Jurisprudence : CA Paris, 25e ch., A, 17-01-2003, n° 2002/03317

CA Paris, 25e ch., A, 17-01-2003, n° 2002/03317

A9256A4L

Référence

CA Paris, 25e ch., A, 17-01-2003, n° 2002/03317. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1127366-ca-paris-25e-ch-a-17012003-n-200203317
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Abstract

Par un arrêt du 17 janvier 2003, la cour d'appel de Paris précise que la théorie des incidents de séance est applicable à la révocation des membres du directoire (CA Paris, 25e ch., section A, 17 janvier 2003, SA Le Comptoir Bleu c/ M. . Fell).


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

ARRET DU 17 JANVIER 2003
Répertoire Général n° 2002/03317


ARRET : CONTRADICTOIRE
Prononcé par Madame Françoise CANIVET, Présidente, laquelle a signé la minute avec Madame LEHFAOUI, Greffière,
Depuis juin 2000, la société SOFRA dont Kléber ROSSILLON est le dirigeant social, est le principal actionnaire, à 94,37 %, de la SA LE COMPTOIR BLEU, laquelle exploite une agence de voyages initialement fondée et animée par Serge Y . Ce dernier, qui détient 5,49 % du capital et Alain X qui est porteur de 0,01 % des actions ont été désignés membres du directoire. L'assemblée générale "mixte" des actionnaires du 16 janvier 2001 a révoqué le mandat des deux membres du directoire, dont celui d'Alain X .
Estimant avoir été "illégalement " révoqué de son mandat, ce dernier a attrait le 5 mars suivant, la société LE COMPTOIR BLEU devant le tribunal de commerce de Créteil aux fins :
- de constater le caractère "illégal et sans juste motif " de la révocation,
- de le rétablir dans "ses droits et fonctions" ,
- et de la condamner à lui payer 500.000 francs de dommages et intérêts et 20.000 francs de frais irrépétibles.
La société LE COMPTOIR BLEU a reconventionnellement sollicité la condamnation de l'ancien membre de son directoire, à lui verser 500.000 francs de dommages et intérêts et 30.000 francs de frais non compris dans les dépens.
Par jugement contradictoire du 22 janvier 2002, assorti de l'exécution provisoire sous réserve de la fourniture par l'intéressé d'un engagement bancaire de cautionnement, le tribunal a :
- dit que la révocation d'Alain X de son mandat de membre du directoire, n'avait pas "respecté les formes légales et statutaires",
- condamné la SA LE COMPTOIR BLEU à lui verser 35.000 euros de dommages et intérêts et 1.500 euros de frais irrépétibles.
Appelante le 25 janvier 2002, La société LE COMPTOIR BLEU expose, dans le dernier état de ses écritures signifiées le 15 octobre suivant, que l'assemblée générale extraordinaire du 16 janvier 2001 a été convoquée à l'initiative du directoire, alors composé de Messieurs Serge Y et Alain X . Elle indique que l'assemblée, après avoir introduit les membres du directoire en séance, les a informés de l'intention du conseil de surveillance de proposer leur révocation et a entendu les explications de Serge Y en sa qualité de président de l'organe social dont la gestion était remise en cause.
L'appelante invoque l'insuffisante rigueur de la gestion du directoire mettant l'entreprise en péril. Elle indique qu'après avoir été alertée par deux rapports d'audit sur l'inquiétant retard de la tenue de la comptabilité et la gestion approximative de la trésorerie par Monsieur X au moyen des seules informations parallèles extra-comptables ne permettant pas l'établissement régulier des comptes, lesquels étaient au surplus déposés en retard, l'assemblée générale a été amenée à décider la révocation de tous les membres du directoire de la société.
L'appelante détaille les reproches concernant plus spécifiquement Alain X dans les tâches relevant plus particulièrement de ses responsabilités concernant notamment l'insuffisance des procédures internes de contrôle laissant subsister de nombreux dossiers client "à marges anormales" entraînant des pertes comptables supplémentaires, alors que l'intéressé disposait pourtant d'une équipe de six comptables internes.
Elle estime que le dépôt de bilan de la société n'a pu être évité que par l'apport, entre juin et décembre 2000, de seize millions de francs en compte courant par l'actionnaire majoritaire.
L'appelante en déduit que la révocation d'Alain X a été motivée par de justes motifs et que celui-ci ne démontre pas l'abus de majorité qu'il allègue. Elle soutient que l'action introduite à son encontre est téméraire en lui causant un dommage dont elle demande réparation.
La société LE COMPTOIR BLEU conclut à la confirmation partielle du jugement déféré en ce qu'il a débouté l'intimé de sa demande de rétablissement dans ses fonctions de membre du directoire et poursuit son infirmation pour le surplus. Elle sollicite reconventionnellement 76.224,51 euros de dommages et intérêts outre 5.000 euros de frais non-taxables.
