PAR CES MOTIFS
§ 212
FAITS ET PROCÉDURE
I. LA GENÈSE DE L'AFFAIRE
1.La société Vivendi SE (ci-après « Vivendi ») est une société européenne, spécialisée dans les médias et la communication. Ses actions sont négociées sur le marché réglementé d'Euronext [Localité 27]. Son principal actionnaire est la société [I] SE (ci-après « [I] »), une autre société européenne, laquelle constitue la principale société du groupe [I].
2.Par plusieurs communiqués de presse, en décembre 2023 et au cours de l'année 2024, Vivendi a annoncé puis donné des précisions sur son projet de scinder ses activités en quatre entités distinctes, qui seraient chacune cotées en bourse, sur différentes places de cotation, de la manière suivante :
' la société Canal+ serait cotée sur le London Stock Exchange ;
' la société Havas serait cotée, sous la forme d'une société de droit néerlandais (Havas NV), sur le marché Euronext [Localité 21] ;
' la société [A] Group (ci-après « [A] »), nouvelle société regroupant la participation de Vivendi dans les sociétés [D] (ci-après « [D] ») et Prisma Group (ci-après « Prisma Group »), serait cotée sur le marché Euronext Growth à [Localité 27] ;
' Af resterait cotée sur le marché réglementé d'Euronext [Localité 27].
3.Ce projet de scission de Vivendi a été contesté devant l'Autorité des marchés financiers (ci-après « l'AMF ») par la société CIAM Fund (« CIAM »), une société de droit luxembourgeois, gérant un fonds d'investissement, actionnaire minoritaire de Vivendi. Estimant que ce projet de scission visait à éluder les règles impératives du droit boursier et constituait ainsi une fraude à la loi, en permettant à [I] d'étendre son contrôle sur les activités de Vivendi sans avoir à déposer d'offre publique, CIAM a adressé une lettre à l'AMF, le 28 octobre 2024, pour lui demander d'intervenir rapidement. Pour ce faire, CIAM a invité l'AMF, notamment, à enjoindre le groupe [I], présenté comme contrôlant Vivendi, de l'informer du projet de scission afin que cette autorité apprécie, en application de l'article 236-6 du RGAMF, s'il y a lieu de mettre en œuvre une offre publique de retrait (ci-après « OPR »).
4.Par ailleurs, ce projet de scission de Vivendi conduisant [A], à l'issue de l'opération, à franchir le seuil de 30 % du capital et des droits de vote de [...], ce qui avait pour effet de déclencher l'obligation de déposer un projet d'offre publique d'achat (ci-après « OPA ») sur les titres de [...], [A] a demandé à l'AMF,26e 26 septembre 2024, l'octroi d'une dérogation à cette obligation.
II. LA DÉCISION DE L'AMF
5.C'est dans ce contexte que l'AMF a pris, le 13 novembre 2024, une décision n° 224C2288, publiée le même jour, par laquelle elle a, notamment, accordé à [A] une dérogation à l'obligation de déposer une OPA sur les titres de [...].
6.Cette décision, de deux pages, contient huit paragraphes. Les deux premiers paragraphes sont ainsi rédigés :
« Dans sa séance du 5 novembre 2024, suivie d'une consultation écrite du collège qui s'est achevée le 13 novembre 2024, l'Autorité des marchés financiers a examiné la demande de dérogation, présentée par la société anonyme [A] Group, à l'obligation de déposer un projet d'offre publique visant les titres de la société [D] SA, dans le cadre du projet de scission de la société Vivendi SE en quatre entités distinctes dont les détails ont été annoncés le 22 juillet 2024.
À titre préalable, l'Autorité a examiné si l'article 236-6 de son règlement général est susceptible de s'appliquer à la société [I] SE dans le cadre dudit projet de scission. Il est rappelé que l'article 236-6 du règlement général renvoie à la notion de contrôle de l'article L. 233-3 du code de commerce, et non aux autres définitions du contrôle telles que celles formulées à l'
article L. 233-16 du code de commerce🏛. Dans ce contexte, l'Autorité a constaté que les conditions de contrôle de l'article L. 233-3 du code de commerce ne sont pas remplies et que la société [I] SE ne peut pas être considérée comme contrôlant la société Vivendi SE au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, de sorte que l'article 236-6 du règlement général n'est pas applicable dans le cadre du projet de scission de la société Vivendi SE » (souligné par la Cour).
7.Cette décision comporte un double titrage, rédigé selon les termes suivants :
' « Examen de la mise en œuvre éventuelle d'une OPR (article 236-6 du règlement général) » ;
' « Dérogation à l'obligation de déposer un projet d'offre publique visant les titres de la société (articles 234-8, 234-9, 1°, et 234-10 du règlement général) ».
III. LE RECOURS ENTREPRIS
8.CIAM a formé un recours contre une partie de cette décision, par déclaration déposée au greffe de la Cour le 22 novembre 2024, dans le délai requis de dix jours.
9.La déclaration de recours précise l'objet du recours (comme le prescrit l'article R. 621-46 du CMF) : il s'agit d'un recours en annulation contre la décision de l'AMF « en ce qu'elle a considéré que l'article 236-6 du RGAMF ' mise en œuvre éventuelle d'une OPR ' n'était pas applicable dans le cadre du projet de scission de Vivendi », ce qui correspond au conclusif du deuxième paragraphe de ladite décision.
10.Aux termes de son exposé des moyens, CIAM demande à la Cour, sur le fond :
« À titre principal, d'annuler, pour défaut de motivation, la décision attaquée en ce qu'elle a considéré que [I] SE ne contrôlait pas Vivendi SE au sens de l'article L.233-3 du code de commerce et donc que l'article 236-6 du RGAMF n'était pas applicable dans le cadre du projet de scission de Vivendi SE ;
À titre subsidiaire,
(')
' de juger que Monsieur [X] [I] contrôle Vivendi SE au sens de l'article L.233-3 du code de commerce ;
' d'annuler la décision attaquée, en ce qu'elle a considéré que [I] SE ne contrôlait pas Vivendi SE au sens de l'article L.233-3 du code de commerce et donc que l'article 236-6 du RGAMF n'était pas applicable dans le cadre du projet de scission de Vivendi SE ».
11.L'exposé des moyens comprend également une demande de communication de pièces, visant Vivendi et l'AMF, qui a été rejetée par un arrêt du 18 février 2025. Par ordonnance du même jour, le délégué du premier président a déclaré irrecevable une demande ayant le même objet.
12.Vivendi et [I] concluent chacune, à titre principal, à l'irrecevabilité du recours et, à titre subsidiaire, à son rejet.
13.[D], [A] et Prisma Group n'ont pas conclu sur le fond.
14.L'AMF considère que le recours doit être rejeté.
15.Le ministère public invite la Cour à :
' déclarer le recours recevable ;
' annuler partiellement la décision attaquée ;
' juger, en cas d'annulation partielle, s'il lui appartient, en vertu de l'effet dévolutif du recours, de se prononcer sur la condition du contrôle de Vivendi par [I], au sens de l'article L. 233-3, I, 3°, du code de commerce, pour déterminer si les conséquences de l'opération de scission doivent être soumises à l'appréciation de l'AMF dans le cadre d'une éventuelle OPR (en application de l'article 236-6 du RGAMF) ;
' à titre principal, au cas où il serait statué sur ce point, juger que [I] ne pouvait être considérée, à la date de la décision attaquée, comme contrôlant Vivendi, au sens de l'article du code de commerce précité ;
' à titre subsidiaire, renvoyer le dossier à l'AMF afin de décider si les conséquences de l'opération de scission doivent donner lieu à la mise en œuvre d'une OPR en application de l'article précité du RGAMF.
16.Parallèlement à ce recours, CIAM a engagé une procédure en référé d'heure à heure devant le tribunal de commerce de Paris, pour obtenir l'ajournement de l'AG mixte de Vivendi, prévue le 9 décembre 2024, pour se prononcer sur le projet de scission.
IV. ÉVOLUTION DE LA SITUATION DE VIVENDI À LA SUITE DU RECOURS
17.Le projet de scission de Vivendi a été approuvé lors de l'AG mixte des actionnaires de Vivendi, qui s'est tenue, comme prévu, le 9 décembre 2024, à la suite du rejet de la demande d'ajournement de CIAM par le tribunal de commerce de Paris (ordonnance du 5 décembre 2024 ayant dit n'y avoir lieu à référé).
18.En conséquence, l'opération de scission a été réalisée et la première cotation de Canal +, Havas et [A] est intervenue le 16 décembre 2024.
MOTIVATION
I. SUR LA RECEVABILITÉ DU RECOURS
19.Vivendi et [I] contestent la recevabilité du recours.
20.[I] soutient que le constat de l'absence de contrôle de celui-ci sur Vivendi ne constitue pas une décision individuelle susceptible de recours, au sens de l'
article L. 621-30 du code monétaire et financier🏛 (ci-après « CMF »).
21.Elle fait valoir en ce sens, en premier lieu, que le fait que l'émetteur concerné soit contrôlé (au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce) est une condition d'application de l'article L. 433-4, I, 3° du CMF (servant de base légale à l'article 236-6 du RGAMF) et en délimite le champ d'application ratione personae. En effet, ce n'est que lorsque l'opération relève du champ d'application ratione personae (l'émetteur est contrôlé au sens de l'article précité) et ratione materiae (l'opération envisagée fait partie de celles listées) de cet article du CMF que l'AMF apprécie les termes de l'opération pour décider s'il y a lieu de mettre en œuvre une OPR.
22.Elle en déduit que le fait que l'émetteur ne soit pas contrôlé (au sens de l'article du code de commerce précité) est un prérequis, qui n'est pas créé par l'effet d'une décision de l'AMF, son existence devant simplement être constatée par l'AMF, soit d'elle-même, soit sur la demande d'une personne intéressée, étant précisé qu'aucun de ses actionnaires, même le plus important, n'est tenu d'en saisir l'AMF.
23.Elle considère que la seule décision que l'AMF serait légalement « habilitée » à prendre au regard des textes susvisés serait celle relative à la mise en œuvre d'une OPR : soit en décidant que l'émetteur de contrôle devra mettre en œuvre une telle offre, soit en décidant l'inverse. Seule cette décision emporterait modification de l'ordonnancement juridique.
24.Elle soutient que tel n'est pas le cas du simple constat reproché à l'AMF et compare ce constat à celui de la « nationalité » de l'émetteur, qu'elle présente comme étant un autre prérequis de l'application des règles sur les OPR : le constat qu'une opération de scission serait projetée par une société étrangère établirait l'inapplicabilité de l'article 236-6 du RGAMF, mais n'aurait pas valeur de décision.
25.Elle fait valoir, en deuxième lieu, que le constat de l'absence de contrôle sur Vivendi (au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce) n'emporterait pas privation du droit à offre publique qu'auraient eu les autres actionnaires de Vivendi. Elle considère que ce constat n'aurait pas d'autre portée qu'une simple information donnée au marché. Elle se prévaut en ce sens de deux arrêts ayant écarté l'existence d'un acte faisant grief en présence d'une information sur le calendrier d'une OPR suivie d'un retrait obligatoire (
Cass. Com. 21 juin 2011, pourvoi n° 09-16.652⚖️, Ag. n° 100) et d'un avis non contraignant de l'ex-Conseil de bourses de valeurs sur l'opportunité de mettre en œuvre une OPR (
CA Paris, 25 juin 1998, RG n° 98/01945⚖️).
26.Elle indique, en troisième lieu, que la lettre du 28 octobre 2024, par laquelle CIAM a demandé à l'AMF d'interdire l'opération de scission de Vivendi et, à défaut, d'imposer le dépôt d'une OPR, ne lui demandait pas de se prononcer sur la question du contrôle, qu'elle tenait pour acquise et qu'elle n'a soumise devant la Cour que pour la première fois. Estimant que le constat reproché à l'AMF ne constitue pas le rejet d'une demande dont la requérante l'aurait préalablement saisie, [I] en déduit l'absence de décision.
27.Par une note en délibéré suscitée par l'avis du ministère public et admise par la Cour, [I], considère, en quatrième lieu, que l'acte attaqué est d'une nature hybride quant à sa portée. Elle fait valoir en ce sens que ledit acte n'est pas une décision créatrice de droit opposable aux tiers (dès lors que n'accordant rien, ni ne refusant rien, il ne modifie pas l'ordonnancement juridique), mais qu'il n'est pas non plus une simple information dépourvue de portée juridique (dans la mesure où l'AMF y constate qu'une opération n'entre pas dans le champ d'application de son règlement et que ce constat est opposable à l'AMF par Vivendi).
28.À cet égard, elle compare la portée de cet acte à celle d'un rescrit. Elle estime que, si cet acte ne s'inscrit pas dans le cadre de la procédure prévue aux articles 121-1 et suivants du RGAMF, relatifs aux rescrits boursiers, il a néanmoins, quant à sa portée, une valeur simplement déclarative, en ce qu'il ne fait que déclarer que la scission de Vivendi sans OPR préalable ' dès lors qu'il ne rentre pas dans le champ de l'article 236-6 du RGAMF' ne lui serait pas contraire. Sur ce point, elle précise qu'un rescrit boursier est défini comme un « avis [qui] précise si, au regard des éléments communiqués par l'intéressé, l'opération n'est pas contraire au présent règlement » (article 121-1 du RGAMF) et qui « ne vaut que pour le demandeur » (
article 122-3, al. 1, du même règlement🏛). Elle en déduit, par assimilation à un rescrit boursier, que l'acte attaqué ne valant que pour Vivendi, il ne fait pas grief aux tiers, tels que CIAM, de sorte que ces derniers n'ont pas d'intérêt et partant sont irrecevables à le contester.
29.Elle en tire la conséquence que CIAM devra être déclarée irrecevable en son recours.
30.Vivendi développe un argumentaire comparable.
31.Elle fait plus particulièrement valoir, en premier lieu, que le propre d'une décision individuelle de l'AMF est l'usage qu'elle fait de ses prérogatives de puissance publique, lui permettant d'autoriser, d'interdire, de bloquer, de suspendre ou de contraindre, sous peine d'être soumis à une procédure de sanction. Elle en déduit qu'il est impératif que l'acte émis par l'AMF modifie l'ordonnancement juridique pour pouvoir être qualifié de décision individuelle. Elle précise que c'est la raison pour laquelle la jurisprudence tend à déclarer irrecevables les recours formés contre des actes de l'AMF, tels que ceux donnant un élément d'information sur le calendrier d'une offre publique ou la date d'une séance de la Commission des sanctions, rendant un avis dépourvu de force contraignante ou procédant à une notification de griefs.
32.Elle considère qu'en l'espèce, le constat de l'absence de contrôle de [I] à son endroit ne modifie pas l'ordonnancement juridique car il est intervenu dans le but de justifier que l'article 236-6 du RGAMF (ayant trait à l'obligation de réaliser une OPR sur les titres d'une société cotée) ne trouvait pas à s'appliquer au projet de scission la concernant. À cet égard, elle précise que le fait qu'une personne physique ou morale en contrôle une autre (au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce) est une condition préalable à l'application tant de l'article précité du RGAMF, que de l'article L. 433-4, I, 3° du CMF qui lui sert de base légale. Elle en déduit que, lorsque cette condition préalable n'est pas remplie, l'AMF n'a pas à prendre de décision sur l'opportunité ou non de mettre en œuvre une OPR. Elle considère que seule une telle décision serait susceptible de modifier l'ordonnancement juridique, soit en imposant à la personne contrôlant la société en cause de déposer une OPR, soit en en privant les autres actionnaires en ne lui ordonnant pas de le faire.
33.Elle relève, en deuxième lieu, que le constat de l'absence de contrôle est sans rapport avec ce qui constitue l'objet de la présente décision de l'AMF, à savoir statuer sur la demande de dérogation de [A] à déposer une offre publique sur les titres de [D]. Elle considère que seul l'octroi de la dérogation demandée, qui est rappelé en conclusion de l'acte, a valeur décisoire et constitue ainsi une décision individuelle susceptible de recours.
34.Elle fait valoir, en troisième lieu, que l'AMF n'a jamais été saisie, ni par elle, ni par [I], d'une quelconque demande de constat de non-application de l'article L. 233-3 du code de commerce ou de non-lieu à une OPR en vertu de l'article 236-6 du RGAMF.
35.Elle en tire la conséquence qu'à défaut d'élever des moyens d'annulation contre la partie de l'acte de l'AMF qui constitue une décision individuelle susceptible de recours, le présent recours doit être déclaré irrecevable.
36.En réponse, CIAM soutient, pour l'essentiel, qu'en écartant l'existence d'un contrôle de Vivendi, l'AMF a pris une décision et non pas effectué un simple constat.
37.Elle se prévaut en ce sens, en premier lieu, du libellé de l'acte attaqué, ce dernier comportant deux décisions distinctes, expressément visées dans son titre.
38.Elle fait valoir, en deuxième lieu, que la durée et le nombre inhabituel des échanges entre les services de l'AMF et Af (pendant plusieurs mois au cours desquels ont été échangés huit notes et une consultation professorale) démontrent que cette décision a été particulièrement difficile à prendre pour ladite autorité et qu'il ne s'agit certainement pas d'un simple constat.
39.Elle relève, en troisième lieu, que les procès-verbaux des réunions du Collège (du 5 et 22 novembre 2024), versés au dossier, indiquent clairement que celui-ci a pris une décision en écartant l'existence d'un contrôle.
40.En quatrième lieu, en réponse à la note en délibéré de [I], elle observe que celle-ci a manifestement renoncé à sa position antérieure, consistant à soutenir que l'acte attaqué était une simple information donnée au marché.
41.Elle estime, en outre, que l'ensemble des personnes susceptibles de participer à l'OPR dont la mise en œuvre a été écartée ont un intérêt à agir dans le cadre de la présente instance : non seulement, elle-même et l'ensemble des autres actionnaire minoritaires de Vivendi, qui se trouvent ainsi privés de la faculté d'apporter leurs titres à une OPR mise en œuvre par M. [Ah], mais aussi, la société [I] SE, cette dernière n'ayant pas à mettre en œuvre une OPR. À l'audience, elle a précisé que le présent recours comporte un enjeu indemnitaire pour les actionnaires minoritaires qui n'ont pas pu bénéficier d'une OPR.
42.Elle considère, enfin, que l'analogie avec le rescrit boursier ne semble pas pertinente dans la mesure où, d'une part, l'AMF s'est prononcée sur le fondement de l'article 236-6 du RGAMF, et non au titre de la procédure de rescrit boursier et, d'autre part, l'acte attaqué ne statue pas sur une violation éventuelle du RGAMF mais sur l'existence d'un contrôle de Vivendi, au sens de L. 233-3 du code de commerce et donc sur l'applicabilité de l'article 236-6 du RGAMF.
43.Elle en tire la conséquence que son recours est recevable.
44.Le ministère public considère que le recours est recevable dès lors que, dans la décision attaquée, l'AMF s'est prononcée sur deux questions relevant de sa compétence, à savoir, d'une part, sur l'octroi à [A] d'une dérogation à l'obligation de déposer une offre publique sur les titres de [D] et, d'autre part, sur la mise en œuvre éventuelle d'une OPR, sur le fondement de l'article 236-6 du RGAMF, dont le contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce constitue l'une des conditions d'applicabilité.
Sur ce, la Cour :
45.L'
article L. 433-4, I, du CMF, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008🏛 de modernisation de l'économie, applicable au litige, énonce :
« Le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe les conditions applicables aux procédures d'offre et de demande de retrait dans les cas suivants :
(')
3° Lorsque la ou les personnes physiques ou morales qui contrôlent, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, une société dont le siège est établi en France et dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen se proposent de soumettre à l'approbation d'une assemblée générale extraordinaire une ou plusieurs modifications significatives des dispositions statutaires, notamment relatives à la forme de la société, aux conditions de cession et de transmission des titres de capital ainsi qu'aux droits qui y sont attachés, ou décident le principe de la fusion de cette société avec la société qui la contrôle ou avec une autre société contrôlée par celle-ci, de la cession ou de l'apport à une autre société de la totalité ou du principal des actifs, de la réorientation de l'activité sociale ou de la suppression, pendant plusieurs exercices, de toute rémunération de titres de capital. Dans ces cas, l'Autorité des marchés financiers apprécie les conséquences de l'opération au regard des droits et des intérêts des détenteurs de titres de capital ou de droits de vote de la société pour décider s'il y a lieu de mettre en œuvre une offre publique de retrait » (souligné par la Cour).
46.Ces dispositions constituent le fondement légal de l'article 236-6 du RGAMF, lequel, dans sa rédaction applicable au litige, indique :
« La ou les personnes physiques ou morales qui contrôlent une société, au sens de l'article L. 233.16 du code de commerce, informent l'AMF :
1° Lorsqu'elles se proposent de soumettre à l'approbation d'une assemblée générale extraordinaire une ou plusieurs modifications significatives des dispositions statutaires, notamment celles relatives à la forme de la société, aux conditions de cession et de transmission des titres de capital ainsi qu'aux droits qui y sont attachés ;
2° Lorsqu'elles décident le principe de la fusion-absorption de cette société par la société qui en détient le contrôle, de la cession ou de l'apport à une autre société de la totalité ou du principal des actifs, de la réorientation de l'activité sociale ou de la suppression, pendant plusieurs exercices, de toute rémunération de titres de capital.
L'AMF apprécie les conséquences de l'opération prévue au regard des droits et des intérêts des détenteurs de titres de capital ou des détenteurs de droits de vote de la société et décide s'il y a lieu à mise en œuvre d'une offre publique de retrait. (') » (souligné par la Cour).
47.Il résulte de ces dispositions que la mise en œuvre d'une OPR obligatoire, imposée par une décision de l'AMF, est subordonnée à la réunion de trois conditions essentielles, à caractère cumulatif, à savoir :
' l'existence d'un actionnaire de contrôle, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce ;
' une proposition ou une décision de principe de l'actionnaire de contrôle consistant à modifier de manière significative l'environnement juridique ou financier de la société contrôlée (modification substantielle des statuts, opération de restructuration etc.) ;
' une atteinte substantielle de l'opération projetée aux droits ou intérêts des actionnaires.
48.L'obligation faite à l'actionnaire de contrôle de mettre en œuvre une OPR vise à protéger les actionnaires minoritaires, en leur proposant de racheter leurs titres et en leur ouvrant ainsi une « porte de sortie ». Cette mesure de protection répond à la situation particulière où ceux-ci se trouvent confrontés à une modification significative de l'environnement social, qui les place dans une situation profondément différente de celle existante au moment où ils ont investi dans la société et en sont ainsi devenus actionnaires, ce qui est susceptible de remettre en cause leur choix initial d'investissement.
49.En l'espèce, par sa décision n° 224C2288, du 13 novembre 2024, publiée le même jour, l'AMF a, notamment, écarté l'existence d'un contrôle de [I] sur Vivendi (au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce) et en a tiré la conséquence que l'article 236-6 du RGAMF, précité, n'était pas applicable au projet de scission de Vivendi.
50.Le recours porte uniquement sur cette partie de la décision, figurant en son deuxième paragraphe.
51.Plus précisément, contrairement à ce que suggèrent [I] et Vivendi, ce recours ne porte pas seulement sur le « constat » de l'absence de contrôle de [I] sur Af, mais aussi et surtout sur la conséquence qui en est tirée, à savoir l'inapplicabilité de l'article 236-6 du RGAMF au projet de scission de Vivendi. En effet, la déclaration de recours indique que cette décision est attaquée « en ce qu'elle a considéré que l'article 236-6 de son règlement général ' mise en œuvre éventuelle d'une (') [OPR] ' n'était pas applicable dans le cadre du projet de scission de Vivendi » et l'exposé des moyens précise, dans son dispositif, qu'il est demandé à la Cour d'annuler cette décision « en ce qu'elle a considéré que [I] (') ne contrôlait pas Vivendi (') au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce et donc que l'article 236-6 du (') [RGAMF] n'était pas applicable dans le cadre du projet de scission de Vivendi ».
52.En revanche, le présent recours ne porte pas sur la partie de la décision concernant l'octroi à [A] d'une dérogation à l'obligation de déposer une OPA sur les titres [D] (paragraphes 3 et suivants de la décision).
53.Or, force est de constater que cette décision de l'AMF comporte deux titres distincts, à savoir :
' d'une part, l' « [e]xamen de la mise en œuvre éventuelle d'une (') [OPR] (article 236-6 du règlement général) » (souligné par la Cour) et ;
' d'autre part, la « [d]érogation à l'obligation de déposer un projet d'offre publique visant les titres de la société (articles 234-8, 234-9, 1°, et 234-10 du RGAMF) ».
54.Ce double titrage reflète les travaux préparatoires de la décision attaquée, en particulier la consultation écrite du 8 novembre 2024, invitant à « se prononcer (') sur l'opportunité d'indiquer, dans la décision relative à la dérogation, la décision du Collège de constater l'absence de contrôle de fait du groupe [I] sur Af (') » (souligné par la Cour).
55.L'objet du présent recours, tel que défini dans la déclaration de recours et précisé dans l'exposé des moyens, correspond donc exactement à l'objet de la partie de la décision que le Collège a ainsi choisi d'insérer et qui est mise en évidence par le premier titre précité.
56.Le titrage de cette décision, comme la consultation écrite du 8 novembre 2024, sont de nature à conférer à son deuxième paragraphe (faisant l'objet du présent recours) un caractère décisionnel.
57.C'est ce qui ressort également de l'examen de la teneur de cette partie de la décision, aux termes de laquelle, comme cela a déjà été indiqué, « l'Autorité a constaté que les conditions de contrôle de l'article L. 233-3 du code de commerce ne sont pas remplies et que la société [I] SE ne peut pas être considérée comme contrôlant la société Vivendi au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, de sorte que l'article 236-6 du règlement général n'est pas applicable dans le cadre du projet de scission de la société Vivendi SE ».
58.En écartant ainsi l'application de l'article 236-6 du RGAM, précité, au projet de scission de Vivendi, dès lors que [I] ne pouvait être considérée comme contrôlant Vivendi (au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce), cette partie de la décision attaquée ne s'est pas bornée à donner une simple information au marché.
59.En effet, de manière plus déterminante, l'AMF a exclu ab initio toute mise en œuvre d'une OPR obligatoire, sans se livrer à la moindre appréciation des conséquences de l'opération de scission projetée au regard des droits et intérêts des actionnaires minoritaires, afin de décider s'il y avait lieu ou pas de mettre en œuvre une OPR.
60.En écartant ainsi toute mise en œuvre d'une OPR obligatoire, laquelle, comme cela vient d'être indiqué, vise à protéger les actionnaires minoritaires, l'AMF a pris une décision faisant directement grief à CIAM, en tant qu'actionnaire minoritaire, comme l'aurait été une décision estimant n'y a voir lieu à mise en œuvre d'une OPR.
61.Il en va d'autant plus ainsi que, dans sa lettre du 28 octobre 2024, déjà évoquée, CIAM avait demandé à l'AMF d'intervenir rapidement afin que cette dernière apprécie, en application de l'article 236-6 du RGAMF, s'il y avait lieu de mettre en œuvre une OPR. En refusant de se livrer à cette appréciation, en considérant que l'article précité n'était pas applicable au projet de scission de Vivendi, faute de contrôle de [I] sur Af, la partie de la décision attaquée fait inévitablement grief à CIAM.
62.Il est indifférent que, dans cette lettre, CIAM ne demandait pas expressément à l'AMF de se prononcer sur la question préalable de l'existence d'un contrôle de [I] sur Vivendi, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, ledit fonds partant du postulat que le groupe [I] contrôlait Af.
63.Il est également indifférent que l'AMF n'ait été saisie, ni par Vivendi, ni par [I], d'une demande de constat de non-application de l'article L. 233-3 du code de commerce ou de non-lieu à OPR en vertu de l'article 236-6 du RGAMF. En effet, les services de l'AMF se sont interrogés, dès le 18 juin 2024, lors d'une réunion de présentation par Vivendi de son projet de scission, sur la question d'un éventuel contrôle de [I] sur Af et sur celle subséquente de l'applicabilité de l'article 236-6 du RGAMF à ce projet de scission, et ont ensuite examiné précisément ces questions lors de plusieurs échanges écrits avec Vivendi, comme en témoignent les notes adressées par celle-ci auxdits services (versées au dossier), notamment celle du 29 octobre 2024 venant en réponse à la lettre de CIAM précitée. Dans le prolongement de ces échanges, le collège de l'AMF a fait le choix de prendre position sur ces questions et d'exprimer cette prise de position dans la partie de la décision attaquée.
64.À cet égard, contrairement à ce qui est soutenu, la portée de cette prise de position ne saurait être assimilée à celle d'un rescrit boursier, dont la procédure est définie aux articles R. 121-1 et suivants du RGAMF.
65.Il résulte de ces articles que :
' l'AMF rend un « avis » sous forme de rescrit, à la demande d'une partie à une opération déterminée, avant la réalisation de celle-ci, sur une question relative à l'interprétation du RGAMF, cette demande devant préciser les dispositions dudit règlement dont l'interprétation est sollicitée et décrire les éléments de l'opération envisagée sur lesquels porte la demande ;
' cet « avis » précise si, au regard des éléments communiqués par le demandeur, l'opération envisagée n'est pas contraire à ce règlement ;
' le rescrit, accompagné de la demande, fait l'objet d'une publication intégrale (sur le site internet et la revue mensuelle de l'AMF) ;
' le rescrit ne vaut que pour le demandeur, de sorte que la réalisation de l'opération ne donnera pas lieu de la part de l'AMF (sur les éléments décrits dans le rescrit), lorsque le demandeur s'y conforme de bonne foi, à sanction ou à saisine de l'autorité disciplinaire ou judiciaire.
66.Or, en l'espèce, comme cela vient d'être indiqué, ni [I], ni Vivendi, n'ont saisi l'AMF d'une quelconque demande relative à l'article 236-6 du RGAMF, a fortiori d'une demande d'avis sur son interprétation, dans le cadre de ladite procédure de rescrit boursier.
67.En outre, force est de constater que la partie de la décision attaquée n'a procédé à aucune interprétation de l'article 236-6 du RGAMF, dont aurait été déduite la non-contrariété à cet article de l'opération de scission envisagée. Elle a simplement rappelé, en se fondant uniquement sur son libellé ' sans l'interpréter ' que cet article renvoie à la notion de contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, puis a retenu que [I] ne pouvait pas être considérée comme contrôlant Vivendi au sens dudit article du code de commerce, ce dont elle a déduit que l'article 236-6 du RGAMF n'était pas applicable au projet de scission de Vivendi. Loin d'interpréter cet article du RGAMF, l'AMF a donc seulement écarté son application en l'espèce, en l'absence de caractérisation de la condition de contrôle requise pour son application.
68.L'AMF ne s'est pas davantage prononcée sur la question de la contrariété du projet de scission de Vivendi au regard de l'article 236-6 du RGAMF. Contrairement à ce qui est allégué, elle n'a nullement indiqué que la réalisation de l'opération de scission envisagée, sans mise en œuvre préalable d'une OPR, ne serait pas contraire audit article. L'AMF n'a pris aucune position formelle sur ce point.
69.La partie de la décision attaquée ne présente donc pas les caractéristiques d'un rescrit boursier.
70.À titre surabondant, la Cour relève qu'en tout état de cause, si l'article 122-3 du RGAMF prévoit que « le rescrit ne vaut que pour le demandeur », de sorte qu'il n'est opposable à l'AMF que par son seul destinataire, ce qui interdit à l'AMF, comme le précise cet article, de sanctionner l'intéressé qui s'y conforme de bonne foi ou de saisir l'autorité disciplinaire ou judiciaire, en revanche, ces dispositions, en elles-mêmes, ne s'opposent pas à ce qu'un tiers forme un recours contre un rescrit lui faisant grief.
71.C'est donc en vain que [I] se prévaut de ces dispositions de l'article 122-3 du RGAMF pour soutenir que la partie de la décision attaquée, à l'instar d'un rescrit boursier, ne vaudrait que pour Vivendi et ne ferait pas grief aux tiers, tels que CIAM, de sorte que ce dernier serait sans intérêt et ainsi irrecevable à former le présent recours.
72.Il résulte de l'ensemble de ces développements que la partie de la décision attaquée, de portée individuelle, rentre dans les prévisions de l'article L. 621-30 du CMF, de sorte qu'elle est susceptible de recours. Le présent recours est donc recevable.
II. SUR LE MOYEN PRIS DU DÉFAUT DE MOTIVATION DE LA PARTIE DE LA DÉCISION ATTAQUÉE
73.Comme cela a déjà été indiqué, le deuxième paragraphe de la décision attaquée, dans son intégralité, est rédigé de la manière suivante :
« À titre préalable, l'Autorité a examiné si l'article 236-6 de son règlement général est susceptible de s'appliquer à la société [I] SE dans le cadre dudit projet de scission [de la société Vivendi SE]. Il est rappelé que l'article 236-6 du règlement général renvoie à la notion de contrôle de l'article L. 233-3 du code de commerce, et non aux autres définitions du contrôle telles que celles formulées à l'article L. 233-16 du code de commerce. Dans ce contexte, l'Autorité a constaté que les conditions du contrôle de l'article L. 233-3 du code de commerce ne sont pas remplies et que la société [I] SE ne peut pas être considérée comme contrôlant la société Vivendi SE au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, de sorte que l'article 236-6 du règlement général n'est pas applicable dans le cadre du projet de scission de la société Vivendi SE ».
74.CIAM soutient, en premier lieu, que les décisions individuelles de l'AMF qui ne sont pas des décisions de sanction doivent être motivées en application des
articles L. 211-2 et suivants du code des relations entre le public et l'administration🏛, son article L. 211-5 précisant que « la motivation exigée (') doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ». Elle rappelle, en outre, que, selon une jurisprudence constante (CA Paris, 13 juillet 1988, affaire Holophane), le collège de l'AMF est tenu de motiver ses décisions afin de permettre la compréhension de leur logique, leur sens et leur portée et qu'à cet égard, l'autorité boursière ne peut se contenter d'indiquer que les conditions légales d'une autorisation ne sont pas remplies, sans précisions circonstanciées, propres à justifier sa décision.
75.Elle estime, en deuxième lieu, qu'en l'espèce, l'AMF s'est contentée de rappeler le « contexte » légal applicable et d'indiquer que les conditions légales de l'article 236-6 du RGAMF n'étaient pas remplies, dès lors que celles du contrôle de l'article L. 233-3 du code de commerce ne l'étaient pas non plus, sans se livrer à une quelconque analyse ou s'appuyer sur des motifs circonstanciés qui auraient permis de comprendre sur quels éléments factuels elle a fondé sa décision. À cet égard, elle rappelle que, dans l'affaire Schneider-Legrand, la Cour, par un arrêt du 3 mai 2001, a annulé la décision de l'ex-Conseil des marchés financiers, pour défaut de motivation, faute d'avoir suffisamment justifié son choix de retenir des méthodes de valorisation différentes pour les actions ordinaires et les actions à dividende prioritaire. Elle relève que, contrairement à ce qui était le cas dans cette précédente affaire, en l'espèce, l'AMF ne livre même pas les motifs circonstanciés de sa décision : elle ne fournit aucune indication sur l'analyse factuelle l'ayant amené audit « constat », alors que l'analyse de l'existence d'un contrôle, et principalement d'un contrôle de fait, au sens du 3° et 4° dudit article L. 233-3, implique une recherche factuelle particulièrement approfondie.
76.CIAM en déduit, en troisième lieu, que l'AMF n'a apporté aucune justification à sa décision d'écarter l'existence d'un contrôle de [I] sur Af, alors qu'elle a procédé à une analyse ayant duré plus de quatre mois. Elle estime que cette absence de motivation traduit soit l'absence d'analyse factuelle approfondie par l'AMF de la situation de contrôle de Vivendi, et donc une violation de sa mission, soit sa volonté de ne pas détailler son analyse auprès des actionnaires minoritaires afin d'éviter ensuite une contestation contradictoire de celle-ci. Elle relève, en outre, que ce défaut de motivation empêche la Cour d'exercer pleinement son contrôle. Elle considère, au surplus, qu'en n'apportant aucune motivation, l'AMF s'accorde en pratique un pouvoir discrétionnaire qui apparaît inacceptable au regard de la portée de sa décision qui conduit à exclure la mise en œuvre d'une OPR, alors même qu'une telle offre a pour objet d'assurer la protection des actionnaires minoritaires.
77.En quatrième lieu, en réplique aux observations de [I] et l'AMF, elle fait valoir que le défaut de motivation de la décision ne saurait être corrigé par des échanges confidentiels intervenus antérieurement entre ses services et Vivendi, auxquels elle n'a pu avoir accès que de manière parcellaire, dans le cadre d'une autre instance judiciaire. À cet égard, elle rappelle que la motivation d'une décision doit figurer dans celle-ci. Elle relève, en outre, que les réponses de Af aux questions des services d'instruction de l'AMF ne constituent pas l'analyse du Collège, s'agissant d'une entité distincte et autonome.
78.Elle en tire la conséquence qu'il convient d'annuler la partie de la décision attaquée pour défaut de motivation.
79.En réponse, [I] fait valoir, en premier lieu, qu'à supposer que le « constat » de l'AMF constitue une décision individuelle susceptible de recours, cette décision n'entre, néanmoins, dans aucune des huit catégories de décisions énumérées par l'article L. 211-12 du code des relations entre le public et l'administration comme étant soumises à une exigence de motivation. Elle précise qu'il en va ainsi au regard de la catégorie n° 6, la décision attaquée ne refusant aucun avantage dont l'attribution constituerait un droit pour les personnes remplissant les conditions légales pour l'obtenir. En effet, la réglementation n'attribue pas aux actionnaires le droit de bénéficier d'une OPR dans la mesure où l'opportunité d'y recourir est laissée à l'appréciation de l'AMF lorsque certaines conditions sont remplies (notamment le contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce). Elle prétend qu'en tout état de cause, en l'espèce, les conditions légales posées pour l'OPR n'étaient pas satisfaites. Elle relève, en outre, que la décision attaquée n'entre pas davantage dans les prévisions de l'
article L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration🏛. Elle en déduit que cette décision n'avait pas à être spécialement motivée au regard de la législation applicable et qu'en conséquence, elle ne saurait encourir une annulation pour insuffisance de motivation.
80.Elle fait valoir, en second lieu, dans l'hypothèse où la Cour jugerait que la décision attaquée devait être motivée aux termes des dispositions légales précitées, que ni la capacité de CIAM d'apprécier s'il y a matière à recours, ni le travail de la Cour ne sont affectés par l'absence alléguée de motivation. S'agissant de CIAM, elle rappelle que celle-ci a eu un accès complet, à l'occasion de la procédure en référé d'heure à heure devant le tribunal de commerce de Paris ' avant le dépôt de l'exposé des moyens ' aux échanges intervenus à l'initiative de l'AMF concernant la question du contrôle exercé par le groupe [I] sur Af. Elle précise que la Cour a également accès à ces documents, ces derniers ayant été produits par la requérante.
81.Par sa note en délibéré, elle considère que l'acte attaqué ayant la même portée juridique qu'un rescrit boursier, le moyen tiré d'une motivation insuffisante de l'acte attaqué n'est pas fondé dès lors :
' d'une part, qu'il ne rentre dans aucune des catégories de décisions défavorables (article L. 211-2) ou dérogatoires (article L. 211-13) devant satisfaire à l'obligation de motivation fixée par l'
article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration🏛 ;
' d'autre part, qu'il échappe à l'exigence de motivation posée par la jurisprudence Holophane, les tiers n'étant pas recevables à contester la légalité, tant externe qu'interne, d'un acte dont l'opposabilité se limite à son destinataire, envers l'autorité qui l'a pris.
82.Elle en conclut que le recours en annulation pour défaut de motivation n'est pas fondé.
83.Vivendi développe une argumentation comparable. Elle soutient plus particulièrement, en premier lieu, que si les décisions individuelles de l'AMF, qu'elles soient défavorables ou non, sont soumises à une exigence de motivation créée de façon prétorienne (arrêt Holophane, précité), cette exigence est néanmoins conçue de manière souple, comme étant satisfaite dès lors que la décision permet de percevoir et de saisir le cheminement de la pensée de ses rédacteurs et d'appréhender le sens et la portée de sa conclusion. Elle fait état de plusieurs arrêts ayant accepté une motivation a minima (CA Paris, 7 juin 1989, affaire Trocadéro Bellevue, 20 novembre 1991, affaire Maison Antoine Baud, 24 juin 1991, Devanlay/Galeries Lafayette, 10 mars 1992, Anastasiades/Pinault). Elle relève que ce n'est que face à des situations qui ne la mettaient pas en mesure d'exercer son contrôle que la Cour a annulé les décisions qui lui étaient soumises (CA Paris, 25 avril 2000 et 3 mai 2001, affaire Schneider-Legrand).
84.Elle soutient, en second lieu, qu'en l'espèce, l'AMF a satisfait à l'exigence de motivation de sa décision. En effet, elle estime que la motivation du constat se suffit à elle-même pour comprendre les raisons pour lesquelles le projet de scission n'a pas à donner lieu à une OPR. Elle fait valoir en ce sens que l'AMF a indiqué, tout d'abord, l'objet de son examen, à savoir si le projet de scission de Vivendi était susceptible de donner lieu à l'application de l'article 236-6 du RGAMF et a expliqué, ensuite, les raisons pour lesquelles elle a estimé que ce ne devrait pas être le cas en l'occurrence, en constatant que la condition de mise en œuvre de cet article, tenant à l'existence d'un contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, n'était pas remplie s'agissant de [I]. Elle en déduit que l'AMF a ainsi exposé les fondements juridiques soutenant son raisonnement et le cheminement intellectuel aboutissant à la conclusion que l'article 236-6 du RGAMF ne s'applique pas au projet de scission.
85.Elle prétend, en outre, qu'il n'appartenait pas à l'AMF d'exposer les raisons pour lesquelles elle a constaté l'absence de contrôle de Vivendi par [I] (au sens de l'article L. 233-3 précité), s'agissant d'une condition préalable à la mise en œuvre de l'article 236-6 du RGAMF et, partant, de l'examen opéré par l'AMF. Elle considère que, comme dans l'affaire Ai Aj, précitée, lorsque l'AMF doit se prononcer sur l'application d'un texte qui suppose la réunion de conditions, fussent-elle préalables ou non, il lui appartient seulement de faire état des fondements juridiques qui sous-tendent sa décision, d'expliciter les conditions d'application desdits fondements et de constater la réunion ou l'absence de réunion de ces fondements afin de trancher la question de savoir s'il y a lieu d'en faire application ou non. Selon elle, il ressort de cette jurisprudence qu'il n'est pas requis de l'AMF qu'elle expose les motifs pour lesquels chacune de ces conditions est satisfaite ou non. Elle estime que les deux arrêts cités par CIAM ne remettent pas en cause cette jurisprudence : ces derniers montreraient, au contraire, qu'un degré de motivation supplémentaire ne peut être requis que lorsque la Cour n'est pas en mesure d'exercer son contrôle, lorsque, par exemple, l'autorité emploie une méthode inhabituelle ou entremêle deux procédures dans une même décision et se sert des éléments de la première pour statuer sur la seconde, sans que cela ne soit suffisamment clair. Or, elle considère qu'en l'espèce il n'est pas justifié d'exiger de l'AMF un ou plusieurs degrés de motivation supplémentaires, consistant à expliciter les motifs pour lesquels [I] ne contrôle pas Vivendi, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, voire d'expliciter, pour chacun des cas de contrôle institués par cet article, les raisons pour lesquelles leurs conditions d'application ne sont pas réunies.
86.Elle en conclut que la demande d'annulation de la décision, pour défaut de motivation, doit être écartée.
87.Dans ses observations, l'AMF rappelle, en premier lieu, qu'il est de jurisprudence constante qu'une décision motivée, au sens jurisprudentiel du terme, est une décision qui énonce les considérations de fait et de droit servant à son fondement, permettant à la fois aux personnes intéressées d'en comprendre la logique, le sens et la portée, et à la juridiction de recours d'exercer son contrôle. Elle précise qu'il est également de jurisprudence constante que l'AMF n'est pas tenue de procéder à un inventaire exhaustif de toutes les circonstances de l'espèce, mais seulement de réunir les éléments suffisants pour permettre de comprendre la logique, le sens et la portée de sa décision et, le cas échéant, son contrôle par la Cour.
88.Elle fait valoir, en deuxième lieu, qu'en l'espèce, elle ne s'est pas prononcée comme si elle était une juridiction chargée de trancher un différend sur l'existence ou l'absence d'une situation de contrôle. N'ayant pas été saisie dans ce dossier d'une demande de non-lieu au dépôt d'un projet d'OPR visant les actions de Vivendi, elle a simplement constaté (avant de statuer sur la demande de dérogation à l'obligation de déposer une offre publique visant les titres de [D], qui lui avait été soumise dans le cadre du projet de scission de Vivendi) que l'article 236-6 du RGAMF n'était pas susceptible de s'appliquer car l'une des conditions d'applicabilité de cet article faisait défaut.
