Tribunal de première instance des Communautés européennes6 mars 2003
Affaire n°T-57/00
Banan-Kompaniet AB
c/
Conseil de l'Union européenne
ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
6 mars 2003 (1)
"Bananes - Organisation commune des marchés - Décision 94/800/CE - Règlement (CE) n° 478/95 - Régime des certificats d'exportation - Recours en indemnité"
Dans l'affaire T-57/00,
Banan-Kompaniet AB , établie à Stockholm (Suède),
Skandinaviska Bananimporten AB, établie à Arsta (Suède),
représentées par M. B. O´Connor, solicitor, ayant élu domicile à Luxembourg,
parties requérantes,
contre
Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. S. Marquardt et J.-P. Hix, en qualité d'agents,
et
Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. P. Oliver et C. Van der Hauwaert, en qualité d'agents, puis par MM. L. Visaggio et K. Fitch, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
parties défenderesses,
ayant pour objet une demande en réparation du préjudice qu'auraient subi les requérantes du fait de l'instauration du régime des certificats d'exportation par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l'Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1), et par le règlement (CE) n° 478/95 de la Commission, du 1er mars 1995, portant modalités d'application complémentaires du règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil en ce qui concerne le régime de contingent tarifaire à l'importation de bananes dans la Communauté et modifiant le règlement (CEE) n° 1442/93 (JO L 49, p. 13),
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),
composé de MM. J. D. Cooke, président, R. García-Valdecasas et Mme P. Lindh, juges,
greffier: M. J. Palacio González, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 12 septembre 2002,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique
1.
Le règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1), a, au titre IV, substitué un régime commun des échanges avec les pays tiers aux différents régimes nationaux.
2.
Aux termes de larticle 17, premier alinéa, du règlement n° 404/93, dans sa version originale:
"Toute importation de bananes dans la Communauté est soumise à la présentation dun certificat dimportation délivré par les États membres à tout intéressé qui en fait la demande, quel que soit le lieu de son établissement dans la Communauté, sans préjudice des dispositions particulières prises pour lapplication des articles 18 et 19."
3.
Larticle 18, paragraphe 1, du règlement n° 404/93, dans sa version originale, prévoyait quun contingent tarifaire de 2 millions de tonnes/poids net était ouvert chaque année pour les importations de bananes en provenance des pays tiers autres que les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) (ci-après les "bananes pays tiers") et les importations non traditionnelles de bananes en provenance des États ACP (ci-après les "bananes non traditionnelles ACP"). Dans le cadre de ce contingent, les importations de bananes pays tiers étaient soumises à un droit de 100 écus par tonne et celles de bananes non traditionnelles ACP à un droit nul.
4.
Larticle 19, paragraphe 1, du règlement n° 404/93 opérait une répartition du contingent tarifaire, louvrant à concurrence de 66,5 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé des bananes pays tiers et/ou des bananes non traditionnelles ACP (catégorie A), 30 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé des bananes communautaires et/ou des bananes traditionnelles ACP (catégorie B) et 3,5 % à la catégorie des opérateurs établis dans la Communauté qui avaient commencé à commercialiser des bananes autres que les bananes communautaires et/ou traditionnelles ACP à partir de 1992 (catégorie C).
5.
Larticle 20 du règlement n° 404/93 chargeait la Commission darrêter les modalités dapplication du titre IV.
6.
Ainsi, la Commission a adopté le règlement (CEE) n° 1442/93, du 10 juin 1993, portant modalités dapplication du régime dimportation de bananes dans la Communauté (JO L 142, p. 6).
7.
Le 19 février 1993, la république de Colombie, la république du Costa Rica, la république du Guatemala, la république du Nicaragua et la république du Venezuela ont demandé à la Commission douvrir des consultations au titre de larticle XXII, paragraphe 1, de laccord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), à propos du règlement n° 404/93. Les consultations nayant pas abouti, ces États ont déclenché, en avril 1993, la procédure de règlement des litiges prévue à larticle XXIII, paragraphe 2, du GATT.
8.
Le 18 janvier 1994, le groupe dexperts institué dans le cadre de cette procédure a présenté un rapport dans lequel il conclut à lincompatibilité avec les règles du GATT du régime dimportation institué par le règlement n° 404/93. Ce rapport na pas été adopté par les parties contractantes au GATT.
9.
Les 28 et 29 mars 1994, la Communauté est parvenue à un arrangement avec la république de Colombie, la république du Costa Rica, la république du Nicaragua et la république du Venezuela, appelé accord-cadre sur les bananes (ci-après l"accord-cadre").
10.
Au point 1 de la seconde partie de laccord-cadre, ce dernier fixe le contingent tarifaire global de base à 2 100 000 tonnes pour 1994 et à 2 200 000 tonnes pour 1995 et les années suivantes, sous réserve de toute augmentation résultant de lélargissement de la Communauté.
11.
Au point 2, il établit les pourcentages de ce contingent attribués respectivement à la république de Colombie, à la république du Costa Rica, à la république du Nicaragua et à la république du Venezuela. Ces États reçoivent 49,4 % du contingent total, tandis que la République dominicaine et les autres États ACP se voient accorder 90 000 tonnes pour les importations non traditionnelles, le surplus revenant aux autres pays tiers.
12.
Le point 6 prévoit, notamment:
"Les pays fournisseurs auxquels un contingent spécifique a été attribué peuvent délivrer des licences dexportation spéciales pour une quantité pouvant atteindre jusquà 70 % de leur contingent, ces licences étant une condition préalable pour la délivrance, par la Communauté, de certificats pour limportation de bananes en provenance desdits pays par les opérateurs de la 'catégorie A et de la 'catégorie C.
Lautorisation de délivrer les licences dexportation spéciales est accordée par la Commission de sorte quil soit possible daméliorer la régularité et la stabilité des relations commerciales entre producteurs et importateurs et à la condition que leslicences dexportation soient délivrées sans aucune discrimination entre les opérateurs."
13.
Le point 7 fixe le droit de douane contingentaire à 75 écus par tonne.
14.
Aux termes des points 10 et 11:
"Le présent accord sera incorporé dans la liste de la Communauté pour lUruguay Round.
Le présent accord présente un règlement du différend entre la Colombie, le Costa Rica, le Venezuela, le Nicaragua et la Communauté au sujet du régime communautaire pour les bananes. Les parties au présent accord renonceront à demander ladoption du rapport du groupe dexperts du GATT sur ce sujet."
15.
Les points 1 et 7 de laccord-cadre ont été intégrés à lannexe LXXX du GATT de 1994 qui contient la liste des concessions douanières de la Communauté. Le GATT de 1994 constitue, à son tour, lannexe 1 A de laccord instituant lOrganisation mondiale du commerce (OMC). Une annexe de cette annexe LXXX reproduit laccord-cadre.
16.
Le 22 décembre 1994, le Conseil a adopté, à lunanimité, la décision 94/800/CE relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de lUruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1).
17.
Aux termes de larticle 1er, paragraphe 1, de cette décision, sont approuvés au nom de la Communauté, pour ce qui est de la partie relevant de la compétence de celle-ci, notamment, laccord instituant lOMC ainsi que les accords figurant aux annexes 1, 2 et 3 de cet accord, dont fait partie le GATT de 1994.
18.
Le 22 décembre 1994, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 3290/94, relatif aux adaptations et aux mesures transitoires nécessaires dans le secteur de lagriculture pour la mise en oeuvre des accords conclus dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycle dUruguay (JO L 349, p. 105). Ce règlement comporte une annexe XV relative aux bananes qui prévoit que larticle 18, paragraphe 1, du règlement n° 404/93 est modifié en ce sens que, pour lannée 1994, le volume du contingent tarifaire est fixé à 2 100 000 tonnes et, pour les années suivantes, à 2 200 000 tonnes. Dans le cadre de ce contingent tarifaire, les importations de bananes pays tiers sont assujetties à la perception dun droit de douane de 75 écus par tonne.
19.
Le 1er mars 1995, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 478/95 portant modalités dapplication complémentaires du règlement n° 404/93 en ce qui concerne le régime de contingent tarifaire à limportation de bananes dans la Communauté et modifiant le règlement n° 1442/93 (JO L 49, p. 13). Le règlementn° 478/95 arrêtait les mesures nécessaires pour la mise en oeuvre, sur une base qui ne soit plus transitoire, de laccord-cadre.
20.
Le règlement n° 478/95 prévoyait, à larticle 1er, paragraphe 1:
"[L]e contingent tarifaire pour les importations des bananes pays tiers et des bananes non traditionnelles ACP, visé aux articles 18 et 19 du [règlement n° 404/93], est divisé en quotes-parts spécifiques allouées aux pays ou groupes de pays mentionnés à lannexe I [...]"
21.
Lannexe I comportait trois tableaux: le premier reproduisait les pourcentages du contingent tarifaire réservés aux États latino-américains dans laccord-cadre; le deuxième opérait une répartition du contingent de 90 000 tonnes de bananes non traditionnelles ACP et le troisième prévoyait que tous les autres pays tiers recevraient 50,6 % du contingent total.
22.
Larticle 3, paragraphe 2, du règlement n° 478/95 disposait:
"Pour une marchandise originaire de Colombie, du Costa Rica ou du Nicaragua, la demande dun certificat dimportation des catégories A et C, visées à larticle 9, paragraphe 4, du [règlement n° 1442/93], nest en outre recevable que si elle est accompagnée dun certificat dexportation en cours de validité portant sur une quantité au moins égale de marchandises, délivré par les autorités habilitées [...]"
23.
Par arrêt du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil (C-122/95, Rec. p. I-973, ci-après l"arrêt Allemagne/Conseil"), la Cour a annulé larticle 1er, paragraphe 1, premier tiret, de la décision 94/800 en tant que le Conseil y a approuvé la conclusion de laccord-cadre dans la mesure où celui-ci exonère les opérateurs de la catégorie B du régime des certificats dexportation quil prévoit.
24.
Dans cet arrêt, la Cour a jugé que, sagissant de cette exonération, le moyen tiré de la violation du principe de non-discrimination, visé à larticle 34, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE, était fondé (point 72). Elle est parvenue à cette conclusion après avoir constaté, dune part, que les opérateurs de la catégorie B profitaient, au même titre que ceux des catégories A et C, de laugmentation du contingent tarifaire et de la réduction concomitante des droits de douane convenues par laccord-cadre et, dautre part, que les restrictions et différences de traitement au détriment des opérateurs des catégories A et C que comportait le régime dimportation de bananes institué par le règlement n° 404/93 existaient également au niveau de la partie du contingent correspondant à cette augmentation (point 67).
25.
La Cour a considéré que, dans ces conditions, pour justifier le recours à une mesure telle que lexonération des opérateurs de la catégorie B du régime des certificats dexportation, il appartenait au Conseil de démontrer que léquilibre entre les différentes catégories dopérateurs, mis en place par le règlement n°404/93 et rompu par laugmentation du contingent tarifaire et la réduction concomitante des droits de douane, navait pu être rétabli que par loctroi dun avantage substantiel aux opérateurs de la catégorie B et, donc, au prix dune nouvelle différence de traitement au détriment des autres catégories dopérateurs (point 68). La Cour a estimé que, en loccurrence, en faisant valoir une rupture dudit équilibre et en se bornant à alléguer que lexonération susvisée était justifiée par la nécessité de rétablir cet équilibre, le Conseil navait pas apporté cette preuve (point 69).
26.
Dans son arrêt du 10 mars 1998, T. Port (C-364/95 et C-365/95, Rec. p. I-1023, ci-après l"arrêt T. Port"), la Cour, après avoir suivi en substance un raisonnement identique à celui adopté dans larrêt Allemagne/Conseil, a déclaré (point 2 du dispositif):
"Le [règlement n° 478/95] est invalide dans la mesure où il ne soumet, à son article 3, paragraphe 2, que les opérateurs des catégories A et C à lobligation de se procurer des certificats dexportation pour limportation de bananes originaires de Colombie, du Costa Rica ou du Nicaragua."
27.
Le 28 octobre 1998, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 2362/98 portant modalités dapplication du règlement n° 404/93 en ce qui concerne le régime dimportation de bananes dans la Communauté (JO L 293, p. 32). En vertu de larticle 31 du règlement n° 2362/98, le règlement n° 478/95 a été abrogé à partir du 1er janvier 1999.
Faits et procédure
28.
Les requérantes ont pour activités lachat, limportation et la vente de fruits, de légumes et de fleurs en Scandinavie.
29.
Elles étaient enregistrées en Suède comme opérateurs de la catégorie A. Elles avancent avoir dû acquérir, entre 1995 et 1998, des certificats dexportation afin de pouvoir importer dans la Communauté des bananes originaires de Colombie et du Costa Rica.
30.
Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 14 mars 2000, les requérantes ont introduit le présent recours en indemnité.