N° RG 24/06838 - N° Portalis DBVX-V-B7I-P3VQ
Décisions :
Tribunal Judiciaire de MACON
au fond du 15 juin 2020
RG : 18/00554
Cour d'Appel de DIJON
Au fond du 24 Mars 2022
RG 20/726
Cour de Cassation
Civ1 du 03 Juillet 2024
Pourvoi Y22-17.175
Arrêt 389 F-D
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 20 Mai 2025
statuant sur renvoi après cassation
APPELANTE :
Mme [Aab] [J]
née le [Date naissance 6] 1970 à [Localité 11] (71)
[Adresse 5]
[Localité 8]
Représentée par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106
ayant pour avocat plaidant Me Lucilia LOISIER de la SCP ROUSSOT-LOISIER-RAYNAUD DE CHALONGE, avocat au barreau de MACON
INTIMEE :
Mme [E] [R] [K] veuAce [G]
née le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 10]
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Me Alexandra RECCHIA-PAULIN de la SELARL RECCHIA AVOCAT, avocat au barreau de LYON, toque : 1404
* * * * * *
MINISTÈRE PUBLIC : l'affaire a été régulièrement communiquée au ministère public qui n'a pas formulé d'observations
Date de clôture de l'instruction : 27 Février 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 03 Mars 2025
Date de mise à disposition : 20 Mai 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Patricia GONZALEZ, président
- Stéphanie LEMOINE, conseiller
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier
A l'audience, un des membres de la cour a fait le rapport, conformément à l'
article 804 du code de procédure civile🏛.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'
article 450 alinéa 2 du code de procédure civile🏛,
Signé par Patricia GONZALEZ, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSE DU LITIGE
[D] [G] est décédé le [Date décès 4] 2017, après son mariage in extremis avec Mme [K], le [Date mariage 3] 2017.
Celle-ci a été avisée par le notaire en charge de la succession de la perte, dans des circonstances indéterminées, du testament olographe dont il était dépositaire, lequel avait été inscrit au fichier central des dispositions de dernières volontés le 7 décembre 2011.
Se prévalant de ce que ce testament l'instituait légataire universelle, Mme [Ab], fille de la première épouse prédécédée de [D] [G] et belle-fille de ce dernier, a par actes introductifs d'instance du 30 mai 2018 assigné Mme [K] et le procureur de la République aux fins d'envoi en possession et d'annulation du mariage célébré in extremis le [Date mariage 3] 2017 entre [D] [G] et Mme [K].
Par jugement contradictoire du 15 juin 2020, le tribunal judiciaire de Mâcon a :
- débouté Mme [J] de sa demande d'envoi en possession,
- débouté Mme [Ab] de sa demande d'annulation du mariage célébré le [Date mariage 3] 2017 entre [D] [G] et Mme [K],
- débouté Mme [K] de sa demande de dommages-intérêts,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné Mme [Ab] à payer à Mme [K] la somme de 2.000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- condamné Mme [Ab] aux entiers dépens et a autorisé la SELARL [9] à recouvrer directement contre elle les dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu de provision préalable.
Par déclaration du 29 juin 2020, Mme [J] a interjeté appel.
Par un arrêt du 24 mars 2022, la cour d'appel de Dijon a :
- confirmé le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'envoi en possession de Mme [J] sur le testament olographe l'instituant légataire universelle,
Et statuant à nouveau dans cette limite,
- envoyé Mme [Ab] en possession de la succession de [D] [G], avec legs universel à elle consenti par testament de ce dernier,
- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que chaque partie conservera à sa charge les dépens exposés pour la défense de ses intérêts,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Mme [K] a formé un pourvoi en cassation.
Par un arrêt du 3 juillet 2024 (1re
Civ., 3 juillet 2024, pourvoi n° 22-17.175⚖️), la Cour de cassation a :
- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a envoyé Mme [Ab] en possession de la succession de [D] [G], avec legs universel à elle consenti par testament de celui-ci, et en ce qu'il a statué sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 24 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon,
- remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Lyon,
- condamné Mme [Ab] aux dépens,
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes.
La Cour de cassation a rappelé qu'il résultait de la combinaison des
articles 1004, 1006 et 1007 du code civil🏛🏛🏛, que c'est seulement en l'absence d'héritier réservataire que, saisi de plein droit par la mort du testateur, sans être tenu de demander la délivrance, un légataire universel peut se faire envoyer en possession en cas d'opposition.
