N° T 24-82.751 F-D
N° 00647
RB5
20 MAI 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 MAI 2025
M. [L] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans, chambre correctionnelle, en date du 11 mars 2024, qui, pour harcèlement moral aggravé et atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, l'a condamné à huit mois d'emprisonnement avec sursis, 3 000 euros d'amende, cinq ans d'inéligibilité et a rejeté sa requête en dispense d'inscription de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [L] [U], et les conclusions de M. Dureux, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 13 octobre 2021, le tribunal correctionnel a déclaré M. [Aa] [U] coupable, notamment, des infractions de harcèlement moral par concubin suivi d'incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours et atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, et a prononcé sur la peine et les intérêts civils.
3. M. [Ab] a relevé appel des dispositions pénales et civiles de ce jugement, et le ministère public appel incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Ab] coupable d'atteinte à l'intimité de la vie privée de Mme [M], alors :
« 1°/ que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que l'
article 226-1 du code pénal🏛 incrimine la fixation, l'enregistrement ou la transmission, sans le consentement de celle-ci, de l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé ; que l'article 226-2 du même code incrimine le fait de porter à la connaissance du public ou d'un tiers une telle image procédant de l'un des agissements incriminés à l'article 226-1 ; que le fait de porter à la connaissance du public ou d'un tiers l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé n'est punissable que si l'enregistrement ou le document qui les contient a été réalisé sans le consentement de la personne concernée ; qu'en retenant, pour déclarer M. [U] coupable du délit de l'article 226-1 du code pénal, que trois photographies de Mme [M], un portrait, une photographie avec un bébé et une photographie en tenue de soirée avec le prévenu, la représentant dans des lieux privés ont été fixées et transmises sans son consentement, le prévenu ayant reconnu les avoir publiées sur des comptes [1] et [2] sans la moindre autorisation (arrêt p. 9) cependant que les trois photographies litigieuses ont été prises avec le consentement de Mme [M] qui prend la pose devant l'objectif et que leur diffusion auprès du public ne constitue ni le délit de l'article 226-1 ni d'ailleurs celui de l'
article 226-2 du code pénal🏛, la cour d'appel a violé les
articles 111-4 et 226-1 du code pénal🏛, 7 de la
Convention européenne des droits de l'homme🏛 ;
2°/ que à titre subsidiaire, en retenant, pour déclarer M. [U] coupable du délit de l'article 226-1 du code pénal, que trois photographies de Mme [M], un portrait, une photographie avec un bébé et une photographie en tenue de soirée avec le prévenu, la représentant dans des lieux privés ont été fixées et transmises sans son consentement, le prévenu ayant reconnu les avoir publiées sur des comptes [1] et [2] sans la moindre autorisation (arrêt p. 9) cependant que les trois photographies litigieuses ont été prises au vu et au su de Mme [M] qui prend la pose devant l'objectif, qu'aucun élément du dossier n'établit qu'elle s'est opposée à la prise de ces photographies et que leur diffusion auprès du public ne constitue dès lors ni le délit de l'article 226-1 ni d'ailleurs celui de l'article 226-2 du code pénal, la cour d'appel a violé les articles 111-4 et 226-1 du code pénal, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 226-1 du code pénal :
6. Il résulte de ce texte qu'est punissable le fait de fixer, enregistrer ou transmettre, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé. Lorsque ces actes ont été accomplis au vu et au su de la personne sans qu'elle s'y soit opposée, alors qu'elle était en mesure de le faire, son consentement est présumé.
7. Pour déclarer le prévenu coupable de l'infraction d'atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, l'arrêt attaqué énonce que des photographies de la victime ont été publiées par le prévenu sur les faux comptes [1] et [2] qu'il a créés au nom de celle-ci, et que ces images la représentent, la première, sous forme de portrait à l'intérieur d'un lieu d'habitation, la deuxième alors qu'elle porte un bébé susceptible d'être son enfant et la troisième en tenue de soirée à côté du prévenu.
8. Les juges ajoutent que ces photographies, qui montrent la victime dans des lieux privés, ont été fixées et transmises sans son consentement, le prévenu ayant reconnu les avoir publiées sans autorisation après les avoir récupérées sur un autre site.
9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés.
10. En effet, à supposer même que les photographies litigieuses aient été prises sans le consentement de la personne qui y apparaît, ce que la cour d'appel n'a pas recherché, l'article 226-1 du code pénal n'incrimine pas le fait de diffuser auprès du public ou de tiers l'image d'une personne prise dans ces conditions, de sorte que la cour d'appel ne pouvait, sans requalification, entrer en voie de condamnation sur le fondement de la disposition précitée, seule visée aux poursuites.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité du chef d'atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, ainsi que celles relatives aux peines prononcées et à la demande de dispense d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire. Les autres dispositions seront donc maintenues.
13. En raison de la cassation ainsi prononcée, il n'y a pas lieu d'examiner les troisième et quatrième moyens de cassation proposés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Orléans, en date du 11 mars 2024, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité du chef d'atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, ainsi que celles relatives aux peines prononcées et à la demande de dispense d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bourges, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Orléans et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt-cinq.