Jurisprudence : TA Paris, du 20-06-2025, n° 2514913

TA Paris, du 20-06-2025, n° 2514913

B8863AM9

Référence

TA Paris, du 20-06-2025, n° 2514913. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/120781997-ta-paris-du-20062025-n-2514913
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Abstract

Pour l'attribution d'un marché portant sur des prestations d'assurance à un groupement conjoint, un opérateur économique ne possédant pas l'aptitude à exercer l'activité professionnelle peut s'adjoindre le concours d'une entreprise titulaire d'un agrément pour opérer comme une entreprise d'assurance.


Références

Tribunal Administratif de Paris

N° 2514913


lecture du 20 juin 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 30 mai 2025, la société Mutuelle générale de l'économie, des finances et de l'industrie, représentée par Me Coupé, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative🏛 :

1°) d'annuler la procédure de passation pour l'attribution du lot n°1 " Protection sociale complémentaire en santé " du marché de prestations de protection sociale complémentaire en santé et prévoyance à destination des agents du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

- le pouvoir adjudicateur a méconnu son obligation résultant de l'article R. 2181-4 du code de la commande publique🏛 car il ne lui pas communiqué le complément d'information relatif aux caractéristiques et avantages de l'offre retenue ;

- il a manqué à son obligation d'exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l'exactitude des informations données par les candidats sur les exigences techniques formulées en termes de " réseau de soins ou équivalent " et des tenues des permanences physiques, et au regard desquelles les offres ont été appréciées ;

- l'offre de la société attributaire est irrégulière car elle ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de consultation, elle ne dispose pas de réseaux de soins au sens de l'article L. 863-8 du code de la sécurité sociale🏛 et ne propose pas un dispositif produisant des effets équivalents, contrairement aux termes du règlement de consultation ;

- la procédure de passation méconnaît le principe d'égalité de traitement dès lors que la mise en œuvre des sous-critères de sélection 4.1 (actions de prévention présentielle et territoriale) et A.3.3 (plateforme téléphonique) a conduit à dénaturer l'offre du groupement Alan, elle a obtenu le même nombre de points que le groupement attributaire alors qu'elle propose des solutions différentes là où le groupement attributaire revendique un fonctionnement intégralement digitalisé et, s'agissant du second sous-critère, le groupement attributaire a obtenu un nombre de points supérieur alors qu'il ne dispose pas d'une plateforme téléphonique permettant un contact direct des assurés avec l'assureur mais seulement un système de rappel sur demande, qui ne correspond pas aux attentes exprimées par l'acheteur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juin 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, représenté par Me Cabane et Me Michelin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Mutuelle générale de l'économie, des finances et de l'industrie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le moyen tiré de la méconnaissance des obligations de publicité résultant des articles R. 2181-3 et R. 2181-4 du code de la commande publique🏛 manque en droit et en fait dès lors que la communication aux candidats évincés de leurs notes et de celles obtenues par l'attributaire sur chacun des critères de sélection, suffit à répondre aux exigences fixées par les articles susvisés, sans qu'il soit nécessaire de communiquer les motifs ayant conduit à l'attribution des notes ;

- le moyen tiré du manquement à l'obligation d'exiger la production de justificatifs procède d'une erreur en droit et en fait, il n'était pas tenu de demander de tels justificatifs car le règlement de la consultation ne faisait pas des caractéristiques techniques relatives aux permanences physiques et au réseau de soins ou mesures alternatives, une exigence particulière sanctionnée par le système d'évaluation des offres ;

- le moyen relatif à l'irrégularité de l'offre de la société attributaire est infondé dès lors que la société attributaire propose effectivement un réseau de soins qui équivaut à un réseau de soins avec une plateforme ;

- le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement manque en fait et le moyen tiré de la dénaturation de l'offre de la société attributaire est irrecevable.

Par un mémoire distinct, enregistré le 12 juin 2025, présenté au titre des dispositions de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative🏛, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique verse aux débats une pièce confidentielle qu'il indique être couverte par le secret des affaires et demande qu'elle soit soustraite au contradictoire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juin 2025, le groupement de sociétés Alan, représenté par Me Roll, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Mutuelle générale de l'économie, des finances et de l'industrie une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le moyen tiré du manquement à l'obligation d'information du candidat évincé s'agissant des caractéristiques et avantages de l'offre retenue n'est pas fondé dès lors que le pouvoir adjudicateur a communiqué les informations conformément aux dispositions du code de la commande publique ;

- le pouvoir adjudicateur n'était pas tenu de demander les justificatifs allégués car le règlement de la consultation ne faisait pas des caractéristiques techniques relatives aux permanences physiques et au réseau de soins ou mesures alternatives, une exigence particulière directement sanctionnée par l'allocation de points dans le système d'évaluation des offres et qu'en tout état de cause, les candidats ont été invités à documenter leur offre technique dans le " cadre de réponse technique ", complété par le mémoire technique ;

- le moyen relatif à l'irrégularité de son offre est inopérant et infondé dès lors que s'il ne propose pas un réseau de soins par une plateforme au sens de l'article L. 863-8 du code de la sécurité sociale, le pouvoir adjudicateur a admis des alternatives et son offre satisfait les exigences d'équivalence alors, en outre, qu'il n'entre pas dans l'office du juge des référés précontractuels d'apprécier les mérites respectifs des offres ;

- le moyen tiré de la dénaturation de son offre est irrecevable car le juge peut seulement contrôler l'absence de dénaturation de l'offre du candidat évincé, en outre, il n'appartient pas au juge des référés précontractuels d'apprécier les mérites respectifs des offres et, enfin, le moyen manque en en fait car un réseau physique et une plateforme téléphonique sont effectivement prévues dans son offre technique.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 16 juin 2025, la Mutuelle générale de l'économie, des finances et de l'industrie, représentée par Me Coupé, conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens.

Elle soulève, en outre, deux nouveaux moyens et soutient que :

- la société Alan SA, mandataire solidaire du groupement attributaire composé d'Alan Insurance, Alan Tech et Alan Service, n'est pas un organisme d'assurance agréé pour exercer une activité d'assurance sur le site de l'ACPR, c'est une société de participation financière qui est donc juridiquement incapable d'assumer le rôle de mandataire solidaire à l'égard de la société Alan Insurance ; la candidature du groupement Alan est donc irrégulière pour défaut de capacité et cette candidature méconnaît l'article L. 321-1 du code des assurances🏛 ainsi que l'article 12.4 du cahier des clauses administratives particulière car la société Alan SA ne pourra jamais prendre en charge les prestations essentielles incombant à la société Alan Insurance en cas de défaillance de cette dernière, cette absence de garantie sur la capacité à assurer la bonne exécution du marché n'est pas régularisable au sens de l'article R. 2144-2 du code de la commande publique🏛 ;

- le pouvoir adjudicateur n'a pas suffisamment défini les exigences fonctionnelles du réseau de soins et ses variantes, cette définition insuffisante de ses besoins a porté atteinte au principe d'égalité entre les candidats, en méconnaissance des articles R. 2111-10 et R. 2151-8 du code de la commande publique🏛🏛.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de la commande publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

-les observations de Me Coupé, pour la Mutuelle générale de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- les observations de Me Michelin, pour le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;

- les observations de Me Roll, pour le groupement Alan.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 12 septembre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a lancé une procédure avec négociation en vue de la passation d'un marché de prestations de protection sociale complémentaire en santé et prévoyance à destination des agents du ministère, décomposée en deux lots. La Mutuelle générale de l'économie, des finances et de l'industrie s'est portée candidate et a été invitée à déposer une offre. Par un courrier du 22 mai 2025, la société requérante a été informée du rejet de son offre, classée en seconde position, des motifs de ce rejet ainsi que des avantages et caractéristiques de l'offre retenue. Par un courrier du 23 mai 2025, la requérante a sollicité un complément d'information sur les caractéristiques de l'offre retenue, auquel le pouvoir adjudicateur a répondu le 28 mai. Par la présente requête, la Mutuelle générale de l'économie, des finances et de l'industrie demande au juge des référés d'annuler la procédure avec négociation pour l'attribution du lot n°1 sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut-être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

En ce qui concerne l'irrégularité de la candidature du groupement Alan :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 2142-1 du code de la commande publique🏛 : " L'acheteur ne peut imposer aux candidats des conditions de participation à la procédure de passation autres que celles propres à garantir qu'ils disposent de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière et des capacités techniques et professionnelles nécessaires à l'exécution du marché. / Ces conditions sont liées et proportionnées à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution ". Aux termes de l'article R. 2142-20 du même code : " Le groupement est : 1° Conjoint lorsque chacun des opérateurs économiques membres du groupement s'engage à exécuter la ou les prestations qui sont susceptibles de lui être attribuées dans le marché / () ". L'article R. 2142-24 du même code🏛 dispose : " Dans les deux formes de groupements mentionnées à l'article R. 2142-20, l'un des opérateurs économiques membres du groupement, désigné dans la candidature et dans l'offre comme mandataire, représente l'ensemble des membres vis-à-vis de l'acheteur et coordonne les prestations des membres du groupement. / Si le marché le prévoit, le mandataire du groupement conjoint est solidaire, pour l'exécution du marché, de chacun des membres du groupement pour ses obligations contractuelles à l'égard de l'acheteur ". Enfin, aux termes de l'article R. 2142-25 de ce code : " L'appréciation des capacités d'un groupement d'opérateurs économiques est globale. Il n'est pas exigé que chaque membre du groupement ait la totalité des capacités requises pour exécuter le marché. "

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 321-1 du code des assurances : " Les entreprises mentionnées au 1° de l'article L. 310-2 ne peuvent commencer leurs opérations qu'après avoir obtenu un agrément administratif délivré par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution mentionné à l'article L. 612-1 du code monétaire et financier🏛. Toutefois, en ce qui concerne les opérations d'acceptation en réassurance, cet agrément n'est pas exigé. "

6. Il appartient au pouvoir adjudicateur, dans le cadre de la procédure de passation d'un marché public portant sur des activités dont l'exercice est règlementé, de s'assurer que les soumissionnaires remplissent les conditions requises pour les exercer. Tel est le cas pour les activités d'assurance qui, ainsi qu'il a été dit au point 5, ne peuvent être effectuées que par des entreprises ayant obtenu un agrément administratif. Lorsque les opérateurs présentent leurs candidatures et leur offre sous la forme d'un groupement conjoint, les capacités sont appréciées de manière globale, de tel sorte que chaque membre du groupement n'est pas tenu d'avoir la totalité des capacités requises pour l'exécution du marché. Ainsi, pour un marché relatif à des prestations d'assurance, il est loisible à un opérateur économique ne possédant pas l'aptitude à exercer l'activité professionnelle de s'adjoindre, dans le cadre d'un groupement conjoint, le concours d'une entreprise titulaire d'un agrément pour opérer comme une entreprise d'assurance.

7. Par ailleurs, l'article 5.3 du règlement de la consultation prévoit : " En cas de groupement conjoint, le mandataire est solidaire pour l'exécution du marché de chacun des membres du groupement pour ses obligations contractuelles à l'égard du maître de l'ouvrage ". Et aux termes de l'article 12.4 du cahier des clauses administratives particulières : " Dans le cas de groupement d'opérateurs économiques, lorsque le co-traitant en charge de la réalisation des tâches essentielles est défaillant, qu'il soit par exemple en liquidation judiciaire ou dans l'impossibilité d'accomplir sa tâche pour des raisons qui ne sont pas de son fait, la mission qui lui a été confiée peut-être prise en charge soit par un autre membre du groupement, soit par un sous-traitant après accord de l'acheteur. / () ".

8. Le marché en litige porte sur des prestations d'assurance et a été attribué à un groupement conjoint composé de la société Alan SA, Alan Insurance, Alan Tech et Alan Service. Si la société Alan SA, mandataire solidaire du groupement attributaire, n'est pas un organisme d'assurance agréé pour exercer une activité d'assurance sur le site de l'ACPR, en revanche, la société Alan Insurance est titulaire d'un tel agrément. Si la société requérante fait valoir le défaut de capacité juridique de la société Alan SA à assumer le rôle de mandataire solidaire à l'égard de la société Alan Insurance, car la société Alan SA ne pourra jamais prendre en charge les prestations essentielles incombant à la société Alan Insurance en cas de défaillance de cette dernière, il résulte des dispositions de l'article R. 2142-25 du code de la commande publique🏛 que les capacités d'un groupement d'opérateurs économiques s'apprécient globalement. En outre, si la société requérante invoque une violation de l'article 12.4 du cahier des clauses administratives particulières, il n'est pas exigé par cet article que le mandataire solidaire soit une société d'assurance. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la candidature de l'attributaire est irrecevable.