89.À cet égard, elle considère, en troisième lieu, qu'elle ne s'est pas contentée d'indiquer que l'article précité n'était pas applicable, mais a expliqué pourquoi, en rappelant le contexte et la portée de sa décision, son fondement juridique et sa logique, permettant ainsi aux personnes concernées de comprendre les raisons pour lesquelles cette décision a été prise. Elle en veut pour preuve les écritures de la requérante, qui démontrent selon elle que cette dernière a parfaitement compris la logique, le sens et la portée de ladite décision. Elle estime que, sous couvert d'un prétendu défaut de motivation, CIAM critique en réalité le sens ou l'opportunité de la décision.
90.Elle précise, en quatrième lieu, qu'elle a pu constater l'absence de contrôle de [I] sur Af au vu des informations publiquement disponibles, diffusées en application des règles applicables aux sociétés cotées (notamment les communiqués publiés par Vivendi sur son projet de scission, le 13 décembre 2023, le 30 janvier 2024, les 22 et 29 juillet et les 15 et 29 octobre de la même année), complétées par les échanges intervenus entre ses services et Af, au cours desquels lui a été transmise la pièce 31-2 produite par la requérante.
91.Elle rappelle, en cinquième lieu, que la décision a pris le soin de rappeler que l'article 233-6 du RGAMF renvoie à la notion de contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, et non aux autres définitions du contrôle, telles que celles formulées à l'article L. 233-16 du même code. À cet égard, elle explique que [I] peut à la fois contrôler Vivendi au sens dudit article L. 233-16 et donc la consolider dans ses comptes par intégration globale, comme en faisait état le document de référence de Vivendi au titre de l'exercice 2017, et ne pas contrôler celle-ci au sens dudit article L. 233-3.
92.Elle observe, en sixième lieu, que, sauf dans les cas où un contentieux porte sur l'existence d'une relation de contrôle, il est classique que les juridictions constatent ou fassent état d'une situation de contrôle ou d'absence de contrôle, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, sans justifier de cette appréciation au regard des différents critères légaux de contrôle.
93.Le ministère public considère que la motivation de la partie de la décision attaquée est insuffisante, en l'absence d'éléments de fait et de précisions sur le type de contrôle analysé par le Collège, l'article L. 233-3 du code de commerce en prévoyant plusieurs, ce qui ne permet pas de comprendre la pertinence et le bien-fondé de l'analyse et du raisonnement de celui-ci. Il fait valoir que l'exigence de motivation dégagée par l'arrêt Holophane, précité, doit être approuvée dans la mesure où, dans le domaine des offres publiques, elle permet aux tiers de vérifier la régularité et le bien-fondé des décisions du régulateur qui affectent leurs droits. Il observe que la Cour est attentive à la suffisance de la motivation pour établir l'existence d'un contrôle au sens de la réglementation applicable, conformément aux dispositions de l'article L. 433-3, I, du CMF et 236-6 du RGAMF et cite, en ce sens, un arrêt (
CA Paris, 15 septembre 2011, RG n° 11/00690⚖️, ayant donné lieu à un pourvoi rejeté par
Cass. Com. 28 mai 2013, pourvoi n° 11-26423⚖️, Ag. n° 89).
Sur ce, la Cour :
94.Il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les décisions du collège de l'AMF en matière d'offres publiques doivent être motivées.
95.Pour satisfaire à cette obligation de motivation, il appartient au Collège d'énoncer les considérations de fait et de droit servant de fondement à sa décision, afin de permettre, d'une part, aux personnes intéressées d'en comprendre la logique, le sens et la portée et, d'autre part, à la juridiction de recours d'exercer son contrôle.
96.La partie de la décision attaquée n'échappe pas à ces exigences de motivation.
97.À cet égard, ladite décision apporte des précisions sur son fondement juridique, tout d'abord, en faisant référence à l'article 236-6 du RGAMF et à la notion de contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, auquel ledit article 236-6 renvoie, et, ensuite, en excluant, par voie de conséquence, d'autres définitions du contrôle, telles que celles formulées à l'article L. 233-16 du code de commerce.
98.En revanche, elle ne précise pas en quoi [I] ne peut pas être considérée comme contrôlant Vivendi au sens de l'article L. 233-3 précité. Cette affirmation n'est assortie d'aucune motivation, même sommaire, permettant de comprendre les raisons pour lesquelles l'AMF en a décidé ainsi.
99.Or, la question de la caractérisation d'un éventuel contrôle de [I] sur Vivendi était déterminante pour l'examen de la mise en œuvre éventuelle d'une OPR. Il appartenait donc au Collège de justifier sa décision sur ce point.
100.Il en va d'autant plus ainsi que l'article L. 233-3 du code de commerce prévoit plusieurs cas de contrôle, qui ont été examinés précisément lors des échanges entre les services de l'AMF et Af, comme en témoignent les notes du 5 juillet, du 27 septembre, du 11 et du 30 octobre 2024, lesquelles portent une attention particulière au troisième cas de contrôle (visé sous I, 3°), à savoir celui où une personne (physique ou morale) « détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ».
101.Les services de l'AMF ont ainsi demandé à Vivendi d'expliquer en quoi, comme elle le prétendait, sa situation ne relevait pas de ce troisième cas de contrôle, faute de représenter 50 % des voix en assemblée générale ordinaire (ci-après « AGO »), au regard, notamment :
' du libellé des dispositions précitées, en l'absence de mention d'un quelconque seuil des droits de vote exprimés, tel que celui de 50 % invoqué par Vivendi ;
' de l'ensemble des critères du contrôle de fait dégagés par la jurisprudence dans l'affaire Havas (
CA Paris, 20 février 1998, RG n° 97/24069⚖️) ;
' de la déclaration d'intention de M. [Ak] [I], du 7 mars 2017, publiée le lendemain, indiquant que l'obtention prochaine de droits de vote double pourrait le placer en position de déterminer les décisions en AG de Vivendi ;
' des « pouvoirs apportés au président » lors des dernières AG de Vivendi.
102.Vivendi a répondu à ces demandes d'explications et a, en outre, fourni une consultation d'un professeur d'université, du 27 octobre 2024, portant sur la caractérisation du contrôle d'une société cotée, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce.
103.À la lumière de ces échanges substantiels et du peu de jurisprudence sur le troisième cas de contrôle, que le Collège a examiné, comme en témoigne la consultation écrite du 8 novembre 2024, précitée, celui-ci aurait dû motiver davantage sa décision en précisant le sens des dispositions précitées, afin de savoir si la caractérisation de ce troisième cas de contrôle nécessite d'atteindre 50 % des droits de vote en AGO ou si elle repose sur d'autres critères. En fonction de cette considération de droit, le Collège aurait également dû s'appuyer sur des éléments de fait afin de justifier sa décision.
104.En l'absence de tels motifs, il n'est pas possible de connaître, à la seule lecture de la partie de la décision attaquée, ni les critères juridiques de caractérisation du troisième cas de contrôle, ni les éléments factuels, sur lesquels le Collège s'est fondé pour prendre sa décision.
105.Cette motivation insuffisante ne permet donc pas aux personnes intéressées de saisir pleinement la logique, le sens et la portée de la partie de la décision attaquée, ni à la juridiction de recours d'exercer son contrôle, tant sur le bien-fondé de la lecture ou de l'interprétation des dispositions de l'article L. 233-3 du code de commerce (en particulier celles figurant sous I, 3°), que sur la pertinence des circonstances prises en compte par le Collège pour prendre sa décision.
106.À cet égard, il importe de rappeler que des éléments extérieurs à une décision ne sauraient pallier l'insuffisance de sa motivation, la motivation de celle-ci devant se suffire à elle-même.
107.Il est donc indifférent que CIAM ait eu accès, avant le dépôt de son exposé des moyens, aux échanges écrits entre Af et les services de l'AMF, lesquels, au surplus, ne sauraient engager le Collège. Il est également indifférent que ces éléments aient été produits par CIAM devant la Cour.
108.Il résulte de l'ensemble de ces développements que le moyen pris du défaut de motivation de la partie de la décision attaquée est fondé.
109.Dès lors, il convient d'annuler cette partie de la décision attaquée.
III. SUR LES CONSÉQUENCES À TIRER DE L'ANNULATION PARTIELLE DE LA DÉCISION ATTAQUÉE ET L'EFFET DÉVOLUTIF DU RECOURS
110.CIAM soutient que [I] contrôle Vivendi au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce. Cette question, qui fait l'objet d'un moyen d'annulation, formulé à titre subsidiaire (en cas de rejet du moyen d'annulation principal, pris d'une motivation insuffisante de la décision sur ce point), fait également l'objet d'un chef de demande spécifique, consistant à « juger que M. [Ah] contrôle Vivendi au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce ». À l'appui de cette demande, CIAM soutient que la Cour devra nécessairement retenir l'existence d'un contrôle de fait pour annuler la partie de la décision qui l'écarte. Elle se prévaut en ce sens d'un arrêt de la Cour dans l'affaire Hyparlo (
CA Paris, 13 septembre 2005, RG n° 2005/04058⚖️).
111.[I] et Af contestent cette demande en ce qu'elle invite la Cour à substituer sa propre décision à celle de l'AMF. Elles soutiennent que cette demande se heurte à l'office du juge du recours contre les décisions de l'AMF en matière d'offres publiques, celui-ci ne disposant pas d'un pouvoir de réformation, mais seulement d'annulation de la décision attaquée, et font valoir en ce sens un arrêt de la Cour de cassation (Ca5s. Com. 5 juillet 2017, affaire dite Euro Disney, pourvoi n°
15-25.121⚖️, Ag. n° 98). Elles relèvent au demeurant qu'en l'espèce, la Cour n'est saisie que d'un recours en annulation, comme le précise la déclaration de recours. Elles en déduisent qu'en cas d'annulation de la présente décision, la Cour ne pourra que rejeter la demande de CIAM de « juger que Ah. [I] contrôle Vivendi au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce ». Elles considèrent que le seul effet de l'annulation serait de renvoyer à l'AMF (à condition d'en être valablement saisie) le soin de se prononcer à nouveau sur la question du contrôle sur Vivendi, pour déterminer s'il y a lieu ou non de faire application de l'article 236-6 du RGAMF à l'opération de scission de Vivendi.
112.Aucun des participants à la procédure n'ayant ainsi pris position sur la question des conséquences à tirer d'une éventuelle annulation de la décision, pour défaut de motivation, au regard du principe de l'effet dévolutif du recours, la Cour, après avoir évoqué la question lors de l'audience sur incident du 16 janvier 2025, a invité ceux-ci à en débattre lors de l'audience au fond du 6 mars suivant, cette question ayant également été examinée par le ministère public dans son avis écrit, communiqué le 3 mars.
113.Sur ce point, CIAM considère qu'en cas d'annulation de la partie de la décision attaquée, sur le premier moyen, pour défaut de motivation, l'effet dévolutif du recours n'a pas vocation à jouer, afin d'éviter de porter atteinte au double degré de juridiction et de statuer « ultra petita », c'est-à-dire au-delà de la demande d'annulation. Elle en tire la conséquence qu'il reviendra à la Cour, le cas échéant, de renvoyer l'affaire à l'AMF sur la question de l'existence d'un contrôle de fait de [I] sur Af.
114.[I] admet, en revanche, que la Cour dispose d'un pouvoir d'évocation sur la question d'un prétendu contrôle sur Vivendi.
115.Le ministère public considère que les règles du code de procédure civile relatives à l'effet dévolutif de l'appel et au pouvoir d'évocation, figurant aux articles 561 et suivants, sont applicables aux recours contre les décisions de l'AMF, en application de l'article R. 621-45 du CMF. Il en déduit qu'en cas d'annulation de la partie de la décision attaquée, la Cour devra statuer sur le fond de l'affaire et substituer une nouvelle décision, en fait et en droit, à celle qui lui était soumise. Il fait valoir que la Cour de cassation s'est déjà prononcée en ce sens pour les recours de plein contentieux contre les décisions de la Commission des sanctions de l'AMF (Cass. Com. 23 juin 2004, pourvois n° 02-17.936 et 02-17.962 ;
Com. 24 octobre 2018, pourvoi n° 16-15.008⚖️). Il précise que la jurisprudence s'inscrit également en ce sens s'agissant des recours contre des décisions du Collège en matière d'offres publiques : la Cour a imposé l'obligation de déposer un projet d'OPA après avoir annulé une décision ayant accordé une dérogation à cette obligation (arrêt précité dans l'affaire Al) et, dans le silence des textes, a qualifié de plein contentieux un recours contre une décision de conformité d'une OPA (
CA Paris, 8 septembre 2015, RG n° 2015/07257⚖️, affaire Euro Disney), ce qui a été approuvé par la Cour de cassation (Com. 5 juillet 2017, arrêt précité). Il considère qu'en l'espèce, en cas d'annulation partielle de la décision, pour défaut de motivation, la Cour devrait pouvoir, en vertu de l'effet dévolutif du recours, se prononcer sur la condition tenant au contrôle de [I] sur Af, pour déterminer si les conséquences de l'opération de scission de Vivendi doivent être soumises à l'appréciation de l'AMF dans le cadre d'une éventuelle OPR, ou décider de renvoyer l'affaire à l'AMF, si elle estimait ne pas disposer d'éléments suffisants pour se prononcer sur cette condition. À titre subsidiaire, il indique que, si la Cour estimait ne pas disposer d'éléments suffisants pour se prononcer, elle pourrait renvoyer l'affaire à l'AMF aux fins de décider si les conséquences de l'opération de scission doivent donner lieu à la mise en œuvre d'une OPR.
Sur ce, la Cour :
116.L'article R. 621-45, II, du CMF énonce :
« Par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, les recours sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions de l'article R. 621-46 du présent code » (souligné par la Cour).
117.Or, l'
article 561 du code de procédure civile🏛, qui ne fait pas partie des dispositions auxquelles l'article R. 621-45, II, précité, fait expressément référence comme étant celles auxquelles il est dérogé, confère à l'appel un effet dévolutif, selon les termes suivants :
« L'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel.
Il est statué à nouveau en fait et en droit dans les conditions et limites déterminées aux livres premier et deuxième du présent code » (souligné par la Cour).
118.Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'ayant annulé la partie de la décision attaquée, la Cour est tenue de statuer, en fait et en droit, sur l'existence d'un prétendu contrôle de [I] sur Vivendi, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, et, partant, sur l'applicabilité ratione personae de l'article 233-6 du RGAMF à l'opération de scission de Vivendi. La Cour dispose de suffisamment d'éléments, en l'état du dossier, pour remplir son office.
119.L'effet dévolutif du recours étant prévu par la loi, l'argument selon lequel la Cour statuerait ainsi ultra petita est inopérant.
120.Il en va de même de l'argument tiré du principe du double degré de juridiction, ce principe n'ayant pas, en lui-même, de valeur constitutionnelle (C. C. n° 2004-491 DC du 12 février 2004 ; n° 2012-243/244/245/246 QPC du 14 mai 2012 ; n° 2013-338/339 QPC du 13 septembre 2013) et n'étant pas garanti, en matière civile, par l'
article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales🏛 (C17H 17 janvier 1970, affaire n° 2689/65, X...c/ Belgique, série A n° 11 ;
Cass. Com., 2 février 2010, pourvoi n°09-13.741⚖️, Ag. n° 30, et Cass. Civ. 1ère, 3 novembre 2016, pourvoi n° 15-21.189, Ag. n° 204).
