SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 21 mai 2025
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 542 F-D
Pourvoi n° N 23-17.468
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 21 MAI 2025
Mme [Aa] [S], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 23-17.468 contre l'arrêt rendu le 19 avril 2023 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre sociale), dans le litige l'opposant au comité d'entreprise Coframi de Akka I&S, dont le siège est [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [S], après débats en l'audience publique du 9 avril 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 19 avril 2023), rendu sur renvoi après cassation (
Soc., 11 mars 2016, pourvoi n° 14-26.317⚖️), Mme [S] a été engagée suivant un contrat de travail à durée indéterminée du 31 juillet 2008 en qualité d'assistante par le comité d'entreprise de la société Coframi.
2. Par lettre du 2 avril 2010, la salariée a été convoquée à un entretien préalable initialement fixé au 2 avril 2010 et reporté à sa demande au 26 avril suivant. Elle a été licenciée, par lettre du 18 mai 2010, pour faute avec dispense d'exécuter le préavis.
3. Contestant son licenciement et invoquant l'existence d'un harcèlement moral, la salariée a saisi, le 20 janvier 2011, la juridiction prud'homale de demandes tendant à la nullité de ce licenciement et, subsidiairement, à ce qu'il soit jugé sans cause réelle et sérieuse et en paiement de sommes de nature salariale et indemnitaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes au titre du harcèlement moral et du licenciement, alors :
« 1°/ que l'employeur, tenu de faire cesser tout fait de harcèlement moral en vertu de son obligation de sécurité de résultat, ne peut pas, lorsqu'il est accusé de harcèlement par un salarié soutenir qu'en réalité ce serait le salarié qui serait le harceleur alors qu'il n'a jamais infligé de sanction disciplinaire à ce salarié ni motivé son licenciement par un quelconque fait de harcèlement ; qu'en l'espèce, en retenant, pour débouter la salariée de ses demandes au titre du harcèlement moral, que le comité d'entreprise présentait la salariée "comme ayant été elle-même l'auteur d'un véritable harcèlement moral à l'égard des membres du comité d'entreprise" et qu'elle aurait adopté un comportement soi-disant "harcelant" à l'encontre de son supérieur hiérarchiquAb, M. [G], "le poussant à quitter son mandat de secrétaire du comité d'entreprise tant il ne supportait plus les agissements de sa subordonnée", et aurait eu un comportement soi-disant "déstabilisateur chronique, voire injurieux" avec ses collègues, et "inutilement soupçonneux, vexatoire voire agressif" à l'égard de bénéficiaires du comité d'entreprise, tandis que l'employeur n'avait jamais sanctionné la salariée pour harcèlement ni visé dans la lettre de licenciement un quelconque fait de harcèlement qui aurait été commis par celle-ci, la cour d'appel a violé les
articles L. 1152-1 et L. 1154-1, dans sa rédaction applicable au litige, du code du travail🏛🏛 ;
2°/ que l'employeur, tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de droit mais aussi de fait, une autorité sur les salariés ; qu'en l'espèce, en déboutant la salariée de ses demandes au titre du harcèlement moral, au motif que celle-ci "ne saurait imputer à son employeur d'avoir proféré ou propagé des accusations injurieuses et calomnieuses en laissant diffuser les déclarations dAb M. [G]" contenues dans sa lettre du 20 novembre 2009 dès lors que "le comité d'entreprise (
) justifie qu'à la date de cette déclaration, M. [Ab] n'était plus le supérieur de la salariée en sorte qu'il restait libre de rendre compte au comité d'entreprise de ses conditions de travail passées sans que le comité d'entreprise ne puisse être tenu pour responsable des accusations portées contre elle", tandis qu'il ressortait de la lettre de M. [Ab] du 20 novembre 2009 que, même s'il n'était plus secrétaire du comité d'entreprise, il était resté membre élu du comité et conservait tous les autres mandats et missions que le comité lui avait confiées, de sorte qu'il continuait à exercer une autorité de fait sur la salariée, notamment en lui ordonnant, le 24 février 2010, de réintégrer son bureau, ou en relevant, le 2 avril 2010, ses horaires, qui lui ont été reprochés pour justifier son licenciement, la cour d'appel a violé les
articles L. 1152-1 et L. 1154-2, dans sa rédaction applicable au litige, du code du travail🏛 ;
