Jurisprudence : CJCE, 12-12-2002, aff. C-442/00, Angel Rodríguez Caballero c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa)

CJCE, 12-12-2002, aff. C-442/00, Angel Rodríguez Caballero c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa)

A0414A7H

Référence

CJCE, 12-12-2002, aff. C-442/00, Angel Rodríguez Caballero c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1129052-cjce-12122002-aff-c44200-angel-rodriguez-caballero-c-fondo-de-garantia-salarial-fogasa
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ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

12 décembre 2002 (1)

" Politique sociale - Protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur - Directive 80/987/CEE - Champ d'application - Notion de 'créances' - Notion de 'rémunération' - 'Salarios de tramitación' - Paiement assuré par l'institution de garantie - Paiement subordonné à l'adoption d'une décision judiciaire "

Dans l'affaire C-442/00,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha (Espagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Ángel Rodríguez Caballero

et

Fondo de Garantía Salarial (Fogasa),

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 1er de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23),

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. J.-P. Puissochet, président de chambre, MM. C. Gulmann et V. Skouris, Mmes F. Macken et N. Colneric (rapporteur), juges,

avocat général : M. L. A. Geelhoed,

greffier : M. R. Grass,

considérant les observations écrites présentées :

- pour le gouvernement espagnol, par Mme M. López-Monís Gallego, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, en qualité d'agent, assisté de Mme K. Smith, barrister,

- pour la Commission des Communautés européennes, par Mme I. Martínez del Peral, en qualité d'agent,

- pour l'Autorité de surveillance AELE, par Mme D. Sif Tynes, en qualité d'agent,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 27 juin 2002,

rend le présent

Arrêt

1. - Par ordonnance du 27 octobre 2000, parvenue à la Cour le 30 novembre suivant, le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha a posé, en application de l'article 234 CE, trois questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 1er de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23, ci-après la " directive ").

2. - Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Rodríguez Caballero au Fondo de Garantía Salarial (Fonds de garantie salariale, ci-après le " Fogasa ") au sujet du refus de ce dernier de lui verser, au titre de sa responsabilité subsidiaire, les " salarios de tramitación " (salaires durant la procédure) convenus entre le salarié et son employeur lors d'une conciliation en présence d'un organe juridictionnel en raison du licenciement irrégulier dont M. Rodríguez Caballero avait fait l'objet.

Le cadre réglementaire

La réglementation communautaire

3. - L'article 1er, paragraphe 1, de la directive dispose que " [l]a présente directive s'applique aux créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et existant à l'égard d'employeurs qui se trouvent en état d'insolvabilité au sens de l'article 2 paragraphe 1 ".

4. - L'article 2, paragraphe 2, de la directive précise que celle-ci ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne la définition des termes " travailleur salarié ", " employeur ", " rémunération ", " droit acquis " et " droit en cours d'acquisition ".

5. - L' article 3, paragraphe 1, de la directive prévoit :

" Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que des institutions de garantie assurent, sous réserve de l'article 4, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à la période qui se situe avant une date déterminée. "

6. - Selon l'article 4 de la directive, les États membres ont la faculté de restreindre l'obligation de paiement des institutions de garantie, visée à l'article 3, en la limitant à la rémunération afférente à une période définie ou en fixant un plafond.

7. - Conformément à l'article 10, sous a), de la directive, celle-ci " ne porte pas atteinte à la faculté des États membres : [...] de prendre les mesures nécessaires en vue d'éviter des abus ".

La réglementation espagnole

8. - Aux termes de l'article 26, paragraphe 1, du décret royal législatif n° 1/1995, du 24 mars 1995, portant approbation du texte refondu de l'Estatuto de los Trabajadores (loi portant statut des travailleurs, BOE n° 75, du 29 mars 1995, p. 9654, ci-après le " statut des travailleurs "), sont considérés comme salaire tous les avantages économiques que les travailleurs perçoivent, en espèce ou en nature, en contrepartie des services qu'ils fournissent à titre professionnel pour le compte d'autrui, dès lors que ces avantages rétribuent le travail effectif, quelle que soit la forme de la rémunération, ou les périodes de repos assimilables à du travail.

9. - L'article 33, paragraphe 1, du statut des travailleurs dispose :

" 1. Le Fonds de garantie salariale, organisme autonome relevant du ministre du Travail et de la Sécurité Sociale, doté de la personnalité juridique et de la capacité d'agir en vue de l'accomplissement de ses objectifs, verse aux travailleurs le montant des salaires qui leur sont dus en cas d'insolvabilité, de suspension des paiements, de faillite ou de redressement judiciaire des entrepreneurs.