En ce qui concerne la méconnaissance par le pouvoir adjudicateur de ses obligations d'information :

9. Aux termes de l'article L. 2181-1 du code de la commande publique🏛 : " Dès qu'il a fait son choix, l'acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue ". Aux termes de l'article R. 2181-1 du même code🏛 : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". En vertu de l'article R. 2181-3 de ce code, cette notification " mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1". Enfin, aux termes de l'article R. 2181-4 du même code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : / 1° Lorsque les négociations ou le dialogue ne sont pas encore achevés, les informations relatives au déroulement et à l'avancement des négociations ou du dialogue ; / 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue. "

10. L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est pas constitué si l'ensemble des informations, mentionnées aux articles du code de la commande publique précédemment cités, a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

11. Il résulte de l'instruction que par un courrier du 22 mai 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a communiqué à la société requérante les motifs du rejet de son offre, le nom de l'attributaire ainsi que les notes attribuées à son offre et à celle de l'attributaire pour chaque critère et sous-critère et son rang de classement. De plus, répondant aux demandes d'informations additionnelles formulées par la requérante, dans un courrier du 28 mai 2025, il a communiqué des explications littérales précisant les avantages et caractéristiques de l'offre retenue par rapport à l'offre technique de la société requérante. Dans ces conditions, la société requérante a obtenu communication des informations de nature à lui permettre de connaître suffisamment les motifs de rejet de son offre et les caractéristiques et avantages de l'offre retenue, dans un délai suffisant pour contester utilement son éviction. Par suite, le moyen tiré du manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations d'information doit être écarté.

En ce qui concerne l'insuffisante détermination par le pouvoir adjudicateur de ses besoins :

12. Aux termes de l'article L. 2111-2 du code de la commande publique🏛 : " Les travaux, fournitures ou services à réaliser dans le cadre du marché public sont définis par référence à des spécifications techniques ". Aux termes de l'article R. 2111-8 du même code : " L'acheteur formule les spécifications techniques : 1° Soit par référence à des normes ou à d'autres documents équivalents accessibles aux candidats ; / 2° Soit en termes de performances ou d'exigences fonctionnelles ; / 3° Soit par une combinaison des deux ". L'article R. 2111-10 dispose que : Les spécifications techniques formulées en termes de performances ou d'exigences fonctionnelles sont suffisamment précises pour permettre aux candidats de connaître exactement l'objet du marché et à l'acheteur d'attribuer le marché. () ". Il résulte de ces dispositions que le pouvoir adjudicateur doit définir ses besoins et ses exigences avec suffisamment de précision pour permettre aux candidats de présenter une offre adaptée aux prestations attendues, compte tenu des moyens nécessaires pour les réaliser. Pour permettre l'élaboration de cette offre et pour en déterminer le prix, les candidats doivent disposer d'informations relatives à la nature des prestations attendues.

13. L'article 3-9-2 du cahier des clauses techniques particulières du marché en litige indique, en des termes précis dépourvus d'ambigüité, les effets attendus du réseau de soins relatifs à la maîtrise de la consommation sur les postes fortement inflationnistes, un encadrement des tarifs des praticiens membres du réseau, la liberté du choix de prestataires médicaux, un processus de géolocalisation pour faciliter la prise de rendez-vous et prévoit expressément qu'en cas d'absence de réseau de soins, les candidats devront démontrer les actions mises en œuvre pour obtenir les mêmes effets, réalisant une équivalence, avec cinq thèmes dans le cadre de réponse technique. L'article 3-6 du même cahier a indiqué avec suffisamment de précisions que les candidats devaient décrire l'organisation des permanences physiques dans le but de faciliter les différentes démarches que peut être amené à effectuer l'assuré, avec deux thèmes retranscrits dans le cadre de réponse technique. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur aurait porté atteinte au principe d'égalité entre les candidats en ne définissant pas assez précisément ses besoins.

