Jurisprudence : CA Chambéry, 3e, 22-10-2013, n° 13/02258 13/01631

CA Chambéry, 3e, 22-10-2013, n° 13/02258 13/01631

A7751KPR

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CA Chambéry, 3e, 22-10-2013, n° 13/02258 13/01631. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/11337940-ca-chambery-3e-22102013-n-1302258-1301631
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Abstract

Dans un arrêt très médiatisé rendu le 22 octobre 2013, la cour d'appel de Chambéry confirme le jugement ayant donné mainlevée de l'acte d'opposition du ministère public au mariage d'un couple homosexuel franco-marocain (CA Chambéry, 3ème ch., 22 octobre 2013, n° 13/02258).




3ème Chambre
Arrêt du Mardi 22 Octobre 2013
RG 13/02258 AG/CT
Décision attaquée Jugement du Tribunal de Grande Instance de CHAMBERY en date du 11 Octobre 2013, RG 13/01631

Appelant
M. Le Procureur Z Z Z Z Z Z Z Z Z ChambéryChambéry
Représenté par Monsieur ..., Substitut Général
Intimés
M. René André Dominique Y
né le ..... à CHAMBERY (73000),
M. Mohammed 0
né le ..... à OUJDA - MAROC.
assistés de Me Didier BESSON, avocat au barreau de CHAMBERY

COMPOSITION DE LA COUR ;

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 21 octobre 2013 avec l'assistance de Madame TAMBOSSO, Greffier,
En présence de Melle L. ..., assistante de Justice. et lors du délibéré, par
- Monsieur GROZINGER, Conseiller faisant fonction de Président, à ces fins désigné par ordonnance du Premier Président de la Cour d'Appel de CHAMBERY, qui a procédé au rapport,
- Madame'EYLARD-OZEROFF, Conseiller, - Madame OUDOT, Conseiller.

Par un jugement en date du 11 octobre 2013 le tribunal de grande instance de Chambéry a
- Donné mainlevée de l'acte d'opposition du 12 septembre 2013 du ministère public au mariage de Messieurs René Y et M.

- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du CPC . Le ministère public a interjeté appel le 11 octobre 2013 .
Il expose que selon l'article 55 de la constitution du 4 octobre 1958, les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois .
En l'espèce la convention bilatérale franco-marocaine du 10 août 1981 a été régulièrement ratifiée et publiée et n'aurait aucunement été dénoncée .
Cette convention aurait ainsi une valeur supra légale et elle imposerait en son article 5, sans aucune dérogation, les règles de la loi personnelle de chacun des futurs époux concernant les conditions de fond du mariage .
L'ensemble du corpus du code de la famille marocain organiserait l'union entre un homme et une femme et au surplus la relation homosexuelle serait réprimée par le code pénal marocain .
H en serait ainsi déduit que le mariage entre personnes du même sexe est interdit par la loi marocaine .
Aucun élément n'établirait que la loi française du 17 mai 2013 a voulu s'affranchir des dispositions contenues dans la convention franco-marocaine .
L'article 5 de ladite convention aurait une valeur supérieure dans la hiérarchie des normes à l'article 202-1 alinéa 2 du code civil instauré par la loi du 17 mai 2013 prévoyant la possibilité pour deux personnes du même sexe de contracter mariage .
11 n'existerait aucune discrimination générale à l'accès au mariage dans la mesure où l'article 202-1 alinéa 2 du code civil trouve son application dans les rapports régissant les futurs époux dont les conventions internationales régulièrement ratifiées par les états font référence à des lois personnelles n'excluant pas le mariage de personnes de même sexe .
Les états auraient ainsi une large latitude pour autoriser le mariage entre personnes du même sexe suivant la Cour Européenne des Droits de l'Homme,
le couple homosexuel étant protégé et non la notion de mariage .
Le ministère public conclut en conséquence à l'infirmation du jugement déféré et au maintien de l'acte d'opposition à mariage en date du 12 septembre 2013.
Messieurs Y et 0 font valoir en réponse qu'ils entretiennent une relation depuis plusieurs années et qu'ils se sont pacsés le 11 mars 2013 .
A la suite de la loi du 17 niai 2013, le couple a déposé un dossier de mariage en mairie de Jacob-Bellecombette et les bans ont été publiés le 13 juillet 2013 pour un mariage prévu le 14 septembre suivant .
Le Parquet de Chambéry a notifié une décision d'opposition à mariage le 12 septembre .
Ils soutiennent que l'acte d'opposition ne reprend pas les dispositions de l'article 176 1" du code civil et notamment en ce que aucun texte de loi marocain prévoyant l' interdiction du mariage entre personnes du même sexe n' est produit.
L'acte d'opposition en question serait ainsi nul .
Les consorts Y -0 soutiennent que la convention franco-marocaine serait inapplicable en droit interne au motif qu'il ne serait pas prouvé que le Maroc applique le dit texte. Sans condition de réciprocité, la convention n'aurait pas vocation à être mise en oeuvre .
La loi du 17 mai 2013 aurait, au surplus, modifié l'ordre international public français permettant l'éviction de l'article 5 de la convention franco-marocaine.
La cour de cassation aurait admis à de nombreuses reprises l'éviction d'une convention bilatérale en cas de contrariété à l'ordre public international français.
Une discrimination à l'accès au mariage fondée sur le sexe ou sur la nationalité justifierait l'éviction de l'article 5 qui entrainerait la création d'une inégalité de tous devant la loi ; les ressortissants étrangers de pays n'ayant pas de convention bilatérale avec la France pouvant se prévaloir des nouvelles diSpositions de l'article 202-1 du code civil alinéa 2 et ainsi se marier .
Messieurs GG et ... concluent en conséquence à la confirmation du
jugement déféré et sollicitent une somme de 3000 euros par application de l'article 700 du CPC .
L'arrêt a été mis en délibéré au 22 octobre 2013

