COMM. C.M.
COUR DE CASSATION
Audience publique du
12 mai 2004
Rejet
M. TRICOT, président
Arrêt n° 775 FS P+B sur le premier moyen
Pourvoi n° E 01-12.865
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la société ABCG participation, venant aux droits de la société Geaix, dont le siège est Moulins,
en cassation d'un arrêt rendu le 25 avril 2001 par la cour d'appel de Riom (chambre commerciale), au profit de la société Auchan France, société anonyme, venant aux droits de la société Hypermarchés du Centre, dont le siège est Villeneuve-d'Asq,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 17 mars 2004, où étaient présents M. Tricot, président, Mme Champalaune, conseiller référendaire rapporteur, M. Métivet, Mmes Garnier, Tric, Collomp, Favre, Betch, M. Petit, Mme Cohen-Branche, conseillers, Mme Gueguen, M. Sémériva, M. Truchot, Mme Michel-Ansellem, conseillers référendaires, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Monod et Colin, avocat de la société ABCG participation, de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société Auchan France, venant aux droits de la société Hypermarchés du Centre, les conclusions de M. Feuillard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 25 avril 2001), que le 1er février 1994, la société Geaix, aux droits de laquelle vient la société ABCG participation et la société Docks de France, aux droits de laquelle vient la société Auchan France ont signé un contrat d'approvisionnement, au titre duquel la société Geaix était chargée d'assurer le flux physique des marchandises et des emballages de manutention et d'assurer un certain nombre d'opérations informatisées liées à la gestion de ce flux ; que ce contrat a été conclu pour une durée indéterminée ; qu'il était stipulé que la rupture pouvait intervenir à tout moment sous réserve du respect d'un préavis de six mois ; que le 22 août 1997, la société Docks de France a annoncé à la société Geaix qu'elle entendait mettre fin au contrat à compter du 22 février 1998, préavis de six mois compris ; que par acte du16 juin 1998, la société Geaix a assigné la société Docks de France en paiement de dommages-intérêts à raison de la rupture ; qu'accueillant en son principe la demande en réparation fondée sur le retrait de l'approvisionnement de certains magasins avant l'expiration du préavis et ordonnant une expertise sur le montant des réparations, la cour d'appel a rejeté les demandes fondées sur l'insuffisance du délai de préavis et sur l'invocation d'un mandat d'intérêt commun ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches
1. Attendu que la société ABCG fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'indemnité complémentaire de rupture fondée sur l'insuffisance du délai de préavis, alors, selon le moyen,
2.
3. que le délai de préavis déterminé par un contrat n'est pas nécessairement licite au regard des dispositions de l'article L. 442-6-I-4° du Code de commerce, spécialement lorsque la convention a été conclue entre des partenaires d'une puissance économique manifestement inégale ; qu'en se bornant à relever, pour dire non abusive la résiliation en août 1997, par le groupe Auchan, entreprise internationale de la grande distribution, de la relation établie depuis mars 1989 avec la société Geaix, moyennant un préavis de six mois, que cette durée avait été fixée par leur convention, sans rechercher si ce délai de préavis tenait compte des relations commerciales antérieures existant entre les parties ou des usages reconnus par des accords professionnels, la cour d'appel a privé sa décision de fondement légal au regard des dispositions précitées ;
4.
2°)
que la société Geaix faisant valoir que le fait de se voir confier l'exclusivité de l'approvisionnement des magasins du groupe Auchan du centre de la France l'avait encouragée à affecter l'ensemble de ses moyens à la satisfaction de ce donneur d'ordres, que ce dernier s'était satisfait que la société Geaix n'approvisionne aucun de ses concurrents, pour des raisons évidentes de confidentialité, que toutes les autres entreprises de la grande distribution susceptibles d'être intéressées par une plate-forme de produits surgelés dans cette région étaient d'ailleurs déjà structurées, de sorte qu'elle n'avait pu trouver d'autres clients, et que par suite, si le contrat ne lui imposait pas formellement une exclusivité, elle se trouvait en état de totale dépendance économique vis-à-vis de son partenaire, de sorte qu'un délai de six mois était insuffisant pour lui permettre de donner une nouvelle orientation à ses activités ; qu'en se bornant à relever que la société Geaix n'avait pas d'obligation contractuelle d'exclusivité envers Auchan pour affirmer que la durée du préavis contractuel était suffisant, sans s'expliquer sur cet état de dépendance économique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-1-4° du Code de commerce
;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société Geaix n'était pas contractuellement liée à titre exclusif à la société Auchan, faisant ainsi ressortir la liberté qu'avait la société Geaix d'assurer la diversification de ses activités, et constaté qu'un précédent contrat avait lié les parties depuis le 24 mars 1989, la cour d'appel qui a souverainement estimé que la durée du préavis fixée à six mois était suffisante, s'est prononcée au regard des relations commerciales antérieures entre les parties et a ainsi légalement justifié sa décision, abstraction faite des motifs erronés, mais surabondants critiqués par la première branche du moyen ; que celui-ci n'est pas fondé ;
Et sur le deuxième moyen
Attendu que la société ABCG fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'indemnité de rupture fondée sur l'existence d'un mandat d'intérêt commun, alors, selon le moyen,
que comme le soulignait l'appelante, la société Geaix était chargée d'assurer, pour le groupe Docks de France, non seulement des prestations matérielles ou des opérations "informatisées", mais également des actes juridiques d'administration et de gestion du patrimoine d'autrui puisqu'elle était notamment chargée, pour le compte du distributeur, de prendre livraison des marchandises et d'émettre des réserves si elles n'étaient pas conformes aux commandes, et de stocker ces produits en entrepôts frigorifiques en veillant à leur bonne conservation et en vérifiant les dates limites de vente et de consommation avant de les livrer; que de plus, en contrepartie de l'exclusivité qui lui était conférée dans les départements concernés, elle était tenue d'adapter ses moyens à l'augmentation éventuelle du nombre de points de vente des Docks de France centre et de ses franchisés ; qu'en outre, sa rémunération était proportionnelle au volume de palettes transitant par la plate-forme, et qu'elle était donc directement intéressée à la satisfaction de la clientèle et au développement de celle-ci ; qu'en ne s'expliquant pas sur ces éléments de nature à caractériser un mandat et une communauté d'intérêts entre le distributeur et le prestataire, la cour d'appel a privé sa
décision de base légale au regard de l'article 1198 du Code civil
;
Mais attendu que l'arrêt constate que le contrat est intitulé contrat d'approvisionnement, que la société Geaix est qualifiée de prestataire dont le rôle essentiel consiste à assurer le flux physique des marchandises et des emballages et à assurer des opérations informatisées liées à la gestion de ce flux ; que l'arrêt relève que l'objet de la convention n'est pas l'essor de l'entreprise par création et développement de la clientèle ; qu'en l'état de ces constatations, dont elle a déduit que la convention ne s'analysait pas en un mandat d'intérêt commun, la cour d'appel, qui n'avait pas à entrer dans le détail de l'argumentation de la société Geaix, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société ABCG aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société ABCG à payer à la société Auchan la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille quatre.