IV. SUR LA CARACTÉRISATION D'UN CONTRÔLE DE M. [X] [I] SUR VIVENDI (AU SENS DE L'ARTICLE L. 233-3 DU CODE DE COMMERCE)
121.Aux termes de l'article L. 233-3 du code de commerce :
« I.- Toute personne, physique ou morale, est considérée, pour l'application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre :
1° Lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;
2° Lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ;
3° Lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ;
4° Lorsqu'elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société.
II. Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu'elle dispose directement ou indirectement, d'une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne.
III. Pour l'application des mêmes sections du présent chapitre, deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale ».
122.Comme cela a déjà été indiqué, au deuxième paragraphe de la décision attaquée, le Collège a écarté l'existence d'un contrôle de [I] sur Vivendi, au sens de cet article, selon les termes suivants :
« (') L'article 236-6 du règlement général renvoie à la notion de contrôle de l'article L. 233-3 du code de commerce, et non aux autres définitions du contrôle telles que celles formulées à l'article L. 233-16 du code de commerce. Dans ce contexte, l'Autorité a constaté que les conditions du contrôle de l'article L. 233-3 du code de commerce ne sont pas remplies et que la société [I] SE ne peut pas être considérée comme contrôlant la société Vivendi SE au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce (') ».
123.CIAM conteste cette appréciation. Elle soutient l'existence d'un contrôle de fait de [I] sur Af, en se fondant sur une approche pragmatique de ce contrôle, reposant sur les deux alinéas suivants de l'article L. 233-3, I, du code de commerce :
' d'une part, l'alinéa 3, visant le cas où une personne « détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société » ;
' d'autre part, l'alinéa 4, visant le cas où une personne « est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société ».
124.En premier lieu, à l'appui de cette approche pragmatique du contrôle de fait, elle relève que la caractérisation du troisième cas de contrôle suppose une analyse factuelle approfondie de la situation lors des AG, afin de prendre en compte les droits de vote exprimés pour chaque résolution (et non la totalité des droits de vote théoriques). À cet égard, elle précise que la détention d'une proportion de droits de vote théoriques inférieure à la majorité peut suffire en pratique à déterminer les décisions en AG, et cite en ce sens un auteur : « le minoritaire en assemblée peut être en mesure de diriger une société parce qu'il n'y a aucun opposant qui souhaite une volonté contraire, et ce compte tenu notamment des abstentions des actionnaires, dès lors que le forte non-participation des actionnaires aux AG permet en pratique une majorité pour celui qui dispose d'un certain pourcentage de voix, soit de 30 à 40 % ». Elle se prévaut, dans le même sens, des travaux parlementaires de la loi n° 84-705 du 12 juillet 1985 relative aux participations détenues dans les sociétés par actions (Assemblée nationale, [M] [V], compte-rendu intégral de la séance du 18 avril 1985, page 248, et Sénat, [M] [V], compte-rendu intégral de la séance du 22 mai 1985, page 628).
125.Elle considère, en outre, que l'objectif de protection des actionnaires minoritaires, poursuivi par la mise en œuvre d'une OPR, ne doit pas être rendu illusoire par une interprétation trop restrictive de la notion de contrôle de fait. À cet égard, elle fait valoir que le but commun partagé par les différentes acceptions de la notion de contrôle, fournies par l'article L. 233-3 du code de commerce, réside dans l'influence dominante sur la gestion d'une société, et rapproche cette notion de celle retenue par la directive n° 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2004, sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé (la « première directive transparence »), qui définit l'entreprise contrôlée, notamment, comme celle « sur laquelle une personne physique ou morale a le pouvoir d'exercer ou exerce effectivement une influence dominante ou un contrôle ».
126.Elle en déduit que l'existence d'un contrôle de fait ne se limite pas à la situation où une personne détermine en fait les décisions lors des seules AG (situation visée au 3°), mais peut également résulter, selon la technique du faisceau d'indices, de nombreux facteurs autres que le seul pourcentage des droits de vote, tels que l'influence exercée sur la gestion de la société, par l'intermédiaire des organes de gestion et de surveillance, lesquels convoquent les AG et déterminent les projets de résolution qui y sont présentés, ce qui, en fonction de la topographie de l'actionnariat, est susceptible de déterminer les décisions qui y sont prises. Elle cite en ce sens de la jurisprudence judiciaire (arrêt Havas, précité, et CA Paris, 17 septembre 2013, Maurel & Prom, RG n° 97/24069) et administrative (6E, 6 décembre 2021, n° 439650).
127.En deuxième lieu, CIAM fait valoir que le contrôle de fait de [I] sur Vivendi a déjà été reconnu, par M. [X] [I] lui-même, la Commission européenne et le Haut Comité du Gouvernement d'Entreprise (HCGE). Elle se prévaut des éléments suivants :
' la déclaration d'intention de M. [Ak] [I] du 8 mars 2017 (« sans envisager d'acquérir le contrôle, l'évolution prévisible de ses droits de vote qui auront tous doublé d'ici au 20 avril 2017 (') pourrait placer le déclarant en position de déterminer les décisions en AG ») ;
' la reconnaissance par le groupe [I] de l'existence d'un contrôle exclusif sur Vivendi, au sens de la norme comptable IFRS 10 (présentée comme similaire à la notion de contrôle exclusif prévue à l'article L. 233-16 du code de commerce), compte tenu, notamment, de sa qualité d'unique actionnaire de référence et de sa détention de près de la majorité des voix dans les AG, dans un contexte actionnarial très dispersé, ce qui a conduit à une intégration globale de la participation de [I] dans Vivendi, au moyen de comptes consolidés, dès le 26 avril 2017, ce qui demeure le cas ;
' la décision de la Commission européenne du 24 avril 2017 (M. 8392), ayant retenu, dans le cadre du contrôle de l'opération de concentration découlant de l'augmentation des droits de vote de [I] dans Vivendi, que la détention par [I] de 26,43 % des droits de vote est suffisante pour pouvoir exercer une influence déterminante sur Vivendi, compte tenu d'un ensemble de circonstances ([I] est le plus important actionnaire de Vivendi et l'unique actionnaire industriel significatif du groupe, de sorte que ses positions sont susceptibles de revêtir une influence particulière dans les AG, même s'il n'aura pas la quasi-certitude d'obtenir la majorité du fait de la présence des autres actionnaires en AG ; M. [Ah] est le président du conseil de surveillance de Vivendi et, à ce titre, préside les AG, lesquelles nomment les membres du conseil de surveillance, qui à son tour nomme les membres du directoire, de sorte que l'intéressé est en mesure d'influencer tant le conseil que le directoire ; approbation en AG de la plupart des propositions soutenues par [I] nécessitant une majorité simple ; actionnariat très dispersé de Vivendi et rien ne permet de penser qu'un intérêt commun rassemble une minorité de blocage contre [I]) ;
' deux communiqués de la Commission européenne du 30 novembre 2022 et du 9 juin 2023, lors de l'acquisition de [D] par Vivendi, indiquant que Af est contrôlée par le groupe [I] ;
' le rapport annuel de 2020 du HGGE, relevant la situation d'un « actionnaire de contrôle » cumulant les fonctions de censeur au conseil de surveillance et de conseiller du président du directoire, visant ainsi la situation de M. [X] [I].
128.En troisième lieu, CIAM soutient que M. [Ak] [I] détermine en fait les décisions dans les AG de Vivendi, et relève ainsi du troisième cas de contrôle prévu à l'article L. 233-3, I, du code de commerce. Elle se fonde, notamment, sur les éléments suivants, à titre de faisceau d'indices :
' M. [X] [I] est le seul actionnaire important de Vivendi et l'unique actionnaire industriel (liste des principaux actionnaires de Vivendi au 15 octobre 2024, figurant dans le prospectus d'Havas du 30 octobre 2024 ; document d'enregistrement universel de [I] de 2023) ;
' le reste de l'actionnariat est très dispersé (flottant s'élevant à 63,85 % du capital de Vivendi) et rien ne permet de penser qu'un intérêt commun rassemble une minorité de blocage ;
' le nombre de voix exprimées par M. [X] [I] lors des six récentes AG (tenues entre avril 2020 et avril 2024), fait ressortir que celui-ci détient une minorité de blocage pour les résolutions extraordinaires (en moyenne 44,18 % des voix exprimées, soit plus que les 33 % correspondant à la majorité requise), que toutes les résolutions ordinaires en faveur desquels il a exprimé un vote favorable ont été adoptées, que leur quasi-totalité ne l'aurait pas été s'il s'y était opposé et que nombre d'entre elles ne l'auraient pas été s'il s'était abstenu ; ainsi, la seule fois où M. [I] s'est opposé à une résolution, celle-ci a été rejetée (AG du 17 avril 2015 ayant rejeté un projet de résolution présenté par des actionnaires minoritaires pour s'opposer à l'instauration de droits de vote doubles pour les actions inscrites au nominatif depuis plus de deux ans) ; de même, en 2021 et 2022, une proportion importante de l'actionnariat soutient les résolutions proposées par le directoire, malgré l'avis contraire des agences de conseil en vote qui sont pourtant largement suivies ;
' de nombreux actionnaires confient des pouvoirs en blanc au président de l'AG (M. [T] [I], ce dernier ayant succédé à son père) ou signent des formulaires de vote par correspondance « par défaut », respectivement comptabilisés ou mentionnés comme des votes favorables aux projets de résolutions présentés ou agréés par le directoire, dont la majorité des membres serait « inféodée » à M. [Ak] [I] ;
' les salariés de Vivendi représentent son deuxième actionnaire (3,80 % des droits de vote exerçables au travers de fonds communs de placement en entreprise) ; or, ces droits de vote sont exercés lors de chaque AG par une salariée de Vivendi, placée à ce titre sous la subordination de ses dirigeants, lesquels sont contrôlés par M. [X] [I], de sorte que ce dernier détermine ainsi les voix des FCPE des salariés de Vivendi ;
' M. [X] [I] pratique une gestion active de ses droits de vote doubles, en procédant à une inscription/désinscription de ses actions au nominatif, afin de rester sous le seuil de 30 % des droits de vote, dont le franchissement imposerait l'obligation de déposer un projet d'OPA, ce qui témoigne de sa capacité à déterminer les décisions en AG avec une proportion de près de 30 % des droits de vote, sans avoir à réclamer des droits de vote doubles qui lui permettraient de détenir une proportion bien supérieure ; en tout état de cause, en tant qu'actionnaire de référence, il dispose de la faculté unilatérale d'obtenir de nombreuses voix supplémentaires, en procédant à une inscription de ses actions au nominatif, ce qui lui permettrait d'obtenir la majorité des droits de vote ;
' M. [X] [I] bénéficie d'une indéniable notoriété, vu son exceptionnel parcours d'entrepreneur et les différentes opérations financières qu'il a menées avec succès, lui ayant permis de se hisser parmi les premières fortunes françaises, ce qui contribue à lui octroyer une autorité naturelle sur les autres actionnaires lors des AG, ainsi que sur les membres des organes de gestion et de surveillance.
129.En quatrième lieu, CIAM soutient que M. [Ak] [I] exerce une influence dominante sur la gouvernance de Vivendi, ce qui lui permet de déterminer en fait les décisions des AG.
130.Elle invoque, notamment, les éléments suivants :
' la majorité des membres du conseil de surveillance et du directoire de Vivendi sont sous l'influence de M. [X] [I], à savoir 8 membres du conseil de surveillance sur 13, dont ses 3 fils, et 4 membres du directoire sur 6 ; son influence sur le conseil de surveillance implique nécessairement celle sur le directoire car les membres du directoire sont nommés par le conseil de surveillance et peuvent être révoqués par lui à tout moment (article 12.1 des statuts de Vivendi) et les décisions importantes du directoire sont soumises à l'approbation préalable du conseil (article 13.4 desdits statuts) ; la composition du conseil de surveillance et du directoire de Vivendi, constitués majoritairement de membres sous l'influence directe de M. [Ah], démontre que ce dernier dispose en pratique du pouvoir de nommer la majorité des membres de ces organes, ce qui permet de le qualifier d'actionnaire de contrôle au sens de l'article L. 233-3, I, 4°, du code de commerce ;
' M. [X] [I] vote chaque année en faveur des seuls projets de résolutions agréés par le directoire (en votant par correspondance ou en donnant pouvoir au président de l'AG) et s'en remet donc, en toute sérénité, à la décision du directoire, ce qui constitue un indice supplémentaire du contrôle exercé par M. [X] [I] sur le directoire de Vivendi ;
' M. [X] [I] exerce son influence sur les filiales de Vivendi, en plaçant ses proches à la direction des principales filiales (son fils aîné est le PDG d'Havas et l'administrateur de [D] ; un autre fils est administrateur de Gameloft SE ; sa fille est administratrice de Havas) ;
' M. [X] [I] continue à exercer son influence sur la gouvernance de Vivendi après avoir légué à son fils aîné son mandat de président du conseil de surveillance, ayant été doté d'un double mandat, d'une part, de censeur du conseil de surveillance, exercé jusqu'en avril 2023, et, d'autre part, de président du directoire, ce qui a été critiqué comme caractérisant un « conflit d'intérêts structurel », tant par le Haut Comité du Gouvernement d'Entreprise que par l'AMF ;
' le renforcement de l'auto-contrôle de Vivendi (après l'annonce du projet de scission) et le transfert des titres de Havas à [I] (avant son introduction en bourse à [Localité 21]) traduisent l'importance de son influence sur la gouvernance de Vivendi, ces opérations ayant été réalisées dans son seul intérêt, la première lui permettant de bénéficier d'une importante relution dans les nouvelles entités, la seconde de justifier d'une détention de plus de 30 % du capital et des droits de vote de Havas, préalablement à son introduction en bourse à [Localité 21] et à éviter ainsi l'obligation de mettre en œuvre une offre publique obligatoire.
131.En réplique, CIAM relève que la directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisition (la directive dite « OPA »), invoquée par [I], ne définit pas la notion de contrôle et, en outre, vise seulement l'OPA, et non l'OPR, qui reste un dispositif purement national. Elle fait valoir qu'en revanche, la première directive transparence, précitée, fournit une définition de la notion de contrôle, faisant expressément référence à l'exercice d'une « influence dominante », de sorte que le juge national est tenu d'interpréter le texte national de transposition (l'article L. 233-3 du code de commerce) de manière conforme à celle-ci. Elle observe, en outre, en écho à une question des services de l'AMF, qu'à l'inverse des deux premiers cas de contrôle énoncés à l'article L. 233-3, qui définissent le contrôle de droit au travers du seuil de 50 % des voix, le troisième cas de contrôle ne vise aucun seuil et fait au contraire référence à une situation factuelle.
132.[I] conteste cette analyse, en droit et en fait.
