CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 14 mai 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 322 F-D
Pourvoi n° M 23-23.884
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 MAI 2025
La Polyclinique [5], dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 23-23.884 contre l'arrêt rendu le 17 octobre 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Aa] [S], domicilié [… …],
2°/ à Mme [Ab] [C], domiciliée polyclinique [5], [Adresse 1],
3°/ à Mme [Y] [V], domiciliée [Adresse 2],
4°/ à M. [U] [E], domicilié [Adresse 2], pris tant en son nom personnel qu'en qualité d'unique ayant-droit de son père [N] [E], décédé,
5°/ à Mme [R] [P], domiciliée [Adresse 8],
6°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Gironde, dont le siège est [Adresse 6],
7°/ à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections (ONIAM), dont le siège est [Adresse 7],
défendeurs à la cassation.
M. [S] et Mme [C] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, les observations de laSCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la Polyclinique [5], de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de Mme [P], de la SCP Richard, avocat de M. [S] et de Mme [C], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections, après débats en l'audience publique du 18 mars 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Bacache-Gibeili, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ( Bordeaux, 17 octobre 2023), après avoir subi le 23 mai 2013, une cystectomie réalisée par M. [S] au sein de la Polyclinique [5] (la polyclinique), [N] [E] a présenté, le 25 mai 2013, un syndrome fébrile justifiant une antibiothérapie. Après sa sortie, le 7 juin 2013, son état de santé s'est aggravé. Adressé par son médecin traitant à la clinique, il a été réadmis du 2 au 6 juillet 2013. A la demande de son médecin traitant, il a été les 17 et 30 juillet 2013 pris en charge aux urgences, notamment par Mme [C], sans être à nouveau hospitalisé. Le 31 juillet 2013, il a été conduit aux urgences du centre hopsitalier universitaire de [Localité 3] où il a été diagnostiqué une compression médullaire sur spondylodiscite, justifiant la réalisation d'une laminectomie à la suite de laquelle il a conservé une paraplégie.
2. Les 16, 17 et 22 février et 7 mars 2017, après un échec de la procédure de règlement amiable, [N] [E] ainsi que Mme [V], sa concubine, et M. [U] [E], son fils, ont assigné en responsabilité et indemnisation, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM), M [S], Ac [C] et [P]. Ils ont mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde (la caisse) qui a sollicité le remboursement de ses débours.
3. [N] [E] est décédé le 25 novembre 2017 et M. [U] [E] a repris l'instance en qualité d'ayant droit.
4. Le caractère nosocomial de l'infection présentée par [N] [E] a été admis et les dommages en résultant ont été mis à la charge de l'ONIAM, sur le fondement de l'
article L. 1142-1-1 du code de la santé publique🏛.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. La polyclinique fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a, avec M. [S] et Mme [C], commis une faute ayant occasionné une perte de chance pour [N] [E] à hauteur de 75 % et, en conséquence, que l'ONIAM exercera son recours contre elle, tenue in solidum avec ceux-ci à hauteur de 75 % du dommage, que dans leurs rapports entre eux elle supporterait 12,5 % de la dette et de la condamner in solidum avec ceux-ci à payer à Mme [Ad] et à M. [U] [E] et à la caisse des indemnités au titre des frais irrépétibles et à garantir l'ONIAM dans les mêmes proportions des condamnations mises à sa charge, alors « que hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ; que pour retenir une faute à la charge de la Polyclinique [5], la cour d'appel énonce que : « l'absence de dossier médical informatisé entre les services apparaît précisément avoir été préjudiciable car elle n'a pas permis aux urgentistes d'obtenir l'information immédiate des précédents séjours de M. [E] au service d'urologie de la polyclinique ce qui, ajouté à l'absence de rédaction d'un compte rendu d'hospitalisation par le A [S] dont le médecin traitant de M. [Ae] n'avait en conséquence pas été destinataire, n'a pas permis une information complète des praticiens qui se sont succédés entre le 17 et le 30 juillet 2013 sur le fait que M. [Ae] avait été pris en charge à de nombreuses reprises par les services de la polyclinique lesquels étaient susceptibles de détenir des informations importantes qu'ils auraient été à même de consulter et notamment qu'avait été diagnostiquée le 5 juillet 2013 une infection bactérienne multirésistante (SARM) » ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait, d'une part, qu'aucune information des urgentistes n'était possible avant la date du 23 juillet 2013, date à laquelle le docteur [S] avait rédigé avec un retard coupable son compte rendu d'hospitalisation du 2 au 6 juillet 2013, cependant qu'il était en possession dès le 5 juillet du résultat de l'ECBU et des deux hémocultures qui révélaient une bactériémie multi résistante (SARM) et, d'autre part, sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, si, même en l'absence de dossier médical informatisé – qu'aucune disposition légale n'imposait – il n'appartenait pas aux urgentistes de consulter le dossier médical papier de M. [Ae], régulièrement tenu au service d'urologie, et de procéder à l'interrogatoire de ce dernier, ce qui leur aurait apporté toute information utile, de sorte qu'il n'existait aucun lien entre l'absence de dossier médical informatisé et la prise en compte insuffisante de la gravité de l'état de santé de M. [Ae] à l'origine d'un retard de diagnostic qui avait contribué à la réalisation du dommage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à son arrêt au regard de l'
