COMM. S.L
COUR DE CASSATION
Audience publique du 28 avril 2004
Rejet
M. TRICOT, président
Arrêt n° 688 F P+B
Pourvoi n° K 02-10.505
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la société Bardinet, société anonyme, dont le siège est Blanquefort,
en cassation d'un arrêt rendu le 19 octobre 2001 par la cour d'appel de Paris (4e chambre, section B), au profit de la SCP Belat-Desprat, pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société la société Ego-Fruits, société anonyme, domiciliée Bourg-en-Bresse,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 3 mars 2004, où étaient présents M. Tricot, président, M. Sémériva, conseiller référendaire rapporteur, M. Métivet, conseiller, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Sémériva, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin et Benabent, avocat de la société Bardinet, de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la SCP Belat-Desprat, ès qualités, les conclusions de M. Jobard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 octobre 2001), que, propriétaire de la marque "pina colada", déposée en 1974 et renouvelée depuis, pour désigner les boissons alcooliques, à l'exception des bières, en classe 33, la société Bardinet a poursuivi la société Ego Fruits en contrefaçon de cette marque, pour avoir commercialisé une boisson nommée "cocktail de pigna colada" ; que celle-ci a opposé la déchéance prévue à l'article L. 714-6 du Code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que la société Bardinet fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé la déchéance de ses droits sur cette marque, alors, selon le moyen
1°/ que le propriétaire d'une marque n'encourt la déchéance que si cette marque est devenue la désignation usuelle du produit ou du service par son fait ; que si ce fait peut être actif ou passif, il ne peut résulter de l'absence de poursuite systématique engagée à l'encontre de tout usage du signe déposé ; qu'ayant elle-même constaté que si Bardinet justifie être intervenue pour obtenir le retrait des marques déposées par des tiers concernant les termes pina colada et pour s'opposer, dans un certain nombre de cas, à l'utilisation de ces termes pour la désignation de produits, tels que des glaces ou des boissons, fabriqués et distribués à l'échelle industrielle, ce qui caractérisait l'absence de fait passif de la société Bardinet, la cour d'appel ne pouvait prononcer néanmoins la déchéance de la marque sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article L. 714-6 du Code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que le propriétaire d'une marque devenue générique n'encourt la déchéance que pour ce produit et non pour les autres produits visés dans l'acte d'enregistrement ; qu'ayant constaté que la marque pina colada avait été déposée pour désigner toutes les boissons alcoolisées à la seule exception des bières, la cour d'appel, qui n'a relevé l'emploi généralisé du signe que pour désigner un cocktail alcoolisé à base de jus de fruits, ne pouvait prononcer en toute occurrence la déchéance de la marque qu'à l'égard de ce produit ; qu'en prononçant une déchéance totale de la marque, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 714-6 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'ayant retenu que, si la société Bardinet était intervenue dans certains cas pour s'opposer à l'utilisation du signe enregistré, elle était restée passive face à l'emploi généralisé de l'expression "piña colada" pour désigner un cocktail alcoolisé à base de jus de fruits, notamment dans des livres de recettes, sur un site Internet, et sur les cartes de bars ou d'entreprises de restauration exploitant de nombreux établissements, la cour d'appel, sans subordonner la déchéance à l'absence de poursuites systématiques de la part du propriétaire de la marque, a pu, appréciant souverainement son comportement au regard de l'emploi de ce signe, décider que la marque était devenue de son fait la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service ;
Et attendu, d'autre part, que la société Bardinet n'ayant pas objecté que la déchéance de ses droits se limiterait à une partie des produits désignés à l'enregistrement, le grief de la seconde branche est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
D'où il suit que le moyen, qui n'est pas fondé en sa première branche, est irrecevable en sa seconde branche ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bardinet aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Bardinet à payer à la SCP Belat-Desprat, ès qualités, la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit avril deux mille quatre.