3°/ que le juge saisi d'une demande tendant à la reconnaissance d'un harcèlement moral doit examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme [S] de ses demandes au titre du harcèlement moral, la cour d'appel a retenu que "La circonstance tirée de ce que la procédure de licenciement avait été engagée sans que le nouveau médiateur ait pu tenter une médiation ne peut pas être considérée comme fautive de la part de l'employeur en l'état de la saisine par Mme [S] du juge des référés aux fins de faire condamner l'employeur sous astreinte" et que "certes, Mme [S] avait le droit de saisir le juge des référés aux fins de faire cesser ce qu'elle considérait être un trouble manifestement illicite de la part de l'employeur mais alors le comité d'entreprise avait aussi le droit de considérer que la saisine du juge des référés après l'annonce de Mme [S] d'accepter une médiation rendait caduque l'acceptation par lui de cette médiation" ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, comme elle y était invitée, si la salariée n'avait pas saisi le juge des référés le 26 avril 2010 pour obtenir la désignation d'un médiateur que parce que l'employeur, qui avait accepté le principe d'une médiation le 15 mars 2010, l'avait cependant convoquée à un entretien préalable à un licenciement dès le 2 avril 2010, de sorte que l'échec de la médiation était imputable à l'employeur et non à la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des
articles L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1154-1, dans sa rédaction applicable au litige, du code du travail🏛 ;
4°/ subsidiairement, que l'employeur ne peut prendre aucune mesure de rétorsion à l'action en justice introduite ou susceptible d'être introduite par le salarié à l'encontre de son employeur, liberté fondamentale constitutionnellement garantie ; qu'en l'espèce, en retenant, pour débouter Mme [S] de ses demandes au titre du harcèlement moral, que "La circonstance tirée de ce que la procédure de licenciement avait été engagée sans que le nouveau médiateur ait pu tenter une médiation ne peut pas être considérée comme fautive de la part de l'employeur en l'état de la saisine par Mme [S] du juge des référés aux fins de faire condamner l'employeur sous astreinte. Certes, Mme [S] avait le droit de saisir le juge des référés aux fins de faire cesser ce qu'elle considérait être un trouble manifestement illicite de la part de l'employeur mais alors le comité d'entreprise avait aussi le droit de considérer que la saisine du juge des référés après l'annonce de Mme [S] d'accepter une médiation rendait caduque l'acceptation par lui de cette médiation.", constatant ainsi que l'employeur avait en rétorsion à l'action en justice introduite à son encontre par la salariée et donc porté atteinte à sa liberté fondamentale d'ester en justice, la cour d'appel a violé l'alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et les articles L. 1152-1 et L. 1154-1, dans sa rédaction applicable au litige, du code du travail ;
5°/ que le juge saisi d'une demande tendant à la reconnaissance d'un harcèlement moral doit examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme [S] de ses demandes au titre du harcèlement moral, la cour d'appel a retenu que "la panne de chauffage et la privation subséquente, mais provisoire, de l'usage du bureau ne sauraient être reprochées à l'employeur qui, dès qu'il avait été informé de la panne, avait demandé en urgence l'intervention d'un technicien et avait autorisé la salariée à télétravailler à domicile dans l'attente de la réparation" ; qu'en statuant ainsi quand Mme [S] invoquait au titre du harcèlement la privation de bureau qu'elle avait subie pendant onze mois, d'août 2008 à juillet 2009, sans lien avec la panne de chauffage survenue en février 2010, la cour d'appel, qui n'a donc pas recherché si l'employeur justifiait cette absence de bureau subie par la salariée pendant onze mois, a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1, dans sa rédaction applicable au litige, du code du travail ;
6°/ alors qu'il n'entre pas dans l'office du juge qui a jugé que le salarié invoquait des éléments laissaient présumer un harcèlement moral, de relever d'office que ces faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, pour écarter le grief tiré de l'absence de machine pour la mise sous pli des envois en grand nombre, qu'il ressortait du courriel de Mme [S] du 24 août 2009, que la demande de dotation d'un tel matériel formulée par Mme [S] reposait non pas sur le constat effectif d'envois en grand nombre mais seulement sur l'éventualité d'un tel envoi ; qu'elle a encore retenu, pour écarter le grief tiré du refus de l'employeur du congé individuel de formation, qu'il ressortait des courriels échangés à cette époque, que ce refus était motivé par l'absence d'information suffisante donnée par la salariée ; qu'en déduisant ainsi des pièces, au profit de l'employeur, des moyens de défense qui ne figuraient pas dans les conclusions de l'employeur, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1, dans sa rédaction applicable au litige, du code du travail, ensemble l'
