SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 novembre 2024
Cassation
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1188 F-D
Pourvoi n° A 23-18.446
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 NOVEMBRE 2024
La société AT&T Global Network Services France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 23-18.446 contre la décision rendue le 15 mai 2023 par le conseil de prud'hommes de Marseille, statuant selon la procédure accélérée au fond, dans le litige l'opposant à Mme [X] [P], épouse [S], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Rodrigues, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société AT&T Global Network Services France, après débats en l'audience publique du 16 octobre 2024 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Rodrigues, conseiller référendaire rapporteur, Mme Deltort, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon la décision attaquée (conseil de prud'hommes de Marseille, 15 mai 2023) rendue en dernier ressort, Mme [P] a été engagée en qualité de « strategic account manager », à compter du 18 février 2013, par la société AT&T Global Network Services France.
2. Contestant le refus de l'employeur de faire droit à sa demande de congé sabbatique d'une durée de onze mois à compter du 1er septembre 2023, la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 29 mars 2023 selon la procédure accélérée au fond.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à la décision de lui ordonner d'accorder le congé sabbatique de la salariée à compter du 1er novembre 2023, alors « que selon les
articles L. 3142-29 et L. 3142-113 du code du travail🏛🏛, dans les entreprises de moins de trois cents salariés, ce qui est le cas de la société AT&T Global Network Services France, l'employeur peut refuser une demande de congé sabbatique 1° S'il estime, après avis du comité social et économique, que ce congé (
) aura des conséquences préjudiciables à la bonne marche de l'entreprise" ; que la société exposante a fait valoir que, après avis du comité social et économique, il avait été porté à la connaissance de Mme [Aa] son refus d'octroi d'un congé sabbatique en ce qu'il aurait des conséquences gravement préjudiciables à la bonne marche de l'entreprise dès lors que Mme [P] était la seule strategic account manager" (responsable grands comptes sur les clients stratégiques) sur la zone sud Emea (sud des États d'Europe, du Moyen-Orient et de l'Afrique), que le maintien en poste de la salariée avait un caractère déterminant au regard de l'obligation de suivi et de gestion des grands clients stratégiques de cette zone, ce plus particulièrement au regard de la grande expérience de Mme [P], du contexte actuel de tension du marché de l'emploi rendant très difficile la possibilité d'engager un remplaçant d'expérience équivalente, de l'impossibilité de changer d'interlocuteur à un moment charnière du processus de renégociation contractuelle ce qui aurait des conséquences désastreuses, et enfin de l'impossibilité de répartir les clients de Mme [P] auprès des autres équipes au regard de leur charge de travail élevée ; qu'en accordant le congé sabbatique à la salariée en se bornant à énoncer pour toute motivation afin de préserver les intérêts des deux parties", sans vérifier si, comme le soutenait la société AT&T Global Network Services France, elle ne remplissait pas les conditions fixées par les articles L. 3142-29 et L. 3142-113 du code du travail du code du travail pour refuser le congé sabbatique, dès lors qu'elle soutenait, après avis du comité social et économique, que ce congé aurait des conséquences gravement préjudiciables à la bonne marche de l'entreprise, le conseil de prud'hommes a privé sa décision de base légale au regard des
articles L. 3142-113, L. 3142-28 et L. 3142-29 du code du travail🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3142-28, alinéa 1, L. 3142-29 et L. 3142-113 du code du travail :
4. Aux termes du premier de ces textes, le salarié a droit à un congé sabbatique pendant lequel son contrat de travail est suspendu.
5. Selon le second, l'employeur peut, pour les entreprises de moins de trois cents salariés, refuser ce congé sur le fondement du 1° de l'article L. 3142-113.
6. Selon ce dernier texte, dans les entreprises de moins de trois cents salariés, l'employeur peut refuser le congé ou le passage à temps partiel s'il estime, après avis du comité social et économique, que ce congé ou cette activité à temps partiel aura des conséquences préjudiciables à la bonne marche de l'entreprise.
7. Pour ordonner à l'employeur d'accorder à la salariée le congé sabbatique à compter du 1er novembre 2023, le conseil de prud'hommes s'est borné à mentionner une finalité de préservation des intérêts des deux parties.
8. En se déterminant ainsi, alors qu'il avait constaté que l'employeur justifiait son refus par le motif suivant : « Votre absence aurait des conséquences préjudiciables sur nos obligations auprès de nos clients et pour différents projets clients en cours et à venir. Cette absence aurait un fort impact sur l'organisation de l'équipe à laquelle vous appartenez », le conseil de prud'hommes, auquel il appartenait d'apprécier la réalité des conséquences préjudiciables alléguées, n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, la décision rendue le 15 mai 2023, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Marseille statuant selon la procédure accélérée au fond ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette décision et les renvoie devant le conseil de prud'hommes de Martigues ;
Condamne Mme [P] aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par société AT&T Global Network Services France ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la décision cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille vingt-quatre.