Jurisprudence : Cass. com., 09-07-2025, n° 23-15.492, FS-B, Cassation


COMM.

HM


COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 9 juillet 2025


Cassation partielle


M. A, premier président


Arrêt n° 390 FS-B

Pourvoi n° Q 23-15.492


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 JUILLET 2025


La société Biophytis, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 23-15.492 contre l'arrêt rendu le 17 janvier 2023 par la cour d'appel de Paris (pole 5, chambre 16), dans le litige l'opposant à la société Negma Group LTD, société de droit des Iles Vierges britanniques, dont le siège est [Adresse 2] (Iles Vierges britanniques), défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ducloz, conseillère, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Biophytis, de la SCP Duhamel, avocat de la société Negma Group LTD, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 mai 2025 où étaient présents M. A, premier président, M. Vigneau, président, Mme Ducloz, conseillère rapporteure, M. Ponsot, conseiller doyen, Mme B, M. Aa, Mme de Lacaussade, MM. Thomas, Gauthier, conseillers, Mmes Vigneras, Lefeuvre, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et M. Doyen, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 431-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛🏛, des premier président, président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 janvier 2023) et les productions, le 21 août 2019, la société Biophytis, société française de biotechnologie dont les titres sont admis aux négociations sur le marché de négociation multilatérale Euronext Growth, a conclu avec la société Negma Group LTD (la société Negma), société ayant son siège dans les Iles Vierges britanniques et ayant pour activité la fourniture aux entreprises cotées en bourse des fonds nécessaires à leur développement et à leur croissance, un contrat dénommé, selon sa traduction en français, « contrat d'émission et de souscription à des obligations remboursables en numéraire ou en actions nouvelles avec bons de souscription d'actions attachés » (ORNANE avec BSA).

2. Selon les stipulations de ce contrat, la société Negma s'engage à financer le développement de la société Biophytis par la souscription d'ORNANE avec BSA émises par cette société, pour un montant total de 24 millions d'euros libérable en huit tranches de trois millions d'euros chacune. La société Negma peut demander le remboursement des obligations souscrites dès le lendemain de la souscription et pendant les douze mois qui suivent, dans la limite de deux demandes par semaine, soit en numéraire soit par la conversion des obligations en actions, la société Biophytis disposant d'un délai de deux jours à compter de la demande de remboursement pour opter en faveur de l'un des modes de remboursement. Le taux de conversion des sommes à rembourser en actions s'effectue sur la base d'un prix par action égal à 92 % du plus bas des cours de bourse moyens quotidiens sur une période de dix jours de bourse. Il est prévu par ailleurs une pénalité financière si le cours de bourse est en-dessous du nominal du titre, lequel est de vingt centimes d'euros. Dans l'hypothèse d'un remboursement en numéraire, celui-ci est égal, par action, au montant nominal des actions converties divisé par le prix de conversion, le tout étant multiplié par le cours quotidien pondéré par les volumes de l'action à la date de conversion.

3. Les 26 août et 29 décembre 2019, la société Negma a libéré deux tranches de financement.

4. A compter du 27 août 2019 et jusqu'au 7 février 2020, la société Negma a formé quarante-deux demandes de remboursement de la première tranche de financement par la conversion des obligations souscrites en actions. Ces demandes ont été exécutées par la société Biophytis.

5. A compter du 12 février 2020 et jusqu'au 9 avril 2020, la société Negma a formé des demandes de remboursement en actions de la deuxième tranche de financement par la conversion des obligations souscrites en actions. Ces demandes n'ont été que partiellement exécutées par la société Biophytis.

6. Le 6 avril 2020, reprochant à la société Negma la revente systématique sur les marchés financiers des actions obtenues à la suite de la conversion de ses obligations et son effet baissier sur le cours de bourse de ses titres, la société Biophytis a résilié le contrat conclu le 21 août 2019.

7. Le 6 juin 2020, la société Negma a assigné la société Biophytis en paiement d'une somme au titre des compensations dues en exécution du contrat et en livraison de sept millions d'actions en conséquence de la conversion de ses obligations. La société Biophytis a, reconventionnellement, demandé, à titre principal, la nullité du contrat pour violation de la réglementation applicable aux prestataires de services d'investissement, en particulier de l'obligation d'être agréé, et la nullité du mécanisme de conversion des ORNANE avec BSA en arguant de son caractère potestatif, et, à titre subsidiaire, des dommages et intérêts en invoquant divers préjudices, dont ceux résultant du défaut d'agrément de la société Negma comme prestataire de services d'investissement.


Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de nullité du contrat

Enoncé du moyen

8. La société Biophytis fait grief à l'arrêt de rejeter la demande d'annulation du contrat pour violation, par la société Negma, de la réglementation applicable aux prestataires de services d'investissement, alors « que la sanction de la réalisation d'une opération relevant d'une activité subordonnée à l'agrément de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution par un opérateur dépourvu d'agrément réside dans l'annulation de ladite opération ; qu'au cas présent, le premier juge a retenu, "surabondamment", au contraire, que "cette absence d'agrément ne serait pas de nature à entraîner la nullité du contrat pour violation par Negma de la réglementation applicable aux prestataires de services d'investissement" ; qu'en statuant ainsi, par motif éventuellement adopté du premier juge, la cour d'appel a violé les articles L. 321-1 et D. 321-1 du code monétaire et financier🏛🏛, l'article L. 532-1 du même code🏛, ensemble les articles 1128, 1178 et 1179 du code civil🏛🏛🏛, lus à la lumière de l'article 5 de la directive 2014/65. »


Réponse de la Cour

9. Il résulte de la combinaison des articles L. 321-1, L. 532-1 et L. 532-9 du code monétaire et financier🏛🏛 que, sauf dispositions contraires, seuls les prestataires de services d'investissement agréés par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (l'ACPR) ou, s'agissant des sociétés de gestion de portefeuille, par l'Autorité des marchés financiers (l'AMF), peuvent fournir, à titre habituel, le service d'investissement de prise ferme.

10. Ainsi que l'énonce le considérant 37 de la directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d'instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE, dont les articles L. 532-1 et L. 532-9 du code monétaire et financier assurent la transposition, cette obligation d'agrément a pour objectif d'assurer la protection des investisseurs et la stabilité du système financier.

11. Si la méconnaissance de l'exigence d'agrément, au respect de laquelle les articles L. 532-1 et L. 532-9 du code monétaire et financier subordonnent la fourniture, à titre habituel, du service d'investissement de prise ferme, est de nature à engager la responsabilité civile de la personne qui a fourni ce service lorsqu'elle cause à son cocontractant un préjudice personnel et direct résultant de la privation des garanties attachées à l'agrément des prestataires de services d'investissement, elle ne peut avoir pour effet d'entraîner la nullité des contrats conclus.

12. L'arrêt retient, par motifs adoptés, qu'en tout état de cause, l'absence d'agrément de la société Negma n'est pas de nature à entraîner la nullité du contrat.

13. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a, à bon droit, rejeté la demande de nullité du contrat.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.


Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

15. La société Biophytis fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de l'article 8.1 de l'annexe 4 au contrat conclu le 21 août 2019, alors :

« 1° / que l'opération d'equity line consiste, pour l'equity liner, à souscrire dans son intégralité à une émission réalisée par la société en besoin de financement, en transférant par la suite la charge de ce financement sur le marché secondaire, par un reclassement des titres ainsi souscrits sur le marché primaire ; qu'au cas présent, la cour d'appel, après avoir constaté l'accord des parties pour qualifier d'equity line l'opération en litige, a ensuite considéré, au stade de l'appréciation du caractère potestatif du mécanisme de calcul du prix de conversion des ORNANE en titres de capital et pénalités, que la revente des titres sur le marché secondaire serait hors du champ de l'analyse : "le choix d'assumer un risque de marché en revendant plus ou moins rapidement les actions résultant des conversions en réalisant d'éventuelles moins values ou plus-values est totalement étranger à la relation contractuelle entre les parties" ; qu'en statuant ainsi, par un motif contredisant la qualification de l'opération en discussion, la cour d'appel, qui ne s'est dès lors pas mise en mesure d'apprécier le caractère potestatif du mécanisme en litige, a violé les articles 1103, 1170 et 1174 du code civil🏛🏛🏛 ;

2° / que le juge appelé à vérifier le caractère potestatif d'un mécanisme contractuel donné doit apprécier les pouvoirs et facultés potentiels que donne, concrètement et dans les faits, ledit mécanisme au bénéfice du contractant, sans s'attacher aux termes du contrat ; qu'au cas présent, pour refuser d'intégrer à son analyse des vices potentiels du contrat conclu entre les parties la circonstance que la société Negma disposait d'une faculté d'influence considérable sur les cours de bourse de la société Biophytis servant de référence au calcul du taux de conversion devant bénéficier à la société Negma, la cour d'appel a retenu que cette faculté d'intervention ne serait pas inhérente à la relation contractuelle entre les parties, de sorte qu'elle constituerait une potentialité incidente, en quelque sorte non voulue par le contrat ; qu'en statuant ainsi par des motifs inopérants, la cour d'appel, qui a perdu de vue que la circonstance qu'une potentialité viciée n'ait pas été voulue ou identifiée dans le cœur du contrat ne la soustrait pas au regard du juge de la potestativité, a violé les articles 1103, 1170 et 1174 du code civil ;

3° / que le juge appelé à vérifier le caractère potestatif d'un mécanisme contractuel doit s'attacher à appréhender ledit mécanisme contractuel, afin de déterminer le pouvoir potentiel du contractant sur l'équilibre contractuel ; que, dès lors que ce potentiel existe, la qualification de clause potestative peut être retenue, sans qu'une disqualification soit encourue du fait que d'autres événements, extérieurs à la volonté des parties, puissent expliquer a posteriori les éléments soumis au pouvoir extraordinaire de l'une des parties ; qu'au cas présent, la société Biophytis soulignait dans ses conclusions d'appel qu'en autorisant l'equity liner Negma à demander le remboursement des actions par conversion dès après la souscription et pendant un an, aux dates de son choix et jusqu'à deux fois par semaine, sur la base d'un prix de conversion déterminé par référence au cours le plus bas pendant les 10 jours de bourse précédent, cours décoté de 8%, étant rappelé que, du fait de l'importance de l'equity line mise en place, la société Negma allait se retrouver détenteur d'un nombre très significatif du flottant des titres de capital de la société Biophytis cotés, le contrat donnait potentiellement à la société Negma le pouvoir de fixer son propre prix de conversion, en intervenant à la baisse sur le cours pendant une période donnée, à la suite de quoi la société Negma notifierait la conversion, avant de laisser le cours reprendre son tracé, générant ainsi de substantielles plus-values ; que, pour toute réponse de ce chef, la cour d'appel a retenu qu'il ne serait "pas établi" que, dans les faits, les baisses du cours des actions Negma dans les périodes ayant précédé les notifications de conversion auraient été le fruit de cessions par Negma : "90. En outre, comme le tribunal l'a démontré dans sa décision, il n'est pas établi que la cession des titres opérés par la société Negma explique à elle seule la baisse du titre Biophytis sur le marché"; qu'en statuant ainsi par un motif inopérant, la cour d'appel, qui n'a pas nié l'existence d'une baisse des cours, donc, à tout le moins, le potentiel de potestativité que recelait la clause, a violé les articles 1103, 1170 et 1174 du code civil. »


Réponse de la Cour

16. Aux termes de l'article 1304-2 du code civil🏛, est nulle l'obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur.

17. L'arrêt retient qu'en application des stipulations de l'article 8.1 de l'annexe 4 au contrat litigieux, la société Negma ne détermine pas seule et directement le prix de conversion en actions des obligations souscrites, celui-ci étant égal, par action, à « 92 % du plus bas cours quotidien moyen pondéré par les volumes d'action (tel que rapporté par Bloomberg) durant la période de fixation précédant la date de conversion. » L'arrêt ajoute qu'il n'est pas établi que la cession des titres opérés par la société Negma explique à elle seule la baisse du titre Biophytis sur le marché.

18. De ces seules énonciations et appréciations, dont il résulte que le prix de conversion en actions des obligations souscrites ne dépendait pas de la seule volonté de la société Negma, mais de circonstances objectives susceptibles d'être contrôlées judiciairement, la cour d'appel a exactement déduit que la clause litigieuse ne revêtait pas un caractère potestatif.

19. Le moyen, qui critique, en ses première et deuxième branches, des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.


Sur le troisième moyen, pris en ses première, troisième, quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

20. La société Biophytis fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement et, notamment, de dire que la société Negma n'avait pas manqué à ses obligations contractuelles, alors :

« 1° / que la position de l'AMF selon laquelle un equity liner doit s'abstenir d'interférer, par des cessions, sur le cours des titres de la société qu'il finance, pendant la période de référence servant à fixer le prix de conversion, s'applique à tout opérateur réalisant une opération d'equity line, quelle que soit sa qualité ou son statut ; qu'il importe peu, à cet égard, qu'il ne soit pas un professionnel régulé par l'AMF, autrement dit qu'il ne soit pas doté d'un agrément ; qu'au cas présent, la cour d'appel a retenu que le devoir d'abstention rappelé par la position-recommandation ne serait pas applicable à la société Negma, quand bien même elle reconnaissait avoir réalisé une opération d'equity line, dès lors qu'elle ne serait ni un prestataire de services d'investissement, ni un "intermédiaire, mais un "investisseur" : " […] le contrat litigieux, même s'il a la nature d'un PACEO, est un contrat de financement obligataire dans lequel la société Negma est un investisseur et non un intermédiaire financier ou un prestataire de service d'investissement, de sorte que la société Biophytis ne justifie pas de l'application de cette position au litige" ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'ainsi que le soulignait la société Biophytis dans ses conclusions d'appel, le devoir d'abstention ne s'appliquait pas à raison de la qualité exacte de l'equity liner mais de l'opération d'equity line, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé les articles L. 621-1 et L. 621-6 du code monétaire et financier🏛🏛, les articles 1104, 1217, 1231-1 du code civil🏛🏛🏛, ensemble les principes de loyauté et de bonne foi contractuelles ;

3° / que, dans ses conclusions d'appel, la société Biophytis soulignait que la société Negma, dont il est constant et non contesté qu'elle n'a jamais demandé le remboursement en numéraire des ORNANE, avait reconnu, sur sommation de communiquer, revendre systématiquement les actions obtenues à la suite des conversions et qu'il était d'ailleurs constant et non contesté, d'une part, qu'elle n'avait jamais procédé à la moindre déclaration de franchissement de seuil qui eût été nécessaire si elle avait conservé des titres, ayant perçu, de façon consolidée, jusqu'à 50% du capital de Biophytis, d'autre part, que la société Negma ne disposait pas ne serait-ce que d'une action, le 11 mai 2020, pour accéder à l'assemblée générale de Biophytis ; qu'il s'en déduisait que Negma avait bien acheté pour revendre et était bien un "intermédiaire" assujetti, en tant que tel, selon les termes de l'arrêt, à la position exprimée par l'AMF; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1104, 1217, 1231-1 du code civil, ensemble les articles L. 621-1, L. 621-6 et D. 321-1 du code monétaire et financier ;

4° / que la méconnaissance par un opérateur réalisant des prestations de services d'investissement de son obligation d'agrément, si elle n'est pas, par extraordinaire, sanctionnée sur le terrain de la nullité de l'opération conclue en violation du monopole des prestataires de services d'investissement agréés, engage à tout le moins la responsabilité de son auteur ; qu'au cas présent, il a été établi dans le cadre du premier moyen de cassation que la société Negma avait agi comme prestataire de services d'investissement, sans être agréé ; qu'à supposer que ce défaut d'agrément ne soit pas une cause de nullité de l'opération, elle n'en resterait pas moins une source de responsabilité pour la société Negma ; que la cour d'appel a retenu que, n'ayant pas agi comme prestataire de services d'investissement mais comme "investisseur", la société Negma ne pourrait voir sa responsabilité être engagée pour méconnaissance de la position de l'AMF ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est mépris sur la qualification de la société Negma, a violé les articles L. 321-1 et D. 321-1 du code monétaire et financier, ensemble l'article 1231-1 du code civil ;