article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme🏛 ;
7°/ qu'alors que le juge saisi d'une demande tendant à la reconnaissance d'un harcèlement moral doit examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, en déboutant Mme [S] de ses demandes au titre du harcèlement moral, après avoir pourtant constaté que l'ancien secrétaire du comité avait publiquement accusé la salariée, lors de la réunion du comité d'entreprise du 16 février 2010, d'avoir eu un comportement harcelant à son égard qui l'aurait poussé à démissionner, que le compte-rendu de son entretien d'évaluation du 4 novembre 2009 ne lui avait été remis que le 12 mars 2010, que l'employeur avait dans un premier temps refusé d'accepter sa demande de congé individuel de formation, que sa supérieure hiérarchique avait téléphoné à ses parents pendant son arrêt de travail du 16 novembre 2009, que par lettre du 9 avril 2010 le médecin du travail avait alerté l'employeur sur la situation de santé au travail de Mme [S] qui s'était vu prescrire un arrêt de travail de trois mois, qu'elle avait le 6 mai 2010 été placée en arrêt de travail pour "stress au travail", que l'employeur avait proposé comme médiateur le supérieur hiérarchique de Mme [S] et que l'employeur avait l'intention de rompre son contrat de travail dès septembre 2009, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1, dans sa rédaction applicable au litige, du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. Le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de fait et de preuve dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit que, si la salariée établissait des faits qui permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement, l'employeur démontrait que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes au titre du licenciement, alors :
« 1°/ que le salarié qui dénonce auprès de son employeur des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme [S] de sa demande tendant à voir juger que son licenciement était en réalité une mesure de rétorsion à sa dénonciation de bonne foi d'agissements de harcèlement moral, la cour d'appel a affirmé péremptoirement "l'absence [
] de tout lien entre le licenciement et le fait d'avoir dénoncé un tel harcèlement" ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si l'employeur n'avait pas expressément reproché à Mme [S] dans la lettre de licenciement d'avoir dénoncé une situation de harcèlement moral, ce qui suffisait à rendre le licenciement nul dès lors que la mauvaise foi de la salariée n'était pas invoquée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des
articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail🏛 ;
2°/ que le salarié qui dénonce auprès de son employeur des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ; qu'en l'espèce, Mme [S] faisait valoir que son licenciement pour faute était en réalité une mesure de rétorsion à sa dénonciation de bonne foi d'agissements de harcèlement moral, comme cela ressortait de la lettre de licenciement, qui évoquait expressément les difficultés relationnelles qu'elle indiquait avoir eues avec ses supérieurs hiérarchiques, et de la chronologie des faits ; qu'en déboutant Mme [S] de sa demande de nullité de son licenciement "en l'absence de harcèlement moral subi par elle", quand elle n'avait pas retenu que la salariée aurait agi de mauvaise foi, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
8. D'une part, il ne résulte pas des conclusions de la salariée devant la cour d'appel que celle-ci ait fait valoir que la lettre de licenciement lui reprochait d'avoir dénoncé un harcèlement moral.
9. D'autre part, lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture du contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte antérieure au sein de l'entreprise pour harcèlement moral.
10. Ayant retenu que le licenciement de la salariée pour refus d'exécuter ses obligations contractuelles était fondé par une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a estimé qu'il n'y avait pas de lien entre la dénonciation par la salariée d'un éventuel harcèlement moral et le licenciement.
11. Le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit et dès lors irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [S] aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le vingt et un mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛.