N° Z 23-86.433 F-B
N° 00068
GM
22 JANVIER 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 JANVIER 2025
M. [Aa] [Ab] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Colmar, en date du 10 octobre 2023, qui a prononcé sur une demande de suspension de peine pour raison médicale.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [Aa] [Ab], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [Aa] [Ab], qui exécute une peine de dix-huit ans de réclusion criminelle prononcée par la cour d'assises le 21 mai 2021, a sollicité une suspension de sa peine pour raison médicale, sur le fondement de l'
article 720-1-1 du code de procédure pénale🏛.
3. Par jugement du 13 avril 2022, le tribunal de l'application des peines a rejeté cette demande.
4. M. [Ab] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
5. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le rejet de la demande de suspension de peine présentée par M. [Ab], alors :
« 1°/ que selon les termes de l'article 720-1-1 du code de procédure pénale, la suspension peut être ordonnée lorsqu'il est établi par une expertise médicale que le condamné est atteint d'une pathologie engageant le pronostic vital ; depuis la
loi du 15 août 2014🏛 ayant modifié la rédaction du texte dont s'agit, il suffit qu'une seule expertise médicale établisse que le condamné se trouve dans cette situation ; en l'espèce, la cour d'appel qui relève que l'un des experts commis, le docteur [J], concluait que le pronostic vital de M. [Ab] était engagé à court terme ne pouvait statuer comme elle l'a fait et considérer que la situation de l'intéressé ne répond pas au premier critère de l'octroi d'une suspension de peine sans violer ledit
article 720-1 du code de procédure pénale🏛 ;
2°/ que les circonstances selon lesquelles un autre expert, le docteur [L], concluait que le pronostic vital était engagé à moyen terme, l'un comme l'autre des experts concernés estimant que l'issue ne pouvait être déterminée de façon précise, ne pouvait en déduire que s'il ne fait pas de doute que le pronostic vital de M. [Ab] est engagé, la circonstance selon laquelle l'issue ne peut être déterminée de façon précise exclut un pronostic vital engagé à court terme, la situation de l'intéressé ne répondant donc pas au premier critère d'octroi d'une suspension de peine pour raison médicale, sans refuser de déduire les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations relatives au fait que le pronostic vital de M. [Ab] était irrémédiablement engagé à brève échéance et des conclusions du docteur [J], qu'elle citait, lequel évoquait un pronostic vital engagé à court terme, méconnaissant ainsi l'article susvisé, ensemble l'
article 593 du code de procédure pénale🏛 ;
3°/ que l'article 720-1-1 du code de procédure pénale qui ne soumet la possibilité de demander une suspension de peine qu'à l'existence d'une pathologie engageant le pronostic vital du condamné dûment constatée, n'exige pas que le moment de l'issue fatale soit déterminé avec précision ; en considérant que lorsque l'issue ne peut être déterminée de façon précise, cela exclut tout pronostic vital engagé à court terme, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
5°/ qu'en toute hypothèse, à supposer même qu'il ne soit pas établi par les expertises que le condamné se trouve dans l'une des situations prévues par l'article 720-1-1 du code de procédure pénale, il entre dans l'office du juge concurremment au recours prévu par l'
article 803-8 du code de procédure pénale🏛, lorsqu'il est saisi d'une demande de suspension de peine, soit d'ordonner une nouvelle expertise, soit de rechercher si le maintien en détention de l'intéressé n'est pas constitutif d'un traitement inhumain ou dégradant ; en effet, en tant que gardien des libertés individuelles, il incombe au juge judiciaire de veiller à ce que toute détention soit en toute circonstance mise en oeuvre dans des conditions respectant la dignité de la personne et de s'assurer que la privation de liberté est exempte de tout traitement inhumain et dégradant ; en se déclarant incompétente pour statuer sur ce moyen et en considérant par ailleurs qu'une suspension de peine n'a pas vocation à être prononcée par le juge de l'application des peines en vertu des dispositions de l'article 803-8 du code de procédure pénale, la chambre de l'application des peines de la cour d'appel a méconnu l'article 3 de la CEDH et les principes susvisés, et a excédé négativement ses pouvoirs. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses trois premières branches
7. Pour rejeter la demande de suspension de peine pour raison médicale de M. [Ab], l'arrêt attaqué retient que, s'il est établi que ce dernier souffre d'une maladie qui se caractérise par l'existence de lésions tumorales cérébrales multiples, dont l'une évolue défavorablement depuis le mois de juin 2021 et n'est pas opérable, les experts considèrent que l'aggravation de sa maladie est d'intensité modérée, que le pronostic vital et fonctionnel du patient est engagé, sans que son échéance puisse être établie de façon précise.
8. Les juges en déduisent qu'il est exclu que le pronostic vital de l'intéressé soit engagé à court terme, de sorte que la première condition d'octroi de la mesure sollicitée n'est pas remplie.
9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
10. En effet, si l'article 720-1-1 du code de procédure pénale dispose que la suspension de peine peut être ordonnée pour les condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention, la Cour de cassation a interprété ce texte en ce sens qu'il n'est applicable qu'aux condamnés dont le pronostic vital est engagé à court terme (
Crim., 28 septembre 2005, pourvoi n° 05-81.010⚖️, Ac. crim. 2005, n°247).
11. Cette interprétation est conforme à la volonté du législateur, telle qu'elle ressort des travaux préparatoires de la
loi n° 2002-303 du 4 mars 2002🏛 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dont ces dispositions sont issues. Ces travaux font état du but poursuivi par cette loi, de permettre une suspension de peine à l'égard des personnes détenues en fin de vie dont l'état de santé appelle des soins qu'ils ne peuvent recevoir en prison. Il en résulte que ce pronostic doit être connu de manière suffisamment certaine.
12. Dès lors, les griefs ne sont pas fondés.
Sur le moyen, pris en sa cinquième branche
13. Pour écarter le moyen pris de la violation de l'
article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme🏛, pris de ce que le maintien en détention de M. [Ab] serait constitutif d'un traitement inhumain et dégradant, l'arrêt attaqué retient que ce moyen relève des dispositions introduites par la
loi du 8 avril 2021🏛 dans le code de procédure pénale sur les conditions de détention indignes, qui permettent au détenu qui s'estimerait dans une telle situation de saisir le juge de l'application des peines par une requête motivée, et que cette procédure échappe à la compétence de la chambre de l'application des peines saisie de la contestation d'une décision ayant rejeté une mesure de suspension de peine.
14. C'est à tort que la cour d'appel s'est ainsi déclarée incompétente.
15. En effet, il résulte des articles 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale qu'il entre dans l'office du juge saisi d'une demande de suspension de peine de rechercher si le maintien en détention de l'intéressé n'est pas constitutif d'un traitement inhumain ou dégradant en raison de son incompatibilité avec les garanties qui lui sont dues pour protéger sa santé, indépendamment du recours qu'il pourrait exercer sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale.
16. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que la juridiction, pour dire que la détention de l'intéressé pouvait être maintenue, a constaté qu'il bénéficie d'une prise en charge hospitalière appropriée.
17. Il s'ensuit que le grief doit être écarté.
18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt-cinq.