COMM.
JB
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 21 mai 2025
Cassation partielle
Mme SCHMIDT,
conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 282 F-D
Pourvoi n° V 24-12.695
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 MAI 2025
La société Appart'City, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 24-12.695 contre l'arrêt rendu le 8 février 2024 par la cour d'appel de Grenoble (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Aa] [Ab], domicilié [… …],
2°/ à la société Fhb, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], en la personne de M. [M] [C], prise en qualité de commisaire à l'exécution du plan de la société Appart'City,
3°/ à M. [Ac] [Ad], domicilié [… …], pris en qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société Apart'City,
4°/ à la société BTSG, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [Aa] [T], pris en qualité de mandataire judiciaire de la société Appart'City,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Coricon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Ae et Rebeyrol, avocat de la société Appart'City, de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de M. [Ab], après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents Mme Schmidt, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Coricon, conseiller référendaire rapporteur, M. Riffaud, conseiller, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 8 février 2024), rendu sur renvoi après cassation (
3e Civ, 15 juin 2023, n° 21-10.119⚖️), le 27 septembre 2012, M. [Ab] (le bailleur) a donné à bail commercial à la société Park & Suites, aux droits de laquelle est venue la société Appart'City (la locataire), deux appartements situés dans une résidence de tourisme.
2. Le 22 avril 2014, le bailleur a assigné la locataire en paiement d'un arriéré locatif, indemnisation de ses préjudices, remboursement de frais d'huissier de justice et communication de documents comptables de la résidence.
3. Au cours de l'instance, la locataire a été mise en sauvegarde et un plan de sauvegarde a été arrêté, la société FHB étant désignée en qualité de commissaire à son exécution.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
4. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à communiquer au bailleur les comptes d'exploitation de la résidence Innovallée de [Localité 6] pour les pour les exercices 2012 à 2019 sous astreinte de 50 euros par jour de retard, alors :
« 1°/ que la créance résultant d'une obligation de faire dont le fait générateur est antérieur à l'ouverture de la procédure collective, est soumise à déclaration ; qu'en ordonnant à la société Appart'City, venant aux droits de la société Parks and Suites, de communiquer à M. [Ab] les comptes d'exploitation de la résidence Innovallée de [Localité 6] pour les exercices 2012 à 2019, sans s'assurer que cette créance avait été déclarée à la procédure de sauvegarde ouverte au bénéfice de la société Appart'City par jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 15 avril 2021, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des
articles L. 622-21 et L. 622-24 du code de commerce🏛🏛 ;
2°/ que le jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant notamment à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ; que, sous couvert de contraindre le débiteur à exécuter des obligations de faire, la condamnation à une astreinte met à sa charge une obligation de payer une somme d'argent ; qu'en ordonnant sous astreinte à la société Appart'City, venant aux droits de la société Parks and Suites, de communiquer à M. [Ab] les comptes d'exploitation de la résidence Innovallée de [Localité 6] pour les exercice 2012 à 2019, quand une procédure de sauvegarde avait été ouverte à son bénéfice par jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 15 avril 2021 et un plan de sauvegarde arrêté par jugement du même tribunal du 14 septembre 2021 lequel était toujours en cours, la cour d'appel a violé l'article L. 622-21 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des
articles L. 131-1 et L. 131-2 du code des procédures civiles d'exécution🏛🏛 que l'action en fixation d'une astreinte provisoire destinée à assurer l'exécution d'une obligation de faire exécutable en nature, ne tend pas, en soi, au paiement d'une somme d'argent, de sorte qu'elle ne relève pas des dispositions des
articles L. 622-21 et L. 622-22 du code de commerce🏛.