133.En droit, elle rappelle, en premier lieu, que, tant l'article L. 433-4, II, 3°, du CMF, que l'article 236-6 du RGAMF, se réfèrent exclusivement à la définition du contrôle de l'article L. 233-3 du code de commerce, de sorte que d'autres définitions du contrôle, propres à d'autres branches du droit et reposant sur d'autres critères, sont inopérantes. Il en va ainsi du contrôle en droit comptable : la norme IFRS 10 adopte une approche économique plus étendue et plus subjective (le siège du contrôle n'est pas limité aux organes sociaux, mais peut découler de « liens » ou d'une « capacité d'exercer son pouvoir » ; son effet ne doit pas être observé sur les seules décisions de ses organes sociaux, mais plus généralement sur les rendements de l'investissement réalisé par l'entité contrôlante et cet effet peut être simplement potentiel et non réel). Ainsi, une société peut satisfaire les critères du contrôle lui imposant de consolider dans ses comptes ceux d'une autre entreprise, sans pour autant la contrôler au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce. De même, en droit des concentrations, le contrôle repose sur une approche économique, plus souple et subjective, et une analyse prospective (« la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité d'une entreprise ») et non sur le constat des votes en AG.
134.En deuxième lieu, [I] soutient une interprétation restrictive de la notion de contrôle en droit boursier, en matière d'offres publiques obligatoires. À l'appui de cette interprétation restrictive, elle rappelle que l'OPR est un dispositif juridiquement contraignant qui permet à l'AMF d'imposer à un actionnaire de déposer une offre publique sur la société que cet actionnaire contrôle. Elle considère que c'est en raison de cet effet contraignant que le législateur européen, plutôt que de permettre aux Etats membres de se référer à la notion subjective et fluctuante de contrôlante, leur a imposé d'en retenir une approche objective, au point d'être chiffrée, tout en leur laissant le soin de fixer « le pourcentage de droits de vote conférant le contrôle » (article 5 § 3 de la directive OPA, précitée). Elle fait valoir que cette notion de « seuil de contrôle », qui prévaut en droit des offres publiques, garantit la sécurité juridique du dispositif de l'offre publique obligatoire, ainsi que sa prévisibilité pour les opérateurs des marchés financiers, face à des obligations dont l'ampleur économique peut être considérable. Elle estime que ces considérations valent tout autant pour l'OPA obligatoire, qui déclenche le franchissement de seuil de 30 %, que pour l'OPR susceptible d'incomber à l'actionnaire de contrôle. À cet égard, elle se prévaut de la jurisprudence selon laquelle, les procédures d'offres obligatoires visant à imposer aux personnes qui y sont tenues l'acquisition, par achat ou échange, d'une quantité déterminée d'actions d'une société à un prix et selon des modalités fixées sous le contrôle des autorités de marché, de telles dispositions dérogatoires à la liberté contractuelle garantie par le code civil (article 1108 devenu 1102) ne peuvent résulter que de prescriptions légales expresses et impératives (CA Pa25s, 25 juin 1998, société fermière du casino municipal de [Localité 23], RG n° 98/01945; CA Paris, 20 novembre 1991, société Quadral e.a., RG n° 91/19441).
135.En fait, [I] soutient ne se trouver dans aucune des situations visées par l'article L. 233-3 du code de commerce, dès lors que le groupe [I] (incluant la Compagnie de Cornouille, [I] SE, MMM. [X], [Y] et [Z] [I]) :
' détient moins de 50 % des droits de vote de Vivendi (il en détenait seulement 29, 83 % le 15 octobre 2024 et sa participation depuis 2011 a toujours été inférieure à 30 %), de sorte qu'il ne relève pas du premier cas de contrôle ;
' n'est partie à aucun accord qui lui conférerait au moins 50 % des droits de vote de Vivendi, ce qui exclut le deuxième cas de contrôle ;
' ne détermine pas les décisions dans les AG de Vivendi, dès lors que, lors des onze AG ayant eu lieu entre 2016 et 2024, il n'a jamais atteint la majorité requise, ayant représenté en moyenne seulement 41, 90 % des droits de vote, ce qui suffit à écarter le troisième cas de contrôle ;
' ne détient pas le pouvoir de nommer ou révoquer la majorité des membres du conseil de surveillance ou du directoire de Vivendi, ce quatrième cas de contrôle visant uniquement à appréhender les situations dans lesquelles ce pouvoir réside ailleurs qu'en AG (par exemple, dans un pacte d'actionnaires, dans les statuts de la société qui aménageraient la règle selon laquelle dans les SA ou les SE c'est l'AG qui nomme ou révoque, ou par le biais de droits particuliers conférés à des actions de préférence ou attaché au statut d'associé commandité), ce qui ne serait pas le cas en l'espèce, Af n'ayant émis aucune action de préférence et le groupe [I] ne disposant d'aucun droit particulier qui lui permettrait de désigner ou de révoquer la majorité des membres du conseil de surveillance ou du directoire de Vivendi ;
' détient moins de 40 % des droits de vote de Vivendi, ce qui suffit, à défaut de précision contraire, à écarter la présomption de contrôle visée au II dudit article, en retenant le même mode de calcul que celui du premier alinéa du I (participation au regard du nombre total de droits de vote dans la société), sans qu'il soit besoin de tenir compte des « quorums » observés en AG (visés uniquement à l'alinéa 3 du I) ;
' n'est pas en situation de contrôle conjoint sur Vivendi, n'étant partie à aucune action de concert et ne déterminant pas en fait les décisions en AG, ce qui exclut le cas de contrôle visé au III dudit article.
136.S'agissant plus précisément du troisième cas de contrôle (visé à l'alinéa 3 du I), elle écarte tout recours à la méthode du faisceau d'indices et soutient qu'un actionnaire ne détermine en fait les décisions en AG que lorsque le nombre des droits de vote dont il dispose représente la majorité requise suivant la nature des décisions en question (soit 50 %, soit deux tiers). Elle considère que les seuls droits de vote dont un actionnaire « dispose » en AG sont ceux qu'il peut lui-même exercer pour en être le détenteur, soit à titre de propriétaire, nu-propriétaire ou usufruiter, soit en vertu d'une convention de vote. Elle explique que les droits de vote dont une personne « dispose » n'englobent pas ceux des actionnaires qui, étant libres de leurs choix, s'avéreraient avoir voté à plusieurs reprises dans un sens identique à celui de cette personne. Ainsi, le constat empirique d'une convergence dans les votes exprimés par des actionnaires libres les uns envers les autres ne saurait justifier que l'un d'eux soit considéré comme « disposant » des droits de vote des autres : il serait hasardeux de déterminer qui, au sein de cette population, disposerait de l'ensemble de ces droits de vote du fait qu'il serait la source imprégnant toutes les autres ; en outre, la simultanéité et l'anonymat des opérations de vote en AG réfutent la possibilité même d'une source commune d'inspiration, dès lors qu'au moment de leur choix, les prétendus inspirés peuvent parfois soupçonner, mais en réalité ignorent, le sens du vote de leur supposé inspirateur.
137.Elle indique que dans l'arrêt Havas, précité, cette juridiction s'est essentiellement fondée, pour écarter l'existence d'un contrôle de la Compagnie générale des eaux sur Havas, sur le nombre de droits de vote exercés en AG par ladite Compagnie (46,4 %), dont elle a déduit que celle-ci n'avait, à elle seule, disposé, ni de la majorité simple en AGO, ni de la majorité qualifiée en assemblée générale extraordinaire (ci-après « AGE »), et que cette approche, fidèle à la lettre du texte, a été confirmée ultérieurement (
CA Paris, 3 avril 2001, [Localité 25], RG n° 2000/20237⚖️). Elle estime qu'étant isolé et rendu en matière fiscale, l'arrêt Maurel § Prom, de 2013, invoqué par CIAM, ne saurait être regardé comme un revirement de jurisprudence. Elle estime également que l'arrêt du Conseil d'État, dont la requérante se prévaut, est inopérant, dès lors qu'il porte sur la caractérisation du contrôle conjoint et non du contrôle de fait en AG.
138.En outre, elle fait valoir que la pratique du régulateur boursier repose sur le seul critère des voix exprimées en AG et cite en ce sens, notamment, une décision de l'AMF du 13 novembre 2015 (Maurel § Prom, n° 215C1692) selon laquelle, compte tenu des droits de vote détenus et des quorums constatés lors des AG depuis 2012, qui ont permis à l'actionnaire considéré d'obtenir la majorité des droits de vote aux AGO depuis 2012, celui-ci est susceptible d'entrer dans les prévisions de l'article L. 233-3, I , 3°, du code de commerce.
139.Enfin, elle se prévaut d'une consultation d'un professeur d'université, du 6 février 2025, ainsi que d'éléments doctrinaux, soulignant que le troisième cas de contrôle repose uniquement sur le pouvoir exercé en AG, à l'exclusion de l'influence pouvant s'exercer en dehors de cette enceinte, et que ce contrôle est généralement lié à la dispersion des titres.
140.Vivendi développe un argumentaire comparable. Elle fait plus particulièrement valoir les éléments suivants.
141.En droit, elle rappelle, en premier lieu, qu'outre le contrôle de droit, se fondant sur la détention de la majorité des droits de vote, seul ou en vertu d'une convention de vote (visé aux 1° et 2° du I de l'article L. 233-3 du code de commerce), le législateur a prévu d'autres cas (visés au 3° et 4°) dans lesquelles des sociétés peuvent être considérées comme ayant le contrôle, en fait, d'une autre, à travers le pouvoir décisionnel dans les AG (3°) ou le pouvoir de nomination ou de révocation de la majorité des membres des autres organes sociaux (4°).
142.Elle considère, en deuxième lieu, qu'en prévoyant le troisième cas de contrôle, il n'a jamais été question pour le législateur de sacrifier la sécurité juridique sur l'autel du pragmatisme : l'objectif n'était pas d'appréhender toute situation dans laquelle une personne peut exercer une influence quelconque sur la gestion d'une société, selon la technique du faisceau d'indices, mais au contraire, de façon encadrée, c'est-à-dire seulement à l'occasion des AG et par l'exercice des droits de vote. Eu égard à cet objectif, elle soutient une application stricte des dispositions du 3°, tenant uniquement compte du critère de l'expression, par l'actionnaire considéré, du vote dans les AG de la société dont le contrôle est allégué.
143.En troisième lieu, s'agissant du quatrième cas de contrôle, elle se fonde sur les travaux préparatoires de la loi l'ayant introduit (
loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005🏛 pour la confiance et la modernisation de l'économie), ainsi que sur des éléments de doctrine, pour préciser que ce cas ne vise nullement les réseaux d'influence au sein des organes sociaux.
144.En fait, en l'espèce, elle soutient, en premier lieu, qu'aucun des éléments invoqués par CIAM, dans le cadre d'un faisceau d'indices, qu'ils soient pris ensemble ou séparément, n'est de nature à caractériser un contrôle de fait du groupe [I] (au sens du 3°).
145.Sur le caractère dispersé de l'actionnariat, elle considère que la critique est spéculative dans la mesure où rien ne permet de considérer que les autres actionnaires de Vivendi ne puissent pas s'opposer à l'agenda du groupe [I], à tout le moins s'agissant des décisions extraordinaires pour lesquelles une majorité qualifiée est requise, de sorte qu'il suffit que 33,34 % des votes exprimés rejettent la résolution soumise à l'approbation de l'AG pour que celle-ci soit rejetée. À cet égard, elle relève qu'une majorité qualifiée était requise pour approuver les résolutions soumises à l'approbation des actionnaires le 9 décembre 2024, pour les besoins de la réalisation du projet de scission, et comprend mal dans cette circonstance pourquoi les actionnaires, fussent-ils dispersés, ne se seraient pas coalisés contre ce projet s'ils l'avaient estimé contraire à leurs intérêts.
146.Sur le sens des votes, elle considère que ni l'absence de rejet des résolutions sur les trois dernières AG, ni le rejet de celle soumise en 2015 contre laquelle le groupe [I] s'est opposé, ne suffisent à démontrer un contrôle de fait de celui-ci en AG.
147.Sur les recommandations des agences de conseil en vote, elle estime qu'elles sont émises de façon totalement indépendante et constituent à ce titre de réels contre-pouvoirs, et en veut pour preuve les statistiques reproduites par CIAM dans ses écritures.
148.Sur les pouvoirs en blanc et les votes par correspondance, elle dément l'idée selon laquelle M. [T] [I], en tant que président de l'AG de Vivendi, en disposerait pour favoriser le groupe [I]. Elle relève, en outre, qu'à supposer même que ces voix supplémentaires soient acquises au groupe, ce dernier ne dépasserait pas le seuil de 50 % des droits de vote, susceptible de lui conférer une majorité, ne serait-ce que simple, aux AG.
149.Elle soutient, en deuxième lieu, que le groupe [I] ne saurait être considéré comme contrôlant de fait Vivendi (au sens du 4°). Elle indique que l'allégation selon laquelle plusieurs membres du conseil de surveillance et du directoire seraient « inféodés » au groupe [I] est dépourvue de pertinence pour la démonstration d'un tel contrôle. En outre, elle observe que CIAM ne rapporte pas la preuve que le groupe [I] disposerait de pouvoirs particuliers de nomination et/ou de révocation des membres des organes sociaux et, encore moins, de la majorité d'entre eux.
150.Elle relève, en troisième lieu, qu'aucun des autres critères de contrôle de l'article L. 233-3 du code de commerce n'est allégué, ni satisfait.
151.Dans ses observations, l'AMF relève, à titre liminaire, que, comme le reconnaît CIAM dans ses écritures, la notion de contrôle en droit, au sens des 1° et 2° du I de l'article L. 233-3 du code de commerce, doit être écartée en l'espèce, [I] détenant ' aux termes des informations publiques communiquées ' moins de 50 % des droits de vote de Vivendi et n'ayant conclu aucun accord avec d'autres associés ou actionnaires lui permettant de disposer seule de la majorité des droits de vote dans Vivendi.
152.Elle développe ensuite une analyse sur la notion de contrôle de fait dans les AG (au sens du 3°). Elle précise que cette analyse ne porte pas sur les conditions d'adoption des résolutions soumises au vote en AGE (car le groupe [I] y détenait, par les droits de vote dont il disposait, d'une minorité de blocage de 33,33 % des droits de vote), mais uniquement sur celles adoptées en AGO, au regard des quorum atteints et des pourcentages des votes « contre ».
153.Elle rappelle que le contrôle de fait (au sens du 3°) se caractérise notamment par un effet d'habitude, comme l'a retenu l'arrêt Havas, précité, le texte visant « les assemblées générales ».
154.Elle relève que, sur les dix dernières assemblées générales de Vivendi, le groupe [I] n'a pas une seule fois détenu la majorité des voix et que, sur les trois dernières AGO, il ne s'est jamais trouvé en situation de déterminer en fait les décisions prises dans la mesure où les résolutions qui auraient pu être rejetées du fait de son vote « contre » auraient concerné le « say on pay », et non celles relatives à l'approbation des comptes sociaux et consolidés, à l'affectation du résultat et à la distribution du dividende.
155.S'agissant plus précisément des résolutions soumises au vote lors de l'AGO de 2022, elle observe que le groupe [I] détenant 44,32 % des voix exprimées au regard du quorum de 70,95 % des voix représentées, sur les 22 résolutions soumises au vote, les 11 (10 concernent le « say on pay », c'est-dire la rémunération des dirigeants des sociétés cotées sur un marché réglementé, et une concerne le non-renouvellement d'un membre du conseil de surveillance) dont le pourcentage de vote « contre » est supérieur à 5,68 % n'auraient pas été adoptées si ledit groupe les avait rejetées.
