Jurisprudence : CEDH, 06-07-2004, Req. 50545/99, DONDARINI c/ SAINT-MARIN

CEDH, 06-07-2004, Req. 50545/99, DONDARINI c/ SAINT-MARIN

A9190DCD

Référence

CEDH, 06-07-2004, Req. 50545/99, DONDARINI c/ SAINT-MARIN. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1896608-cedh-06072004-req-5054599-dondarini-c-saintmarin
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DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE DONDARINI c. SAINT-MARIN

(Requête n° 50545/99)

ARRÊT

STRASBOURG

6 juillet 2004

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Dondarini c. Saint-Marin,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. COSTA, président,

A.B. BAKA,

L. LOUCAIDES,

C. BIRSAN,

K. JUNGWIERT,

M. UGREKHELIDZE,

Mme A. MULARONI, juges, et de Mme S. DOLLE, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juin 2003 et le 15 juin 2004,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 50545/99) dirigée contre la République du Saint-Marin et dont un ressortissant italien, M. Luciano Dondarini (" le requérant "), a saisi la Cour le 29 juin 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

2. Le requérant est représenté par Me Maria Selva, avocate à Borgo Maggiore. Le gouvernement saint-marinais (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. Lucio Leopoldo Daniele, et M. Guido Bellati Ceccoli, coagent.

3. Le requérant alléguait l'absence de débats publics au cours du procès d'appel.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

5. Par une décision du 3 juin 2003, la chambre a déclaré la requête recevable.

6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement). La chambre ayant décidé après consultation des parties qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l'affaire (article 59 § 3 in fine du règlement), les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l'autre.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7. Le requérant est un ressortissant italien né en 1933 et résidant à Buttapietra.

8. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

9. Le 7 mai 1997, le juge d'instruction (" Commissario della Legge ") G.G. cita le requérant à comparaître à l'audience du 12 juin suivant pour répondre des délits de faux, usurpation de fonctions et titres publics et contrefaçon de sceaux, délits commis en Italie. Le 12 juin, le Commissario della Legge P.E.F. reporta la date de l'audience en raison de l'hospitalisation (depuis le 12 mai) du requérant. Le 16 juin, le Commissario della Legge G.G. renouvela la citation à comparaître pour le 11 août 1997.

10. Le 21 juillet 1997, le conseil du requérant déposa un mémoire excipant du défaut de juridiction du magistrat en raison de ce que les délits avaient été commis à l'étranger et déclara que son client ne se présenterait pas à l'audience. Il produisit une copie du jugement du tribunal de Trieste lequel avait jugé les mêmes faits. Aucune suite ne fut donnée à ce mémoire.

11. Le 15 janvier 1998, le requérant reçut la notification de la citation à comparaître à l'audience publique du 3 mars 1998, émise par le Commissario della Legge le 25 août 1997. Cette fois il était inculpé de contrefaçon, altération et usage indu de sceaux publics. Le jour de l'audience, le conseil du requérant contesta dans un mémoire la qualification des faits et releva de nouveau que ceux-ci avaient été commis à l'étranger.

12. Par un jugement du même jour, le juge de première instance, le Commissario della Legge L.E., condamna le requérant à deux ans et six mois de réclusion.

13. Le requérant interjeta appel le 19 mars 1998, puis déposa ses motifs le 4 juin et ses conclusions le 24 juin 1998.

14. Par un arrêt du 16 avril 1999, le juge d'appel, Giudice delle Appellazioni Penali, P.G., confirma la décision attaquée.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

15. Avant l'entrée en vigueur de la loi n° 83/1992, le procès pénal saint-marinais se déroulait selon une procédure abrégée ou une procédure ordinaire. La première était applicable aux infractions punies d'un emprisonnement jusqu'à trois ans ou d'une amende. Elle se déroulait devant le Commissario della Legge, qui exerçait les fonctions d'enquête et de jugement. Le jugement était précédé par une audience publique. Ses jugements pouvaient faire l'objet d'un appel devant le Giudice Penale di Primo Grado.

16. Dans la procédure ordinaire, les enquêtes préliminaires étaient menées par le Commissario della Legge, tandis que le jugement était rendu par le Giudice Penale di Primo Grado sans audience publique. Ce jugement pouvait faire l'objet d'un appel devant le Giudice delle Appellazioni Penali.

