Tribunal de première instance des Communautés européennes3 avril 2003
Affaire n°T-114/02
BaByliss SA
c/
Commission des Communautés européennes
ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)
3 avril 2003 (1)
"Concurrence - Concentrations - Règlement (CEE) n° 4064/89 - Recours introduit par un tiers - Recevabilité - Engagements au cours de la première phase d'examen - Licence de marque - Modifications des engagements - Délais - Concours financier apporté par l'État - Prix de reprise dérisoire - Existence de doutes sérieux quant à la compatibilité de la concentration avec le marché commun - Absence d'engagement sur des marchés présentant des problèmes sérieux de concurrence"
Dans l'affaire T-114/02,
BaByliss SA, établie à Montrouge (France), représentée par Me J.-P. Gunther, avocat,
partie requérante,
soutenue par
De'Longhi SpA., représentée par Mes M. Merola, D. Domenicucci et I. van Schendel, avocats,
partie intervenante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par Mme V. Superti, MM. K. Wiedner et F. Lelièvre, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
soutenue par
SEB SA, représentée par Mes D. Voillemot et S. Hautbourg, avocats,
partie intervenante,
ayant pour objet une demande d'annulation de la décision SG (2002) D/228078 de la Commission, du 8 janvier 2002, s'opposer de déclarer la concentration entre SEB et Moulinex compatible avec le marché commun et avec l'accord sur l'Espace économique européen, sous réserve du respect des engagements proposés (affaire COMP/M.2621 - SEB/Moulinex),
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),
composé de MM. K. Lenaerts, président, J. Azizi et M. Jaeger, juges,
greffier: M. J. Palacio González, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 9 octobre 2002,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique
1.
Au terme de son article 1er, le règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises [JO L 395, p. 1, tel que rectifié, JO 1990, L 257, p. 13, et tel que modifié par le règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1), ci-après le "règlement n° 4064/89"] s'applique aux opérations de concentration de dimension communautaire définies aux paragraphes 2 et 3 dudit article.
2.
Conformément à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, les opérations de concentration de dimension communautaire doivent être notifiées préalablement à la Commission.
3.
Par ailleurs, l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89 prévoit qu'une concentration de dimension communautaire ne peut être réalisée ni avant d'être notifiée ni avant d'avoir été déclarée compatible avec le marché commun. L'article 7, paragraphe 4, autorise toutefois la Commission, sur demande, à octroyer une dérogation à cette obligation de suspension de l'opération de concentration.
4.
Au terme de l'article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 4064/89, si la Commission constate que l'opération de concentration notifiée, bien que relevant du règlement, ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide de ne pas s'y opposer et la déclare compatible avec le marché commun (ci-après la "phase I").
5.
À l'inverse, au terme de l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064/89, si la Commission constate que l'opération de concentration notifiée relève du règlement et soulève des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide d'engager la procédure (ci-après la "phase II").
6.
Selon l'article 6, paragraphe 2, dudit règlement:
"Si la Commission constate que, après modifications apportées par les entreprises concernées, une opération de concentration notifiée ne soulève plus de doutes sérieux au sens du paragraphe 1, [sous] c), elle peut décider de déclarer ladite opération compatible avec le marché commun, conformément au paragraphe 1, [sous] b).
La Commission peut assortir la décision qu'elle prend en vertu du paragraphe 1, [sous] b), de conditions et de charges destinées à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu'elles ont pris à son égard en vue de rendre la concentration compatible avec le marché commun".
7.
Conformément à l'article 18, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 447/98 de la Commission, du 1er mars 1998, relatif aux notifications, aux délais et aux auditions prévues par le règlement n° 4064/89 (JO L 61, p. 1), "[l]es engagements que les entreprises concernées proposent à la Commission conformément à l'article 6,paragraphe 2, du règlement [...] n° 4064/89 et que les parties veulent faire prendre en considération dans une décision fondée sur l'article 6, paragraphe 1, [sous] b), dudit règlement doivent être communiqués à la Commission dans un délai de trois semaines à compter de la date de réception de la notification".
8.
