N° Y 24-82.664 F-D
N° 00161
ODVS
11 FÉVRIER 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 FÉVRIER 2025
La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 20 mars 2024, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 21 juin 2022, pourvoi n° 20-86.857, publié au Bulletin), pour blessures involontaires, l'a condamnée à 70 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [1], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 janvier 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [D] [K], salarié de la société [2] (la société [2]), a été blessé par une machine « ouvreuse-broyeuse » dans laquelle sa main a été happée alors qu'il tentait de remédier à un bourrage.
3. La société [2] et la société de droit espagnol [1], société mère et représentante légale de la première, ont été poursuivies des chefs de blessures involontaires et infraction à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs.
4. Le tribunal correctionnel a, notamment, déclaré les sociétés [2] et [1] coupables des faits ainsi poursuivis, condamné la première à 30 000 euros d'amende et la seconde à 100 000 euros d'amende, et prononcé sur les intérêts civils.
5. Les deux sociétés prévenues et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé la culpabilité de la société [1] du chef de blessures involontaires, alors :
« 1°/ d'une part, que une personne morale ne peut être reconnue pénalement responsable de blessures involontaires que s'il est établi que son organe ou son représentant a commis une faute, pour son compte, et qu'un lien de causalité existe entre cette faute et les blessures déplorées ; qu'en retenant, pour reconnaitre l'exposante coupable du chef de blessures involontaires, que « ces négligences sont constitutives d'une faute de la société [1] qui, étant l'organe et le représentant de la société [2], au sens de l'
article 121-2 du Code pénal🏛, engage la responsabilité de celle-ci pour les blessures subies par [D] [K] et qui lui ont occasionné trois mois d'incapacité totale de travail » quand cette motivation établissait, au mieux, que la société [1] avait engagé la responsabilité pénale de sa filiale, la société [2], la Cour d'appel a statué par des motifs contradictoires, impropres et inopérants à établir la responsabilité pénale de la société [1] eu égard aux blessures de Monsieur [K] et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des
articles 121-1, 121-2, 121-.3 et 222-19 du Code pénal🏛🏛 et 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part, que la responsabilité pénale d'une personne morale ne peut être engagée qu'à la condition que soit précisément identifié l'organe ou le représentant de la personne morale ayant commis l'infraction pour le compte de celle-ci ; qu'en se bornant, pour retenir la responsabilité pénale de la société [1], à affirmer que « s'il peut être regretté que [C] [G] [E], qui est le président de la société [1] depuis une période antérieure à l'accident subi par [D] [K], n'ait pas été entendu au cours de l'enquête, il n'en demeure pas moins qu'il a été cité, en qualité de représentant de cette société dès la première audience devant le tribunal correctionnel, puis devant la cour, mais ne s'est jamais présenté en personne », motif dont il ne s'infère en rien la désignation et l'identification de Monsieur [C] [G] [E] comme étant l'organe qui aurait commis l'infraction pour le compte de la société [1], la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des
articles 121-1, 121-2, 121-3, 222-19 du Code pénal🏛 ainsi que des
articles 591 et 593 du Code de procédure pénale🏛🏛 ;
3°/ de troisième part, qu'en retenant, pour reconnaitre l'exposante coupable du chef de blessures involontaires, que « s'il peut être regretté que [C] [G] [E], qui est le président de la société [1] depuis une période antérieure à l'accident subi par [D] [K], n'ait pas été entendu au cours de l'enquête, il n'en demeure pas moins qu'il a été cité, en qualité de représentant de cette société dès la première audience devant le tribunal correctionnel, puis devant la cour, mais ne s'est jamais présenté en personne », sans imputer de faute au président de la société [1] et donc sans justifier ni identifier l'organe ou représentant de cette société qui aurait commis la moindre faute de nature à engager la responsabilité de la personne morale, la Cour d'appel a statué par des motifs impropres et inopérants à établir la responsabilité pénale de l'exposante du chef de blessures involontaires et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 121-1, 121-2, 121-3, 222-19 du Code pénal ainsi que des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
