso SAF, dont le siège est Rueil-Malmaison, défenderesse à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 26 mai 2004, où étaient présents M. Tricot, président, Mme Champalaune, conseiller référendaire rapporteur, M. Métivet, Mmes Garnier, Tric, Collomp, Favre, Betch, M. Petit, Mme Cochen-Branche, conseillers, Mme Gueguen, MM. Sémériva, Truchot, Mme Michel-Amsellem, conseillers référendaires, M. Feuillard, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de la société Hubert et des époux Hubert, de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la société Esso SAF, les conclusions de M. Feuillard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 mars 2002), qu'ayant successivement exploité comme locataires gérants et mandataires de la société Esso trois stations-services selon contrats du 23 mars 1987, 28 septembre 1992 et 18 mai 1993, les époux Hubert et la société Hubert dont ils étaient cogérants, ont assigné la société Esso en remboursement des pertes d'exploitation et paiement d'une prime de fin de gérance au titre de l'exploitation de deux de ces trois stations-services et en paiement de dommages-intérêts pour manquement aux dispositions de la loi du 31 décembre 1989 devenue l'article L. 330-3 du Code de commerce, en ce qui concerne le contrat conclu pour l'exploitation de Ia station service située à la Chaussée Saint-Victor ;
Sur le premier moyen
Attendu que les époux Hubert et la société Hubert font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de la société Hubert tendant à ce que soit prononcée la nullité du contrat d'exploitation de la station-service de la Chaussée-Saint-Victor en date du 18 mai 1993, alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article L. 330-3 du Code de commerce "toute personne qui met à disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause" ; qu'il n'était pas contesté en l'espèce que le contrat d'exploitation avait été conclu dans l'intérêt commun des parties et que la société Esso avait mis à la disposition de la société Hubert un nom commercial, une marque et une enseigne en vertu d'un contrat d'exclusivité ; qu'en mettant à la charge de la société Hubert une obligation de se renseigner bien qu'en vertu de l'article L. 330-3 du Code de commerce, c'est sur la société Esso que pesait une telle obligation, la cour d'appel a violé l'article susvisé ;
Mais attendu que l'arrêt énonce que la méconnaissance par une partie des dispositions de l'article L. 330-3 du Commerce, qu'elle a constatée, ne peut entraîner la nullité de la convention qu'autant qu'elle a eu pour effet de vicier le consentement ; que l'arrêt constate qu'à la date à laquelle elle a signé le contrat pour l'exploitation de la station en cause, la société Hubert avait exploité depuis plus de six années des stations-services Esso dans des environnements fort différents et avait été à même d'apprécier les chances et les risques d'une telle exploitation ; que l'arrêt relève qu'elle a pu en particulier constater que l'exploitation de ces stations-services avait été déficitaire et qu'à supposer que l'exploitation de la station-service -"moyenne" soit déficitaire, la société Hubert aurait eu tout le loisir de s'en rendre compte ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, dont elle a déduit que la preuve du vice du consentement n'était pas rapportée, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait, abstraction faite des motifs inopérants mais surabondants critiqués par le moyen, qui n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen
Attendu que la société Hubert fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en remboursement des pertes subies pour l'exploitation de la station-service de La Chaussée Saint-Victor, alors, selon le moyen, que les pertes que le mandataire a essuyées à l'occasion de sa gestion et dont les parties peuvent décider qu'elles seront couvertes par un forfait sont exclusives de celles qui ont pour origine un fait imputable au mandant, que la société Hubert faisait valoir dans ses conclusions que la société Esso fixait unilatéralement le prix de vente de ses carburants, déterminant le litrage et la commission versée à la société Hubert, dont le caractère insuffisant était à l'origine des pertes essuyées par cette dernière ; qu'en écartant toutefois ce moyen dès lors que les pertes pouvaient être couvertes par le forfait prévu et valablement mises à la charge de la société Hubert au motif que la société Esso n'exerçait pas de contrôle total de la rémunération versée à cette dernière bien qu'une simple maîtrise suffisait, la cour d'appel qui a imposé une condition qui n'est pas exigée par la jurisprudence, a violé l'article 2000 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que les parties sont libres de déroger aux dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil, qui ne sont pas d'ordre public, prévoyant le remboursement au mandataire et l'indemnisation des pertes essuyées par le mandataire à l'occasion de sa gestion ; que l'arrêt constate que c'est ce qu'ont fait en l'espèce la société Esso et la société Hubert, en convenant que le mandataire percevrait une commission composée d'une partie fixe et d'une partie variable calculée en fonction du volume vendu dont le montant couvre forfaitairement la rémunération et l'ensemble des frais et pertes de la société ; que l'arrêt estime que les dispositions contractuelles en cause sont claires, dépourvues d'ambiguité et ne nécessitent aucune interprétation ; que l'arrêt observe que la société Hubert n'est pas fondée à soutenir que la rémunération versée dépendait de la seule volonté de la société Esso, dès lors qu'une partie fixe était prévue et que le volume des carburants distribués dépend de bien des facteurs autres que le prix fixé, tels que le dynamisme commercial du distributeur ou la qualité de l'accueil et du service dans la station ; qu'en l'état de ces constatations et observations dont elle a souverainement déduit que la société Esso n'avait pas conservé la maîtrise des conditions de distribution du carburant, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les époux Hubert et la société Hubert aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne les époux Hubert et la société Hubert à payer à la société Esso la somme globale de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille quatre.