17. L'article 24 de la loi n° 83/1992 prévoyait que, jusqu'à l'entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale, pour toute infraction commise à partir du lendemain de la publication de cette loi dans le Bulletin Officiel (le 19 novembre 1992) on suivrait uniquement les dispositions concernant les procédures abrégées ; toutefois, les fonctions d'enquête et les fonctions de jugement seraient exercées par deux Commissari della Legge différents. La phase d'appel se déroulerait devant le Giudice delle Appellazioni Penali. Pour les infractions commises avant le 19 novembre 1992, les anciennes dispositions du code de procédure pénale demeuraient applicables : les fonctions de Giudice penale di Primo Grado et de Giudice delle Appellazioni Penali seraient exercées par les magistrats en charge des affaires jusqu'à leur conclusion.

18. L'article 11 de la loi n° 145 du 30 octobre 2003, qui a abrogé et remplacé la loi n° 83/1992, prévoit que les dispositions actuellement applicables aux procédures pénales s'appliqueront jusqu'à l'entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale.
19. Aux termes des articles 186 et suivants du code de procédure pénale, le jugement peut faire l'objet d'un appel devant le juge d'appel de la part du prévenu, du Procuratore del Fisco et de la partie civile uniquement concernant ses intérêts civils. Selon l'article 196, le juge d'appel a pleine juridiction pour connaître des points de fait et de droit soulevés dans l'appel. Si l'appel n'a été interjeté que par le prévenu, le juge ne peut infliger une peine plus sévère ni révoquer des bénéfices. La phase d'appel se déroule sans qu'il y ait d'autres actes d'instruction et les parties exposent leurs moyens de défense dans le même ordre qu'en première instance. Une audience d'instruction peut se tenir pendant l'appel si le juge d'appel estime qu'il y a lieu de renouveler des actes d'instruction atteints de nullité ou d'en effectuer des nouveaux (article 197). Cette audience se déroule devant le Commissario della Legge.

20. Enfin, selon l'article 198 abrogé par la loi n° 20 du 24 février 2000 (" la loi n° 20/2000 "), l'accusé n'avait pas le droit d'être entendu en personne. La publication de l'arrêt était faite au cours d'une audience publique en la présence des Capitaines Régents, du prévenu, de son avocat et des autres parties, lorsque le greffier donnait lecture de l'arrêt.

21. La loi n° 20/2000 a, elle, prévu expressément l'audience publique devant la juridiction d'appel ainsi que la lecture du dispositif à la fin de l'audience. Pour le cas ou le juge réserve sa décision, celle-ci est publiée dans les trois mois par le Commissario della Legge.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

22. Selon le requérant, l'absence d'audience publique au cours du procès d'appel constituerait une violation de l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) publiquement (...), par un tribunal (...), qui décidera, (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. "

23. Le Gouvernement souligne le paradoxe de la situation : le requérant se plaint devant la Cour de l'absence d'audience en appel alors qu'il n'a pas voulu participer à la procédure de première instance. Le Gouvernement est en outre convaincu de la nécessité de respecter les exigences du procès équitable en appel également, mais il note que le respect des principes du procès équitable est primordial surtout en première instance, en particulier lorsque, comme en l'espèce, l'on ne procède pas en appel à un examen de faits nouveaux. A ce sujet, le Gouvernement s'appuie sur les arrêts Jan-Åke Andersson et Fejde c. Suède (du 29 octobre 1991, série A nos 212?B et 212?C) dans lesquels la Cour a conclu à la non-violation de l'article 6 de la Convention, même en l'absence d'audience en appel dans la procédure nationale, parce que les faits nouveaux présentés par les requérants étaient insignifiants. D'autre part, le requérant dans la présente affaire n'a pas utilisé son droit de réplique en appel reconnu par le droit interne.

24. Le requérant se limite à affirmer que son procès en appel s'est déroulé sans qu'il ait eu la possibilité d'être entendu par le juge et d'apporter les preuves à sa décharge.