Dans la communication concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement n° 4064/89 et au règlement n° 447/98 (JO 2001, C 68, p. 3, ci-après la "communication concernant les mesures correctives"), la Commission expose les lignes directrices qu'elle entend suivre en matière d'engagements.
9.
En vertu de l'article 21, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, la Commission a compétence exclusive pour arrêter les décisions prévues audit règlement. L'article 21, paragraphe 2, précise par ailleurs que les États membres n'appliquent pas leur législation nationale sur la concurrence aux opérations de concentration de dimension communautaire.
10.
L'article 9, deuxième alinéa, sous a), du règlement n° 4064/89 permet toutefois à la Commission de renvoyer l'examen d'une opération de concentration de dimension communautaire aux États membres, lorsque cette opération de concentration menace de créer ou de renforcer une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans un marché à l'intérieur de cet État membre qui présente toutes les caractéristiques d'un marché distinct.
Faits à l'origine du litige
I - Les entreprises en cause
11.
Le présent recours, introduit par BaByliss SA (ci-après également la "requérante"), vise à obtenir l'annulation de la décision par laquelle la Commission a approuvé, sous conditions, la concentration entre SEB et Moulinex.
12.
La requérante est une entreprise française, contrôlée par le groupe américain Conair, qui est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation, sous la marque BaByliss, des produits du petit électroménager dits de beauté (par exemple, les sèche-cheveux, fers et brosses chauffantes, tondeuses, appareils d'épilation féminine et de soins du corps). Le groupe Conair est actif sur tous les segments du petit électroménager (cuisine, beauté, nettoyage) aux États-Unis et dans le monde, principalement sous les marques Conair, BaByliss, Interplak, Forfex, Cuisinart, Revlon et Vidal Sassoon.
13.
SEB est une entreprise française active dans le secteur de la conception, de la fabrication et de la commercialisation d'appareils du petit électroménager au niveau mondial. SEB commercialise ses produits dans plus de 120 pays sous deuxmarques de dimension mondiale (Tefal et Rowenta) et quatre marques locales (Calor et SEB en France et en Belgique, Arno au Brésil et dans les pays du Mercosur, Samurai dans les pays du pacte Andin). Les familles de produits commercialisées par SEB sous ces différentes marques sont les appareils de cuisson (mini-fours, friteuses, grille-pain, repas informels), les appareils à boissons chaudes (cafetières électriques, machines à expressos, bouilloires), les préparateurs culinaires, les fers à repasser et les stations vapeur, les appareils de soins de la personne (épilation, coiffure, rasage, etc.), les aspirateurs, les appareils de ventilation et de chauffage domestique, et les ustensiles de cuisine.
14.
Moulinex est également une entreprise française active dans le secteur de la conception, de la fabrication et de la commercialisation d'appareils du petit électroménager au niveau mondial. Moulinex commercialise les mêmes familles de produits que SEB sous deux marques internationales (Moulinex et Krups) et une marque locale (Swan au Royaume-Uni). Moulinex commercialise aussi des fours à micro-ondes.
II - Procédure nationale
15.
Le 7 septembre 2001, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard du groupe Moulinex. Conformément à la loi française, des administrateurs judiciaires nommés par le tribunal de commerce ont dû établir si l'entreprise en redressement judiciaire pouvait poursuivre son activité, devait être cédée à des tiers ou devait être liquidée. Dans le cas présent, la poursuite des activités de Moulinex s'étant révélée impossible, les administrateurs ont tenté de trouver un repreneur pour tout ou partie des activités de Moulinex.
16.
Dans le cadre de cette procédure, le groupe SEB s'est portée candidate à la reprise de certains actifs de Moulinex relevant du petit électroménager, à savoir:
- tous les droits attachés à l'exploitation des marques Moulinex, Krups et Swan, quels que soient les produits concernés;
- une partie de l'outil de production (huit sites industriels sur un total de 18 et certains outillages présents dans les sites non-repris) permettant la production d'au moins certains modèles pour tous les produits fabriqués par Moulinex, à l'exception des aspirateurs et des fours à micro-ondes;
- certaines sociétés de commercialisation, à savoir, pour l'Europe, uniquement les sociétés allemande et espagnole.
17.
Par lettre du 25 septembre 2001, BaByliss a envoyé aux administrateurs judiciaires de Moulinex, eu égard à la volonté de BaByliss d'accroître sa présence dans le domaine du petit électroménager en France et dans le monde, une offre portant sur l'acquisition de l'ensemble des activités de Krups dans le monde, en ce comprisnotamment le matériel, l'outillage, les stocks, les droits de propriété industrielle et les réseaux de distribution de Krups.
18.
Par jugement du 22 octobre 2001, le tribunal de commerce de Nanterre a accepté le plan de reprise proposé par SEB.
III - Procédure devant la Commission
19.
À la demande de SEB, la Commission a accordé, le 27 septembre 2001, une dérogation à l'effet suspensif telle que prévue à l'article 7, paragraphe 4, du règlement n° 4064/89. La décision de la Commission a été motivée principalement par le fait que les administrateurs judiciaires avaient exigé que toute offre de reprise soit inconditionnelle. La dérogation octroyée par la Commission était limitée à la gestion des actifs repris.
20.
Le 13 novembre 2001, la Commission a reçu notification, au titre de l'article 4 du règlement n° 4064/89, du projet d'acquisition par SEB de certains actifs de Moulinex.
21.
Le 21 novembre 2001, la Commission a publié au Journal officiel des Communautés européennes l'avis prévu par l'article 4, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. Aux termes du point 4 de cet avis, la Commission invitait "les tiers concernés à lui transmettre leurs observations éventuelles sur le projet de concentration".
22.
À la suite de cette publication, BaByliss a, par lettres en date des 27 et 29 novembre 2001, fait part à la Commission de son inquiétude à l'égard du projet de concentration en cause, compte tenu des effets anticoncurrentiels considérables du rapprochement de SEB et de Moulinex dans le secteur que BaByliss envisageait de pénétrer à très court terme. BaByliss soulignait à cet égard qu'elle se positionnait comme un concurrent potentiel de SEB-Moulinex dans le domaine du petit électroménager, et plus particulièrement, dans le secteur du petit matériel de cuisine, dans lequel elle développe ses activités sous la marque commerciale Cuisinart. Par courrier du 29 novembre 2001 annexé à la lettre de la même date, BaByliss a adressé à la Commission une proposition de reprise globale incluant la totalité des effectifs et des actifs de Moulinex en France et a joint en annexe un business plan de Cuisinart ("Stratégie Cuisinart en France") daté de novembre 2001.
23.
Par lettre du 30 novembre 2001, BaByliss a répondu au questionnaire adressé aux concurrents par la Commission, qui le lui avait envoyé le 27 novembre 2001.
24.
Le 5 décembre 2001, les parties à la concentration ont proposé des engagements à la Commission.
25.
Le même jour, les représentants de BaByliss ont rencontré la Commission au sujet du projet de concentration.
26.
Par lettre en date du 6 décembre 2001, BaByliss a fait part à la Commission de ses réserves quant à la possibilité que celle-ci puisse, le cas échéant, renvoyer, en application de l'article 9 du règlement n° 4064/89, tout ou partie de l'affaire aux autorités nationales de la concurrence qui en feraient la demande.
27.
Le 7 décembre 2001, les autorités françaises de la concurrence ont formé auprès de la Commission une demande de renvoi partiel, au titre de l'article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 4064/89, pour ce qui concerne les effets de l'opération de concentration en cause sur la concurrence en France, sur certains marchés de la vente d'appareils du petit électroménager.
28.
À la suite des critiques de la Commission, les parties à la concentration ont modifié leurs engagements initiaux le 18 décembre 2001.
29.
Le 20 décembre 2001, BaByliss a fait part à la Commission de ses observations concernant les parts de marchés que SEB-Moulinex détiendrait dans les catégories de produits examinées par la Commission, à la suite de l'opération de concentration en cause.
30.
Par lettre du 21 décembre 2001, BaByliss a répondu à un questionnaire concernant les engagements des parties à la concentration, que lui avait adressé la Commission le 20 décembre 2001.
31.
À la suite des observations des tiers intéressés, les parties à la concentration ont une nouvelle fois modifié leurs engagements.
32.
Le 28 décembre 2001, la requérante a formulé une offre de reprise partielle de Moulinex.