Jurisprudence : CJCE, 19-03-2002, aff. C-476/99, H. Lommers c/ Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij

CJCE, 19-03-2002, aff. C-476/99, H. Lommers c/ Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij

A0395A7R

Référence

CJCE, 19-03-2002, aff. C-476/99, H. Lommers c/ Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1129033-cjce-19032002-aff-c47699-h-lommers-c-minister-van-landbouw-natuurbeheer-en-visserij
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ARRÊT DE LA COUR


19 mars 2002 (1)


"Politique sociale - Égalité de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins - Dérogations - Mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes - Ministère mettant des places de garderie subventionnées à disposition de son personnel - Places réservées exclusivement aux enfants de fonctionnaires féminins, sous réserve de cas d'urgence relevant de l'appréciation de l'employeur"


Dans l'affaire C-476/99,


ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Centrale Raad van Beroep (Pays-Bas) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre


H. Lommers


et


Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij,


une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 2, paragraphes 1 et 4, de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40),


LA COUR,


composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, M. P. Jann, Mmes F. Macken et N. Colneric, présidents de chambre, MM. C. Gulmann, A. La Pergola (rapporteur), J.-P. Puissochet, R. Schintgen et V. Skouris, juges,


avocat général: M. S. Alber,


greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,


considérant les observations écrites présentées:


- pour le gouvernement néerlandais, par M. M. A. Fierstra, en qualité d'agent,


- pour la Commission des Communautés européennes, par Mme H. Michard et M. C. van der Hauwaert, en qualité d'agents,


vu le rapport d'audience,


ayant entendu les observations orales du gouvernement néerlandais, représenté par Mme H. G. Sevenster, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. H. M. H. Speyart, en qualité d'agent, à l'audience du 11 septembre 2001,


ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 6 novembre 2001,


rend le présent


Arrêt


1.


Par ordonnance du 8 décembre 1999, parvenue à la Cour le 16 décembre suivant, le Centrale Raad van Beroep a posé, en vertu de l'article 234 CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 2, paragraphes 1 et 4, de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40, ci-après la "directive").


2.


Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Lommers au ministre en charge du ministère qui l'emploie, le Ministerie van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij (ministère de l'Agriculture, du Patrimoine naturel et de la Pêche, ci-après le "ministère de l'Agriculture"), au sujet du refus de ce dernier de donner à l'enfant de M. Lommers accès au système de garderie qu'il subventionne, motif pris de ce qu'un tel accès est, en principe, réservé aux seuls fonctionnaires féminins dudit ministère.


Le cadre juridique


Dispositions communautaires


3.


L'article 1er, paragraphe 1, de la directive dispose:


"La présente directive vise la mise en oeuvre, dans les États membres, du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, y compris la promotion, et à la formation professionnelle ainsi que les conditions de travail [...]. Ce principe est dénommé ci-après 'principe de l'égalité de traitement."


4.


L'article 2 de la directive prévoit:


"1. Le principe de l'égalité de traitement au sens des dispositions ci-après implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial.


[...]


4. La présente directive ne fait pas obstacle aux mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes dans les domaines visés à l'article 1er paragraphe 1."


5.


L'article 5, paragraphe 1, de la directive se lit comme suit:


"L'application du principe de l'égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, implique que soientassurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe."


6.


Se référant explicitement dans son exposé des motifs à l'article 2, paragraphe 4, de la directive, la recommandation 84/635/CEE du Conseil, du 13 décembre 1984, relative à la promotion des actions positives en faveur des femmes (JO L 331, p. 34), invite notamment les États membres:


"1) [à] adopter une politique d'action positive destinée à éliminer les inégalités de fait dont les femmes sont l'objet dans la vie professionnelle ainsi qu'à promouvoir la mixité dans l'emploi, et comportant des mesures générales et spécifiques appropriées, dans le cadre des politiques et pratiques nationales [...], afin:


a) d'éliminer ou de compenser les effets préjudiciables qui, pour les femmes qui travaillent ou qui cherchent un emploi, résultent d'attitudes, de comportements et de structures fondés sur l'idée d'une répartition traditionnelle des rôles entre les hommes et les femmes dans la société;


b) d'encourager la participation des femmes aux différentes activités dans les secteurs de la vie professionnelle où elles sont actuellement sous-représentées, en particulier dans les secteurs d'avenir, et aux niveaux supérieurs de responsabilité, pour obtenir une meilleure utilisation de toutes les ressources humaines;


[...]


3) [à] prendre, poursuivre ou encourager des mesures d'actions positives dans les secteurs public et privé;


4) [à] faire en sorte que les actions positives incluent, dans la mesure du possible, des actions portant sur les aspects suivants:


[...]


- adaptation des conditions de travail [...]


[...]


[...]


8) [à] entreprendre, dans le secteur public également, des efforts en matière de promotion de l'égalité des chances qui puissent donner l'exemple [...]


[...]"


Dispositions nationales


7.


L'article 1a de la Wet Gelijke Behandeling van mannen en vrouwen (loi sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes), du 1er mars 1980 (ci-après la "WGB"), dispose:


"1. Dans le service public, l'autorité compétente ne peut opérer de distinction entre hommes et femmes [...] dans les conditions de travail [...]


[...]"


8.


L'article 5 de la WGB prévoit toutefois ce qui suit:


"1. Il peut être dérogé aux dispositions des articles 1a, 2, 3 et 4 si la distinction opérée vise à placer les femmes dans une position privilégiée afin d'éliminer ou de réduire des inégalités de fait et si la distinction est en rapport raisonnable avec l'objectif visé.


[...]"


9.


Le ministère de l'Agriculture a adopté, le 15 novembre 1993, la circulaire n° P 93-7841 (ci-après la "circulaire"), conformément à laquelle il met à la disposition de son personnel féminin un certain nombre de places de garderie. Celles-ci, dont le nombre s'élevait à 128 en 1995, sont réparties entre les directions et services du ministère de l'Agriculture en proportion du nombre de travailleurs féminins qui y sont affectés, et ce à raison d'environ une place pour 20 travailleurs féminins. Il s'agit pour partie de places dans un service de garderie propre au ministère de l'Agriculture et pour partie de places obtenues par ledit ministère auprès de structures d'accueil communales.


10.


Les fonctionnaires ayant obtenu une place de garderie pour leur enfant doivent fournir une contribution parentale dont le montant est fixé en fonction de leurs revenus et est dégressif pour les enfants d'une même famille. Cette contribution est retenue directement sur le salaire des fonctionnaires.


11.


Il ressort notamment de la circulaire que:


"Les services de garde d'enfants sont, en principe, réservés exclusivement aux collaboratrices du ministère, sous réserve de cas d'urgence, qui relèvent de l'appréciation du directeur."


Le litige au principal et la question préjudicielle


12.


M. Lommers est fonctionnaire au ministère de l'Agriculture. Son épouse exerce une activité professionnelle auprès d'un autre employeur.


13.


Le 5 décembre 1995, M. Lommers a demandé au ministère de l'Agriculture de réserver une place de garderie pour son enfant à naître. Cette demande a été rejetée le 20 décembre 1995 au motif que les enfants de fonctionnaires masculins ne peuvent bénéficier des services de garderie en cause au principal que dans des cas d'urgence.


14.


Par lettre du 28 décembre 1995, M. Lommers a introduit une réclamation contre cette décision de rejet auprès du ministère de l'Agriculture. Il a, le même jour, sollicité l'avis de la Commissie gelijke behandeling (ci-après la "commission égalité de traitement") sur la compatibilité de la position dudit ministère avec la WGB.


15.


Dans un courrier adressé le 22 février 1996 à la commission "égalité de traitement", le ministère de l'Agriculture a notamment indiqué que la distinction fondée sur le sexe retenue dans la circulaire résultait d'une volonté du ministère de combattre une situation de sous-représentation des fonctionnaires féminins en son sein. Il a relevé à cet égard que, à la date du 31 décembre 1994, sur un nombre total de 11 251 collaborateurs, seuls 2 792 étaient des femmes et que ces dernières étaient en outre peu représentées au niveau des grades supérieurs.


16.


