Demande d'avis
 n°W 25-70.016
 
 Juridiction : le tribunal judiciaire de Papeete
 
 
 
 
 SV
 
 
 
 
 
 Avis du 8 octobre 2025
 
 
 
 n° 15018 P+B
 
 
 
 
 R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E 
 
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 COUR DE CASSATION
 
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 Première chambre civile
 
 
 Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile :
 
 La Cour de cassation a reçu le 9 juillet 2025, une demande d'avis formée le 24 avril 2025 par le tribunal civil de première instance de Papeete, section détachée de Uturoa Raiatea en application des articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile, dans une instance opposant la société Banque de Polynésie à M.[R].
 
 La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu le présent avis sur le rapport de Mme Peyregne-Wable, conseillère, et les observations écrites et orales de M. Salomon, avocat général,
 
 
 
 
 
 
 
 Énoncé de la demande d'avis 
 
 1. Après avoir retenu que le contrat était soumis aux articles L.312-1 et suivants du code de la consommation, le tribunal saisit la Cour de cassation d'une demande d'avis ainsi formulée :
 
 « La clause contenue dans un contrat de crédit à la consommation prévoyant la déchéance du terme pour un motif autre que celui relatif à la défaillance de l'emprunteur dans ses remboursements est-elle, pour les contrats conclus à partir du 1er mai 2011, abusive et /ou illicite? Est-elle sanctionnée par son caractère réputé non écrit, par la déchéance du droit aux intérêts ou par les deux? »
 
 Examen de la demande d'avis
 
 2. Une clause est illicite lorsqu'elle est formellement prohibée par la loi. En matière de crédit à la consommation, l'article L. 341-4 du code de la consommation prévoit que la remise par le prêteur d'un contrat qui ne satisfait pas aux conditions fixées par les articles L. 312-18, L 312-21, L. 312-28, L. 312-29 et L. 312-43 emporte déchéance du droit aux intérêts.
 
 3. Antérieurement à la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, entrée en vigueur, s'agissant des dispositions pertinentes, le 1er mai 2011, l'article L. 311-13 du code de la consommation prévoyait que « L'offre préalable est établie en application des conditions prévues aux articles précédents selon l'un des modèles types fixés par le comité de réglementation bancaire, après consultation du Conseil national de la consommation. » 
 
 4. La jurisprudence en déduisait que les modifications des mentions imposées par le contrat-type, qui aggravaient la situation de l'emprunteur, étaient illicites et emportaient donc déchéance du droit aux intérêts. (1re Civ., 1 décembre 1993, pourvoi n°91-20.894, Bulletin 1993 N° 354, 1re Civ., 25 novembre 2010, pourvoi n° 09-71.022; 1re Civ., 30 avril 2014, pourvoi n° 13-13.641).
 
 5. La réforme du crédit à la consommation issue de la loi du 1er juillet 2010 précitée a supprimé les modèles-types.
 
 6. L'article L. 312-28 du code de la consommation continue d'exiger, sous la sanction, prévue par l'article L.341-4 du même code, de la perte du droit aux intérêts, que les contrats de crédit contiennent certaines informations, mais l' article R. 312-10 auquel il renvoie se borne à indiquer les points sur lesquels une information doit être donnée sans donner de directive sur le contenu des obligations stipulées. En particulier, l'article R. 312-10, 6°, c de ce code, ne précise pas les hypothèses de résiliation et se borne à exiger que soit donné un avertissement relatif aux conséquences d'une défaillance de l'emprunteur.
 
 7. Aucune disposition textuelle spéciale ne prohibant, désormais, les clauses qui prévoient que la défaillance du terme peut être encourue pour d'autres causes que le non-respect des échéances de l'emprunt, de telles clauses ne peuvent être qualifiées d'illicites et emporter déchéance du droit aux intérêts.
 
 8. Elles sont, en revanche, susceptibles d'être déclarées abusives.
 
 9. Aux termes de l'article L.212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. 
 
 10. L'article L.241-1 du code de la consommation dispose :
 
 « Les clauses abusives sont réputées non écrites.
 
 Le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans ces clauses. »
 
 11. Par un arrêt du 26 janvier 2017 (Banco Primus, C-421/14), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que l'article 3, § 1,de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif d'une clause de déchéance du terme prononcée en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombe à cette juridiction d'examiner, notamment, « si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause. »
 
 12. La Cour de cassation a jugé qu'est abusive une clause prévoyant la déchéance du terme en raison de circonstances extérieures au contrat de crédit, telles que le défaut de remboursement d'un autre emprunt (1re Civ., 1er février 2005, pourvoi n° 01-16.733, Bull. 2005, I, n° 60) ou, s'agissant d'un prêt consenti par l'employeur, la démission du salarié-emprunteur.( 1re Civ., 5 juin 2019, pourvoi n° 16-12.519 ).
 
 13. En revanche, la qualification de clause abusive a été écartée, non seulement dans l'hypothèse de défaut de règlement des échéances, pour autant que l'emprunteur ait été mis en demeure de régulariser dans un délai raisonnable, mais également dans les cas suivants : 
 
 - déclaration inexacte des emprunteurs sur des éléments essentiels ayant déterminé l'accord de la banque ou pouvant compromettre le remboursement du prêt, sans exclure le recours au juge (1re Civ., 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-21.625)
 - emploi des fonds à un autre usage que celui qui était prévu par le contrat pour autant que la clause ne prive pas l'emprunteur de recourir à un juge pour en contester l'application (1re Civ., 24 janvier 2024, pourvoi n° 22-12.222).
 
 14. Il y a donc lieu de répondre ainsi à la question posée :
 
 15. La clause contenue dans un contrat de crédit à la consommation conclu à compter du 1er mai 2011, date d'entrée en vigueur de la loi précitée du 1er juillet 2010, prévoyant la déchéance du terme pour un motif autre que celui relatif à la défaillance de l'emprunteur dans ses remboursements, n'est pas illicite et n'emporte donc pas déchéance du droit aux intérêts.
 
 16. Une clause de déchéance du terme est abusive et réputée non écrite notamment si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt ne dépend pas de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, ce qu'il appartient au juge d'apprécier.
 
 
 EN CONSÉQUENCE, la Cour :
 
 EST D'AVIS QUE : 
 
 La clause contenue dans un contrat de crédit à la consommation conclu à compter du 1er mai 2011, date d'entrée en vigueur de la loi précitée du 1er juillet 2010, prévoyant la déchéance du terme pour un motif autre que celui relatif à la défaillance de l'emprunteur dans ses remboursements, n'est pas illicite et n'emporte donc pas déchéance du droit aux intérêts.
 
 Une clause de déchéance du terme est abusive et réputée non écrite notamment si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt ne dépend pas de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, ce qu'il appartient au juge d'apprécier.
 
 
 
 
 Fait à Paris et mis à disposition au greffe de la Cour le 8 octobre 2025, après examen de la demande d'avis lors de la séance du 7 octobre 2025 où étaient présents, conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire : Mme Champalaune, présidente, Mme Peyregne-Wable, conseillère rapporteure, Mme Guihal, conseillère doyenne, M.M Bruyère, Ancel, Mmes Tréard, Corneloup, conseillers, Mme Robin-Raschel, conseillère référendaire, M. Salomon, avocat général, et Mme Vignes, greffière de chambre ;