N° N 24-81.941 F-D
N° 00042
ODVS
7 JANVIER 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 JANVIER 2025
M. [E] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 8 mars 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants, contrebande de marchandises prohibées, association de malfaiteurs et blanchiment, en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 10 juin 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Chaline-Bellamy, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [E] [W], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chaline-Bellamy, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. A la suite d'une enquête portant sur l'utilisation à des fins criminelles du système de chiffrement des télécommunications Sky ECC, une information a été ouverte auprès de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille notamment des chefs d'association de malfaiteurs et de fourniture de prestations de cryptologie. De nombreuses interceptions de communications électroniques ont été mises en oeuvre sur commission rogatoire délivrée le 20 août 2019.
3. Après dessaisissement des juges d'instruction de la JIRS de Lille en faveur de la juridiction nationale de lutte contre le crime organisé (JUNALCO), une mesure de captation de données informatiques a été mise en oeuvre sur ordonnance et commission rogatoire du 17 décembre 2020.
4. Un procès-verbal de renseignement établi le 17 février 2021 a été transmis au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rennes, relatant des interceptions de nature à impliquer plusieurs personnes dans un trafic de stupéfiants, dont M. [E] [W].
4. Une information a été ouverte le 6 mai 2021 des chefs notamment d'importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment.
5. M. [W] a été mis en examen des chefs susmentionnés le 25 novembre 2022.
6. Par mémoire déposé le 17 mars 2023 devant la chambre de l'instruction, il a présenté des moyens de nullité de pièces de la procédure.
7. Par arrêt du 7 avril 2023, la chambre de l'instruction a ordonné un supplément d'information concernant les demandes de M. [W].
Sur les premier, deuxième et cinquième moyens
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure, alors « que doivent être censurés les actes qui, sous couvert d'une autorisation d'interception de communications électroniques ou de captation de données, relatent la mise en uvre d'une opération il résulte de la procédure que, par un soit-transmis en date du 18 septembre 2023, le juge d'instruction parisien de la JUNALCO, interrogé par l'arrêt de supplément d'information du 7 avril 2023, a affirmé que « les données de géolocalisation [dont fait mention le procès-verbal du 27 février 2021] résultent des opérations de captation informatique » ; qu'il était ainsi établi que, sous couvert d'une mesure d'interception de communications ou de captation de données, les enquêteurs avaient procédé, sans autorisation spécifique, à la géolocalisation du matériel informatique utilisé par plusieurs mis en cause ; qu'en affirmant, pour rejeter le moyen d'annulation pris de l'absence d'autorisation spécifique de géolocalisation des terminaux utilisés par les divers utilisateurs du service SKY ECC, que cette géolocalisation avait pu intervenir sur la base d'une autorisation générale de captation des données informatiques, la Chambre de l'instruction a violé les
articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme🏛, préliminaire, 230-32, 706-102-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale.»
Réponse de la Cour
10. Pour écarter le moyen de nullité, selon lequel des mesures de géolocalisation des terminaux utilisés auraient été mises en oeuvre sans autorisation spécifique, l'arrêt attaqué énonce que la mesure de captation de données informatiques autorise le recueil de données très variées et qu'en l'espèce, elle a conduit à récupérer des données, re-dirigées par le dispositif technique autorisé, stockées ou circulant entre les boîtiers IMEI et les serveurs, dont les données de géolocalisation desdits boîtiers.
11. Les juges indiquent que, sur la question posée par l'arrêt avant dire droit précité portant sur les conditions d'obtention de la géolocalisation des équipements téléphoniques visés dans le procès-verbal de renseignement du 27 février 2021, le magistrat instructeur de la JUNALCO a précisé, le 18 septembre 2023, que « les données de géolocalisation résultent des opérations de captation informatique » (D1908/1).