Elle en a déduit que c'est à tort que la cour d'appel avait envoyé Mme [J] en possession de la succession de [D] [G], avec legs universel à elle consenti par testament de celui-ci, alors qu'en l'absence d'annulation du mariage de [D] [G] avec Mme [K], celle-ci avait la qualité d'héritier réservataire, de sorte que Mme [J] ne pouvait se prévaloir de celle de légataire universelle saisie de plein droit pour solliciter son envoi en possession.
Par déclaration de saisine du 22 août 2024, Mme [Ab] a saisi la cour d'appel de Lyon.
***
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 21 octobre 2024, Mme [Ab] demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Mâcon le 15 juin 2020 en ce qu'il :
- l'a déboutée de sa demande d'envoi en possession,
- l'a déboutée de ses demandes plus amples ou contraires,
- l'a condamnée à payer à Mme [K] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a condamnée aux entiers dépens.
Y faisant droit et statuant de nouveau,
rejetant toutes conclusions contraires de Mme [K],
A titre principal,
- constater l'existence irrévocable du testament, non remise en cause par la Cour de cassation,
A titre subsidiaire,
- valider l'existence du testament olographe l'instituant légataire universelle de [D] [G].
En tout état de cause,
- ordonner la délivrance du legs fait à son profit en qualité de légataire universelle de [D] [G] et se le voir délivrer par Mme [K],
- condamner Mme [K] à lui payer une somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens d'instance qui comprendront les frais de scellés de Me [L].
- condamner Mme [K] aux entiers dépens qui comprendront les frais de sceLlés de Me [L].
***
Mme [K], qui a constitué avocat mais n'a pas déposé de nouvelles conclusions après cassation, produit le jeu de conclusions, notifiées le 15 décembre 2020, devant la cour d'appel de Dijon.
Aux termes de ces conclusions, elle demande de:
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- débouter Mme [K] [Mme [J]] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner Mme [J] aux entiers dépens, ainsi qu'au règlement d'une indemnité de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
***
Le ministère public n'a pas formulé d'observations.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 février 2025.
Conformément aux dispositions de l'
article 455 du code de procédure civile🏛, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur l'existence du testament
Mme [Ab] fait notamment valoir que:
- la Cour de cassation n'a pas remis en cause l'existence du testament de [D] [G], dont l'existence est donc irrévocable, de sorte qu'il convient d'ordonner la délivrance du legs universel à son profit,
- à titre subsidiaire, son existence doit être reconnue et il doit être rendu applicable dans tous ses effets,
- Mme [K] a la qualité d'épouse de [D] [G],
- la disparition du testament chez le notaire constitue un cas de force majeure et son existence physique a été constatée puisqu'il a été enregistré au fichier des dispositions des dernières volontés par le notaire, puis a été ouvert par le notaire lors de la visite de Mme [K],
- le testament a disparu à la suite de la visite de Mme [K] chez le notaire,
- le notaire a déposé plainte le 17 janvier 2018,
- pour l'auteur du testament et pour le bénéficiaire, la cause de sa disparition était externe, irrésistible et imprévisible,
- la circonstance que le notaire ait été imprudent en laissant la nouvelle épouse en présence du testament est extérieure à leur volonté, imprévisible et irrésistible,
- lorsqu'un écrit a été perdu par suite d'un cas fortuit ou de force majeure, sa preuve peut être faite par tous moyens,
- la teneur du testament est relatée par le notaire dans ses déclarations faites devant le juge de la mise en état, desquelles il résulte qu'il énonçait qu'elle était légataire universelle de [D] [G],
- elle n'avait pas connaissance de ce testament préalablement,
- alors que le notaire venait d'ouvrir la succession de [D] [G], Mme [K] est allée chez un autre notaire pour l'ouverture de la succession et s'est fait déclarer comme seule héritière,
- aucun inventaire des meubles n'a été effectué et elle a été écartée de tout,
- des amis témoignent de l'existence de ce testament, de sorte que les déclarations contraires de Mme [K] ne peuvent être prises en compte.
Mme [K] fait notamment valoir que:
- la simple disparition d'un testament ne constitue pas un cas de force majeure,
- le testament a disparu sans qu'elle ait été poursuivie pour un prétendu vol, de sorte qu'il a été égaré dans l'étude du notaire,
- l'audition du notaire est irrecevable car ce mode de preuve nécessite d'établir la disparition par cas de force majeure,
- cette audition doit en outre être écartée car le notaire a déposé plainte contre elle, de sorte qu'il n'est plus impartial,
- le notaire, qui a été imprudent, est personnellement impliqué, en ayant laissé le testament dans son bureau, sans le déposer dans le coffre-fort après lui en avoir donné lecture, à l'issue du rendez-vous,
- le document a pu être emporté par inadvertance par un autre client ou égaré par un clerc, la disparition du testament ayant été constatée quatre jours plus tard,
- les conditions de la disparition sont indéterminées, de sorte que la force majeure n'est pas caractérisée,
- le notaire ne lui a pas lu le contenu du testament, de sorte que l'on ignore son contenu et il n'est pas établi que Mme [Ab] a la qualité de légataire universel,
- Mme [Ab] doit être déboutée de sa demande d'envoi en possession.