5° / que l'equity liner doit s'abstenir d'interférer sur les cours des titres de conversion ; que manque à cette obligation, et engage sa responsabilité, l'equity liner qui ne respecte pas cette obligation d'abstention, peu important que ses interventions n'expliquent pas, à elles seules, les mouvements de cours ou qu'il ait nourri, en cédant les titres en cause, un autre calcul que celui que veut prévenir l'obligation d'abstention ; qu'au cas présent, pour écarter toute responsabilité de la société Negma du chef de la cession par l'equity liner des titres de conversion pendant les périodes choisies par la société Negma comme servant de référence au calcul des notifications qu'il adressait de manière discrétionnaire à la société Biophytis, la cour d'appel a indiqué que les baisses de cours pouvaient recevoir d'autres explications et que Negma aurait plutôt intérêt à une hausse des cours : "100. Enfin, cette position fût-elle opposable à la société Negma, il n'est pas possible, pour les motifs exposés plus haut et retenus par les premiers juges, que la vente par la société Negma des actions de conversion ait influé sur le cours de bourse ni que celle-ci avait un intérêt à la baisse du cours de l'action Biophytis" ; qu'en statuant ainsi par des motifs inopérants, la cour d'appel a violé les articles L. 321-1 et D. 321-1 du code monétaire et financier, ensemble les articles 1104, 1217, 1231-1 du code civil. »


Réponse de la Cour

21. La méconnaissance d'une position-recommandation de l'AMF, laquelle n'a pas de force obligatoire, ne peut, à elle seule, constituer une faute civile.

22. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.


Mais sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de dommages et intérêts de la société Biophytis

Enoncé du moyen

23. La société Biophytis fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages et intérêts, alors :

« 1° / que caractérise l'activité de prise ferme le fait, pour un opérateur, de s'engager à l'égard de l'émetteur à souscrire d'emblée à une émission d'instruments financiers envisagée par ledit émetteur pour assurer son financement, sans que ledit opérateur ne présente, directement et d'emblée, lesdits instruments financiers au marché, à charge, pour ledit opérateur, de se refinancer par la revente, à plus ou moins brève échéance, des instruments financiers en cause ; que l'engagement central de l'opérateur qui offre un service de prise ferme consiste donc, comme son nom l'indique, à s'obliger à souscrire intégralement à l'émission envisagée, la revente des titres n'étant destinée qu'à assurer le refinancement de l'opération ; qu'au cas présent, la société Negma s'était précisément engagée à l'égard de la société Biophytis à souscrire aux émissions d'ORNANE que celle-ci déciderait, pendant une période s'étalant sur plusieurs années et dans le cadre d'une enveloppe maximum décidée à l'avance, la société Negma étant rémunérée, outre par une commission modeste au regard des sommes en cause, par la perspective d'une revente avec bénéfice des titres de capital qui, après conversion des obligations en actions, devraient lui revenir ; que la cour d'appel, comme le premier juge, a récusé la qualification d'activité de prise ferme pour ces opérations au motif que ce qui serait central dans la prise ferme serait un prétendu engagement que l'opérateur souscrirait à l'égard de l'émetteur de rétrocéder les instruments financiers ("Attendu qu'en l'espèce, le contrat litigieux ne stipule aucun engagement de Negma relatif à la recherche, directe ou indirecte, de souscripteurs ou d'acquéreurs, aucun engagement de revente des actions résultant de la conversion des ORNANE souscrites dans un délai fixé, ni aucune obligation d'agir pour le compte de Biophytis ; qu'il en résulte que l'une des deux conditions caractérisant un service de prise ferme est manquante") et que le propre de la prise ferme serait l'intermédiation, la souscription initiale et le placement subséquent des titres étant, selon la cour, à la fois indissociables et à placer sur un pied d'égalité ("57. Selon cette définition, la prise ferme est une forme de placement qui relève des activités pour compte de tiers propre à l'activité d'intermédiation. 58. Le prestataire se présente alors comme un acheteur-revendeur : il se porte acquéreur des titres auprès d'un émetteur ou d'un cédant et il les revend auprès de ses clients. 59. Le service de prise ferme comprend deux volets : le financement et la revente, qui sont indissociables. 60. Si l'une ou l'autre des deux conditions fait défaut (souscription de titres, financement et revente auprès des souscripteurs ou acquéreurs), il ne saurait y avoir de service de prise ferme. 61. En l'espèce, il n'est pas contesté que le contrat ne fait nullement référence à un service de placement dont il ne reprend pas la terminologie. […] 68. Il ressort ainsi des termes et de l'analyse du contrat qu'il n'entrait pas dans son économie générale un service de placement au sens des dispositions du code monétaire et financier précitées, de sorte que la condition essentielle pour le requalifier de contrat de prise ferme n'est pas remplie") ; qu'en statuant ainsi, cependant que la prise ferme se caractérise principalement par l'engagement pris à l'égard de l'émetteur de souscrire dans son intégralité à l'émission, avant toute idée de placement liée aux modalités de refinancement de l'opérateur, la cour d'appel, qui n'a pas respecté la définition de l'activité de prise ferme énoncée par les textes, a violé les articles L. 321-1 et D. 321-1 du code monétaire et financier, lus à la lumière des articles 4.1-2) de la directive 2014/65 et 6 de l'annexe I (section A) à la directive 2014/65 ;

2°/ que la qualification d'une activité, plus encore que celle d'un contrat, nécessite de s'attacher à ce que réalisent, concrètement, les acteurs concernés, sans s'attacher ni à la manière dont ils présentent ladite activité dans des contrats, ni à leur intention réelle ou supposée ; que, dès lors, si l'activité de prise ferme est caractérisée par la souscription puis la revente de titres sur le marché, la qualification d'une activité de prise ferme passe par l'établissement d'une revente dans les faits des titres, indépendamment des prévisions ou des intentions contractuelles ; qu'au cas présent, la cour d'appel étant appelée à qualifier de prise ferme une activité de la société Negma, le juge du fond devait s'attacher, ainsi qu'il y était invité, à ce qu'avait réalisé la société Negma, et en particulier au point de savoir si dans les faits la société Negma, qui avait systématiquement été remboursée en actions et non en numéraire, n'avait pas revendu à brève échéance toutes les actions Biophytis ainsi obtenues à titre de remboursement des obligations, s'assurant de ce chef l'essentiel de sa rémunération ; qu'au lieu de cela, la cour d'appel s'est référée, d'abord, exclusivement aux termes ainsi qu'à l'économie supposée du contrat tel que rédigé, avant de n'accepter d'intégrer à l'analyse que les intentions supposées des parties, mais en récusant totalement les réalisations concrètes et effectives de la société Negma, autrement dit l'exécution ; qu'en particulier, la cour d'appel n'a pas tenu compte de la circonstance que, d'une part, la société Negma n'avait jamais été remboursée de sa souscription initiale d'ORNANE qu'en actions et non en numéraire, d'autre part, n'ayant jamais effectué de déclaration de seuil, et conformément à une déclaration effectuée en réponse à une sommation de communiquer à valeur d'aveu, elle s'était défaite rapidement, dans les faits, des actions en cause, ce qui avait constitué l'essentiel de sa rémunération ; que la cour relève ainsi que "68. Il ressort ainsi des termes et de l'analyse du contrat qu'il n'entre pas dans son économie générale un service de placement au sens des dispositions du code monétaire et financier précitées de sorte que la condition essentielle pour le requalifier de contrat de prise ferme n'est pas remplie. 69. La société Biophytis soutient qu'il existe un décalage entre l'intention déclarée par les parties, telle qu'elle résulte de la terminologie utilisée dans le contrat, et leur intention réelle, telle qu'elle résulte de l'exécution du contrat. 70. Pourtant, rien ne démontre que la commune intention a été mal exprimée ni que les parties ont convenu en réalité d'un contrat d'une autre nature, étant rappelé que la question des modalités d'exécution du contrat par Negma est étrangère à la qualification du contrat. 71. Le contrat se présente en effet objectivement et dans l'esprit des parties comme un contrat de financement venant en remplacement d'un contrat de financement précédemment détenu par le fonds Braknor Fund, qu'au jour du contrat la société Biophytis avait déjà conclu et exécuté en 2017. 72. Il est établi que la société Biophytis n'avait aucune intention de conclure un contrat de service relevant du placement et rien ne laisse penser que la société Negma avait l'intention de s'engager dans une relation pour compte de tiers" ; qu'en statuant ainsi, par des considérations qui n'étaient, pour certaines, même pas admissibles au cas de la qualification d'un contrat, et encore moins d'une activité, la cour d'appel, qui a perdu de vue la spécificité des termes du litige, a violé les articles L. 321-1 et D. 321-1 du code monétaire et financier, lus à la lumière des articles 4.1-2) de la directive 2014/65 et 6 de l'annexe I (section A) à la directive 2014/65. »


Réponse de la Cour

Vu les articles L. 321-1, 6-1, et D. 321-1, 6-1, du code monétaire et financier :

24. Selon le premier de ces textes, le service de prise ferme est un service d'investissement. Selon le second, constitue le service de prise ferme le fait de souscrire ou d'acquérir directement auprès de l'émetteur ou du cédant des instruments financiers, en vue de procéder à leur vente.