12. Ils en concluent qu'aucun détournement de la mesure de captation aux fins de contourner le dispositif légal prévu pour la géolocalisation ne peut dès lors être sérieusement allégué et que la simple exploitation fine de ces données informatiques, alliées aux interceptions, a conduit, sans autres mesures coercitives ou d'ingérence des enquêteurs ou du magistrat instructeur, à la réunion d'indices de la commission de faits nouveaux distincts et d'éléments d'identification de leurs auteurs qui ont régulièrement conduit à l'établissement du procès-verbal du 27 février 2021.
13. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
14. En effet, l'
article 706-102-1 du code de procédure pénale🏛, qui ne distingue pas selon leur nature, autorise le recueil de toutes les données informatiques captées résultant de l'analyse des flux entre les terminaux, dont les données de géolocalisation des matériels informatiques utilisés.
15. En toute hypothèse, au regard des conditions exigées par les articles 706-95-11 à 706-95-19 du même code pour autoriser la mise en oeuvre de cette technique spéciale d'enquête, le demandeur ne saurait se faire un grief de l'absence d'autorisation spécifique et distincte de géolocalisation de ces matériels.
16. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure, alors « que si les enquêteurs peuvent procéder à l'interception des communications reçues ou émises par une personne ou un groupe de personne déterminées, et s'ils peuvent capter les données issues des terminaux utilisés par les membres de ce groupe, ils ne sauraient capter de manière massive, générale et indifférenciée, toutes les communications ou toutes les données transitant par un serveur, une antenne relai ou un réseau ; que les opérations d'interception et de captation mises en uvre dans le cadre de la procédure « SKY ECC », qui ont permis l'interception indiscriminée des communications de l'ensemble des utilisateurs du réseau éponyme, soit plus de 117.000 personnes, dont 3.000 en France, pour un total d'environ un milliard de messages exploités et s'apparentant donc à une mesure de surveillance de masse d'une population peu importe leur éventuelle implication dans une activité délictuelle, ne sont ni légales ni proportionnées et que Monsieur [Aa], qui se trouvait au nombre des utilisateurs de ce
réseau et dont les données ayant transité par SKY ECC ont été captées et exploitées dans le cadre de la procédure suivie à son encontre, était recevable et fondé à en demander l'annulation ; qu'en déniant à Monsieur [W] intérêt et qualité à contester la régularité de ces opérations d'interception, de captation et d'exploitation, après avoir constaté que « concernant [W] [E], il était soupçonné d'être [O], l'un des utilisateurs du réseau crypté SKY ECC, lequel échangeait à de très nombreuses reprises entre mai 2020 et mars 2021 [
] », la Chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union, préliminaire, 802, 591 et 593 du Code de procédure pénale.»
Réponse de la Cour
18. Pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'interception et de la captation de la totalité des communications échangées via le réseau Sky ECC, en violation de la Convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne en matière de données de connexion, l'arrêt attaqué énonce que le requérant n'a pas qualité à agir en annulation de l'ensemble des interceptions et captations de données concernant des utilisateurs tiers du système Sky ECC dans une procédure distincte qui ne concerne directement ni ses intérêts propres ni la protection de sa vie privée.
19. Les juges ajoutent que le moyen qui se fonde sur l'atteinte disproportionnée à la vie privée qui résulterait des interceptions et captations réalisées dans la présente procédure pour affirmer la nullité de la conservation et de l'accès aux données de trafic et de localisation, qui relèvent d'un régime juridique distinct, est inopérant.
20. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
21. En effet, le moyen qui soutient que les opérations d'interception, de captation et d'exploitation de toutes les données ayant transité par le réseau crypté SKY ECC sont constitutives d'une surveillance de masse d'une population est inopérant dès lors ces mesures n'ont été ordonnées et mises en oeuvre qu'à l'encontre d'utilisateurs d'un moyen de cryptologie non déclaré conformément aux dispositions de l'
article 30, III, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004🏛 et utilisé aux fins d'activités illicites afin d'en garantir la clandestinité.
22. Ainsi, le moyen ne peut être accueilli.
23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du sept janvier deux mille vingt-cinq.