Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 11 juillet 2024 et les 5 février et 5 septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil dEtat, lUnion fédérale des syndicats de lEtat CGT demande au Conseil dEtat, dans le dernier état de ses écritures :
1°) dannuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à labrogation des
articles 1er et 5 du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984🏛🏛 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de lEtat ;
2°) denjoindre au Premier ministre, dans un délai de six mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 450 euros par jour de retard, dadopter des dispositions réglementaires prévoyant, dune part, le droit à linformation des agents quant à la possibilité de bénéficier dun report de leur droit à congés et, dautre part, la faculté pour les agents placés en autorisation spéciale dabsence pour raison de santé de bénéficier dun tel report.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 du Parlement européen et du Conseil concernant certains aspects de laménagement du temps de travail ;
- le
décret n° 84-972 du 26 octobre 1984🏛 ;
- le
décret n° 2025-564 du 21 juin 2025🏛 ;
- les arrêts C-350/06 du 20 janvier 2009, C-684/16 du 6 novembre 2018, C-518/20 et C-727/20 du 22 septembre 2022 et C-206/22 du 14 décembre 2023 de la Cour de justice de lUnion européenne ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François-Xavier Bréchot, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. LUnion fédérale des syndicats de lEtat CGT demande lannulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à labrogation des articles 1er et 5 du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de lEtat, dune part en tant que ces dispositions ne prévoient le report des congés non pris au cours dune année de service quà titre exceptionnel et excluent toute possibilité dindemnité compensatrice en fin de relation de travail, sans réserver le cas des agents qui ont été dans limpossibilité de prendre leurs congés annuels en raison dun congé de maladie, dun congé de maternité, dun congé de paternité et daccueil de lenfant, dun congé dadoption ou dune autorisation spéciale dabsence pour raison de santé et, dautre part, en tant que ces dispositions ne subordonnent pas lextinction des droits aux congés annuels ou leur indemnisation en fin de relation de travail à linformation de lagent par lemployeur de la possibilité de bénéficier dun tel report.
2. Lautorité compétente, saisie dune demande tendant à labrogation dun règlement illégal, est tenue dy déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que lillégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. De même, lorsquelle est saisie dune demande tendant à la réformation dun règlement illégal, lautorité compétente est tenue dy substituer des dispositions de nature à mettre fin à cette illégalité.
3. Aux termes de larticle 1er du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de lEtat : « Tout fonctionnaire de lEtat en activité a droit, dans les conditions et sous les réserves précisées aux articles ci-après, pour une année de service accompli du 1er janvier au 31 décembre, à un congé annuel dune durée égale à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service. () ». Aux termes de larticle 5 du même décret : « Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur lannée suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service. / Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ».
Sur les conclusions à fin de non-lieu présentées par le ministre de laction publique, de la fonction publique et de la simplification :
4. Postérieurement à lintroduction de la requête, le
décret du 21 juin 2025🏛 relatif aux régimes dérogatoires de report et dindemnisation des droits à congé annuel dans la fonction publique a inséré dans le décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de lEtat un article 5-1 selon lequel : « Par dérogation aux dispositions du premier alinéa de larticle 5, lorsque le fonctionnaire est dans limpossibilité, du fait dun congé pour raison de santé, ou du fait dun congé lié aux responsabilités parentales ou familiales, de prendre son congé annuel au cours de lannée au titre de laquelle il lui est dû, il bénéficie dune période de report de quinze mois, dont la durée peut être prolongée sur autorisation exceptionnelle du chef de service. / La période de report débute à compter de la date de reprise des fonctions. Pour les congés annuels acquis pendant un congé pour raison de santé ou un congé lié aux responsabilités parentales ou familiales, elle débute, au plus tard, à la fin de lannée au titre de laquelle le congé annuel est dû. / A lexclusion du cas où le fonctionnaire bénéficie dun report du fait dun congé lié aux responsabilités parentales ou familiales, le report est limité aux droits non-utilisés relevant des quatre premières semaines de congé annuel par période de référence. » Ce même décret a également inséré un
article 5-2 aux termes duquel : « Par dérogation aux dispositions du second alinéa de larticle 5, lorsque le fonctionnaire na pas été en mesure de prendre son congé annuel avant la fin de la relation de travail, les droits non-utilisés donnent lieu à une indemnité compensatrice. / A lexclusion des droits non-consommés du fait dun congé lié aux responsabilités parentales ou familiales, cette indemnité ne compense que les droits non-utilisés relevant des quatre premières semaines de congé annuel par période de référence. / () ». La demande adressée au Premier ministre et à laquelle a été opposé le refus implicite dont le syndicat requérant demande lannulation a ainsi été satisfaite en ce qui concerne le report des congés non pris au cours dune année de service et la possibilité dobtenir une indemnité compensatrice en fin de relation de travail pour les agents qui ont été dans limpossibilité de prendre leurs congés annuels en raison dun congé de maladie, dun congé de maternité, dun congé de paternité et daccueil de lenfant ou dun congé dadoption. Par suite, le ministre de laction publique, de la fonction publique et de la simplification est fondé à soutenir que les conclusions de la requête du syndicat sont, dans cette mesure, devenues sans objet et quil ny a plus lieu dy statuer.
5. En revanche, ni la demande du syndicat requérant tendant à ce que le décret du 26 octobre 1984🏛 soit modifié afin de subordonner lextinction des droits aux congés annuels ou leur indemnisation en fin de relation de travail à linformation de lagent par lemployeur de la possibilité de bénéficier dun report de ses congés annuels, ni sa demande tendant à ce que le même décret soit modifié afin que soit reconnu un droit au report des congés annuels non pris ou à obtenir une indemnité compensatrice en fin de relation de travail pour les agents qui ont été dans limpossibilité de prendre leurs congés annuels en raison dune autorisation spéciale dabsence pour raison de santé nont été satisfaites. Par conséquent, contrairement à ce que soutient le ministre de laction publique, de la fonction publique et de la simplification, la requête de lUnion fédérale des syndicats de lEtat CGT conserve, dans cette mesure, son objet et il y a toujours lieu dy statuer.
Sur les conclusions relatives à linformation de lagent par lemployeur :
6. Aux termes de larticle 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de laménagement du temps de travail : « 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie dun congé annuel payé dau moins quatre semaines, conformément aux conditions dobtention et doctroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales / 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ».
7. Il résulte de ces dispositions, telles quinterprétées par la Cour de justice de lUnion européenne, notamment dans ses arrêts du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff (C-350/06), du 6 novembre 2018, Max Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften (C-684/16) et du 22 septembre 2022, Fraport (C518/20 et C727/20), que, pour ce qui concerne la période minimale de quatre semaines par an quelles prévoient, le droit au congé annuel payé quun travailleur na pas pu exercer pendant une certaine période parce quil était placé en congé de maladie, en congé de maternité, en congé de paternité et daccueil de lenfant ou en congé dadoption pendant tout ou partie de la période en cause, ne peut séteindre à lexpiration de celle-ci et que le travailleur qui na pu, pour cette raison, exercer son droit au congé annuel payé a droit à une indemnité financière en fin de relation de travail. En outre, lextinction de ces droits à lexpiration de la période de référence ou dune période de report fixée par le droit national nétant possible quà la condition que le travailleur ait effectivement été mis en mesure dexercer son droit au congé annuel payé, il incombe à lemployeur de linformer, de manière précise et en temps utile, des conditions dans lesquelles il risque de perdre ses droits à congés.
8. Il suit de là que le syndicat requérant est fondé à soutenir que les dispositions des articles 1er et 5 du décret du 26 octobre 1984 sont incompatibles avec les dispositions de larticle 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 en tant quelles ne subordonnent pas lextinction des droits aux congés annuels non pris, ou du droit à leur indemnisation en fin de relation de travail, dans la limite de la période minimale de quatre semaines prévue par cette directive, à linformation de lagent par son employeur portant, dune part, sur le nombre de jours de congé dont il dispose au titre des années de service antérieures à la suite de leur report en raison dun congé de maladie, de maternité, de paternité et daccueil de lenfant ou dadoption, prévus respectivement par les articles L. 631-3, L. 631-9 et L. 631-8 du code général de la fonction publique et, dautre part, sur la date jusquà laquelle ces jours de congés peuvent être pris. Elles sont, par suite, illégales dans cette mesure.
Sur les conclusions relatives au report des congés annuels non pris du fait dune autorisation spéciale dabsence pour raison de santé :
9. En premier lieu, il résulte des dispositions de larticle 7 de la directive 20003/88/CE du 4 novembre 2003 citées ci-dessus, telles quinterprétées par la Cour de justice de lUnion européenne, notamment dans son arrêt du 14 décembre 2023, Sparkasse Südpfalz (C 206/22), queu égard à la finalité du droit au congé annuel payé quelle prévoient, lequel vise à permettre au travailleur de se reposer par rapport à lexécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail, elles ne sopposent pas à ce quune réglementation nationale ne prévoie pas de droit au report des jours de congé annuel payé, à raison dune période au cours de laquelle un travailleur qui nest pas malade a été autorisé à rester à son domicile en raison de risques de contamination par un virus. Par suite, le syndicat requérant nest pas fondé à soutenir que les autorisations spéciales dabsence qui font lobjet de sa requête, lesquelles étaient accordées lors de la crise sanitaire provoquée par la pandémie de covid-19 aux fonctionnaires considérés comme vulnérables et étant dans limpossibilité de télétravailler, et qui autorisaient ceux-ci à ne pas accomplir leur service afin de prévenir leur contamination par la maladie, ouvrent droit à un report des droits à congés annuels sur le fondement de ces mêmes dispositions.
10. En second lieu, les agents bénéficiant à titre préventif dune autorisation spéciale dabsence pour les motifs rappelés au point précédent, qui ne bénéficient pas du droit au report des congés annuels qui nauraient pas été pris lors de cette période, ne sont pas dans la même situation que ceux qui, étant malades ou accidentés, bénéficient dun congé pour raison de santé, ouvrant droit, ainsi quil a été dit ci-dessus, au report, dans la limite de quatre semaines, des congés annuels payés qui nont pu être pris à raison de ce congé de maladie. La différence de traitement qui en résulte ne méconnaît donc pas le principe dégalité.
11. Par suite, le syndicat requérant nest pas fondé à soutenir que le refus dabroger les dispositions des articles 1er et 5 du décret du 26 octobre 1984, en tant quelles ne prévoient pas le droit au report des congés non pris, ou le droit dobtenir une indemnité compensatrice en fin de relation de travail, lorsque des congés annuels nont pu être pris en raison de ce que lagent bénéficiait dune autorisation spéciale dabsence mentionnée au point 9, est entaché dillégalité.
12. Il résulte de tout ce qui précède que lUnion fédérale des syndicats de lEtat CGT nest fondée à demander lannulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé dabroger les articles 1er et 5 du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 quen tant que ces dispositions ne subordonnent pas lextinction des droits aux congés annuels quelles prévoient, ou celle de leur indemnisation en fin de relation de travail, dans la limite de quatre semaines par an, à linformation de lagent par lemployeur dans les conditions énoncées au point 8.
13. Il y a lieu denjoindre au Premier ministre de réformer, dans cette même mesure, les articles 1er et 5 du décret no 84-972 du 26 octobre 1984, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances de lespèce, il ny a pas lieu dassortir cette injonction dune astreinte.