SUR CE
Attendu qu'il est indiqué dans la décision d'opposition à célébration de mariage en date du 12 septembre 2013, délivrée par le parquet de Chambéry, que le mariage entre personnes de même sexe est interdit au Maroc et que l'homosexualité y est réprimée pénalement ;
Attendu qu'il est produit un certificat de coutume faisant apparaître que dans la législation marocaine le mariage est un contrat légal par lequel un homme et une femme consentent à s'unir en vue d'une vie conjugale commune et durable ;
Attendu par ailleurs que l'article 489 du code pénal marocain réprime les relations homosexuelles ;
Attendu qu'il apparaît à l'examen de ces éléments que l'acte d'opposition, en faisant mention de ces conditions légales objectives appliquées au Maroc, a respecté les mentions prévues par l'article 176 du code civil et a fait valoir que cette réalité impliquait une impossibilité juridique pour M. 0 , ressortissant marocain, de conclure un mariage avec une personne du même sexe en faisant application du droit marocain ; que l'exception soulevée concernant la nullité de l'acte d'opposition sera ainsi écartée ;
Attendu qu'il est constant que la convention franco-marocaine du 10 août 1981 est appliquée en droit interne concernant l'état des personnes ; qu'il n'est aucunement établi que ces dispositions ne sont pas mises en oeuvre avec réciprocité alors qu'elles sont ratifiées et publiées depuis trente années ; que la non applicabilité de la convention franco-marocaine sur la base du motif de la non réciprocité sera rejetée ;
Attendu que ladite convention prévoit en son article 4 que la loi de l'un des deux états désignés ne peut être écartée par les juridictions de l'autre état que si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public ;
Attendu que l'article 143 du code civil dispose désormais que le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ;
Attendu que la liberté de se marier est un droit fondamental protégé faisant partie du bloc des libertés personnelles suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ; qu'il ne peut pas être contesté que cette nouvelle disposition du code civil, concernant les qualités et conditions du mariage, a modifié la substance même des droits de la personne au regard de l'institution du mariage et permis un accès à des droits qui n' existaient pas avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 mai 2013 ;
Attendu que l'article 202-1 du code civil précise que les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux par sa loi personnelle ; que toutefois, deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage, lorsque, pour au moins l'une d'elle, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence, le permet ;
Attendu qu'il ressort de ces dispositions que le conflit de loi éventuel a été anticipé par la nouvelle loi et que le mariage a ainsi été déclaré possible même pour les personnes dont la loi personnelle n'autorise pas le mariage de personnes de même sexe ; qu'il s'ensuit que ces nouveaux droits ont été rendus délibérément accessibles pour des personnes vivant sur le territoire français et qui n'avaient pas la possibilité juridique d'acquérir ces droits dans le cadre de leur loi personnelle ;
Attendu que ces dispositions, tirées de la loi du 17 mai 2013, ont été validées par le Conseil Constitutionnel et qu'il doit être considéré qu'elles s'intègrent à un nouvel ordre public international ;
Attendu qu'il est constant que la non application de la loi en question pour les ressortissants marocains en raison de l'existence de la convention bilatérale franco-marocaine de 1981 entraînerait une discrimination certaine au détriment de ces derniers ; que ces ressortissants étrangers vivent en France et doivent pouvoir bénéficier de l'accès à des droits légitimes conformes au nouvel ordre public international dans des conditions équivalentes à celles des ressortissants de pays qui n'ont pas conclu de conventions bilatérales et dont les législations ne reconnaissent pas non plus le mariage homosexuel ; qu'il convient ainsi, pour ces motifs, d'écarter l'application de la convention franco-marocaine au profit des principes supérieurs du nouvel ordre public international, instaurés par la loi du 17 mai 2013, et en conséquence de ne pas reconnaître en l'espèce une supériorité du traité sur la loi suivant le principe habituel de la hiérarchie des normes ; qu'il s'ensuit que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a été donné mainlevée de l'acte d'opposition du 12 septembre 2013 au mariage des intimés et le ministère public sera débouté de ses demandes en cause d'appel ;
Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de Messieurs GG et ... la somme exposée au titre de leurs frais irrépétibles en cause d'appel;

PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare l'appel recevable en la forme, Au fond,
Rejette l'exception de nullité présentée par Messieurs GG et ...
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Chambéry en date du 11 octobre 2013,
Déboute le ministère public de ses demandes,
Déboute Messieurs Y et 0 de leur demande sur le fondement de l'article 700 du CPC .
Condamne le trésor public aux dépens de la procédure d'appel .
Ainsi prononcé publiquement le 22 octobre 2013 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par M. A. ..., Conseiller faisant fonction de Président, et M. C. ..., Greffier.

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