25. La Cour rappelle que le droit du prévenu à une audience publique ne représente pas seulement une garantie de plus que l'on s'efforcera d'établir la vérité : il contribue également à convaincre l'accusé que sa cause a été entendue par un tribunal dont il pouvait contrôler l'indépendance et l'impartialité. La publicité de la procédure des organes judiciaires protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public ; elle constitue aussi l'un des moyens de préserver la confiance dans les cours et tribunaux. Par la transparence qu'elle donne à l'administration de la justice, elle aide à réaliser le but de l'article 6 § 1 : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique au sens de la Convention (arrêt précité, Fejde, pp. 67-68, § 28).

26. En première instance, la notion de procès équitable implique la faculté, pour l'accusé, d'assister aux débats (arrêt Forcellini c. Saint-Marin du 15 juillet 2003, nos 34657/97, § 35).

27. Quant à l'appel, la manière dont l'article 6 § 1 de la Convention s'applique aux cours d'appel ou de cassation dépend des particularités de la procédure en cause. En appel, l'absence de débats publics peut se justifier par les caractéristiques de la procédure dont il s'agit, pourvu qu'il y ait eu audience publique en première instance. Ainsi, les procédures d'autorisation d'appel, ou consacrées exclusivement à des points de droit et non de fait, peuvent remplir les exigences de l'article 6 même si la cour d'appel n'a pas donné au requérant la faculté de s'exprimer en personne devant elle. En revanche, lorsque la juridiction d'appel doit examiner une affaire en fait et en droit et procéder à une appréciation globale de la culpabilité ou de l'innocence, elle ne peut statuer à ce sujet sans évaluer directement les éléments de preuve présentés en personne par l'inculpé qui souhaite prouver qu'il n'a pas commis l'acte constituant prétendument une infraction pénale. Du principe de la tenue de débats publics dérive le droit de l'accusé à être entendu en personne par les juridictions d'appel. De ce point de vue, le principe de la publicité des débats poursuit le but d'assurer à l'accusé ses droits de défense (ibidem).

28. Contrairement à la thèse du Gouvernement, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'absence de faits nouveaux ne saurait suffire à justifier une dérogation au principe de la nécessité de débats publics en appel en présence de l'accusé. A Saint-Marin le juge d'appel est compétent pour connaître des points de fait et de droit (paragraphe 19 ci-dessus). A l'époque des faits, toutefois, aucune audience publique n'avait lieu devant ce juge : aux termes de l'article 197 du code de procédure pénale, une audience d'instruction pouvait se tenir pendant l'appel si le juge d'appel estimait qu'il y avait lieu de renouveler certains actes d'instruction, mais elle se déroulait devant le Commissario della Legge, qui exerce les fonctions d'instruction en appel (ibidem). En l'occurrence, aucune audience d'instruction ne fut tenue en appel et la Cour juge sans pertinence que le requérant n'ait pas demandé la tenue de pareille audience, car de toute manière elle se serait déroulée devant le juge d'instruction et non devant le juge d'appel. Le requérant n'a pas eu la possibilité de comparaître personnellement devant le Giudice delle Appellazioni Penali, lequel l'a jugé sans pouvoir évaluer sa personnalité.

29. En conclusion, le système judiciaire national n'a pas garanti au requérant le droit à un procès équitable devant la juridiction d'appel.

Il y a donc eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

30. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "

A. Dommage

31. Le requérant s'en remet à la Cour quant à l'octroi d'une somme pour le dommage moral résultant de l'infraction à l'article 6 § 1 de la Convention.

32. Le Gouvernement n'a pas formulé de commentaires.

33. La Cour estime que le requérant a subi un certain préjudice moral que le simple constat de violation suffit à compenser.

B. Frais et dépens

34. Le requérant réclame le remboursement des frais et dépens exposés devant la Cour, qu'il chiffre à 10 000 euros (EUR).

35. Le Gouvernement invite la Cour à " compenser les frais de procédure ".

36. Eu égard aux éléments du dossier, la Cour juge excessif le montant indiqué par le requérant. Elle décide de lui allouer en équité la somme de 3 000 EUR.

C. Intérêts moratoires

37. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,

1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

2. Dit que le présent arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

3. Dit :

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 juillet 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DOLLE, Greffière

J.-P. COSTA, Président


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