Jurisprudence : CEDH, 23-01-2003, Req. 31520/96, RICHEN et GAUCHER

CEDH, 23-01-2003, Req. 31520/96, RICHEN et GAUCHER

A7013A4I

Référence

CEDH, 23-01-2003, Req. 31520/96, RICHEN et GAUCHER. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1125218-cedh-23012003-req-3152096-richen-et-gaucher
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Abstract

Par un arrêt du 23 janvier 2003 (CEDH, 23 janvier 2003, Req. 31520/96, Richen et Gaucher), la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) condamne la France pour violation de l'article 6 § 1 de la CEDH ([LXB=L7558AIR] ; procès équitable), en ce que des justiciables français, qui n'ont pu connaître le sens des conclusions de l'avocat général avant l'audience de la Cour de cassation, n'ont pu y répondre par une note en délibéré.

Cour européenne des droits de l'homme

23 janvier 2003

Requête n°31520/96

RICHEN et GAUCHER



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE RICHEN et GAUCHER c. FRANCE

(Requêtes n°s 31520/96 et 34359/97)

ARRÊT

STRASBOURG

23 janvier 2003

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Richen et Gaucher c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

M. C.L. Rozakis, président,

Mme F. Tulkens,

MM. J.-P. Costa,

P. Lorenzen,

Mme N. Vajic,

MM. E. Levits,

A. Kovler, juges,

et de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 13 décembre 2001 et 19 décembre 2002,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouvent deux requêtes (nos 31520/96 et 34359/97) dirigées contre la République française et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. François Richen et Christian Gaucher (" les requérants "), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (" la Commission ") les 1er avril 1996 et 12 novembre 1996 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

2. Les requérants sont représentés devant la Cour par Me Y. Rio, avocat au barreau de Paris. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. R. Abraham, Directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants alléguaient en particulier une violation du droit à un procès contradictoire dans le respect des droits de la défense devant la chambre criminelle de la Cour de cassation.

4. Les requêtes ont été transmises à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5. Les requêtes ont été attribuées à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

6. Par une décision du 6 avril 2000, la Cour a déclaré les requêtes partiellement recevables. Elle a également décidé de joindre les requêtes (article 43 § 1 du règlement).

7. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement). La Cour ayant décidé après consultation des parties qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l'affaire (article 59 § 2 in fine du règlement), les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l'autre.

8. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).

9. Le 13 décembre 2001, la Cour a décidé d'ajourner l'affaire en raison de la saisine de la Grande Chambre dans les affaires Meftah et Adoud et Bosoni.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A. Procédure relative au premier requérant

10. Le 20 août 1993, M. Richen fut verbalisé pour n'avoir pas respecté un feu rouge en agglomération. Il fut cité à comparaître devant le tribunal de police.

11. Par jugement du 1er février 1994, le tribunal de police de Poitiers déclara M. Richen coupable de l'infraction reprochée et le condamna à une amende de huit cents francs, ainsi qu'à une suspension du permis de conduire de quatorze jours. Le tribunal rejeta les exceptions du requérant tirées de la contrariété du système de permis à points avec les articles 6 et 7 de la Convention.

12. Par arrêt du 23 juin 1994, la cour d'appel de Poitiers confirma le jugement sur la culpabilité. Elle porta le montant de l'amende à deux mille francs et la peine de suspension du permis de conduire à deux mois.

13. Le 23 juin 1994, M. Richen forma un pourvoi en cassation.

14. Le 21 juillet 1994, il déposa un mémoire personnel, par l'intermédiaire de l'avocat à la cour qui avait été son conseil devant les juges du fond.

15. Après avoir interrogé le greffe de la cour, le requérant apprit que son pourvoi avait été examiné à l'audience du 7 juin 1995 et renvoyé à une audience ultérieure sans fixation d'une nouvelle date d'audience.

16. Le 18 septembre 1995, M. Richen établit un pouvoir spécial en faveur de son avocat à la cour, autorisant celui-ci à prendre connaissance de son dossier et à en suivre l'examen devant la Cour de cassation. Le même jour, l'avocat du requérant demanda par écrit au président de la chambre criminelle de la Cour de cassation d'avoir accès au dossier et notamment d'avoir communication des réquisitions écrites de l'avocat général afin de pouvoir y répondre.

17. Dans le cadre d'autres pourvois en cassation introduits par des demandeurs dont il était aussi le conseil, l'avocat du requérant formula auprès du président de la chambre criminelle des demandes similaires tendant à accéder aux dossiers de ses clients. Le président de la chambre criminelle apporta une réponse de principe à de telles demandes, dans un courrier daté du 20 juillet 1995, où il indiquait :

" La réponse que j'ai faite le 12 juillet 1995 à votre lettre du 9 juin précédent, concernant le pourvoi formé par M. [J. T.] contre un arrêt du 28 avril 1995, a nécessairement une portée générale et s'applique également à votre lettre du 13 juin, relative au pourvoi de M. [R. M.] contre un arrêt de la même cour d'appel du 22 mai 1995 (...) En revanche, il ne m'appartient pas de donner suite à votre lettre du 6 juillet qui accompagnait ce mémoire, pour la double raison que, d'une part, seuls les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, choisis ou commis d'office, sont habilités à intervenir devant la chambre criminelle et que, d'autre part, ils y ont toujours la possibilité de répliquer aux conclusions du parquet général (...) "

18. Par arrêt du 20 décembre 1995, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi.

B. Procédure relative au second requérant

19. Le 30 septembre 1994, M. Gaucher, alors qu'il circulait à Paris au volant de son véhicule automobile, fit l'objet d'un procès-verbal de police constatant le non-respect de la signalisation routière.

20. Par jugement en date du 8 février 1995, le tribunal de police de Paris condamna M. Gaucher à une amende de deux mille deux cents francs, ainsi qu'à une suspension de permis de conduire d'une durée de quinze jours assortie de l'exécution provisoire. M. Gaucher en interjeta appel.

21. Par arrêt du 22 juin 1995, la cour d'appel de Paris confirma le jugement.

22. Le 23 juin 1995, M. Gaucher forma un pourvoi en cassation et déposa son mémoire en juillet 1995, par l'intermédiaire de l'avocat qui avait été son conseil devant les juges du fond. Il établit un pouvoir spécial en faveur de ce dernier, l'autorisant à régulariser son pourvoi et à en suivre l'examen devant la cour. L'avocat demanda par écrit au président de la chambre criminelle l'autorisation d'accéder au dossier du requérant, notamment aux conclusions de l'avocat général afin d'y répondre.

23. Par arrêt du 14 mai 1996, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. Sur la demande de l'avocat en vue de la communication des réquisitions de l'avocat général, la cour estima que :

" (...) la demande présentée par un avocat de Rouen, en vue d'obtenir communication des réquisitions du ministère public, est (...) irrecevable, dès lors que l'intéressé n'a pas qualité pour représenter le prévenu devant la Cour de cassation ; qu'en effet, il résulte de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, que seuls les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation peuvent exercer leur ministère, en matière de représentation et assistance des parties, devant la Cour de cassation. "

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Généralités

24. Les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (" avocats aux Conseils ") bénéficient d'un monopole de représentation des parties devant la Cour de cassation.

25. Le demandeur condamné pénalement est recevable à présenter au soutien de son pourvoi en cassation, sans le ministère d'un avocat aux Conseils, un mémoire personnel signé par lui, dans les conditions prévues par les articles 584 et suivants du code de procédure pénale. Sauf dérogation accordée par le président de la chambre criminelle, ce mémoire doit parvenir au greffe de la Cour de cassation un mois au plus tard après la date du pourvoi. Lorsque le demandeur n'a pu obtenir la délivrance de la décision faisant l'objet du pourvoi, le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation accorde de façon quasi systématique une telle prorogation en matière d'infractions au code de la route.

26. Il peut formuler une requête en vue de sa comparution personnelle devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il appartient à la cour d'y faire droit ou non, suivant les circonstances (Cass. crim. 3 mai 1990, Bull. 166). Cette faculté n'est que rarement consentie, le principe étant celui du monopole de parole des avocats aux Conseils.

27. De n°s jours, l'avocat général informe avant le jour de l'audience les conseils des parties du sens de ses propres conclusions et, lorsque, à la demande desdits conseils, l'affaire est plaidée, ces derniers ont la possibilité d'y répliquer oralement ou par une note en délibéré (voir Slimane-Kaïd et Reinhardt arrêt du 31 mars 1998, Recueil 1998-II, n° 68, p. 666, § 106).

28. Selon le droit applicable en matière d'aide juridictionnelle (loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application du 19 décembre 1991), " les personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice peuvent bénéficier d'une aide juridictionnelle. Cette aide est totale ou partielle. " (article 2 de la loi). Dans les cas d'urgence, ou lorsque la procédure met en péril les conditions essentielles de vie du requérant, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par le président du bureau d'aide juridictionnelle ou par la juridiction compétente (article 20 de la loi et 62 et suivants du décret). Le Gouvernement fait état d'une pratique spécifique instaurée par le bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation selon laquelle l'admission provisoire est systématiquement accordée en matière pénale aux condamnés qui forment un pourvoi, afin de leur permettre de bénéficier effectivement d'une assistance juridique compte tenu du haut degré de technicité qu'exige ce type de recours et de la brièveté des délais de procédure.

B. Code de procédure pénale

29. Les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

Article 584

" Le demandeur en cassation, soit en faisant sa déclaration, soit dans les dix jours suivants, peut déposer, au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, un mémoire, signé par lui, contenant ses moyens de cassation. Le greffier lui en délivre reçu. "

Article 585

" Après l'expiration de ce délai, le demandeur condamné pénalement peut transmettre son mémoire directement au greffe de la Cour de cassation ; les autres parties ne peuvent user du bénéfice de la présente disposition sans le ministère d'un avocat à la Cour de cassation. Dans tous les cas, le mémoire doit être accompagné d'autant de copies qu'il y a de parties en cause. "

Article 585-1

" Sauf dérogation accordée par le président de la chambre criminelle, le mémoire du demandeur condamné pénalement doit parvenir au greffe de la Cour de cassation un mois au plus tard après la date du pourvoi. Il en est de même pour la déclaration de l'avocat qui se constitue au nom d'un demandeur au pourvoi. "

Article 588

" Si un ou plusieurs avocats se sont constitués, le conseiller rapporteur fixe un délai pour le dépôt des mémoires entre les mains du greffier de la chambre criminelle. "

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

30. Les requérants se plaignent de la procédure devant la Cour de cassation, estimant avoir été placés, avec leur conseil, dans une position défavorable par rapport à un justiciable ayant recours au ministère d'un avocat aux Conseils. Ils invoquent l'article 6 § 1 de la Convention, lequel prévoit notamment :

" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. "

A. Argumentation des parties

1. Les requérants

31. Les requérants font notamment valoir que le droit français et la Convention permettent à un accusé de se défendre lui-même, sans avoir recours à un avocat aux Conseils. Pourtant, l'accusé fait l'objet d'une différence de traitement par rapport à un demandeur représenté par un avocat aux Conseils : au stade de l'introduction du mémoire, la personne représentée par un tel avocat dispose d'un délai de quatre mois à la date du pourvoi (délai qui peut être prorogé par le conseiller rapporteur) pour déposer son mémoire, tandis que celle qui se défend seule ne dispose que d'un mois, sauf prorogation accordée de manière discrétionnaire par le président de la chambre criminelle. Les requérants notent qu'ils ont également été pénalisés en raison du délai nécessaire pour obtenir le texte écrit de l'arrêt rendu par la cour d'appel, aucune disposition légale n'imposant aux juges du fond de rédiger leur décision pour le jour du prononcé public. Or le non-respect du délai d'un mois prévu à l'article 585-1 du code de procédure pénale emporte l'irrecevabilité du mémoire et, partant, du pourvoi. Par ailleurs, lors de la phase préparatoire, le demandeur non représenté par un avocat aux Conseils n'a connaissance ni de la date d'audience, ni de la teneur de l'argumentation de l'avocat général. Enfin, au stade de l'audience publique, l'accusé n'a pas la possibilité de prendre la parole ou de présenter une note en délibéré pour répondre aux réquisitions de l'avocat général, faute d'être convoqué. Au surplus, les demandes de comparution personnelle sont systématiquement refusées. Quant aux conclusions tirées par le Gouvernement de l'arrêt K.D.B. contre les Pays-Bas, arrêt du 27 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, les requérants en contestent le bien-fondé, les parties qui formulent une demande de comparution devant obtenir une permission de la Cour de cassation française. Les requérants estiment enfin que le droit éventuel à une assistance judiciaire provisoire pour suppléer à ce déséquilibre est hors débat si l'accusé use de son droit de se défendre lui-même.