Intimé, Alain X réplique, dans le dernier état de ses conclusions signifiées le 10 septembre 2002, que l'assemblée du 16 janvier 2001, avait été initialement convoquée en vue de se prononcer sur la dissolution de la société principalement en raison du non respect de ses obligations par la société SOFRA actionnaire majoritaire, dont le dirigeant est également aujourd'hui celui de la société LE COMPTOIR BLEU.
Il conteste vigoureusement les raisons invoquées par la société LE COMPTOIR BLEU pour justifier la révocation de son mandat de membre du directoire, laquelle est intervenue hors sa présence, lors de l'assemblée du 16 janvier 2001.
Il s'insurge contre l'accusation d'avoir sciemment occulté 9,8 MF de pertes et indique que malgré la demande du tribunal, la société LE COMPTOIR BLEU n'a pas communiqué en première instance, ni en appel, le rapport de gestion fait à l'assemblée du 16 janvier 2001, le procès-verbal du Conseil de surveillance faisant proposition de le révoquer de son mandat de membre du directoire et la feuille de présence des participants à ladite assemblée.
Alain X conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a reconnu que la révocation du mandat de membre du directoire n'avait pas respecté les formes légales et statutaires et lui a accordé des dommages et intérêts.
Formant appel incident pour le surplus, il prie la cour de porter à 76.224,51 euros l'indemnité en dommages et intérêts, majorée des intérêts au taux légal calculés sur le montant de l'indemnité déjà allouée par le tribunal, et sollicite le remboursement des frais de mise en place de la garantie bancaire pour lui permettre de bénéficier de l'exécution provisoire ordonnée en première instance.
Il sollicite en outre, l'annulation de la révocation de son mandat de membre du directoire et son rétablissement "dans ses droits et fonctions" et 3.500 euros de frais non compris dans les dépens.
SUR CE,
Considérant qu'Alain X invoque l'irrégularité de la décision de révocation des membres du directoire par l'assemblée du 16 janvier 2001, le défaut de juste motif de sa révocation et la survenance de celle-ci, hors sa présence ;
sur la régularité de la décision de révocation, par l'assemblée du 16 janvier 2001
Considérant que si l'avant-dernier alinéa de l'article L 225-105 du Code de commerce (ancien article 160 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966) dispose que l'assemblée générale ne peut délibérer sur une question qui n'est pas inscrite à son ordre du jour, le même texte fait expressément exception pour la révocation des administrateurs ou membres du conseil de surveillance, lesquels peuvent être révoqués et remplacés "en toutes circonstances" ;
Que ce texte vise les membres des organes qui, en application de l'article 225103 du code de commerce (ancien article 158 de la loi précitée), ont mission ou pouvoir de convoquer l'assemblée générale des actionnaires et d'en fixer l'ordre du jour ;
Qu'aux termes de ce dernier texte, le directoire a également, à titre principal, mission de convoquer l'assemblée générale, de sorte que l'exception de l'article L 225-105 sur la possibilité pour l'assemblée générale de délibérer sur la révocation d'un membre des organes sociaux délibérants, même en l'absence de toute inscription préalable à son ordre du jour, est également applicable aux membres du directoire ;
Considérant que la feuille de présence de l'assemblée litigieuse a été communiquée par la société LE COMPTOIR BLEU sous le n° 96, laquelle établit que quatre actionnaires totalisant 31.485 actions sur 33.340, sont présents ou représentés ;
Que le procès-verbal de ladite réunion, communiqué par Alain X sous le n° 15, précise que le président de séance a déclaré à l'assemblée que le conseil de surveillance "propose de révoquer le directoire actuellement en fonction en raison des défauts constatés dans la remise des documents comptables .."; Que le rapport de gestion du directoire, lu en assemblée, était connu d'Alain X puisque ce dernier était membre de l'organe délibérant qui l'avait élaboré;
Considérant qu'il n'est pas contesté que l'assemblée générale de la société LE COMPTOIR BLEU, réunie le 16 janvier 2001, a régulièrement été convoquée par délibération du 29 décembre 2000 du directoire, la convocation étant envoyée le même jour aux actionnaires ;