156.De même, s'agissant des résolutions soumises au vote lors de l'AGO de 2023, elle constate que le groupe [I] disposant de 45,37 % des voix exprimées au regard du quorum de 68,89 % des voix représentées, sur les 22 résolutions présentées, les 13 (12 concernent le « say on pay ») dont le pourcentage de vote « contre » est supérieur à 4,63 % n'auraient pas été adoptées si ledit groupe avait voté contre.
157.Quant aux résolutions soumises au vote lors de l'AGO de 2024, elle constate que le groupe [I] disposant de 43,08 % des voix exprimées au regard du quorum de 70,15 % des voix représentées (la majorité étant à 50 % des voix exprimées), les 9 résolutions sur les 21 présentées dont le pourcentage de vote « contre » exprimé est supérieur à 6,92 % n'auraient pas pu être adoptées si ledit groupe s'y était opposé.
158.L'AMF en déduit que [I] ne pouvait être considérée comme contrôlant Vivendi, au sens du 3°, faute d'avoir déterminé en fait, par les droits de vote dont elle disposait, toutes les décisions dans les AG réunies ces trois dernières années.
159.Par ailleurs, elle rappelle que tant l'article 236-6 du RGAMF que l'article L. 433-4, I, 3°, du CMF renvoient expressément et exclusivement à la notion de contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, et non à d'autres notions de contrôle, telles que celles retenues en droit comptable ou en droit de la concurrence, qui sont autonomes. Elle en tire la conséquence que prétendre démontrer, aux fins de l'application de l'article 236-6 du RGAMF, une situation de contrôle sur un autre fondement légal, qui ne recouvre ni les mêmes définitions, ni les mêmes champs d'application, constituerait une erreur de droit et porterait gravement atteinte à la sécurité juridique. À cet égard, elle précise que la requérante ne saurait se prévaloir ni de la notion de contrôle retenue par la norme IFRS 10, ni de la reconnaissance de l'exercice d'un tel contrôle, qui n'implique pas nécessairement un contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce. Elle précise que la requérante ne saurait pas davantage se référer à la décision de la Commission européenne, du 24 avril 2017, se prononçant sur le projet de concentration par lequel [I] SA a acquis (au sens de l'article 3§1, point b), du règlement sur les concentrations) le contrôle de l'ensemble de Vivendi SA.
160.Le ministère public partage cette analyse.
161.En droit, après avoir rappelé la distinction entre les différentes notions de contrôle (en droit des sociétés, en droit comptable, en droit des concentrations, outre la notion de contrôle « effectif » découlant de la jurisprudence du Conseil d'État), il fait plus particulièrement valoir, en premier lieu, que le contrôle, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, s'entend essentiellement de la détention d'une majorité des droits de vote au sein des AG, à la fois pour le contrôle de droit (1° et 2° du I dudit article), le contrôle de fait (3°du I), la présomption de contrôle (II) et le contrôle conjoint (III). Il en déduit que c'est le seuil de 50 % des droits de vote en AG qui est décisif pour la qualification du contrôle d'une société et cite, en ce sens, la jurisprudence Hermès en matière de dérogation à l'obligation de déposer une OPA (CA Paris, 15 septembre 2011, RG n° 11/00690 28 mais. Com. 28 mai 2013, pourvoi n° 26423, Ag. n° 89). Il considère que ces hypothèses, qui ignorent la notion de contrôle effectif, prévoient que ceux qui détiennent la majorité des droits de vote ' présents ou représentés ' en assemblée, que ce soit en droit ou en fait, dans l'absolu ou compte tenu de l'absentéisme de certains actionnaires, sont réputés détenir le contrôle de la société concernée, qu'ils agissent seuls ou de concert, parce qu'ils ont le pouvoir d'emporter seuls la décision de l'assemblée. Il cite en ce sens l'arrêt Havas, précité, et la décision de l'AMF du 13 novembre 2015, Maurel & Prom, précitée. Il fait valoir que cette lecture du contrôle de fait (3°) est adaptée aux exigences de sécurité du droit boursier et de célérité du traitement des affaires en matière d'offres publiques. Il indique, en deuxième lieu, que le contrôle de fait s'inscrit nécessairement dans la durée et qu'une majorité circonstancielle ne fait pas un contrôle de fait. Il observe, en troisième lieu, que le quatrième cas de contrôle (4°) permet d'élargir la définition du contrôle à des hypothèses non couvertes par le critère classique de détention de la majorité des droits de vote.
162.En fait, il observe que, faute de motivation suffisante de la décision sur ce point, il est permis de considérer que le Collège a estimé que [I], avec moins de 30 % des droits de vote, ne détenait pas la majorité en AG (ni absolue, ni relative) et ne disposait pas non plus du pouvoir de désigner ou de révoquer la majorité des membres du conseil de surveillance ou du directoire de Vivendi. Il estime qu'au regard du poids non majoritaire du groupe [I] dans sa participation aux dix dernières AG, il ne satisfaisait pas, au jour de la décision attaquée, aux critères du troisième cas de contrôle.
Sur ce, la Cour :
163.Comme cela a déjà été indiqué, aux termes de l'article L. 233-3 du code de commerce :
« I.- Toute personne, physique ou morale, est considérée, pour l'application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre :
1° Lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;
2° Lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ;
3° Lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ;
4° Lorsqu'elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société.
II. Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu'elle dispose directement ou indirectement, d'une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne.
III. Pour l'application des mêmes sections du présent chapitre, deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale » (souligné par la Cour).
164.Tant l'article 236-6 du RGAMF que l'article L. 433-4, I, 3° du CMF, déjà cités, le premier ayant pour fondement légal le second, renvoient expressément et exclusivement à la notion de contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce.
165.C'est donc au regard de ce seul article L. 233-3 que doit être appréciée l'existence d'un contrôle pour les besoins de l'application de l'article 236-6 du RGAMF.
166.En l'espèce, il est constant que [I] ne contrôle pas Vivendi au sens de l'article L. 233-3, I, 1° et 2°, du code de commerce. En effet, il ressort du dossier que, depuis le début de la participation du groupe [I] dans Vivendi (en 2011), celui-ci ne détient pas une fraction de capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les AG (participation inférieure à 50 %). Ce groupe n'est pas davantage partie à une quelconque convention de vote qui lui conférerait la majorité des droits de vote.
167.En revanche, l'absence de contrôle est contestée au regard du I dudit article, principalement sous 3° et, accessoirement, sous 4°. Il convient donc d'examiner si la situation litigieuse relève du cas de contrôle visé sous 3°, et, le cas échéant, de celui visé sous 4°.
168.S'agissant du cas contrôle figurant sous 3°, il importe, tout d'abord, d'en préciser le sens et la portée, compte tenu des divergences d'interprétation des dispositions concernées par les parties.
169.Comme cela a déjà été indiqué, ce cas de contrôle est défini de la manière suivante :
« Une personne, physique ou morale, est considérée (') comme en contrôlant une autre (') lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ».
170.Force est de constater que ces dispositions ne font référence à aucune majorité des droits de vote, contrairement à ce qui est le cas des dispositions concernant le contrôle de droit, figurant sous I, 1° et 2°. Elles ne fixent pas davantage de seuil de droits de vote, tel que celui de 40 % mentionné sous II, auquel est subordonné l'application d'une présomption de contrôle, ou celui de 30 %, visé tant à l'article L. 433-3 du CMF qu'à l'article 234-2 du RGAMF, lequel déclenche l'obligation de déposer un projet d'OPA.
171.Si l'analyse des droits de vote exercés lors des AG revêt une importance particulière pour savoir si, comme le prévoient les dispositions précitées, une personne, par l'exercice des droits de vote dont elle dispose, a déterminé les décisions dans les AG, il n'en demeure pas moins que ces dispositions ne subordonnent, ni ne limitent, la caractérisation de ce contrôle à une quelconque condition de majorité ou de seuil.
172.En effet, il est possible que, dans certaines circonstances, un actionnaire n'ayant pas atteint, à lui seul, la majorité requise en AG, ait néanmoins déterminé les décisions qui y sont prises. Cela peut être le cas, notamment, lorsque l'actionnariat est très diffus ou qu'un certain nombre d'actionnaires ne participent pas aux AG. Dans ces circonstances, ledit actionnaire est susceptible de ne rencontrer aucune opposition en AG. Nonobstant la simultanéité et l'anonymat des opérations de vote, les résolutions qu'il soutient ont de fortes chances d'être adoptées, en particulier lorsqu'il constitue le principal actionnaire, bénéficie d'une position stratégique au sein des AG et d'une certaine notoriété. Il s'ensuit que le poids d'un actionnaire en AG et sa capacité à déterminer les décisions qui y sont prises ne se mesure pas uniquement à l'aune du pourcentage de voix qu'il exprime ou représente, dans l'exercice des droits de vote dont il dispose. Le seul constat qu'il n'a pas atteint un nombre de voix suffisant pour remporter la majorité requise en AG ne suffit pas à exclure systématiquement l'existence d'un contrôle de fait au sens de l'article L. 233-3, I, 3°, du code de commerce.
173.C'est en ce sens que s'inscrivent les travaux parlementaires de la loi n° 84-705 du 12 juillet 1985 relative aux participations détenues dans les sociétés par actions, (invoqués par CIAM), dont sont issues les dispositions de l'
article 355-1, troisième tiret, complétant la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966🏛 sur les sociétés commerciales, ces dispositions ayant été reprises à l'identique à l'article L. 233-3, I, 3°, du code de commerce :
' « Le contrôle ne peut se résumer à la simple constatation de la détention de la majorité du capital ou des droits de vote. Il est évident qu'il peut aussi, en fait, y avoir contrôle avec une participation minoritaire, notamment lorsque l'actionnariat est très diffus. Les critères ne peuvent donc être totalement quantitatifs et doivent pouvoir cerner les situations de droit comme les situations de fait, qu'elles soient directes ou indirectes. La législation doit, sous peine de manquer son but, être aussi réaliste que la pratique des affaires. ('). Les éléments d'appréciation objective ne seront pas absents du nouvel article (') puisque le contrôle de fait sera présumé du chef du principal actionnaire détenant plus de 40 p. 100 des droits de vote. En deçà de ce seuil, le parquet ou tout intéressé devra, le cas échéant, prouver la réalité du contrôle allégué, à partir de la concordance d'une pluralité d'éléments de fait. À l'inverse, puisqu'il s'agit d'une présomption simple, les sociétés intéressées auront la faculté de prouver l'absence de contrôle, même si le seuil de la présomption est dépassé » (Assemblée nationale, [M] [V], compte-rendu intégral de la séance du 18 avril 1985, page 248) ;
' « La contrepartie proposée réside dans une notion à la fois souple et large du contrôle afin d'éviter que des montages juridiques sophistiqués (') ne déjouent trop facilement la législation proposée (') Nous savons bien que, dans la réalité des affaires, le contrôle d'une entreprise sur une autre ne se résume pas à la situation où l'on assiste à une détention majoritaire de 50 % et plus. Le contrôle c'est essentiellement la maîtrise des décisions de l'assemblée générale ordinaire, c'est-à-dire principalement de l'affectation des bénéfices et de la nomination des dirigeants. Si cette maitrise existe dans tous les cas pour le détenteur de la majorité absolue ' c'est une évidence ' elle peut aussi exister dans d'autres cas que la pratique connait, par exemple, dans le cas de détention d'une fraction de capital conférant des droits de vote inférieurs à cette majorité absolue. Tout va dépendre de la répartition du capital entre les autres actionnaires. A cet égard le facteur le plus important à prendre en compte est bien la qualité de principal actionnaire. Il est de fait que la société qui veut prendre le contrôle d'une société sur une autre dont les titres sont largement répandus dans le public se dispensera généralement d'acquérir la majorité. Le plus souvent, elle fera en sorte qu'elle-même, seule ou avec des alliés, possède le bloc d'actions le plus important et n'ait pas en face d'elle un groupe plus puissant représentant des intérêts divergents. Nous avons voulu appréhender ces situations, mais il faut évidemment se garder de sacrifier la sécurité juridique. Le projet de loi va donc utiliser un double critère objectif pour établir une présomption de contrôle, mais une présomption simple, celui de la disposition de 40 % des droits de vote ' c'est un chiffre élevé ' à combiner avec celui qui est tiré de la qualité de principal actionnaire. Malgré la probabilité très forte de la réalité du contrôle lorsque ces deux éléments sont réunis, les intéressés conserveront ' c'est de droit ' la possibilité de faire la preuve contraire » (Sénat, [M] [V], compte-rendu intégral de la séance du 22 mai 1985, page 628, souligné par la Cour).
174.Dans son rapport établi au nom de la commission des lois et annexé au procès-verbal de la séance du 19 juin 1985, le sénateur [U] avait proposé de s'inspirer de cette analyse du Garde des sceaux en incluant dans la définition du contrôle de fait une référence à la dispersion des titres dans le public. Cette proposition a été retenue par le Sénat : « Une société est considérée (') comme en contrôlant une autre (') lorsque, notamment compte tenu de la dispersion des titres dans le public, elle détermine en fait, de par les votes dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société » (Article premier C du projet de loi n° 139, adopté par le Sénat, en deuxième lecture, le 24 juin 1985, souligné par la Cour). La circonstance que cette référence à la dispersion des titres ne figure plus dans l'énoncé de la loi définitivement adoptée ne remet pas en cause l'esprit de ces dispositions.
175.Il ressort clairement de ces travaux parlementaires que la volonté du législateur n'était pas de faire reposer cette notion de contrôle de fait sur un seul et unique critère, purement quantitatif, tenant au nombre de voix exprimées en AG, qui serait suffisant pour emporter la majorité requise, mais, plus largement, sur une combinaison de critères, tels que, notamment, la qualité de principal actionnaire et la dispersion des titres dans le public.
176.Il ressort également de ces travaux parlementaires que si, comme l'invoquent [I] et Af, le législateur n'a pas entendu « sacrifier la sécurité juridique », force est de constater que celui-ci s'est fondé sur cet objectif de préservation de la sécurité juridique, non pas pour retenir une conception restrictive de la notion de contrôle de fait en AG, reposant sur l'acquisition de la majorité des voix en AG, mais uniquement pour ériger une présomption simple de contrôle reposant sur d'autres critères, à savoir la disposition d'un seuil de 40 % de droits de vote et la qualité de principal actionnaire.
177.À cet égard, la Cour relève que si l'objectif tendant à garantir la sécurité juridique du dispositif de l'OPR obligatoire et sa prévisibilité pour les opérateurs des marchés financiers est éminemment légitime, il ne saurait conduire à ajouter à la loi, contrairement à la volonté du législateur, une condition qu'elle ne contient pas.
178.Or, sous couvert d'une interprétation des dispositions de l'article L. 233-3, I, 3°, du code de commerce, la thèse défendue par [I] et Af, au regard de cet objectif de sécurité et de prévisibilité, revient à ajouter à celles-ci, à rebours des travaux parlementaires précités, une condition de majorité ou de seuil qu'elles ne contiennent pas.
179.À titre surabondant, la Cour précise que, contrairement à ce qui est soutenu, ces considérations de sécurité juridique et de prévisibilité ne valent pas tout autant pour l'OPA obligatoire que pour l'OPR obligatoire.