4°/ de quatrième part, qu'en ne s'expliquant pas, pour reconnaître l'exposante coupable du chef des blessures involontaires, sur l'existence d'une faute commise par un représentant ou un organe de la société [1] et pour son compte, la Cour d'appel a statué par des motifs impropres et inopérants à établir la responsabilité pénale de l'exposante du chef de blessures involontaires et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 121-1, 121-2, 121-3 et 222-19 du Code pénal et des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
5°/ de cinquième part, qu'en ne s'expliquant pas, pour reconnaître l'exposante coupable du chef de blessures involontaires, sur l'existence d'un lien de causalité entre les blessures de Monsieur [K] et une faute commise par un représentant ou un organe de la société [1] et pour son compte, la Cour d'appel correctionnelle a statué par des motifs inopérants et impropres à établir la responsabilité pénale de l'exposante du chef de blessures involontaires et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 121-1, 121-2, 121-3 et 222-19 du Code pénal et des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
6°/ de sixième part, que devant les juges du fond, la société [1] faisait valoir (conclusions, p. 13) que, pour identifier la personne disposant des pouvoirs et des moyens d'exercer des prérogatives de direction en matière d'hygiène ou de sécurité, il fallait se référer aux règles prescrites par la Loi espagnole à laquelle elle était soumise ; qu'en retenant, pour écarter ce moyen, que « le fait que la société [1] soit une société de droit espagnol est sans effet sur l'application du droit pénal français s'agissant de faits survenus sur le sol français et dont la victime était française » quand l'exposante ne s'opposait pas à l'application de la Loi pénale française s'agissant des éléments constitutifs des infractions poursuivies, mais prétendait uniquement que l'identification de l'organe ou du représentant doté, au sein de la société [1], du pouvoir et des moyens d'exercer les prérogatives de direction en matière d'hygiène et de sécurité devait être opérée au regard du droit espagnol, la Cour d'appel correctionnelle a statué sans répondre à ce chef déterminant des conclusions de la société [1] et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 121-1, 121-2, 121-3 et 222-19 du Code pénal et des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Pour déclarer la société [1] coupable de blessures involontaires, l'arrêt attaqué énonce qu'en l'absence de délégation de pouvoir au sein de la société [2], il appartenait, en qualité de représentante légale de cette dernière, à la société prévenue, elle-même représentée par son président M. [J] [G] [E], de s'assurer de l'application effective de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité des travailleurs.
8. Les juges exposent de quelle façon la société [1] n'a pas, en tant que présidente de la société [2], mis en oeuvre les mesures indispensables à assurer la sécurité des salariés de cette dernière et a notamment méconnu l'obligation, résultant de l'
article R. 4324-1 du code du travail🏛, d'équiper la machine concernée d'un dispositif empêchant l'accès à ses zones dangereuses.
9. Ils en déduisent que cette société a commis une négligence de nature à engager sa responsabilité pénale.
10. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.
11. En effet, en premier lieu, les juges se sont déterminés par des motifs dépourvus d'insuffisance et de contradiction dont il résulte que M. [G] [E], représentant légal de la société [1], a commis pour le compte de cette dernière des manquements ayant occasionné les blessures subies par M. [K] en ne prenant pas, dans le cadre de la présidence de la société [2], les mesures nécessaires à la sécurité des travailleurs.
12. En second lieu, en l'absence de toute allégation par la société [1] d'une délégation de pouvoir confiant la responsabilité de la sécurité au travail à une personne autre que son représentant légal, les juges n'étaient pas tenus de rechercher si une telle délégation résultait du droit espagnol, les hypothèses non étayées de la prévenue sur ce point devant être considérée comme un détail de son argumentation.
13. Ainsi, le moyen doit être écarté.
14. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du onze février deux mille vingt-cinq.