N° P 23-86.308 FS-B
N° 00244
ODVS
18 MARS 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 MARS 2025
La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 29 août 2023, qui, pour infraction à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs et contravention de blessures involontaires, l'a condamnée à 2 500 euros et 3 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Aa et Rebeyrol, avocat de la société [1], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 28 janvier 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, M. Sottet, Mme Goanvic, M. Coirre, Mme Hairon, M. Busché, Mme Carbonaro, conseillers de la chambre, MM. Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Aubert, avocat général référendaire, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le tribunal correctionnel a relaxé la société [1] des chefs de contravention de blessures involontaires par personne morale avec incapacité n'excédant pas trois mois et d'emploi de travailleur sans organisation d'une information et formation pratique et appropriée en matière de santé et de sécurité.
3. Le ministère public et la partie civile ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
4. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a été rendu par la 6e chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Douai composée d'un juge unique, alors « qu'il résulte de l'
article 510 du code de procédure pénale🏛 que la chambre des appels correctionnels n'est composée d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs confiés au président de chambre que lorsque le jugement attaqué a été rendu selon les modalités prévues au troisième alinéa de l'
article 398 du code de procédure pénale🏛 ou selon celles prévues à l'avant-dernier alinéa de l'article 464 dudit code ; qu'en vertu des dispositions de l'
article 592 du même code🏛, les arrêts de la chambre de l'instruction ainsi que les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les juridictions de jugement sont déclarés nuls lorsqu'ils ne sont pas rendus par le nombre de juges prescrit ou qu'ils ont été rendus par des juges qui n'ont pas assisté à toutes les audiences de la cause ; que les règles sur la composition et la compétence des juridictions sont d'ordre public, les parties, même assistées d'un avocat, ne pouvant y renoncer ; que pour déclarer la société prévenue coupable des faits d'emploi de travailleur sans organisation et dispense d'une information et formation pratique et appropriée en matière de santé et de sécurité et de blessures involontaires avec incapacité n'excédant pas trois mois dans le cadre du travail, la cour d'appel a siégé à juge unique ; qu'en statuant ainsi quand le délit de l'
article L. 4741-1 du code du travail🏛, réprimant la méconnaissance des dispositions du code du travail en matière d'hygiène et de sécurité, ne fait pas partie des délits susceptibles d'être jugés, selon l'énumération figurant à l'
article 398-1 du code de procédure pénale🏛, par le tribunal correctionnel composé d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs conférés au président, de sorte que le jugement attaqué n'ayant pas été rendu selon les modalités prévues au troisième alinéa de l'article 398, la cour d'appel ne pouvait être elle-même composée d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs confiés au président de chambre, la cour d'appel a méconnu les articles 510 et 592 du code de procédure pénale et les principes ci-dessus rappelés. »
Réponse de la Cour
6. Le délit prévu par les
articles L. 4141-2 et L. 4741-1 du code du travail🏛 n'entre pas dans les prévisions du premier alinéa de l'article 398-1 du code de procédure pénale, qui définit les infractions qui doivent être jugées par un seul magistrat.
7. L'avant-dernier alinéa de ce dernier texte prévoit cependant que les délits pour lesquels une peine d'emprisonnement n'est pas encourue, à l'exception des délits de presse, sont jugés par un seul magistrat.
8. Sauf en cas de récidive, non retenue en l'espèce, aucune peine d'emprisonnement n'est encourue pour le délit prévu par les articles précités du code du travail.
9. Dès lors, ce délit et la contravention connexe poursuivis devaient être jugés par le tribunal correctionnel composé d'un seul magistrat, et, les appelants n'ayant pas demandé expressément que l'affaire soit examinée en formation collégiale, par la chambre des appels correctionnels également composée d'un seul magistrat, en application de l'article 510 du code de procédure pénale.
10. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de prescription de l'action publique de la contravention de blessures involontaires avec incapacité n'excédant pas trois mois, alors « que la prescription de l'action publique court du jour où l'infraction, objet de la poursuite, est constituée en tous ses éléments ; que les infractions de blessures involontaires sont caractérisées au jour où se révèle l'incapacité, élément constitutif des infractions prévues et réprimées par les
articles 222-19 à 222-21 et R. 625-2 du code pénal🏛🏛🏛 ; que pour infirmer le jugement qui avait fixé le point de départ du délai au jour de l'accident, soit le 26 mai 2016, date à laquelle « les blessures ont été connues », la cour d'appel se borne à affirmer que « ce délai court non pas du jour où le comportement fautif a été adopté, mais à compter du jour où l'infraction est constituée en tous ses éléments, c'est-à-dire seulement du jour où existe l'incapacité totale de travail », soit, en l'espèce la date de fixation de l'ITT « par le médecin légiste, le 22 janvier 2018 » ; qu'en se déterminant ainsi quand il était établi que l'existence de l'incapacité et ses conséquences avait été révélée par le scanner du rachis dorsolombaire réalisé le 26 mai 2016 à la suite de l'accident montrant une fracture d'une vertèbre et un tassement des vertèbres, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale, en violation des articles R. 625-2 du code pénal, 9, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles 9 et 9-1 du code de procédure pénale🏛🏛 :
12. Il résulte de ces textes que le point de départ de la prescription doit être fixé au jour où l'infraction a été commise et que ce n'est que si l'infraction est occulte ou dissimulée qu'il est repoussé au jour auquel elle est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique.
13. Pour écarter l'exception tirée de la prescription de l'action publique concernant la contravention de blessures involontaires, l'arrêt attaqué énonce que le point de départ de la prescription doit être fixé non pas au jour où le comportement fautif a été adopté, mais à compter du moment où l'infraction est constituée en tous ses éléments, c'est-à-dire seulement à partir du jour où existe l'incapacité totale de travail.
14. Le juge ajoute qu'en l'espèce, l'incapacité totale de travail ayant été fixée par le médecin légiste le 22 janvier 2018, cette date constitue le point de départ de la prescription de l'action publique.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés, le second par fausse application, et les principes ci-dessus rappelés pour les motifs qui suivent.
16. Il résulte des motifs de l'arrêt attaqué que la partie civile a subi une atteinte à son intégrité physique le jour de l'accident, à la suite duquel elle a été alitée pendant plus d'un mois, sans qu'il ne soit relevé de circonstances de nature à justifier le report du point de départ de la prescription de l'action publique.
17. Dès lors, la mise en mouvement de l'action publique du chef de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à trois mois était possible dès avant le recueil de l'avis du médecin concernant la durée de l'incapacité totale de travail et en tout état de cause au premier jour d'existence de ladite incapacité.
18. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquence de la cassation
19. La cassation à intervenir ne porte que sur les dispositions relatives à la contravention de blessures involontaires et à la peine prononcée de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le quatrième moyen de cassation proposé, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 29 août 2023, en ses seules dispositions relatives à la contravention de blessures involontaires et à la peine prononcée de ce chef, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille vingt-cinq.