article 1142-1 I, du code de la santé publique🏛 »
Réponse de la Cour
6. Dès lors qu'elle a retenu que l'organisation des soins entre les services n'avait pas permis une information complète des praticiens s'étant succédé, les 17 et 30 juillet 2013, dans la prise en charge de [N] [E], quant à ses précédents séjours au sein de services, susceptibles de détenir des informations importantes notamment quant au diagnostic le 5 juillet 2013 d'une infection bactérienne multi-résistante (SARM), que ce défaut d'information avait été préjudiciable à [N] [E] en conduisant à une prise en compte insuffisante de la gravité de son état de santé à l'origine d'un retard de diagnostic, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argmentation, a pu en déduire que la polyclinique avait commis une faute à l'origine d'une perte de chance souverainement appréciée.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen du pourvoi principal et le moyen du pourvoi incident, formulés en termes identiques
Enoncé du moyen
8. La polyclinique, M. [S] et Mme [C] font grief à l'arrêt de condamner l'ONIAM à payer à la caisse la somme de 180 937,20 euros au titre de ses débours et la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité de gestion, de les condamner, in solidum, au paiement d'indemnités au titre des frais irrépétibles et à relever et garantir l'ONIAM de toutes les condamnations mises à sa charge à hauteur de 75 % et dire que dans leurs rapports entre eux, M. [S] supportera 60 % de la dette (soit de 75 % du dommage), Mme [C] 27,5 % (de 75% du dommage) et la polyclinique 12,5 % (de 75 % du dommage), alors « que l'ONIAM n'ayant pas la qualité d'auteur responsable, au sens de l'
article L. 376-1 du code de la sécurité sociale🏛, lorsqu'il indemnise les victimes sur le fondement de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique, aucun recours subrogatoire ne peut être exercé contre lui par les caisses de sécurité sociale, de sorte que le responsable du dommage ne peut être condamné à garantir l'ONIAM de condamnations ne pouvant être prononcées contre lui ; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, dans le dispositif de son arrêt, la cour d'appel a violé les
articles L. 1142-1, II, et L. 1142-22 du code de la santé publique🏛, ensemble l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1142-22 et L. 1142-1-1 du code de la santé publique et L. 376-1 du code de la sécurité sociale :
9. Il résulte de ces textes que, lorsque l'ONIAM indemnise au titre de la solidarité nationale la victime d'un dommage, il n'a pas la qualité d'auteur responsable, de sorte qu'aucun recours subrogatoire ne peut être exercé contre lui par les caisses de sécurité sociale ayant versé des prestations à la victime et qu'il ne peut ni être condamné au paiement de leurs debours ni garanti d'une telle condamnation.
10. Après avoir condamné l'ONIAM à payer à la caisse la somme de 180 937,20 euros au titre de ses débours et la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité de gestion, l'arrêt condamne in solidum M. [S], Mme [C] et la polyclinique à garantir l'ONIAM de cette condamnation à hauteur de 75 %.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. En application de l'
article 624 du code de procédure civile🏛, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la polyclinique, M. [S], Mme [C] à garantir l'ONIAM des condamnations prononcées contre lui au profit de la caisse entraîne la cassation du chef de dispositif condamnant l'ONIAM à payer à la caisse la somme de 180 937,20 euros au titre de ses débours et la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité de gestion, qui s'y rattache par un lien d'indivisibilité.
Mise hors de cause
13. En application de l'
article 625 du code de procédure civile🏛, il y a lieu de mettre hors de cause Mme [P], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'ONIAM à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde la somme de 180 937,20 euros au titre de ses débours et la somme de 1162 euros au titre de l'indemnité de gestion et condamne la Polyclinique [5], M. [S], Mme [C] à garantir l'ONIAM des condamnations prononcées contre lui à ce titre, l'arrêt rendu le 17 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Met hors de cause Mme [P] ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le quatorze mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛.