Jurisprudence : CJCE, 11-03-2003, aff. C-186/01, Alexander Dory c/ Bundesrepublik Deutschland

CJCE, 11-03-2003, aff. C-186/01, Alexander Dory c/ Bundesrepublik Deutschland

A4315A7X

Référence

CJCE, 11-03-2003, aff. C-186/01, Alexander Dory c/ Bundesrepublik Deutschland. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1133049-cjce-11032003-aff-c18601-alexander-dory-c-bundesrepublik-deutschland
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Abstract

Le droit communautaire s'oppose-t-il à ce que le service militaire obligatoire soit réservé aux hommes ?.





ARRÊT DE LA COUR


11 mars 2003 (1)


"Non-application du droit communautaire au service militaire obligatoire - Égalité de traitement entre hommes et femmes - Article 2 de la directive 76/207/CEE - Limitation aux hommes du service militaire obligatoire en Allemagne - Inapplicabilité de la directive"


Dans l'affaire C-186/01,


ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Verwaltungsgericht Stuttgart (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre


Alexander Dory


et


Bundesrepublik Deutschland,


une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 2 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40), et, plus généralement, sur la compatibilité avec le droit communautaire de la limitation aux hommes du service militaire obligatoire en Allemagne,


LA COUR


composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, MM. J.-P. Puissochet (rapporteur), M. Wathelet, R. Schintgen et C. W. A. Timmermans, présidents de chambre, MM. C. Gulmann, D. A. O. Edward, P. Jann et V. Skouris, Mmes F. Macken et N. Colneric, MM. S. von Bahr et J. N. Cunha Rodrigues, juges,


avocat général: Mme C. Stix-Hackl,


greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,


considérant les observations écrites présentées:


- pour la Bundesrepublik Deutschland et le gouvernement allemand, par M. W-D. Plessing et Mme B. Muttelsee-Schön, en qualité d'agents,


- pour le gouvernement français, par M. R. Abraham, Mme C. Bergeot-Nunes et M. C. Chevallier, en qualité d'agents,


- pour le gouvernement finlandais, par Mme T. Pynnä, en qualité d'agent,


- pour la Commission des Communautés européennes, par M. J. Sack et Mme N. Yerrell, en qualité d'agents,


vu le rapport d'audience,


ayant entendu les observations orales de M. Dory, représenté par Mes W. Dory et C. Lenz, Rechtsanwälte, du gouvernement allemand, représenté par M. W.-D. Plessing, assisté de M. C. Tomuschat, Sachverständiger, du gouvernement finlandais, représenté par Mme T. Pynnä, et de la Commission, représentée par M. J. Sack, à l'audience du 16 avril 2002,


ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 28 novembre 2002,


rend le présent


Arrêt


1.


Par ordonnance du 4 avril 2001, parvenue à la Cour le 30 avril suivant, le Verwaltungsgericht Stuttgart a posé, en application de l'article 234 CE, une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 2 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en .uvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40) et, plus généralement, sur la compatibilité avec le droit communautaire de la limitation aux hommes du service militaire obligatoire en Allemagne.


2.


Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige entre M. Dory et la Bundesrepublik Deutschland à propos d'une décision du Kreiswehrersatzamt Schwäbisch Gmünd (ci-après le "KSG"), refusant de le dispenser du recensement par l'armée et du service militaire obligatoire.


Le cadre juridique


Le droit communautaire


3.


Aux termes de l'article 2 CE:


"La Communauté a pour mission, par l'établissement d'un marché commun, d'une Union économique et monétaire et par la mise en .uvre des politiques ou des actions communes visées aux articles 3 et 4, de promouvoir dans l'ensemble de la Communauté un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, l'égalité entre leshommes et les femmes, une croissance durable et non inflationniste, un haut degré de compétitivité et de convergence des performances économiques, un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement, le relèvement du niveau et de la qualité de vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les États membres."


4.


L'article 3, paragraphe 2, CE stipule que, dans le cadre des actions visées au paragraphe 1 de cet article qui sont menées dans les buts énoncés à l'article 2 CE, "la Communauté cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l'égalité, entre les hommes et les femmes."


5.


En vertu de l'article 13 CE:


"Sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des compétences que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle."


6.


Aux termes de l'article 141, paragraphe 1, CE:


"Chaque État membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur."


7.


L'article 141, paragraphe 3, CE prévoit:


"Le Conseil, statuant selon la procédure visée à l'article 251 et après consultation du Comité économique et social, adopte des mesures visant à assurer l'application du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de travail, y compris le principe de l'égalité des rémunérations pour un même travail ou un travail de même valeur."


8.


La directive 76/207 dispose à son article 1er, paragraphe 1:


"La présente directive vise la mise en .uvre, dans les États membres, du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, y compris la promotion, et à la formation professionnelle ainsi que les conditions de travail et, dans les conditions prévues au paragraphe 2, la sécurité sociale. [.]"


9.


L'article 2, paragraphes 1 à 3, de la même directive est libellé comme suit:


"1. Le principe de l'égalité de traitement au sens des dispositions ci-après implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial.


2. La présente directive ne fait pas obstacle à la faculté qu'ont les États membres d'exclure de son champ d'application les activités professionnelles et, le cas échéant, les formations y conduisant, pour lesquelles, en raison de leur nature ou des conditions de leur exercice, le sexe constitue une condition déterminante.


3. La présente directive ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité."


10.


Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 76/207:


"L'application du principe de l'égalité de traitement implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe dans les conditions d'accès, y compris les critères de sélection, aux emplois ou postes de travail, quel qu'en soit le secteur ou la branche d'activité, et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle."


La législation nationale


11.


En vertu de l'article 12a du Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland (loi fondamentale de la République fédérale d'Allemagne, dans la version publiée au BGBl. 2000 I S., p. 1755, ci-après le "Grundgesetz"):


"1. Les hommes peuvent, à compter de l'âge de dix-huit ans révolus, être obligés de servir dans les forces armées, dans la police fédérale de protection des frontières ou dans un groupe de protection civile.


[.]


4. Si, pendant l'état de défense, les besoins en services civils des établissements sanitaires civils et des hôpitaux militaires fixes ne peuvent être couverts sur une base volontaire, les femmes âgées de dix-huit ans révolus à cinquante-cinq ans révolus peuvent être affectées à ces services, par la loi ou en vertu d'une loi. Elles ne peuvent en aucun cas être obligées daccomplir un service armé."


12.


Le Wehrpflichtgesetz (loi fédérale sur le service militaire), dans sa version du 15 décembre 1995, applicable à partir du 1er janvier 1996 (BGBl. 1995 I, p. 1756, ci-après la "loi sur le service militaire"), dispose au paragraphe 1 de son article 1er, intitulé "Loi sur le service militaire obligatoire: Obligation générale d'effectuer le service militaire":


"Sont astreints au service militaire obligatoire en Allemagne tous les hommes à compter de l'âge de dix-huit ans révolus et qui sont allemands au sens de la loi fondamentale [.]"


13.


Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la loi sur le service militaire, "[l']obligation d'effectuer le service militaire est remplie par le service obligatoire ou,dans le cas visé à l'article 1er du Kriegsdienstverweigerungsgesetz, du 28 février 1983 (BGBI. I, p. 203), par le service civil [.]"


Le litige au principal et la question préjudicielle


14.


M. Dory est né le 15 juin 1982. Après avoir reçu, en septembre 1999, un questionnaire préalable à la visite médicale destinée à déterminer son aptitude au service militaire, il a demandé au KSG à être dispensé du recensement par l'armée et du service militaire obligatoire. À l'appui de cette demande, il a fait valoir que la loi sur le service militaire était contraire au droit communautaire, en invoquant l'arrêt du 11 janvier 2000, Kreil (C-285/98, Rec. p. I-69), par lequel la Cour a jugé que les femmes ne sauraient être exclues de l'accès à l'ensemble des emplois de l'armée allemande.


15.


Par une décision du 3 février 2000, le KSG a rejeté cette demande en indiquant que l'arrêt Kreil, précité, ne concernait que l'accès volontaire des femmes aux carrières dans les forces armées mais non la question du service militaire obligatoire et que l'obligation d'effectuer ce service continuait de relever de la seule compétence des États membres.


16.


Le recours de M. Dory contre cette décision a été rejeté par la Wehrbereichsverwaltung. L'intéressé a alors saisi le Verwaltungsgericht Stuttgart, devant lequel il a soutenu que la circonstance que les femmes ont un droit d'accès aux emplois militaires, conformément à l'arrêt Kreil, précité, mais qu'elles sont exonérées de l'obligation d'effectuer un service militaire, alors que cette obligation est imposée aux hommes, est contraire au principe d'égalité et constitutive d'une discrimination illégale au détriment des hommes.


17.