2. Le Gouvernement

32. Le Gouvernement souligne tout d'abord le rôle spécifique du parquet général près la Cour de cassation. En ce qui concerne les réquisitions de l'avocat général, il rappelle que les avocats aux Conseils des parties peuvent y répliquer, soit à l'audience, soit par une note en délibéré. Par ailleurs, l'usage veut que, lors de la réunion préparatoire tenue avant l'audience, l'avocat général les informe de manière informelle du sens de ses conclusions. La Cour a conclu, dans l'arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, que cette pratique était conforme aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention (arrêt du 31 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 666, § 106).

Le Gouvernement considère ensuite que le droit d'accès à un tribunal, garanti par l'article 6, n'a pas un caractère absolu et que des restrictions peuvent exister, en particulier devant la Cour de cassation (Levages Prestations Services c. France arrêt du 23 octobre 1996, Recueil 1996-V). Il souligne que le code de procédure pénale institue deux régimes distincts, selon que le demandeur est ou non assisté d'un avocat aux Conseils. L'une des différences essentielles tient au délai accordé au demandeur qui se défend seul ou avec le concours d'un avocat non spécialisé devant la juridiction suprême : ce dernier ayant généralement assuré la défense devant les juridictions du fond, il ne saurait prétendre à un délai particulier pour un dossier dont il possède déjà une connaissance approfondie. Il dispose de toute façon d'un mois pour déposer son mémoire et, le cas échéant, peut solliciter un délai supplémentaire. Or les requérants ont déposé leur mémoire personnel dans le délai légal sans solliciter de prorogation.

En outre, tout demandeur peut bénéficier d'une admission provisoire à l'aide juridictionnelle, laquelle est systématiquement accordée en matière pénale aux condamnés, et bénéficier des services d'un avocat aux Conseils.

En ce qui concerne l'absence de convocation et de participation des requérants à l'audience, le Gouvernement relève notamment que la Cour a récemment confirmé la particularité d'une procédure devant une cour suprême qui ne se prononce que sur des questions de droit, laquelle n'implique nullement la comparution de l'accusé (voir l'arrêt K.D.B. précité). Il considère que l'avocat choisi par les requérants aurait dû les informer des conséquences de leur choix. Cela étant, devant la Cour de cassation française, les audiences contradictoires sont exceptionnelles, la procédure étant essentiellement écrite, et l'intervention orale d'un simple particulier ne présenterait guère d'intérêt. La spécificité de la procédure peut donc justifier que le monopole de parole soit réservé aux seuls avocats aux Conseils (Voisine c. France arrêt du 8 février 2000, n° 27362/95). En tout état de cause, les requérants ont pu prendre la parole devant les juges du fond et la Cour de cassation a pris en compte leurs mémoires ampliatifs (arrêt K.D.B précité).

B. Appréciation de la Cour

1. Sur le délai pour le dépôt des mémoires ampliatifs

33. La Cour constate que l'avocat chargé de la défense des intérêts des requérants a déposé les mémoires ampliatifs dans le délai légal d'un mois, sans formuler aucune demande de prorogation de délai.

Force est de constater qu'il n'est pas démontré que le délai dont disposaient les requérants ait été insuffisant pour leur permettre d'exposer efficacement leurs moyens de cassation.

En outre, la Cour relève que le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation fait droit de façon quasi systématique aux demandes de prorogation de délai, en matière d'infractions au code de la route, lorsque le demandeur n'a pu obtenir la délivrance de la décision faisant l'objet du pourvoi.