Aux fins de l'alinéa qui précède, est considéré comme salaire le montant reconnu comme tel dans l'acte de conciliation ou dans la décision judiciaire à tous les titres visés à l'article 26, paragraphe 1, ainsi que l'indemnité complémentaire au titre des 'salarios de tramitación', décidée, le cas échéant, par l'autorité judiciaire compétente, étant entendu que le Fonds ne verse, à aucun titre conjointement ou séparément, un montant supérieur à la somme résultant de la multiplication du double du salaire minimal interprofessionnel journalier par le nombre de jours de salaire non versés, à concurrence de cent vingt jours. "

10. - Selon le paragraphe 4 de l'article 33 du statut des travailleurs, le Fonds assume les obligations visées aux paragraphes qui précèdent après examen du dossier pour en vérifier le bien-fondé.

11. - L'article 56, paragraphes 1 et 2, du statut des travailleurs prévoit :

" 1. Lorsque le licenciement est déclaré irrégulier, l'employeur, dans un délai de cinq jours à compter de la notification du jugement, pourra opter entre la réintégration du travailleur, assortie du versement des 'salarios de tramitación', tels que prévus à la lette b) du présent paragraphe, et le versement des sommes suivantes, qui devront être fixées par le jugement :

a) une indemnisation équivalant à 45 jours de salaire par année de service, les périodes inférieures à une année étant comptabilisées au prorata sur une base mensuelle jusqu'à hauteur de 42 mensualités;

b) un montant égal à la somme des salaires dus à compter de la date du licenciement jusqu'à la notification du jugement déclarant le licenciement irrégulier ou jusqu'à ce que le travailleur ait retrouvé un emploi, si cet engagement est antérieur au prononcé du jugement et si l'employeur apporte la preuve des sommes versées en vue de leur déduction des 'salarios de tramitación'.

L'employeur devra continuer d'immatriculer le travailleur à la sécurité sociale pendant la période correspondant aux salaires dont il est question sous b) ci-dessus.

2. Lorsque le choix entre la réintégration et l'indemnisation incombe à l'employeur, la somme visée à la lettre b) du paragraphe précédent sera limitée aux salaires dus à compter de la date du licenciement jusqu'à celle de la conciliation préalable si, dans l'accord de conciliation, l'employeur reconnaît le caractère irrégulier du licenciement et offre l'indemnisation prévue à la lettre a) du paragraphe précédent, en la mettant à la disposition du travailleur auprès du Juzgado de lo Social dans un délai de 48 heures suivant la conclusion de l'accord de conciliation. "

12. - L'article 63 du décret royal législatif n° 2/1995, du 7 avril 1995, portant approbation du texte refondu de la Ley de Procedimiento laboral (loi relative à la procédure du travail, BOE n° 86, du 11 avril 1995, p. 10695, ci-après la " LPL "), impose, préalablement au déroulement d'une procédure juridictionnelle, une procédure de conciliation devant un service administratif.

13. - L'article 84 de la LPL prévoit impérativement, après l'échec de la conciliation devant ce service, une nouvelle procédure de conciliation devant l'organe juridictionnel compétent.

Le litige au principal

14. - M. Rodríguez Caballero, responsable des relations extérieures de l'entreprise AB Diario de Bolsillo SL, a été licencié par son employeur le 30 mars 1997. La procédure judiciaire prévue à l'article 84 de la LPL a conduit à un accord aux termes duquel ladite entreprise, d'une part, a reconnu le caractère irrégulier du licenciement et, d'autre part, a admis que les " salarios de tramitación " dus par elle seraient versés à compter du jour du licenciement jusqu'au jour de l'accord de conciliation, soit un montant de 136 896 ESP.

15. - Lesdits " salarios de tramitación " n'ont pas été versés par l'entreprise. Le défaut de paiement a entraîné l'ouverture de la procédure d'exécution au cours de laquelle l'entreprise AB Diario de Bolsillo SL a été déclarée insolvable. M. Rodríguez Caballero a dès lors demandé au Fogasa de lui verser les " salarios de tramitación ", ce qui lui a été refusé par décision du 30 avril 1998 dudit Fonds.

16. - M. Rodríguez Caballero a formé un recours contre cette décision devant le Juzgado de lo Social n° 2 de Albacete (Espagne). Par jugement du 16 avril 1999, ce tribunal a rejeté le recours au motif que l'article 33 du statut des travailleurs n'engage la responsabilité subsidiaire du Fogasa pour les " salarios de tramitación " que lorsque ceux-ci ont été constatés par la juridiction compétente et non lorsqu'ils découlent d'un acte de conciliation entre les parties.

17. - M. Rodríguez Caballero a fait appel de ce jugement devant le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha.

Les questions préjudicielles

18. - Dans l'ordonnance de renvoi, le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha constate que, selon l'article 33 du statut des travailleurs, tel qu'interprété notamment par le Tribunal Supremo (Espagne), le Fogasa n'est responsable, lorsque la créance a été reconnue lors de la procédure de conciliation en présence d'un organe juridictionnel ou administratif, que pour les salaires ordinaires et non pour les " salarios de tramitación ". Pour être inclus dans la garantie salariale, ces derniers devraient avoir été reconnus par une décision judiciaire.

19. - Cependant, en ce qui concerne l'intervention subsidiaire du Fogasa, ledit Tribunal considère qu'il n'existe pas d'arguments raisonnables permettant d'opérer une distinction entre les créances de travail dues pour les " salarios de tramitación " et celles dues pour d'autres salaires.

20. - Selon le droit espagnol lui-même, pour engager la responsabilité du Fogasa à l'égard des créances salariales ordinaires, il suffirait que celles-ci aient été reconnues dans quelque type de conciliation que ce soit, obtenue en présence d'un organe juridictionnel ou administratif.

21. - La conciliation obtenue en présence d'un organe juridictionnel serait obligatoire et devrait être approuvée par ce dernier qui, en outre, serait tenu d'inviter les parties à négocier. Dans tous les cas, elle pourrait être attaquée, y compris par le Fogasa s'il considère qu'elle est contraire à la loi ou à ses intérêts.

22. - L'engagement de la responsabilité subsidiaire du Fogasa présupposerait une procédure judiciaire, après une tentative d'exécution de l'accord obtenu par conciliation, consistant en une déclaration judiciaire de l'insolvabilité provisoire de l'entreprise, procédure dans laquelle le Fogasa dispose d'un droit spécifique d'intervention pour présenter toutes les observations qu'il estime pertinentes.

23. - Selon la juridiction de renvoi, le Fogasa peut, dans tous les cas, par décision motivée rendue dans la procédure ouverte à la demande du travailleur, refuser le paiement sollicité à titre subsidiaire s'il considère que l'accord de conciliation a constitué une fraude à la loi. Il pourrait également le faire lorsque la créance de travail a été reconnue par un arrêt. Dans ces conditions, il disposerait donc de garanties suffisantes pour éviter tout type de fraude.

24. - Sur le fondement de ces considérations le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les trois questions préjudicielles suivantes :

" 1) Doit-on considérer une notion telle que celle en cause dans le présent litige, à savoir des 'salarios de tramitación' que l'entreprise doit verser au travailleur du fait du caractère irrégulier d'un licenciement, comme incluse dans la notion de créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail visée à l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur?

2) En cas de réponse affirmative, découle-t-il de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 80/987 précitée une obligation selon laquelle les créances des travailleurs salariés doivent être fixées par décision judiciaire ou administrative ou ces dernières englobent-elles toutes les créances de travail reconnues dans toute autre procédure légale pouvant être contrôlée juridictionnellement, telle qu'une conciliation, devant être obligatoirement tentée, obtenue en présence d'un organe juridictionnel, qui doit inciter les parties à négocier avant d'entamer la procédure litigieuse ainsi qu'approuver le contenu de la conciliation et qui peut refuser la conclusion de cette dernière s'il considère que son contenu est constitutif d'un préjudice grave pour l'une des parties, de fraude à la loi ou d'abus de droit?

3) Si l'on considère que les 'salarios de tramitación' convenus lors d'une conciliation réalisée en présence d'un organe juridictionnel et approuvée par celui-ci doivent être inclus dans ladite notion de créances des travailleurs salariés, la juridiction interne devant statuer sur le litige peut-elle ne pas appliquer la règle de droit interne qui exclut cette créance de travail du champ de responsabilité de l'institution étatique de garantie interne, le fonds de garantie salariale, et appliquer directement l'article 1er, paragraphe 1, de la directive, dans la mesure où elle considère que cette disposition est claire, précise et inconditionnelle? "

Sur les première et deuxième questions

25. - Par ses première et deuxième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si et, le cas échéant, dans quelles conditions les créances qui correspondent à des " salarios de tramitación " relèvent de la notion de " créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail " visée à l'article 1er, paragraphe 1, de la directive.

26. - À titre liminaire, il y a lieu d'indiquer qu'une lecture combinée des articles 1er, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, de la directive fait apparaître que celle-ci ne vise que les créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail lorsque ces créances portent sur la rémunération au sens dudit article 3, paragraphe 1.

27. - Selon l'article 2, paragraphe 2, de la directive, c'est au droit national qu'il incombe de préciser le terme " rémunération " et d'en définir le contenu. En l'espèce, la directive renvoie donc au droit espagnol.

28. - En déterminant les salaires à la charge du Fogasa, l'article 33 du statut des travailleurs y inclut, selon l'interprétation du Tribunal Supremo, outre le salaire au sens de l'article 26, paragraphe 1, dudit statut, les " salarios de tramitación " dans la mesure seulement où ceux-ci sont fixés par une décision judiciaire.

29. - Est toutefois posée la question de savoir si la faculté reconnue au droit national de préciser les prestations à la charge de l'institution de garantie n'est pas soumise à des exigences découlant du droit communautaire et si, en définissant le terme " rémunération ", au sens l'article 2, paragraphe 2, de la directive, le royaume d'Espagne a respecté ces exigences.

30. - En ce qui concerne l'existence de telles exigences, il convient de rappeler, d'une part, que, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect et, d'autre part, que les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux dans l'ordre juridique communautaire lient également les États membres lorsqu'ils mettent en oeuvre des réglementations communautaires. Par suite, ceux-ci sont tenus, dans toute la mesure du possible, d'appliquer ces réglementations dans des conditions qui ne méconnaissent pas lesdites exigences (voir arrêts du 24 mars 1994, Bostock, C-2/92, Rec. p. I-955, point 16, et du 13 avril 2000, Karlsson e.a., C-292/97, Rec. p. I-2737, point 37).

31. - Dès lors qu'une réglementation nationale entre dans le champ d'application du droit communautaire, la Cour, saisie à titre préjudiciel, doit fournir tous les éléments d'interprétation nécessaires à l'appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux dont la Cour assure le respect (arrêts du 18 juin 1991, ERT, C-260/89, Rec. p. I-2925, point 42, et du 19 novembre 1998, SFI, C-85/97, Rec. p. I-7447, point 29).

32. - Au nombre des droits fondamentaux figure notamment le principe général d'égalité et de non-discrimination. Ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée (voir, par exemple, arrêts 12 juillet 2001, Jippes, C-189/01, Rec. p. I-5689, point 129, et du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil, C-149/96, Rec. p. I-8395, point 91).

33. - Or, il ressort tant des motifs de l'ordonnance de renvoi que des observations écrites du gouvernement espagnol que, selon la législation espagnole, tous les travailleurs licenciés irrégulièrement se trouvent dans la même situation en ce sens qu'ils ont droit à des " salarios de tramitación ". Toutefois, en cas d'insolvabilité de l'employeur, l'article 33, paragraphe 1, du statut des travailleurs réserve aux travailleurs licenciés un traitement différent dans la mesure où le droit au paiement, par le Fogasa, des créances portant sur les " salarios de tramitación " n'est reconnu que pour celles qui ont été fixées par décision judiciaire.

34. - Une telle différence de traitement ne saurait être admise que si elle est objectivement justifiée.

35. - Pour justifier ladite différence de traitement, le gouvernement espagnol se fonde expressément sur l'article 10 de la directive et fait valoir que la différenciation en cause vise à éviter les abus.

36. - Il est vrai que l'article 10 de la directive permet aux États membres de prendre les mesures nécessaires en vue d'éviter des abus. Toutefois, il ressort des précisions apportées dans l'ordonnance de renvoi et dans les observations du gouvernement espagnol sur le rôle du Fogasa que celui-ci dispose de garanties suffisantes pour être en mesure d'éviter tout type de fraude. Le Fogasa peut notamment, dans tous les cas, par décision motivée rendue dans la procédure ouverte à la demande du travailleur, refuser le paiement sollicité à titre subsidiaire, s'il considère que l'accord de conciliation a constitué une fraude à la loi.

37. - D'ailleurs, les motifs de l'ordonnance de renvoi font apparaître que la conciliation, pour autant qu'elle a lieu sur le fondement de l'article 84 de la LPL, est étroitement surveillée par un organe juridictionnel appelé à l'approuver.

38. - Ainsi, le fait que le paiement des créances portant sur les " salarios de tramitación " n'est assuré par le Fogasa que si ces derniers ont été établis par décision judiciaire ne saurait être considéré comme une mesure nécessaire en vue d'éviter des abus au sens de l'article 10 de la directive.

39. - Étant donné qu'aucun autre argument n'a été invoqué en vue de justifier la différence de traitement mentionnée au point 33 du présent arrêt, il y a lieu de constater qu'il n'a pas été présenté d'arguments convaincants permettant de justifier la différenciation entre les créances salariales ordinaires et les créances correspondant à des " salarios de tramitación " accordés par une décision judiciaire, d'une part, et les créances relatives à des " salarios de tramitación " reconnus à la suite d'une procédure de conciliation, d'autre part, en vue d'exclure ces dernières du champ d'application de la directive.

40. - Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que des créances qui correspondent à des " salarios de tramitación " doivent être considérées comme des créances de travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et portant sur la rémunération, au sens des articles 1er, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, de la directive, indépendamment de la procédure en vertu de laquelle elles sont fixées, si, selon la réglementation nationale concernée, de telles créances, reconnues par une décision judiciaire, engagent la responsabilité de l'institution de garantie et si un traitement différent de créances identiques, établies lors d'une procédure de conciliation, n'est pas objectivement justifié.

Sur la troisième question

41. - Par la troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si elle est en droit d'écarter une réglementation nationale telle que celle en cause au principal dans l'hypothèse où celle-ci exclut, de façon discriminatoire, des créances correspondant à des " salarios de tramitación " autres que ceux fixés par une décision judiciaire de la notion de " rémunération " au sens de l'article 2, paragraphe 2, de la directive.

42. - Dès lors qu'une discrimination, contraire au droit communautaire, a été constatée et aussi longtemps que des mesures rétablissant l'égalité de traitement n'ont pas été adoptées, le respect du principe d'égalité ne saurait être assuré que par l'octroi aux personnes de la catégorie défavorisée des mêmes avantages que ceux dont bénéficient les personnes de la catégorie privilégiée.

43. - Dans une telle hypothèse, le juge national est tenu d'écarter toute disposition nationale discriminatoire, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par le législateur, et d'appliquer aux membres du groupe défavorisé le même régime que celui dont bénéficient les autres travailleurs (voir, à l'égard de l'égalité de rémunération entre travailleurs masculins et travailleurs féminins, arrêts du 7 février 1991, Nimz, C-184/89, Rec. p. I-297, points 18 à 20, et du 28 septembre 1994, Avdel Systems, C-408/92, Rec. p. I-4435, point 16).

44. - Par conséquent, il convient de répondre à la troisième question que le juge national doit écarter une réglementation interne excluant, en violation du principe d'égalité, de la notion de " rémunération " au sens de l'article 2, paragraphe 2, de la directive des créances correspondant à des " salarios de tramitación ", convenus lors d'une procédure de conciliation réalisée en présence d'un organe juridictionnel et approuvée par celui-ci; il doit appliquer aux membres du groupe défavorisé par cette discrimination le régime en vigueur pour les travailleurs salariés dont les créances de même type entrent, en vertu de la définition nationale de la notion de " rémunération ", dans le champ d'application de la directive.

Sur les dépens

45. - Les frais exposés par les gouvernements espagnol et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission et l'Autorité de surveillance AELE, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre)

statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha, par ordonnance du 27 octobre 2000, dit pour droit :

1) Des créances qui correspondent à des " salarios de tramitación " doivent être considérées comme des créances de travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et portant sur la rémunération, au sens des articles 1 er , paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d ' insolvabilité de l ' employeur, indépendamment de la procédure en vertu de laquelle elles sont fixées, si, selon la réglementation nationale concernée, de telles créances, reconnues par une décision judiciaire, engagent la responsabilité de l ' institution de garantie et si un traitement différent de créances identiques, établies lors d ' une procédure de conciliation, n ' est pas objectivement justifié.

2) Le juge national doit écarter une réglementation interne excluant, en violation du principe d ' égalité, de la notion de " rémunération " au sens de l'article 2, paragraphe 2, de la directive 80/987 des créances correspondant à des " salarios de tramitación ", convenus lors d ' une procédure de conciliation réalisée en présence d ' un organe juridictionnel et approuvée par celui-ci; il doit appliquer aux membres du groupe défavorisé par cette discrimination le régime en vigueur pour les travailleurs salariés dont les créances de même type entrent, en vertu de la définition nationale de la notion de " rémunération " , dans le champ d ' application de ladite directive.

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 décembre 2002

Le greffier, R. Grass

Le président de la sixième chambre, J.-P. Puissochet

1 : Langue de procédure : espagnol

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