Décision AMF, 18-03-2004, à l'encontre de la société Exane et de M. Laurent Taburet, sanction

Décision AMF, 18-03-2004, à l'encontre de la société Exane et de M. Laurent Taburet, sanction

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L2097DYC



Décision de sanction

du 18 mars 2004

à l'encontre de la société Exane et de M. Laurent Taburet

La deuxième Section de la Commission des sanctions,

Vu, le Code monétaire et financier ;

Vu, la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, notamment ses articles 47, 49-III et IV ;

Vu, le décret n° 2003-1109 du 21 novembre 2003 relatif à l'Autorité des marchés financiers ;

Vu, le Règlement général du Conseil des marchés financiers, notamment ses articles 3-4-1, 3-4-7, 3-4-9 et 3-4-10 ;

Vu, les notifications de griefs en date du 28 mars et du 2 octobre 2003 ;

Vu, le compte-rendu de l'audition de M. Stéphane EGNELL en date du 30 juin 2003 ;

Vu, les observations écrites présentées par Maître Thibault de MONTBRIAL le 29 avril 2003 et le 7 novembre 2003 pour le compte de la société EXANE et de MM. Stéphane EGNELL et Laurent TABURET ;

Vu, les lettres du 6 janvier 2004 par lesquelles M. Jean-Pierre MORIN informait la société EXANE, ainsi que MM. Stéphane EGNELL et Laurent TABURET, que la procédure ouverte dans le cadre des notifications de griefs en date du 28 mars 2003, s'agissant de la société EXANE, et du 2 octobre 2003,

s'agissant de MM. EGNELL et TABURET, se trouvait poursuivie devant la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers conformément aux dispositions de l'article 49-IV de la loi n° 2003- 706 du 1er août 2003 de sécurité financière, et qu'il était confirmé comme Rapporteur ;

Vu, le rapport de M. Jean-Pierre MORIN du 9 février 2004 ;

Vu, les lettres de convocation à la séance du 18 mars 2004, adressées aux personnes mises en cause en date du 10 février 2004, auxquelles était annexé le rapport du Rapporteur ;

Vu, les observations complémentaires déposées en réponse au rapport par Maître Thibault de MONTBRIAL pour le compte de la société EXANE ainsi que de MM. Stéphane EGNELL et Laurent TABURET, en date du 25 février 2004 ;

Vu, les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu au cours de la séance du 18 mars 2004 Le Rapporteur en son rapport,

Mme Odile RENAUD-BASSO, Commissaire du Gouvernement,

M. Laurent TABURET,

M. Stéphane EGNELL,

M. Nicolas CHANUT, représentant la société EXANE dont il est le Président,

Maître Thibault de MONTBRIAL, Conseil de la société EXANE, de M. Laurent TABURET et de M. Stéphane EGNELL,

M. Nicolas CHANUT, pour le compte de la société EXANE, M. Stéphane EGNELL et M. Laurent TABURET ayant pris la parole en dernier.

I. FAITS ET PROCÉDURE

Par lettre du 12 juillet 2002, le Secrétaire général du Conseil des marchés financiers (CMF) a transmis à la société EXANE un rapport d'inspection en date du 28 mai 2002 portant sur le contrôle de ses interventions le 8 février 2002, jour de l'introduction de la société XILAM ANIMATION avec un million de titres proposés sur le second marché d'EURONEXT Paris, de telles interventions pouvant constituer des manquements à certaines dispositions du Règlement général du CMF.

Par courrier en date du 1er août 2002, la société EXANE a transmis au CMF ses observations sur le rapport.