En ce qui concerne l'absence de demande de justificatifs et de vérification par le pouvoir adjudicateur de l'exactitude des informations données :

14. Lorsque le pouvoir adjudicateur prévoit, pour fixer un critère ou un sous-critère d'attribution du marché, que la valeur des offres sera examinée au regard du respect d'une caractéristique technique déterminée, il lui incombe d'exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l'exactitude des informations données par les candidats.

15. La société requérante soutient que le pouvoir adjudicateur n'a pas exigé des justificatifs pour s'assurer que les soumissionnaires respectaient leurs engagements s'agissant des attentes formulées en termes de " réseau de soins ou équivalents " et de tenue de permanences physiques. Toutefois, le pouvoir adjudicateur n'a pas défini des exigences techniques particulières pour répondre aux différents attendus du réseau de soins ou équivalent ni exigé des moyens humains ou matériels particuliers pour les permanences physiques, qui auraient été sanctionnés par l'allocation d'un nombre de points ou une note particulière si bien qu'aucun justificatif n'avait à être demandé ou aucune vérification n'avait à être faite pour chacune des réponses données par les candidats. Le moyen sera donc écarté.

En ce qui concerne l'irrégularité et la dénaturation de l'offre de la société attributaire :

16. Aux termes de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique🏛 : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ".

17. Il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en méconnaissant ou en altérant manifestement ses termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

18. La requérante soutient d'abord que l'offre de la société attributaire est irrégulière car celle-ci ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de consultation, n'ayant pas recours à un réseau de soins et ne proposant pas dans son offre un dispositif qui y soit assimilable ou équivalent, contrairement aux exigences de l'article 3.9.2 du cahier des clauses techniques particulières. Toutefois, le pouvoir adjudicateur a réservé la faculté de proposer un modèle équivalent qui produise les mêmes effets. Il ressort des éléments versés par la société attributaire que celle-ci propose effectivement une telle solution, considérée comme un équivalent par le pouvoir adjudicateur, tandis qu'il n'appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre par le pouvoir adjudicateur. Le moyen doit donc être écarté.

19. La société requérante soutient ensuite que la mise en œuvre des sous-critères de sélection 4.1 (actions de prévention présentielle et territoriale) et A.3.3 (plateforme téléphonique) a conduit à la dénaturation de l'offre de la société attributaire. Il ressort toutefois des éléments versés par celle-ci qu'étaient bien prévues, conformément aux exigences formulées par l'acheteur, des actions de prévention présentielle et territoriale et une plateforme téléphonique. Il ne résulte pas de l'instruction qu'en attribuant les notes de 3 points sur 3 au groupement Alan pour le critère 4.1, pareillement pour la société requérante et de 3 points sur 3 pour le critère A.3.3, pour lequel la société requérante s'est vue attribuer 2.48 points sur 3, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique aurait dénaturé leurs offres et aurait ainsi entrainé une rupture d'égalité entre ces candidats. Par suite, ce dernier moyen doit être écarté.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la Mutuelle générale de l'économie, des finances et de l'industrie n'est pas fondée à demander l'annulation de la procédure de passation pour l'attribution du lot n°1 " Protection sociale complémentaire en santé " du marché de prestations de protection sociale complémentaire en prévoyance à destination des agents du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Sur les frais liés au litige :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la Mutuelle de l'économie, des finances et de l'industrie demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la Mutuelle de l'économie, des finances et de l'industrie le versement, au même titre, d'une somme de 1 500 euros à l'Etat et d'une somme de 1 500 euros au groupement Alan.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête présentée par la Mutuelle générale de l'économie, des finances et de l'industrie est rejetée.

Article 2 : La Mutuelle générale de l'économie, des finances et de l'industrie versera au groupement Alan une somme de 1 500 euros et à l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Mutuelle générale de l'économie, des finances et de l'industrie, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et aux sociétés Alan SA, Alan Insurance, Alan Services et Alan Tech.

Fait à Paris le 20 juin 2025.

La juge des référés,

Anne Seulin

Signé

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice en ce qui concerne les voies de droit privé, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

N°2514913/4-1

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