Réponse de la cour
S'il est exact que la Cour de cassation a cassé et annulé « mais seulement en ce qu'il a envoyé Mme [Ab] en possession de la succession de [D] [G], avec legs universel à elle consenti par testament de celui-ci, (...), l'arrêt rendu le 24 mars 2022 par la cour d'appel de Dijon », aucun chef du dispositif de cet arrêt d'appel ne constate l'existence du testament.
Dès lors, il ne peut être déduit de la cassation partielle de l'arrêt précité, que la Cour de cassation a validé l'existence du testament.
Ajoutant au jugement, il convient de débouter Mme [J] de sa demande tendant à voir constater l'existence irrévocable du testament.
Sur le fond, il résulte des
articles 969 et 1348, devenu 1360, du code civil🏛🏛, que si le testament olographe est soumis à l'exigence d'un écrit, en cas de perte de l'original par suite d'un cas fortuit ou d'une force majeure, celui qui s'en prévaut est autorisé à rapporter la preuve de son existence et de son contenu par tous moyens.
Or, c'est par des motifs pertinents, justement déduits des faits de la cause et des pièces produites, que la cour adopte, que les premiers juges, ont retenu que:
- il résulte du fichier central des dispositions de dernières volontés que [D] [G] a établi un testament olographe déposé en l'étude de M. [W], notaire,
- M. [W] a déposé plainte pour vol du testament, suite à sa disparition dans des circonstances indéterminées,
- la plainte a été classée sans suite,
- la force majeure s'entendant d'un événement imprévisible, irrésistible et extérieur, Mme [Ab] ne précise pas en quoi la perte du testament par le notaire constituerait un cas de force majeure,
- le fait que le notaire ait agi selon les procédures habituelles , à ses dires, ne suffit pas à caractériser la force majeure, d'autant que le notaire admet avoir laissé le testament sans surveillance,
- la preuve d'un événement imprévisible et irrésistible comme cause de la disparition du testament n'est pas rapportée.
La cour ajoute que:
- il ressort de l'audition de M. [W] qu'il a reçu Mme [K] en rendez-vous pour lui donner lecture du testament, qu'il a effectué des allers et retours entre la salle de signature et la photocopieuse, puis après l'avoir raccompagnée, a refermé le dossier qu'il a laissé sur son bureau, sans remettre le testament dans le coffre-fort,
- le rendez-vous avec Mme [K] a eu lieu un vendredi et le notaire a constaté que le testament avait disparu le mardi suivant,
- il a effectué des recherches dans l'étude en vain,
- entre le rendez-vous avec Mme [K] et le jour de la constatation de la disparition du testament, le notaire a reçu d'autres clients,
- il résulte de ces éléments que le vol du testament par Mme [K] n'est pas démontré, les circonstances de sa disparition étant indéterminées, et qu'il a pu être égaré,
- dans ces conditions, il n'est pas établi que la perte du document résulte d'un cas fortuit ou d'une force majeure, la seule circonstance qu'il ait été confié à un notaire, qui l'a perdu, étant insuffisante,
- Mme [Ab] n'est dès lors pas autorisée à rapporter la preuve de l'existence et du contenu du testament par tous moyens.
En conséquence, à défaut pour Mme [J] de rapporter la preuve de l'existence et du contenu du testament au moyen d'un écrit, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'envoi en possession.
Mme [Ab] ne peut pas plus demander qu'il soit ordonné à Mme [K] de lui délivrer le legs qu'elle revendique.
Ajoutant au jugement, il convient donc de la débouter de cette demande.
2. Sur les autres demandes
Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [K], en appel. Mme [J] est condamnée à lui payer à ce titre la somme de 2.000 '.
Les dépens d'appel sont à la charge de Mme [Ab] qui succombe en sa tentative de remise en cause du jugement.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute Mme [A] [J] de sa demande tendant à voir constater l'existence irrévocable d'un testament à son profit,
Déboute Mme [A] [J] de sa demande tendant à voir ordonner à Mme [E] [K] de lui délivrer le legs de [D] [G],
Condamne Mme [A] [J] à payer à Mme [E] [K], la somme de 2.000 ' au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Condamne Mme [A] [J] aux dépens de la procédure d'appel, et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'
article 699 du code de procédure civile🏛.
La greffière, La Présidente,