Par lettre en date du 28 mars 2003, M. Eric BOURDAIS de CHARBONNIERE, Président de l'une des formations disciplinaires du CMF, a informé la société EXANE de l'ouverture d'une procédure disciplinaire à son encontre, de la nomination de M. Jean-Pierre MORIN comme rapporteur, et lui a notifié les griefs suivants :

- le comportement de M. Laurent TABURET, négociateur, semblait correspondre à la volonté de maintenir artificiellement le cours théorique d'ouverture (CTO) à un niveau élevé en passant un ordre d'achat de 20 000 titres à 15,00 €, en le laissant subsister, puis en le retirant juste avant l'ouverture alors qu'aucune réaction du marché n'était plus possible ; la lettre de notification de griefs qualifiait de tels agissements de manquements possibles aux articles 3-4-7 et 3-4-10 du Règlement général du Conseil des marchés financiers, selon lesquels " Il est interdit au prestataire habilité d'utiliser sur un marché réglementé les techniques ou les procédures en vigueur pour y effectuer des interventions dans le but d'induire en erreur les autres membres du marché concerné ou la clientèle " et " Le prestataire habilité ne provoque pas intentionnellement des décalages de cours aux fins d'en tirer avantage. En particulier, il s'abstient de provoquer une telle situation lors de la détermination des cours de clôture du marché" ;

- M. Stéphane EGNELL, en charge de la négociation pour compte propre et désigné comme responsable de la négociation auprès de l'entreprise de marché EURONEXT, ne semblait pas avoir exercé son rôle de supervision, ce qui pouvait constituer un manquement à l'article 3-4-1 du règlement général du CMF selon lequel, " le prestataire habilité exerce ses activités dans le respect de l'ensemble des règles organisant le fonctionnement des marchés ";

- enfin, il apparaissait que M. Philippe EVEQUOZ, vendeur de la succursale d'EXANE à Genève, n'avait pas suffisamment insisté auprès de son client sur les risques inhérents à la vente d'une quantité importante de titres (17 500) sans condition de prix, ce qui pouvait s'analyser comme un manquement aux dispositions de l'article 3-4-9 du Règlement général du CMF selon lequel " le prestataire habilité attire l'attention de son client quand il estime que l'exécution des instructions de ce dernier sur un marché réglementé d'instruments financiers risque de provoquer une importante et brusque variation de cours " .

Par lettres du 2 octobre 2003, le Président de l'une des formations disciplinaires du CMF a informé MM. Stéphane EGNELL et Laurent TABURET de l'ouverture d'une procédure disciplinaire à leur encontre à raison de leur comportement propre et sur le fondement, respectivement, des articles 3-4-1 pour le premier, 3-4-7 et 3-4-10 du règlement susvisé pour le second, et de la nomination de M. Jean- Pierre MORIN comme rapporteur.

Par lettres du 6 janvier 2004, M. Jean-Pierre MORIN a informé la société EXANE, MM. Stéphane EGNELL et Laurent TABURET qu'il avait été désigné à nouveau comme rapporteur dans cette affaire par le Président de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers.

II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT

SUR LA PROCÉDURE

La demande présentée

La société EXANE, MM. Stéphane EGNELL et Laurent TABURET demandent que soit déclaré irrecevable et écarté des débats l'enregistrement " d'ambiance " autour de la table des négociateurs qui a été produit.

Considérant que cet enregistrement provient de la ligne téléphonique d'un des négociateurs qui avait laissé ouvert son appareil situé sur la table de travail, de telle sorte que celui-ci captait les conversations sur les interventions en cours ; qu'il ne contrevient aucunement au règlement général du CMF prescrivant l'enregistrement des conversations à partir des lignes téléphoniques puisque telle est son origine ; que les négociateurs ne pouvaient ignorer une captation de leurs propos qu'ils avaient eux-mêmes provoquée à partir d'un appareil qu'ils savaient muni d'un dispositif d'enregistrement ;

Considérant que ces éléments de preuve, outre qu'ils ont été réunis de manière licite, ont été remis spontanément aux inspecteurs par le responsable des services d'investissement d'EXANE ; qu'à aucun moment, entre le 12 juillet 2002 et le 24 février 2004, les personnes mises en cause n'ont contesté la validité d'un enregistrement qui a été au cœur du débat contradictoire tout au long de la procédure, son contenu ayant fait l'objet de multiples observations de leur part ;

Considérant que la demande présentée le 25 février 2004 pour faire écarter des débats cet enregistrement est privée de tout fondement ; qu'il convient dès lors de la rejeter ;

SUR LE FOND

Les observations des mis en cause

La société EXANE conteste tout manquement au cours de la journée de négociation litigieuse et fait valoir que la petite taille de l'intervention de son compte propre actions n'aurait jamais dû faire baisser brutalement le cours de la valeur le jour de l'introduction ; que selon elle, l'accusation de manipulation de marché n'est pas fondée, ses négociateurs n'ayant jamais cherché à tester la profondeur de marché à la baisse et n'ayant pas de moyen de connaître l'impact de leurs interventions.