6. La cour d'appel, qui a ordonné à la locataire de communiquer au bailleur, dans un délai de deux mois à compter de son arrêt, les comptes d'exploitation de la résidence louée sous une astreinte de 50 euros par jour de retard qui ne revêt pas un caractère définitif, et qui, la liquidation d'une astreinte ne lui étant pas demandée, n'était pas tenue de vérifier si une créance avait été déclarée à la procédure collective à ce titre, n'a pas contrevenu à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. La locataire fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'exploitant d'une résidence de tourisme classée doit tenir des comptes d'exploitation distincts pour chaque résidence ; qu'il est tenu de les communiquer aux propriétaires qui en font la demande ; qu'en retenant, pour ordonner sous astreinte à la société Appart'City de communiquer à M. [Ab] les comptes d'exploitation de la résidence Innovallée de [Localité 6] de 2012 à 2019, que les documents comptables versés aux débats par la société Appart'City ne pouvaient être qualifiés de comptes d'exploitation faute de comporter les produits et charges financiers, les produits et charges exceptionnels et les dotations aux amortissements, et de faire apparaître le calcul du résultat, soit autant d'éléments qui n'ont pourtant pas à figurer dans le compte d'exploitation devant être communiqué aux propriétaires d'une résidence de tourisme classée, la cour d'appel a violé l'
article L. 321-2 du code du tourisme🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 321-2 du code du tourisme et R. 123-193 du code de commerce :
9. Il résulte de ces textes que le compte d'exploitation que l'exploitant d'une résidence de tourisme classée doit tenir pour chaque résidence et communiquer aux propriétaires qui en font la demande, doit uniquement faire apparaître les charges et produits d'exploitation et ne se confond pas avec le compte de résultat dont il n'est qu'une composante.
10. Pour considérer que les éléments comptables fournis par la locataire à la demande du bailleur étaient insuffisants et la condamner à communiquer sous astreinte les comptes d'exploitation de la résidence Innovallée de [Localité 6], l'arrêt, après avoir constaté que les documents communiqués comportaient des données commerciales, les charges fixes, les charges variables, le taux EBITDAR et EBITDA, retient qu'ils sont incomplets en ce qu'ils ne comportent pas les produits et charges financiers, les produits et résultats exceptionnels et les dotations aux amortissements et qu'ils ne font pas apparaître le calcul du résultat.
11. En statuant ainsi, alors que les produits et charges financiers et les produits et résultats exceptionnels ne sont pas des éléments du compte d'exploitation mais du compte de résultat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. La locataire fait grief à l'arrêt de fixer à son passif la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires pour retard de paiement de loyer, alors « que le jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant notamment à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ; que sous réserve des dispositions de l'article L. 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance et sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L. 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant ; qu'en fixant au passif de la société Appart'City, qui bénéficiait d'une procédure de sauvegarde ouverte par jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 15 avril 2021 et d'un plan de sauvegarde arrêté par jugement du même tribunal du 14 septembre 2021, la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts complémentaires pour retard de paiement de loyer, sans s'assurer que cette créance avait été déclarée au passif et en l'absence de mise en cause des organes de la procédure, la cour d'appel a violé les articles L. 622-21 et L. 622-22 du code de commerce ».
Réponse de la Cour
Vu les
articles L. 622-17, I, L. 622-21 et L. 622-22 du code de commerce🏛 :
13. Selon le deuxième de ces textes, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 du code de commerce et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent. Selon le troisième, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance ; elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
14. L'arrêt constate qu'un plan de sauvegarde a été arrêté au profit de la locataire et fixe au passif de cette dernière une certaine somme à titre de dommages et intérêts complémentaires pour retard de paiement du loyer.
15. En statuant ainsi, alors qu'en raison de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde puis de l'adoption d'un plan de sauvegarde au bénéfice de la locataire, l'instance en cours avait été interrompue de plein droit devant elle et ne pouvait être reprise qu'après la justification de la déclaration de créance et la mise en cause du mandataire judiciaire et du commissaire à l'exécution du plan, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en ce qu'il fixe au passif de la société Appart'City la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires pour retard de paiement du loyer, en ce qu'il confirme le jugement du tribunal de grande instance de Grenoble condamnant la société Appart'City à communiquer à M. [Ab] les comptes d'exploitation de la résidence Innovallée de [Localité 6] pour les années 2013 et 2014, en ce qu'il ordonne à la société Appart'City de communiquer à M. [Ab], dans un délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt, les comptes d'exploitation de la résidence Innovallée de [Localité 6] pour les exercices 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018, 2019 et 2020 et ce, sous astreinte de 50 euros par jours de retard, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, l'arrêt rendu le 8 février 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne M. [Ab] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le vingt et mai deux mille vingt cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛.