ARRÊT N° 106/25
N° RG 22/03293 - N° Portalis DBVI-V-B7G-O7T4
NP/EB
Décision déférée du 08 Août 2022 - Pole social du TJ d'AGEN (21/053)
A
[X] [W]
C/
Organisme CPAM DU LOT ET GARONNE
INFIRMATION
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4ème Chambre Section 3 - Chambre sociale
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ARRÊT DU TREIZE MARS DEUX MILLE VINGT CINQ
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APPELANTE
Madame [X] [W]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Emmanuel SUTRE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMEE
CPAM LOT-ET-GARONNE
SERVICE CONTENTIEUX
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Anthony PEILLET, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'
article 945-1 du code de procédure civile🏛, l'affaire a été débattue le 23 janvier 2025, en audience publique, devant N. PICCO, conseiller chargé d'instruire l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
N. PICCO, conseiller faisant fonction de président
M. SEVILLA, conseillère
N.BERGOUNIOU, conseillère
Greffière : lors des débats E. BERTRAND
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛- signé par N. PICCO, conseiller faisant fonction de président et par E. BERTRAND, greffière
EXPOSE DU LITIGE
Mme [X] [W] a été employée au sein de la CNP Assurances à [Localité 4] à compter du 1er janvier 2012.
Elle a sollicité auprès de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Lot-et-Garonne la prise en charge de l'accident survenu le 8 juin 2020.
La déclaration d'accident du travail, établie le 11 juin 2020 par Mme [C], gestionnaire, mentionne un accident survenu le 8 juin 2020 à 13h30 relaté en ces termes 'Mme [W] nous déclare qu'elle a reçu un appel téléphonique de son responsable pour lui faire une annonce. Suite à cette annonce, elle s'est sentie très mal et a décidé de voir son médecin en urgence', et le certificat médical initial du 8 juin 2020 mentionne 'un état anxio-dépressif réactionnel'.
Après instruction, la prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle a été refusée par la CPAM du Lot-et-Garonne par notification en date du 7 septembre 2020.
Après rejet de son recours par la commission de recours amiable le 14 décembre 2020, Mme [X] [W] a porté sa contestation devant le pôle social du tribunal judiciaire d'Agen par requête du 8 février 2021.
Par jugement du 8 août 2022, le pôle social du tribunal judiciaire d'Agen a :
-déclaré recevable le recours introduit par Mme [Aa] [W] à l'encontre de la décision de la commission de recours amiable de la CPAM du Lot-et-Garonne du 14 décembre 2020 relative au refus de prise en charge de l'accident survenu le 8 juin 2020 au titre de la législation sur les risques professionnels mais mal fondé,
-par conséquent, a confirmé la décision de la commission de recours amiable du 14 décembre 2020,
-dit que l'accident déclaré le 8 juin 2020 par Mme [X] [W] n'est pas d'origine professionnelle et ne doit donc pas être pris en charge à ce titre par la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne,
-rejeté le surplus des demandes,
-condamné
Mme [X] [W] aux dépens.
Mme [X] [W] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 5 septembre 2022.
Mme [X] [W] conclut à l'infirmation du jugement. Elle demande à la cour de statuer à nouveau et d'infirmer la décision rendue par la commission de recours amiable le 14 décembre 2020, de juger que l'accident déclaré le 8 juin 2020 par Mme [X] [W] est d'origine professionnelle et doit donc être pris en charge à ce titre par la CPAM du Lot-et-Garonne et de condamner la CPAM du Lot-et-Garonne à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 outre les entiers dépens liés à la première instance.
Elle fait valoir que la seule existence d'un appel téléphonique soudain, inattendu et engendrant un choc psychologique immédiat sur une salariée suffit à caractériser l'accident du travail quel que soit le contenu exact de cet échange dès lors que ce dernier implique une réorganisation de l'équipe. Elle soutient que l'annonce d'une réorganisation du service constitue à elle seule un évènement soudain, inattendu et entraînant une lésion immédiate chez la salariée. En outre, elle indique que l'appel a eu lieu alors qu'elle était en télétravail, et pendant ses horaires de travail. En conséquence, elle fait valoir que la matérialité des faits et parfaitement établie.
Sur l'attestation de la mère de la salariée produit au débat, elle indique que le code de procédure civile ouvre la possibilité pour une personne ayant un lien de parenté, d'alliance ou au contraire de subordination avec l'une des parties de témoigner en sa faveur.
Enfin, elle indique que le certificat médical initial est valable. En effet, elle indique que l'on peut difficilement imposer au médecin qui établit le certificat médical d'être témoin de l'accident.
La CPAM du Lot-et-Garonne conclut à la confirmation du jugement. Elle demande à la cour de débouter Mme [X] [W] de l'intégralité de ses demandes, de la condamner au paiement de la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux éventuels dépens des instances.
Elle fait valoir l'absence de qualification professionnelle des faits déclarés. En effet, elle indique que la seule existence d'un appel téléphonique soudain, inattendu et engendrant selon la salariée un choc psychologique ne suffit pas à caractériser l'accident du travail.
Sur l'attestation de la mère de la salariée, elle fait valoir que la salariée n'a jamais indiqué la présence de sa mère dans le questionnaire et qu'à la question 'avez vous des témoins de votre accident, à défaut des personnes qui pourraient témoigner de votre état de santé avant et/ou après le dit accident '', la salariée a répondu : 'non'. Sur le certificat médical, la CPAM s'associe à l'appelante pour dire que le jugement ne peut à ce titre se contenter de soutenir que l'existence d'un certificat médical initial par un médecin qui n'aurait pas été témoin du prétendu accident ne pourrait suffire pour établir un élément soudain survenu au temps et lieu de travail. Toutefois, elle indique que c'est à tort que l'appelante avance l'argumentaire que le certificat médical constatant des lésions pourrait corroborer les faits décrits. Selon la caisse, le certificat médical initial ne fait qu'établir un constat médico-légal.
MOTIFS
L'
article L 411-1 du code de la sécurité sociale🏛 dispose qu' 'est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée'.
C'est à l'assuré qu'incombe la charge de prouver qu'un accident est bien survenu pendant le travail, en apportant tous éléments utiles pour corroborer ses dires. Si les circonstances de l'accident demeurent indéterminées, l'accident ne peut être pris en charge au titre de la législation professionnelle.
L'accident survenu pendant le temps et sur le lieu du travail est présumé être un accident du travail, sauf la faculté pour l'employeur ou l'organisme social de rapporter la preuve qu'il a une cause totalement étrangère.
L'accident est traditionnellement défini comme un évènement soudain dont il est résulté une lésion.
Mais la jurisprudence considère de façon plus large que dès lors qu'elle apparaît de manière soudaine, toute lésion caractérise un accident au sens de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale. Un accident est ainsi caractérisé par une lésion soudaine même s'il n'est pas possible de déterminer un fait accidentel à l'origine de celle-ci ou si la cause de la lésion demeure inconnue.
Le critère de distinction entre l'accident et la maladie, caractérisée quant à elle par une lésion à évolution lente, demeure le caractère soudain ou progressif de l'apparition de la lésion, peu important l'exposition répétée au même fait générateur de la lésion.
Ainsi, concernant les lésions psychiques, un syndrome dépressif réactionnel présenté par un salarié est un accident du travail lorsqu'il résulte d'un fait accidentel soudain. Mais des lésions psychiques peuvent également être prises en charge en tant qu'accident du travail du seul fait d'une affection soudaine, le symptôme de la maladie apparaissant brusquement au point que puisse lui être donnée une date certaine.
En l'espèce les pièces versées aux débats permettent de caractériser tant un événement soudain survenu pendant le temps et sur le lieu du travail, que la lésion soudaine qui en est résultée.
En effet, les éléments de la cause prouvent l'existence d'un fait accidentel soudain à l'origine des lésions psychiques de la salarié.
D'une part, il est constant qu'existait entre Mme [X] [W] et un autre salarié de l'entreprise, M. [P], son ancien supérieur hiérarchique, un contentieux qui avait conduit le service des ressources humaines, après avis de la médecine du travail suite à un arrêt de travail de Mme [X] [W], à veiller à ce que la salariée ne soit plus affectée dans son service.
Ensuite, la réalité d'un appel téléphonique reçu le 8 juin 2020 vers 13h30 par Mme [X] [W] de son supérieur hiérarchique, M. [F], n'est pas discutée, ni qu'au cours de cet échangé ait été évoquée l'hypothèse du rétablissement de relations professionnelles entre la salariée et son ancien supérieur. Les parties s'opposent toutefois sur le sens de la conversation :
- Mme [X] [W] prétend que M. [F] lui a annoncé qu'elle allait travailler dans l'équipe de M. [P] ;
- l'employeur soutient que M. [F] a rassuré la salariée quant à l'absence d'intéractions avec M. [P] dans le cadre de la nouvelle organisation expérimentale qui allait se mettre en place.
Ce contexte caractérise à tout le moins un climat anxiogène que l'employeur ne conteste pas.
La mère de la salariée, présente au domicile, a décrit de la façon suivante le déroulé de cet appel téléphonique : ' Au fur et à mesure de la conversation je vois Madame [W] s'écrouler à l'écoute de son correspondant. Elle ne cessait de répéter à son interlocuteur « mais vous êtes fous, comment pouvez-vous me faire cela, vous voulez me détruire ». Voyant la gravité de la situation, je suis restée près d'elle pendant la durée de la conversation. Son interlocuteur, [E], de ce que j'ai entendu, venait de lui apprendre qu'un certain « [P] » intégrait l'équipe dans laquelle elle était. Au bout d'une heure la conversation s'est achevée. Madame [W] s'est effondrée dans mes bras. Elle m'explique que ce fameux [P] est son ancien manager. Je suis restée auprès d'elle toute l'après-midi, et même durant la réunion téléphonique qu'elle a eu par la suite (réunion au cours de laquelle elle n'arrivait presque pas à parler). Par la suite elle s'est rendue chez son médecin psychiatre, qui l'a reçue en urgence ».
Ni la tardiveté de cette attestation, produite seulement au cours de l'enquête menée par la CPAM du Lot-et-Garonne, ni le lien de parenté avec la partie ne sont de nature à discréditer la portée du témoignage, à la fois précis et totalement compatible avec le cadre rapporté ci-dessus.
En outre, la salariée a consulté son médecin traitant le jour-même, qui a rapporté aux termes du certificat médical initial 'un état anxio-dépressif réactionnel'.
Le même jour encore 8 juin 2020, Mme [X] [W] a résumé dans un courriel versé aux débats le déroulement de sa journée de travail, décrivant dans le détail tant le contenu de l'appel téléphonique que la dévastation psychique qu'il lui a provoquée.
Ces éléments constituent la preuve à la fois de l'événement soudain survenu pendant le temps et sur le lieu du travail, et de la lésion soudaine qui en est résultée.
Le jugement entrepris, qui a dit n'y avoir lieu à prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels l'accident dont a été victime Madame [W] dans le cadre de son travail le 8 juin 2020, sera donc infirmé.
L'équité commande de fixer à la somme de 1 000 euros la participation de la CPAM du Lot-et-Garonne aux frais irrépétibles de Mme [X] [W].
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement en date du 8 août 2022,
Statuant à nouveau,
Dit que l'accident dont a été victime Madame [W] dans le cadre de son travail le 8 juin 2020 doit être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels par la CPAM du Lot-et-Garonne,
Condamne la CPAM du Lot-et-Garonne à verser à Mme [X] [W] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Dit que la CPAM du Lot-et-Garonne doit supporter les dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par N. PICCO, conseiller faisant fonction de président et par E. BERTRAND, greffière,
LA GREFFIERE LE PRESIDENT
E. BERTRAND N. PICCO.