Pour expliquer l'annulation de l'ordre litigieux, elle expose que celui-ci était devenu sans intérêt au regard de l'évolution du cours théorique d'ouverture du marché ; elle invoque la totale bonne foi des négociateurs dans cette opération.

Elle ajoute qu'il incombe au responsable de la négociation de veiller au recrutement de personnes compétentes et de surveiller le respect des limites attribuées à chaque négociateur, mais pas d'assurer le contrôle a priori de leurs opérations, si bien qu'à ce titre aucun grief ne pourrait être retenu à l'encontre de M. Stéphane EGNELL.

L'obligation d'attirer l'attention d'un client sur le risque de provoquer une importante et brusque variation de cours, selon la société EXANE, ne s'applique pas aux relations avec un professionnel suffisamment averti pour mesurer lui-même les conséquences de ses interventions.

MM. Stéphane EGNELL et Laurent TABURET reprennent à leur compte les observations de la société EXANE, qu'ils complètent par des éléments spécifiques à leurs situations personnelles.

Sur le décalage intentionnel des cours du titre XILAM ANIMATION et sur les interventions effectuées pour induire en erreur les autres membres du marché Considérant que, le 8 février 2002, à la suite de l'introduction à 11 h 55 mn 23 sec., par la succursale d'EXANE à Genève, pour le compte d'un client suisse, d'un ordre de vente " à tout prix " (ATP) de 17 500 titres, le cours théorique d'ouverture (CTO) s'est effondré de 15,00 €, valeur de souscription, à 7,50 € ;

Considérant qu'à 11 h 57 mn 33 sec., M. Laurent TABURET, négociateur du compte propre actions d'EXANE, a placé un ordre d'achat de 20 000 titres, caché par tranches de 5 000, à 15,00 €, qui a eu pour effet de faire remonter à ce niveau le CTO ;

Considérant qu'à 11 h 58 mn 37 s, il a passé un ordre caché d'achat de 5 000 titres, dévoilé par 42 titres, à 12,00 € ; qu'à 11 h 58 mn 45 sec., l'introduction d'un second ordre de vente ATP de 10 000 titres a fait baisser le CTO à 12,00 €, tandis que M. Laurent TABURET, de son côté, a décidé de passer un deuxième ordre caché d'achat de 5 000 titres, dévoilé par 200 titres, à 11,00 euros ; qu'à 11 h 59 mn 27 sec., il a passé un troisième ordre caché d'achat de 10 000 titres, dévoilé par 200 titres, à 8,50 € ;

Considérant que la mise en retrait, à 11 h 59 mn 46 sec., des 10 000 titres à la vente ATP a entraîné la remontée du CTO à 14,90 € ;

Considérant que ce n'est qu'à 11 h 59 mn 52 sec. que M. Laurent TABURET a annulé son premier ordre d'achat de 20 000 titres, si bien qu'à l'ouverture à 12 heures, le cours a affiché 8,50 €, ce qui représente une baisse de 43,33 % ; que le compte propre d'EXANE a acquis à ce prix 13 938 titres, dont 5 596 ont été revendus lors de la première séance au prix moyen de 13,99 €, dégageant une plus-value nette supérieure à 65 % ;

Considérant qu'il est exact, comme le soutiennent les représentants d'EXANE, que l'introduction du titre XILAM ANIMATION s'est faite sans le soutien de l'introducteur, que la hausse du CTO aux environs de 15 € ne s'est pas continûment maintenue entre la passation de l'ordre litigieux et son retrait, enfin, que les règles de l'époque élargissaient à 50 % les plages de fluctuation des titres introduits en bourse ; que ces circonstances, si elles atténuent la faute commise, ne sauraient pour autant la faire disparaître ;

Considérant, en effet, que la saisie des trois ordres d'achat cachés pour 20 000 titres démontre que l'ordre " écran " à 15 € passé pour la même quantité était voué à disparaître avant l'ouverture, ce que confirment les conversations enregistrées entre M. Laurent TABURET et l'autre négociateur présent à ses côtés ; que celui-ci, au moment de l'introduction de l'ordre litigieux, indique en effet : " Ouais, bien joué ! "pour ajouter immédiatement après " Mais n'oublie pas de l'annuler, Lau ! " puis demande, aux environs de 11 h 59 mn, le cours ayant baissé à 12,00 € : " T'as annulé, toi ? ", ce à quoi Laurent TABURET répond : " Pas encore ! … C'est à midi " ;

Considérant que l'ordre d'achat reproché, dont M. Laurent TABURET a admis lors de la séance qu'il n'était pas suffisamment important pour lui permettre de sonder la solidité du marché vendeur, comme il l'avait prétendu, a incontestablement eu pour effet de faire remonter artificiellement le cours, qui s'est maintenu aux environs de 15,00 € jusqu'à 11 h 58 mn 37 sec., puis de 11 h 59 mn 46 sec. jusqu'à son retrait ; que ce retrait, programmé dès l'origine, n'a été effectué qu'au tout dernier moment, alors qu'aucune réaction du marché n'était plus possible ; qu'il a permis à EXANE d'acheter à 8,50 € des titres qui avaient été maintenus à la vente en considération de l'évolution favorable du CTO dans les instants précédant l'ouverture ;

Considérant que ces faits caractérisent à l'égard de M. Laurent TABURET un manquement aux articles 3-4-7 et 3-4-10 du règlement général du CMF ; qu'il en est de même pour la société EXANE, qui a en outre commis un manquement à l'article 3-4-1 du même règlement ; qu'il lui incombait en effet d'éviter toute manipulation des cours et de veiller au respect des règles du marché ;

Sur l'avertissement du client lors de la réception d'ordres susceptibles de faire varier le marché et sur la supervision de la négociation par M. Stéphane EGNELL

Considérant qu'il est reproché à EXANE que sa succursale de Genève, en contravention à l'article 3-4-9 du Règlement général du CMF, n'ait pas suffisamment insisté sur les risques inhérents à la vente d'une quantité importante de titres sans condition de prix ; que, comme l'a observé le rapporteur, le client, une banque suisse, était un professionnel averti des risques que comportait un tel ordre ; qu'en outre, conformément aux premières instructions qu'il avait reçues de lui, le négociateur d'EXANE avait préalablement testé le marché et lui avait indiqué les résultats de ces essais ; que, dès lors, le grief ne sera pas retenu ;

Considérant, en second lieu, qu'il ne saurait être reproché à M. Stéphane EGNELL, absent au moment de l'intervention de M. Laurent TABURET, de n'avoir pas exercé un contrôle suffisant ; qu'il apparaît en effet que, responsable de l'équipe des négociateurs pour compte propre, il a, de manière générale, veillé à ce que les règles du marché soient respectées par ses subordonnés ; qu'il leur a notamment remis en 2001 un recueil déontologique ; qu'enfin, il a participé à leur formation ; que M. Stéphane EGNELL sera donc mis hors de cause ;

PAR CES MOTIFS,

Et après en avoir délibéré sous la présidence de Madame Claude NOCQUET, par Messieurs Jacques BONNOT, Yves BRISSY, Jean-Jacques SURZUR, membres de la deuxième section de la Commission des sanctions, en présence de la secrétaire de séance,

DÉCIDE DE :

- mettre hors de cause M. Stéphane EGNELL ;

- prononcer un avertissement et une sanction pécuniaire de 30 000 euros à l'encontre de la société EXANE ;

- prononcer un avertissement à l'encontre de M. Laurent TABURET ;

- publier cette décision au Bulletin des Annonces Légales Obligatoires ainsi que sur le site internet et dans la revue de l'Autorité des marchés financiers.

Fait à Paris, le 18 mars 2004

La Secrétaire, Brigitte LETELLIER

La Présidente, Claude NOCQUET.

Cette décision peut faire l'objet d'un recours dans les conditions prévues au chapitre 3 du décret n° 2003-1109 du 21 novembre 2003 relatif à l'Autorité des marchés financiers.

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