25. En premier lieu, si l'ancien article 312-5 du règlement général de l'AMF définissait le service de prise ferme comme le fait de souscrire ou d'acquérir auprès de l'émetteur ou du cédant des instruments financiers, en vue de procéder à leur placement, l'article D. 321-1, 6-1, du code monétaire et financier, issu du décret n° 2007-904 du 15 mai 2007🏛, qui le remplace et applicable au litige, se réfère non plus au placement des instruments financiers souscrits ou acquis mais à leur vente. Il en résulte que le service de prise ferme n'exige pas l'engagement du prestataire de ce service de placer, pour le compte de l'émetteur ou du cédant, les instruments financiers souscrits ou acquis, et qu'il est constitué lorsque le prestataire de ce service s'engage, à l'égard de l'émetteur ou du cédant, à souscrire ou à acquérir des instruments financiers avec l'intention de les vendre soit à ses clients, soit sur les marchés financiers.

26. En deuxième lieu, la qualification d'un service de prise ferme, lequel est, en application des dispositions d'ordre public des articles L. 532-1 et L. 532-9 du code monétaire et financier, et sauf dispositions contraires, réservé aux prestataires de services d'investissement agréés par l'ACPR ou l'AMF, ne dépend pas exclusivement de la volonté exprimée par les parties ou de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention, mais peut dépendre des conditions dans lesquelles cette convention a été exécutée.

27. En dernier lieu, et comme il a été dit au point 11, la méconnaissance de l'exigence d'agrément est de nature à engager la responsabilité civile de la personne qui fournit le service d'investissement de prise ferme lorsque cette méconnaissance cause à son cocontractant un préjudice personnel et direct résultant de la privation des garanties attachées à l'agrément des prestataires de services d'investissement.

28. Pour rejeter la demande de la société Biophytis en paiement de dommages et intérêts, l'arrêt retient, par motifs propres, que la prise ferme est une forme de placement, qu'elle comprend deux volets, le financement et la revente, qui sont indissociables, et qu'il ressort des termes et de l'analyse du contrat litigieux qu'il n'entrait pas dans son économie générale un service de placement au sens de l'article D. 321-1 du code monétaire et financier, de sorte que la condition essentielle pour le requalifier en contrat de prise ferme n'est pas remplie, et, par motifs adoptés, que le contrat ne stipule aucun engagement de la société Negma relatif à la recherche, directe ou indirecte, de souscripteurs ou d'acquéreurs, aucun engagement de revente des actions résultant de la conversion des ORNANE souscrites, ni aucune obligation d'agir pour le compte de la société Biophytis. L'arrêt retient encore que la société Biophytis n'avait aucune intention de conclure un contrat de service relevant du placement, et que rien ne laisse penser que la société Negma avait l'intention de s'engager dans une relation pour compte de tiers. L'arrêt ajoute que les modalités d'exécution du contrat litigieux sont étrangères à la qualification de ce contrat. L'arrêt en déduit que le contrat en litige est un contrat de financement obligataire dans lequel la société Negma est, non pas un prestataire de services d'investissement, mais un investisseur.

29. En statuant ainsi, alors que la qualification de service de prise ferme, d'une part, n'implique pas un engagement de placer les titres acquis, d'autre part, peut dépendre des conditions dans lesquelles le contrat a été exécuté, la cour d'appel a violé les textes susvisés.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il dit que la société Negma Group n'a manqué à aucune de ses obligations contractuelles, déboute la société Biophytis de ses demandes reconventionnelles de dommages et intérêts, et statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile🏛, l'arrêt rendu le 17 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Negma Group LTD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Negma Group LTD et la condamne à payer à la société Biophytis la somme de 5 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le neuf juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.

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