Que si son ordre du jour était principalement dédié à délibérer du sort de la société du fait de la situation de ses capitaux propres devenus inférieurs à la moitié de son capital social, il était prévisible, tant pour les auteurs de la convocation que pour les actionnaires convoqués, que les débats qui allaient intervenir sur l'avenir de la société, pouvaient le cas échéant déboucher sur le problème du maintien en fonction des membres composant la direction sociale opérationnelle de la société, ou de la modification en tout ou partie de celle-ci ;
Qu'en outre, il était loisible à l'assemblée, en application combinée des articles L 225-103 et L 225-105 précités, de se saisir en séance, de l'éventuelle révocation de tout ou partie des membres de son directoire au titre des "incidents de séance" et qu'il résulte du procès-verbal non contesté de la réunion, qu'au jour de l'assemblé litigieuse, le conseil de surveillance a proposé à cette dernière, la révocation de tous les membres du directoire ; sur les justes motifs de la révocation des membres du directoire
Considérant, qu'il résulte des termes des deux rapports d'audit du cabinet d' expertise comptable SAUDIT, versés aux débats,
Que celui daté de "juin/juillet 2000, précise "qu'il y a urgence à agir" et indique notamment dans sa conclusion générale :
-"que la comptabilité n'est pas utilisée dans le cadre de la gestion de l'entreprise" ,
- "que pour pallier son retard très important, il a été mis en place des moyens d'information parallèles extra-comptables" ,
-"que, par manque de temps et d'organisation, la paie est réalisée dans des
conditions anormales";
Que le second rapport daté du 8 décembre 2000, expose :
-"nous ne pouvons que confirmer les conclusions émises dans notre rapport du ler juillet 2000" ,
- "malheureusement, peu de modifications sont intervenues depuis cette date au niveau de l'organisation comptable",
-"un travail considérable reste à accomplir pour mettre la comptabilité à jour au 31 décembre 2000 et pour l'organiser";
Qu'il s'en déduit que depuis la prise de participation majoritaire par la société SOFRA le directoire composé de Messieurs Y et X , ne dirigeait pas la société selon les méthodes de gestion préconisées par le nouvel actionnaire majoritaire, lequel ne constatait d'améliorations significatives de l'exploitation de l'entreprise, au regard des nouveaux fonds propres qu'il y a investis ;
Qu'il est inopérant de s'interroger sur le caractère éventuellement fautif des faits constatés, dès lors que l'absence de concordance de vue entre le directoire et l'actionnaire principal à plus de 94 % du capital, rend légitime le remplacement de ses membres, lesquels mandataires sociaux se trouvent ainsi révoqués pour juste motif ;
sur les circonstances de la révocation d'Alain X de sa fonction sociale de membre du directoire
Considérant qu'il résulte tant du procès-verbal de la réunion du 16 janvier 2001, que du procès-verbal de constat dressé le jour même par huissier, qu'Alain X a quitté la réunion dès la lecture du rapport du directoire par son président Serge Y , sans avoir été informé des griefs formulés à son encontre, ni avoir été invité à présenter des observations ;
Qu'indépendamment des justes motifs sur lesquels l'assemblée générale pouvait, se fonder, pour prendre sa décision de révocation, il lui appartenait, en application du principe général de respect des droits de la défense, de mettre Alain X en situation d'entendre les griefs qui lui étaient reprochés et de faire valoir ses observations ;
Qu'en ne le faisant pas, la société LE COMPTOIR BLEU a causé un dommage moral à l'intéressé, lequel a été justement apprécié par le tribunal en lui allouant l'indemnité de 35.000 euros ;
sur les frais de cautionnement bancaire exposés du fait de la mise en oeuvre de l'exécution provisoire ordonnée par le tribunal, les dommages et intérêts sollicités par la société LE COMPTOIR BLEU et les frais irrépétibles
Considérant que l'appelante, succombant principalement dans son recours, est mal fondée à prétendre que l'action d'Alain X lui a causé un préjudice ; Que les premiers juges ayant assorti le bénéfice de l'exécution provisoire de la fourniture par son bénéficiaire d'un engagement bancaire de cautionnement, ce dernier est mal fondé à en demander le remboursement du coût correspondant à l'appelante ;
Qu'en revanche il serait inéquitable de laisser à la charge d'Alain X , la totalité des frais non compris dans les dépens qu'il a dû exposer en cause d'appel;

PAR CES MOTIFS,
CONFIRME LE JUGEMENT ENTREPRIS EN TOUTES SES DISPOSITIONS,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE LA SA LE COMPTOIR BLEU A VERSER 2.500 EUROS DE FRAIS IRREPETIBLES A ALAIN X ,
LA CONDAMNE EN OUTRE AUX DEPENS D'APPEL,
ADMET LA SCP HARDOUIN AU BENEFICE DE L'ARTICLE 699 DU NCPC.

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