180.En effet, si la fixation d'un seuil (tel que celui fixé à 30 % par les articles L. 433-3 du CMF et 234-2 du RGAMF) est nécessaire en matière d'OPA, pour satisfaire aux exigences de sécurité juridique et de prévisibilité, le seul franchissement de ce seuil déclenchant automatiquement l'obligation de déposer un projet d'OPA (à laquelle un opérateur est soumis sauf à obtenir une dérogation), en revanche, la caractérisation d'une situation de contrôle, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, ne suffit pas, à elle seule, à en entraîner l'obligation de mettre en œuvre une OPR. Comme cela a déjà été indiqué, la mise en œuvre d'une OPR obligatoire, imposée par une décision de l'AMF, est subordonnée à la réunion de trois conditions essentielles, à caractère cumulatif, à savoir, premièrement, l'existence d'un actionnaire de contrôle, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, deuxièmement, une proposition ou une décision de principe de l'actionnaire de contrôle consistant à modifier de manière significative l'environnement juridique ou financier de la société contrôlée et, troisièmement, une atteinte substantielle de l'opération projetée aux droits ou intérêts des actionnaires. La caractérisation d'une situation de contrôle n'est donc pas la seule condition sur laquelle repose le dispositif de l'OPR obligatoire. En outre, l'obligation de mettre en œuvre une OPR résulte d'une décision de l'AMF, laquelle apprécie, au regard de l'ensemble de ces conditions cumulatives, s'il y a lieu ou pas d'imposer cette mesure de protection des actionnaires minoritaires. Si la caractérisation d'une situation de contrôle est déterminante, elle ne suffit donc pas à déclencher l'obligation de déposer un projet d'OPR. C'est donc en vain que [I] se prévaut de la fixation d'un seuil de 30 % en matière d'OPA obligatoire pour soutenir la nécessité, au regard des objectifs de sécurité juridique et de prévisibilité, de retenir une interprétation restrictive de la notion de contrôle de fait (au sens de l'article L. 233-3, I, 3°, du code de commerce), qui reviendrait à introduire un seuil de contrôle.
181.Au surplus, en tout état de cause, l'interprétation restrictive soutenue par [I] et Af aboutirait à priver largement d'effet utile les dispositions de l'article L. 233-3, I, 3°, du code de commerce et à affecter sensiblement la portée du dispositif de l'OPR obligatoire, destiné à protéger les actionnaires minoritaires.
182.Il résulte de l'ensemble de ces développements que, pour savoir si, comme le prévoient ces dispositions, une personne en contrôle une autre, en déterminant en fait, par les droits dont elle dispose, les décisions dans les AG de cette société, il convient de prendre en compte les droits de vote exercés dans les AG, ainsi qu'un ensemble de circonstances, telles que, notamment, la qualité de principal actionnaire de celui dont le contrôle est allégué, son éventuelle position stratégique au sein de l'AG, la notoriété dont il est susceptible de bénéficier et l'éventuelle dispersion des titres dans le public.
183.En l'espèce, il importe de préciser que M. [Ak] [I] est présenté (voir les écritures de [I] et les pièces n° 9.1 et n° 31.2 produites par CIAM) comme contrôlant indirectement les sociétés Compagnie de [Adresse 26], [I] SE, Compagnie de Cornouailles (absorbée le 17 juillet 2024 par [I] SE) et Financière de Larmor (absorbée lmai5 mai 2021 par ladite Compagnie de Cornouailles).
184.En application de la règle de l'assimilation prévue à l'
article L. 233-9, 2°, du code de commerce🏛, il convient, comme cela ressort des écritures susvisées, d'ajouter aux actions détenues directement par M. [X] [I], celles détenues par les sociétés précitées qu'il contrôle.
185.En outre, ainsi que [I] le précise dans ses écritures, il convient, en application de la présomption de concert prévue à l'
article L. 233-10, II, 1°, du même code🏛, d'ajouter à ces actions, détenues directement ou indirectement, par M. [X] [I], celles détenues par ses deux fils MM. [Y] et [Z] [I], respectivement en tant que PDG de [I] (depuis le 14 mars 2019), et directeur général délégué de la Compagnie de [Adresse 26] (depuis le 30 juin 2022).
186.Il convient donc de faire masse de l'ensemble de ces actions pour examiner si M. [X] [I] contrôle Vivendi, au sens de l'article L. 233-3, I, 3°, du code de commerce.
187.À cet égard, il ressort du prospectus de Havas du 30 octobre 2024 (pièce n° 10 produite par CIAM, page 10) que la structure de l'actionnariat de Vivendi au 15 octobre 2024, avant la réalisation de l'opération de scission, était la suivante :
188.Il résulte de ce tableau qu'à la date du 15 octobre 2024, le groupe [I], contrôlé par M. [X] [I], constituait le principal actionnaire de Vivendi.
189.Ainsi, sa participation s'élevait à un nombre de droits de vote :
' théoriques de 29,83 % (c'est-à-dire exerçables et non exerçables, ce qui correspond à la base de calcul du franchissement de seuil en matière d'OPA, précisée aux articles 234-1 et 223-11 du RGAMF) et ;
' exerçables de 30,94 % (déduction faite des droits de vote non exerçables, tels que ceux attachés aux actions auto-détenues, comme le prescrit l'
article L. 225-210 du code de commerce🏛).
190.La participation des salariés de Vivendi était nettement moindre : de 3,66 % pour les droits de vote théoriques et de 3,80 % pour les droits de vote exerçables.
191.La qualité de principal actionnaire du groupe [I] ressort également des documents d'enregistrement universel établis par Vivendi en 2021, 2022 et 2023.
192.En effet, sa participation en droits de vote brut, c'est-à-dire théoriques, s'élevait,31u 31 décembre de chacune de ces années, respectivement à 29,75 %, puis à 29,43 % et ensuite à 29,86 %, tandis que celle des salariés de Vivendi était respectivement de 3,73 %, puis de 3,67 %, et ensuite de 3,77 %. Quant à la CDC/CNP/LBP Prévoyance, sa participation était réduite à 1,92 % (au 31 décembre 2021) et à 1 % 31u 31 décembre 2022) et celle de la Société générale était de 6,26 % 31u 31 décembre 2023), moindre que celle du groupe [I].
193.En outre, il ressort de l'ensemble de ces documents que le reste de l'actionnariat de Vivendi était très dispersé. En effet, la catégorie « autres actionnaires » représentait :
' au 15 octobre 2024, 62,92 % des droits de vote théoriques et 65,27 % des droits de vote exerçables ;
' pour les années antérieures, de 2021 à 2023, au 31 décembre, respectivement, 59,08 %, puis 58,54 % et ensuite 59,62 % de droits de vote théoriques.
194.Ces caractéristiques de l'actionnariat de Vivendi (groupe [I] comme principal actionnaire et forte dispersion du reste de l'actionnariat) ne sont pas nouvelles. Elles ont déjà été mentionnées, dès 2017, tant par la Commission européenne (décision du 24 avril 2017, dans le cadre du contrôle de l'opération de concentration découlant de l'augmentation des droits de vote de [I] dans Vivendi) que par Vivendi (document déposé à l'AMF le 28 novembre 2017, dans le cadre de l'OPR suivie d'un retrait obligatoire initiée par Vivendi sur Havas).
195.De plus, le groupe [I] était l'unique actionnaire industriel de Vivendi. À cet égard, M. [X] [I] bénéficiait d'une indéniable notoriété de par son parcours d'entrepreneur et disposait, en outre, d'une solide expérience dans le secteur de spécialisation de Vivendi, à savoir les médias et la communication, ce qui ne pouvait que renforcer sa crédibilité en AG.
196.De surcroît, en sa qualité de président du conseil de surveillance de Vivendi, pendant plusieurs années, avant que son fils aîné M. [T] [I] ne lui succède en avril 2018, M. [X] [I] a présidé les AG. Il a ensuite été censeur du conseil de surveillance jusqu'en avril 2023 et conseiller du président du directoire.
197.Sa qualité de président des AG pendant plusieurs années, en tant que président du conseil de surveillance, associée à celle de principal actionnaire et de seul actionnaire industriel, lui a conféré, de manière durable, une autorité particulière en AG, notamment, lors de la nomination en AGO des nouveaux membres du conseil de surveillance (article 7 § 1 des statuts de Vivendi), telle que celle de son fils aîné M. [T] [I] en avril 2018, dont le mandat a été renouvelé pour quatre ans en avril 2020, et qui a été immédiatement élu, puis renouvelé, chaque fois à l'unanimité, par le Conseil de surveillance comme président de celui-ci (voir, en ce sens, le document d'enregistrement universel de Vivendi 2023, pages 177 et 180).
198.Son parcours ultérieur au sein de Vivendi, caractérisé par le cumul pendant un certain temps des fonctions de censeur du conseil de surveillance et de conseiller du président du directoire, conjugué à la succession de son fils aîné à la présidence du conseil de surveillance et à ce titre à la présidence des AG, ainsi qu'à la nomination de ses deux autres fils comme membres du conseil de surveillance (M. [Y] [I], dès le 15 avril 2019 et renouvelé le 24 avril 2023 ; M. [Am] [I] nommé à cette même date, le 24 avril 2023) a conforté son autorité particulière en AG, étant précisé que les AG sont convoquées par le directoire (article 16 des statuts de Vivendi), dont les membres sont nommés par le conseil de surveillance (article 12 § 1 des statuts de Vivendi).
199.C'est à la lumière de ces éléments qu'il convient d'examiner les droits de vote exercés par le groupe [I] en AG.
200.Il résulte de la note du 27 septembre 2024, adressée par Af aux services de l'AMF, que la participation du groupe [I] lors des dix dernières AGO de Vivendi (avant l'AG mixte du 9 décembre 2024 ayant approuvé le projet de scission) et que l'écart de cette participation par rapport à la majorité de 50 % (en surbrillance jaune), s'établissaient de la manière suivante, ce qui n'est pas contesté :
201.En outre, il résulte de la note du 5 juillet 2024, adressée par Vivendi SE aux services de l'AMF, et actualisée par [I] dans ses écritures (en intégrant la dernière AG mixte du 9 décembre 2024), que le pourcentage de voix représentées par le groupe [I], ainsi que le niveau de participation en AG de l'ensemble des actionnaires présents, représentés ou votant à distance (désigné dans le digramme par « quorum »), s'établissaient de la manière suivante, ce qui n'est pas contesté :
202.Il ressort de ces éléments que, comme l'ont relevé à juste titre CIAM et l'AMF dans leurs écritures respectives, la participation du groupe [I] s'élevait, depuis 2017, à plus de 33,33 % des voix, de sorte que celui-ci détenait une minorité de blocage en AGE.
203.Il en ressort également et surtout, eu égard au niveau de participation des autres actionnaires, que le pourcentage des voix représentées par le groupe [I] s'élevait, depuis 2017, en moyenne, à 43,39 % (hors AG du 9 décembre 2024), de sorte que l'écart moyen avec la majorité requise en AGO (50 %) n'était que de 6,61 %.
204.Par ailleurs, comme l'indique CIAM, il résulte des résultats des scrutins des six AG mixtes ayant eu lieu depuis 2020 (à l'exclusion de celle du 9 décembre 2024), ce qui n'est contesté par [I] et Af, que toutes les résolutions en faveur desquelles le groupe [I] a exprimé un vote favorable ont été adoptées.
205.Au regard de l'ensemble de ces circonstances, la Cour considère que M. [Ak] [I], qui contrôle le groupe [I], a déterminé en fait, par les droits de vote dont il disposait, les décisions dans les AG de Vivendi.
206.Dès lors, il convient de retenir l'existence d'un contrôle de M. [X] [I] sur Vivendi, au sens de l'article L. 233-3, I, 3°, du code de commerce, sans qu'il soit besoin d'examiner si la situation litigieuse relève, en outre, du cas de contrôle visé au 4° du même article. Il s'ensuit que l'article R. 236-6 du RGAMF est applicable ratione personae.
V. SUR LES SUITES À DONNER À L'EXISTENCE D'UN CONTRÔLE DE M. [X] [I] SUR VIVENDI
207.L'effet dévolutif du recours étant limité à la chose décidée par l'AMF, sur la question de la caractérisation du contrôle de [I] sur Af et sur celle consécutive de l'applicabilité ratione personae de l'article 236-6 du RGAMF, la Cour n'a pas vocation à statuer sur le point de savoir, d'une part, si l'opération de scission de Vivendi relève du champ d'application ratione materiae de l'article précité et, d'autre part, s'il y a lieu ou s'il y avait lieu de mettre en œuvre une OPR eu égard aux conséquences de l'opération au regard des droits et intérêts des actionnaires minoritaires.
208.Il appartiendra à l'AMF d'examiner si l'opération de scission de Vivendi relève du champ d'application ratione materiae de l'article 236-6 du RGAMF et, dans l'affirmative, d'apprécier les conséquences de l'opération au regard des intérêts des actionnaires minoritaires, et de décider s'il y a lieu ou s'il y avait lieu à mise en œuvre d'une OPR.
VI. SUR LES DEMANDES AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE ET LES DÉPENS
209.CIAM demande la condamnation solidaire de [I] et Af à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, ainsi qu'aux entiers dépens.
210.[I] et Af demandent chacune la condamnation de CIAM à leur payer la somme de 250 000 euros au titre de l'article précité, ainsi qu'aux entiers dépens.
211.L'équité commande de condamner solidairement [I] et Af à payer à CIAM la somme réclamée de 20 000 euros au titre de l'article 700 précité, et de rejeter leurs demandes à ce titre.
212.Il convient également de les condamner solidairement aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement :
DÉCLARE CIAM Fund recevable en son recours contre la décision de l'Autorité des marchés financiers n° 224C2288 du 13 novembre 2024, en ce qu'elle a retenu que la société [I] SE ne pouvait pas être considérée comme contrôlant la société Vivendi SE au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce et en a déduit que l'article 236-6 de son règlement général n'était pas applicable dans le cadre du projet de scission de Vivendi SE ;
DIT que le moyen pris du défaut de motivation de cette partie de la décision attaquée est fondé ;
ANNULE en conséquence la décision attaquée, en ce qu'elle a retenu que la société [I] SE ne pouvait pas être considérée comme contrôlant la société Vivendi SE au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce et en a déduit que l'article 236-6 de son règlement général n'était pas applicable dans le cadre du projet de scission de Vivendi SE ;
Statuant à nouveau, dans les limites de l'effet dévolutif du recours :
DIT que M. [X] [I] contrôle la société Vivendi SE, au sens de l'article L. 233-3, I, 3°, du code de commerce, de sorte que l'article 236-6 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers est applicable ratione personae ;
DIT qu'il appartiendra à l'Autorité des marchés financiers d'examiner si l'opération de scission de la société Vivendi SE relève du champ d'application ratione materiae de l'article 236-6 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers et, dans l'affirmative, d'apprécier les conséquences de l'opération au regard des intérêts des actionnaires minoritaires et, de décider s'il y a lieu ou s'il y avait lieu à mise en œuvre d'une offre publique de retrait sur les titres de Vivendi SE ;
CONDAMNE solidairement les sociétés [I] SE et Vivendi SE à payer à la société CIAM Fund la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE les demandes des sociétés [I] SE et Vivendi SE à ce titre ;
LES CONDAMNE solidairement aux entiers dépens.
LE GREFFIER,
Valentin HALLOT
LA PRÉSIDENTE,
Agnès MAITREPIERRE