La défenderesse au principal a soutenu qu'aucune disposition du traité CE ne permettait de considérer le service militaire obligatoire comme une activité relevant du droit communautaire. L'organisation de ce service relèverait de la compétence de chaque État membre. Ni les articles 3, paragraphe 2, CE et 13 CE, qui ne fonderaient pas en tant que tels une compétence pour la Communauté mais définiraient simplement les modalités d'exercice de compétences conférées par d'autres dispositions, ni l'article 141 CE et la directive 76/207, qui viseraient seulement les activités professionnelles, ne pourraient trouver application en l'espèce au principal.


18.


Le Verwaltungsgericht Stuttgart a émis des doutes sur ces derniers arguments. Il a souligné, d'une part, en faisant référence à l'arrêt du 7 décembre 2000, Schnorbus (C-79/99, Rec. p. I-10997), que l'accomplissement du service militaire retardait l'accès des hommes à l'emploi et à la formation professionnelle et pouvait par conséquent constituer une discrimination fondée sur le sexe au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la directive 76/207. D'autre part, il a estimé que cette différence de traitement pourrait néanmoins être justifiée en tant qu'avantage spécifique au bénéfice des femmes, compensant en partie les périodes d'interruption de travail liées à la maternité et à l'éducation des enfants.


19.


Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Stuttgart a considéré qu'il était nécessaire que la Cour précise la portée du droit communautaire en la matière. Il a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:


"Eu égard notamment à l'interprétation de l'article 2 de la directive 76/207/CEE [.], le fait que, en Allemagne, le service militaire ne soit obligatoire que pour les hommes est-il contraire au droit communautaire?"


20.


Le 26 septembre 2001, M. Dory a reçu un ordre d'appel sous les drapeaux qui l'obligeait à commencer son service militaire entre le 1er et le 5 novembre 2001.


21.


Par lettres du 28 septembre 2001, M. Dory a formé un recours devant la juridiction de renvoi et devant la Cour, en référé, afin d'obtenir le sursis à exécution de cet ordre d'appel sous les drapeaux. Par ordonnance du 19 octobre 2001, la juridiction de renvoi a fait droit à cette demande. Par ordonnance du 24 octobre 2001, Dory (C-186/01 R, Rec. p. I-7823), la Cour a déclaré la demande en référé irrecevable.


Sur la question préjudicielle


Observations soumises à la Cour


22.


M. Dory fait valoir que le service militaire obligatoire a pour effet d'interdire l'exercice d'une profession pendant la période où il est effectué et de retarder l'accès à la vie professionnelle. Ce service relèverait donc de la directive 76/207 et constituerait une discrimination prohibée par celle-ci. Il serait, en tout état de cause, contraire au principe général d'égalité entre les hommes et les femmes énoncé à l'article 3, paragraphe 2, CE.


23.


Le gouvernement allemand souligne, d'une part, que le service militaire obligatoire revêt une importance fondamentale en République fédérale d'Allemagne. Destiné à assurer un contact étroit entre les forces armées et la population et à garantir ainsi la transparence démocratique de l'appareil militaire, ledit service serait un vecteur d'intégration intérieure, notamment entre les jeunes générations des anciens et des nouveaux Länder. Les effectifs nécessaires à la défense du territoire en temps de conflit ne seraient pas suffisants sans les forces de réserve provenant du cercle des appelés.


24.


Le gouvernement allemand soutient, d'autre part, que le service militaire relève du domaine de l'organisation des forces armées, domaine essentiel de la puissance publique qui est resté de la compétence des États membres. Il considère que cette analyse a été admise par la Cour dans ses arrêts du 26 octobre 1999, Sirdar (C-273/97, Rec. p. I-7403, point 15), et Kreil, précité (point 15).


25.


En tout état de cause, il fait valoir que la limitation du service militaire obligatoire aux hommes, à supposer même que ce service puisse entrer dans le champ d'application du traité et de la directive 76/207, n'est pas contraire au droit communautaire.D'abord, l'article 3, paragraphe 2, CE, selon lequel la Communauté a comme objectif la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes, ne s'appliquerait qu'aux mesures spécifiques prises par la Communauté à cette fin sur d'autres bases juridiques. Ensuite, l'article 13 CE n'aurait pas d'effet direct et n'habiliterait le Conseil à prendre des mesures en vue de combattre les discriminations fondées sur le sexe que dans les domaines de compétence que lui reconnaît le traité. Enfin, l'article 141 CE et la directive 76/207 ne régiraient que les relations de travail résultant d'un accord entre un employeur et un salarié, de sorte qu'ils ne seraient pas applicables à l'obligation générale de service que constitue le service militaire pour les appelés.


26.


Le gouvernement français considère que l'accomplissement du service militaire obligatoire ne peut être assimilé à l'occupation d'un emploi et ne relève, par suite, ni des dispositions sociales du traité ni de la directive 76/207. L'organisation d'un tel service constituerait une mesure relative à la défense nationale relevant de la compétence exclusive des États membres.


27.


Le gouvernement finlandais fait valoir que les choix fondamentaux de la politique de défense relèvent des États membres, ainsi que la Cour l'a jugé par son arrêt Kreil, précité, et que le droit communautaire n'est pas applicable au litige au principal. Il soutient que, en tout état de cause, l'obligation d'accomplir un service militaire ne concerne pas les conditions d'accès à la profession militaire et n'entre donc pas dans le champ d'application de la directive 76/207. En outre, le fait de limiter cette obligation aux hommes ne compromettrait pas le déroulement de la carrière des femmes dans les forces armées, dès lors quelles auraient toujours la possibilité d'effectuer volontairement un service militaire et d'être alors placées dans une situation identique à celle des appelés de sexe masculin.


28.


La Commission considère que le service militaire obligatoire est une obligation de service relevant du droit public, à caractère unilatéral, qui ne place pas les appelés dans une relation de travail avec un employeur. Ce service ne relèverait donc pas du marché de l'emploi et se trouverait, de ce fait, placé hors du champ d'application du droit communautaire. Il ne restreindrait pas, au-delà de ce qui est conforme à sa nature, la portée de ce droit. Dès lors, il ne serait pas nécessaire d'examiner si la limitation aux hommes de l'obligation d'effectuer un tel service peut être justifiée sur le fondement de la directive 76/207. Le litige au principal serait ainsi très différent des affaires déjà jugées par la Cour. La Commission fait valoir que les États membres peuvent, par suite, se prévaloir dans ce contexte des dispositions des articles 6, paragraphe 3, UE et 5 CE, afin que leur souveraineté en matière de défense soit respectée dans la forme résultant de leur tradition nationale.


Réponse de la Cour


29.


Déterminer si la limitation aux hommes du service militaire obligatoire est ou non compatible avec le principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, tel qu'il est consacré par le droit communautaire, suppose que soient au préalabledéfinies les conditions dans lesquelles ce droit s'applique aux activités relatives à l'organisation des forces armées.


30.


Les mesures que les États membres prennent en la matière ne sont pas soustraites dans leur ensemble à l'application du droit communautaire du seul fait qu'elles interviennent dans l'intérêt de la sécurité publique ou de la défense nationale.


31.


En effet, ainsi que la Cour l'a déjà constaté, le traité ne prévoit des dérogations applicables en cas de situations susceptibles de mettre en cause la sécurité publique que dans ses articles 30 CE, 39 CE, 46 CE, 58 CE, 64 CE, 296 CE et 297 CE, qui concernent des hypothèses exceptionnelles bien délimitées. Il ne saurait en être déduit qu'il existerait une réserve générale, inhérente au traité, excluant du champ d'application du droit communautaire toute mesure prise au titre de la sécurité publique. Reconnaître l'existence d'une telle réserve, en dehors des conditions spécifiques des dispositions du traité, risquerait de porter atteinte au caractère contraignant et à l'application uniforme du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêts du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 26; Sirdar, précité, point 16, et Kreil, précité, point 16).


32.


Or, la notion de sécurité publique, au sens des articles du traité visés au point précédent, couvre tout à la fois la sécurité intérieure d'un État membre, comme dans l'affaire en cause au principal dans l'arrêt Johnston, précité, et sa sécurité extérieure, comme dans l'affaire en cause au principal dans l'arrêt Sirdar, précité (voir, en ce sens, arrêts du 4 octobre 1991, Richardt et "Les Accessoires Scientifiques", C-367/89, Rec. p. I-4621, point 22; du 17 octobre 1995, Leifer e.a., C-83/94, Rec. p. I-3231, point 26; Sirdar, précité, point 17, et Kreil, précité, point 17).


33.


En outre, certaines des dérogations prévues par le traité ne concernent que les règles relatives à la libre circulation des personnes, des marchandises, des capitaux et des services, et non les dispositions sociales du traité dont relève le principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes. Conformément à une jurisprudence constante, ce principe a une portée générale et la directive 76/207 s'applique aux rapports d'emploi dans le secteur public (voir, en ce sens, arrêts du 21 mai 1985, Commission/Allemagne, 248/83, Rec. p. 1459, point 16; du 2 octobre 1997, Gerster, C-1/95, Rec. p. I-5253, point 18; Sirdar, précité, point 18, et Kreil, précité, point 18).


34.


La Cour a ainsi jugé que la directive 76/207 était applicable à l'accès aux emplois dans les forces armées et qu'il lui appartenait de vérifier si les mesures prises par les autorités nationales, dans l'exercice de la marge d'appréciation qui leur est reconnue, poursuivaient, en réalité, le but de garantir la sécurité publique et si elles étaient appropriées et nécessaires pour atteindre cet objectif (voir arrêts précités Sirdar, point 28, et Kreil, point 25).


35.


Certes, les décisions des États membres relatives à l'organisation de leurs forces armées ne sauraient échapper totalement à l'application du droit communautaire, en particulier lorsque est en cause le respect du principe d'égalité de traitement entre leshommes et les femmes à l'occasion de rapports d'emploi, notamment en matière d'accès aux professions militaires. Toutefois, il n'en résulte pas que le droit communautaire régisse les choix d'organisation militaire des États membres qui ont pour objet la défense de leur territoire ou de leurs intérêts essentiels.


36.


Il appartient en effet aux États membres, qui ont à arrêter les mesures propres à assurer leur sécurité intérieure et extérieure, de prendre les décisions relatives à l'organisation de leurs forces armées, ainsi que la Cour l'a rappelé par les arrêts précités Sirdar (point 15) et Kreil (point 15).


37.


Or, le gouvernement allemand a fait valoir que le service militaire obligatoire a, en Allemagne, une grande importance, tant sur le plan politique que sur le plan de lorganisation des forces armées. Il a indiqué, dans ses observations écrites et lors de laudience, que linstitution dun tel service permettait de contribuer à la transparence démocratique de lappareil militaire, à la cohésion nationale, au lien entre les forces armées et la population ainsi quà la mobilisation des effectifs nécessaires à ses armées en cas de conflit.


38.


Un tel choix, qui est inscrit dans le Grundgesetz, consiste à imposer une obligation de servir les intérêts de la sécurité du territoire, fût-ce au détriment, dans nombre d'hypothèses, de l'accès des jeunes au marché de l'emploi. Il prime ainsi les objectifs des politiques ayant pour objet l'insertion professionnelle des jeunes.


39.


La décision de la République fédérale d'Allemagne d'assurer pour partie sa défense par un service militaire obligatoire est l'expression d'un tel choix d'organisation militaire auquel le droit communautaire n'est en conséquence pas applicable.


40.


Il est vrai que la limitation aux hommes du service militaire obligatoire entraîne normalement pour les intéressés un retard dans le déroulement de leur carrière professionnelle, même si le service militaire permet à certains des appelés dacquérir une formation complémentaire ou daccéder ultérieurement aux carrières militaires.


41.


Toutefois, le retard pris dans la carrière professionnelle des appelés est une conséquence inévitable du choix effectué par lÉtat membre en matière dorganisation militaire et nimplique pas que ce choix entre dans le champ dapplication du droit communautaire. En effet, lexistence de répercussions défavorables sur laccès à lemploi ne saurait avoir pour effet, sans empiéter sur les compétences propres des États membres, de contraindre lÉtat membre concerné soit à étendre aux femmes lobligation que constitue le service militaire et donc à leur imposer les mêmes désavantages en matière daccès à lemploi, soit à supprimer le service militaire obligatoire.


42.


Compte tenu de lensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question de la juridiction de renvoi que le droit communautaire ne soppose pas à ce que le service militaire obligatoire soit réservé aux hommes.


Sur les dépens


43.


Les frais exposés par les gouvernements allemand, français et finlandais, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire lobjet dun remboursement. La procédure revêtant, à légard des parties au principal, le caractère dun incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.


Par ces motifs,


LA COUR,


statuant sur la question à elle soumise par le Verwaltungsgericht Stuttgart, par ordonnance du 4 avril 2001, dit pour droit:


Le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que le service militaire obligatoire soit réservé aux hommes.


Rodríguez Iglesias


Puissochet


Wathelet


Schintgen


Timmermans


Gulmann


Edward


Jann


Skouris


Macken


Colneric


von Bahr


Cunha Rodrigues


Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 mars 2003.


Le greffier


Le président


R. Grass


G. C. Rodríguez Iglesias


1: Langue de procédure: l'allemand

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