Dans un avis rendu le 25 juin 1996, la commission "égalité de traitement" a considéré que le ministère de l'Agriculture n'avait pas enfreint les articles 1a, paragraphe 1, et 5 de la WGB. Estimant qu'il était de notoriété publique que les femmes renoncent plus souvent que les hommes à exercer ou à continuer d'exercer une profession pour des motifs liés à la garde de leurs enfants et que l'on pouvait raisonnablement considérer que l'insuffisance avérée de structures d'accueil était dès lors de nature à jouer un rôle déterminant dans la renonciation des femmes à leur emploi, ladite commission a considéré que la circulaire était justifiée au regard de l'objectif visant à réduire les départs dans le personnel féminin et qu'elle n'excédait pas ce qui était nécessaire à cette fin. Selon elle, le fait qu'un fonctionnaire masculin élevant seul des enfants puisse, au titre de l'"urgence", bénéficier d'un accès aux places de garderie devrait toutefois être plus clairement affirmé dans la circulaire. En outre, cette commission considère que la conformité à la WGB de la circulaire ne peut être tenue pour acquise une fois pour toutes et que des évaluations régulières devraient permettre de vérifier que la mesure en cause demeure appropriée.


17.


L'enfant de M. Lommers est né le 5 juillet 1996.


18.


Se fondant sur l'avis de la commission "égalité de traitement", dans l'attente duquel il avait suspendu sa décision, le ministère de l'Agriculture a rejeté la réclamation de M. Lommers, par décision du 11 septembre 1996.


19.


Le recours introduit par ce dernier contre ladite décision a été déclaré non fondé par l'Arrondissementsrechtbank te 's-Gravenhage (Pays-Bas), par jugement du 8 octobre 1996. Statuant sur le seul fondement du droit national, cette juridiction a notamment fait sien l'avis de la commission "égalité de traitement".


20.


Le 13 novembre 1996, M. Lommers a interjeté appel de ce jugement devant le Centrale Raad van Beroep. Il a fait valoir que le ministère de l'Agriculture n'avait pas démontré que le nombre de femmes restant en fonction après leur congé de maternité avait augmenté grâce au système subventionné de garderie mis en place. Il a soutenu également que, dans la majorité des ministères néerlandais, aucune distinction n'était effectuée entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès aux systèmes subventionnés de garderie qui y sont organisés, ce qui indiquerait notamment que l'insuffisance des ressources disponibles ne peut être invoquée pour exclure les fonctionnaires masculins dudit ministère du bénéfice du système de garderie en cause au principal. M. Lommers considère en outre que cette exclusion méconnaît l'article 2 de la directive.


21.


Selon le ministère de l'Agriculture, le système en cause au principal est, au contraire, susceptible de justification au regard de l'article 2, paragraphe 4, de la directive. La priorité donnée aux femmes résulterait d'une volonté dudit ministère de combattre les inégalités existant entre fonctionnaires féminins et fonctionnaires masculins, s'agissant tant du nombre de femmes travaillant au ministère que de leur répartition par grade. La création de places de garderie subventionnées serait bien de nature à contribuer à éliminer cette inégalité de fait.


22.


Le Centrale Raad van Beroep souligne d'abord qu'une divergence d'opinion paraît exister quant à la question de savoir si l'article 2, paragraphe 4, de la directive est susceptible de recevoir application à l'égard de mesures visant les enfants de travailleurs, singulièrement lorsqu'il apparaît que le fait de garantir le bénéfice de telles mesures aux travailleurs des deux sexes n'empêcherait pas d'atteindre l'objectif de promotion de l'égalité des chances. Il relève ensuite que, selon une partie de la doctrine, des mesures telles que celle que prévoit la circulaire seraient de nature à figer et à légitimer une répartition traditionnelle des rôles entre hommes et femmes. Se référant aux arrêts du 17 octobre 1995, Kalanke (C-450/93, Rec. p. I-3051), et du 11 novembre 1997, Marschall (C-409/95, Rec. p. I-6363), le Centrale Raad van Beroep se demande en outre si la dérogation prévue par la circulaire au bénéfice des seuls travailleurs masculins se trouvant dans une situation d'urgence n'est pas excessivement restrictive. Il s'interroge enfin sur l'influence éventuelle que peut avoir la circonstance que l'exclusion du requérant au principal pourrait désavantager l'épouse de celui-ci au cas où cette dernière ne serait pas susceptible de bénéficier d'un service de garderie auprès de son propre employeur.

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