ARRÊT DU CONSEIL D'ETAT
CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N° 230033
M. PRIEUR
M. Verclytte, Rapporteur
M. Austry, Commissaire du gouvernement
Séance du 9 décembre 2002
Lecture du 30 décembre 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 février et 6 juin 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Marcel PRIEUR, demeurant 10, allée de Fontainebleau à Paris (75019) ; M. PRIEUR demande au Conseil d'Etat
1°) d'annuler l'arrêt du 30 novembre 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 10 octobre 1996 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de décharge de complément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1984, ainsi que des pénalités afférentes, et sa demande en remboursement des frais exposés pour la constitution de garanties ;
2°) d'annuler le jugement susmentionné du tribunal administratif de Paris et de prononcer ladite décharge ;
3 °) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 15 000 F au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de justice administrative;
Après avoir entendu en séance publique
- le rapport de M. Verclytte, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Richard, Mandelkern, avocat de M. Marcel PRIEUR,
- les conclusions de M. Austry, Commissaire du gouvernement;
Considérant que M. PRIEUR demande l'annulation de l'arrêt du 30 novembre 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande en décharge du complément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1984 et des pénalités afférentes, ainsi que sa demande en remboursement des frais exposés pour la constitution de garanties ;
Sur les conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant que sauf dispositions contraires, il incombe à l'administration d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer le caractère anormal des actes de gestion ayant motivé un redressement; qu'en rejetant la demande en décharge de M. PRIEUR au motif "qu'en l'absence de tout élément permettant d'établir que les faits reprochés au préposé du requérant étaient de nature à contribuer, ne serait-ce que partiellement, au développement du chiffre d'affaires de l'entreprise, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve que le versement de l'indemnité litigieuse procède d'un acte étranger à une gestion commerciale normale", la cour, qui a en réalité fait peser la charge de la preuve sur le contribuable, a méconnu le principe susrappelé ; que son arrêt doit, pour ce motif, être annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, de régler l'affaire au fond sur ce point en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'aux termes de l'article 156 du code général des impôts dans sa rédaction applicable à l'imposition litigieuse : "L'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu annuel dont dispose chaque foyer fiscal. Ce revenu net est établi (...) sous déduction: I. Du déficit constaté pour une année dans une catégorie de revenus. (...)" ; qu'aux termes de l'article 39 du même code applicable aux bénéfices industriels et commerciaux: "I. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant notamment
1 ° Les frais généraux de toute nature (...)" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que par un jugement du 24 juin 1983, le tribunal de grande instance de Paris a condamné un des employés de M. PRIEUR, exploitant d'un fonds de négoce automobile, pour avoir falsifié des renseignements portés dans des dossiers de demande de crédit automobile, ainsi que M. PRIEUR lui-même pour recel d'escroquerie, àraison des mêmes faits; que M. PRIEUR a signé le 24 janvier 1984 avec la socitété DIN un protocole aux termes duquel il s'engageait à verser la somme de 700 000 F, ramenée ultérieurement à 600 000 F, à titre de réparation du préjudice subi par cette société à raison des faits d'escroquerie susmentionnés; que M. PRIEUR soutient que cette somme doit être regardée comme une charge de son activité de négoce d'automobiles, déductible dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux en vertu de l'article 39 du code général des impôts;
Considérant que pour établir que le paiement de la somme litigieuse procède d'un acte anormal de gestion, l'administration se borne à soutenir que ce paiement doit être regardé comme la conséquence directe des activités délictueuses de M. PRIEUR ou de celles de son préposé, dont il est civilement responsable ; que toutefois, la circonstance que cette dépense aurait été engagée par M. PRIEUR à l'un ou l'autre de ces deux titres ne suffit pas à la faire regarder comme étrangère à l'intérêt de l'entreprise ; qu'ainsi, l'administration n'apporte pas la preuve que le paiement de la somme litigieuse relève d'une gestion anormale; que dès lors, M. PRIEUR est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à sa charge au titre de l'année 1984 ;
Sur les conclusions tendant au remboursement des frais de constitution de garantie
Considérant que le remboursement des frais qu'un contribuable a exposés pour constituer des garanties doit, en vertu des dispositions de l'article R.208-3 du livre des procédures fiscales, être demandé au trésorier-payeur général dans le délai d'un an à compter de la notification de la décision de dégrèvement qui le justifie ; qu'ainsi, en l'absence de litige né et actuel entre l'administration et le requérant concernant un tel remboursement, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les conclusions présentées à cette fin comme irrecevables ; que M. PRIEUR n'est donc pas fondé à demander l'annulation, sur ce point, de l'arrêt attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l'Etat à payer à M. PRIEUR la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE:
Article 1er : L'arrêt du 30 novembre 2000 de la cour administrative d'appel de Paris et le jugement du 10 octobre 1996 du tribunal administratif de Paris sont annulés en tant qu'ils statuent sur les conclusions de M. PRIEUR tendant à la décharge des suppléments de cotisation àl'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre de l'année 1984.
Article 2 : M. PRIEUR est déchargé des suppléments de cotisation à l'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre de l'année 1984.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. PRIEUR ainsi que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Marcel PRIEUR et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.