En conclusion, la Cour estime que le délai dont disposaient les requérants pour déposer leur mémoire ampliatif, bien que différent de celui accordé aux demandeurs représentés par un avocat aux Conseils, n'a pas porté atteinte aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention.

34. Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention à cet égard.

2. Sur l'impossibilité pour les requérants de prendre la parole à l'audience de la Cour de cassation

35. Quant à la question de savoir si les requérants auraient dû être convoqués afin de se voir offrir une occasion de plaider leur cause oralement devant la Cour de cassation, la Cour rappelle que l'absence de débats publics en deuxième ou troisième instance peut se justifier par les caractéristiques de la procédure dont il s'agit, pourvu qu'il y ait eu audience publique en première instance. Pour savoir si les requérants ont subi une atteinte à leur droit à un procès équitable, il faut prendre en compte les particularités de la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation (voir, notamment, Meftah et autres c. France arrêt du 26 juillet 2002, n°s 32911/96, 35237/97 et 34595/97, §§ 41- 42, CEDH 2002-...).

En l'espèce, la Cour note que les pourvois en cassation furent formés après que les arguments des requérants eurent été examinés tant par les juridictions de première instance que par les cours d'appel, tribunaux qui avaient plénitude de juridiction et qui tinrent des audiences auxquelles les requérants ou leur avocat comparurent et participèrent aux débats dans le respect des règles prévues à l'article 6.

S'agissant du droit pour le demandeur en cassation de prendre la parole à l'audience, il convient de noter que le débat susceptible d'intervenir au cours d'une audience devant la chambre criminelle de la Cour de cassation est particulièrement technique et porte uniquement sur des moyens de droit, le débat au fond étant définitivement clos à hauteur d'appel, sous réserve d'un renvoi après cassation. C'est pourquoi la Cour a déjà jugé que la participation orale des requérants à l'audience de la Cour de cassation s'inscrirait dans une approche par trop formaliste de la procédure (même arrêt, § 44).

Certes, les requérants entendent surtout contester le monopole dont bénéficient les avocats aux Conseils.

La Cour a cependant jugé que la spécificité de la procédure devant la Cour de cassation, considérée dans sa globalité, peut justifier de réserver aux seuls avocats spécialisés le monopole de la prise de parole et qu'une telle réserve n'est pas de nature à remettre en cause la possibilité raisonnable qu'ont les requérants de présenter leur cause dans des conditions qui ne les placent pas dans une situation désavantageuse (même arrêt, § 47).

En conclusion, compte tenu du rôle qui est celui de la Cour de cassation et eu égard aux procédures considérées dans leur ensemble, la Cour estime que le fait de ne pas avoir offert aux requérants l'occasion de plaider leur cause oralement, personnellement ou par l'intermédiaire d'un avocat inscrit à un barreau, n'a pas porté atteinte à leur droit à un procès équitable au sens des dispositions de l'article 6.

36. Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention à cet égard.

3. Sur l'absence de communication aux requérants du sens des conclusions de l'avocat général et l'impossibilité d'y répliquer par écrit

37. Dès lors que la procédure devant la Cour de cassation est essentiellement écrite, la Cour rappelle que le respect du contradictoire est assuré par les principes énoncés dans son arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd précité (arrêt Meftah et autres précité, § 49). En effet, le grief tiré de l'absence de communication des conclusions de l'avocat général au demandeur en cassation devant la chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà été examiné par elle dans cet arrêt. La Cour a indiqué ce qui suit (p. 666, §§ 106-107) :

" L'absence de communication des conclusions de l'avocat général aux requérants est pareillement sujette à caution.

De n°s jours, certes, l'avocat général informe avant le jour de l'audience les conseils des parties du sens de ses propres conclusions et, lorsque, à la demande desdits conseils, l'affaire est plaidée, ces derniers ont la possibilité de répliquer aux conclusions en question oralement ou par une note en délibéré (paragraphe 79 ci-dessus). Eu égard au fait que seules des questions de pur droit sont discutées devant la Cour de cassation et que les parties y sont représentées par des avocats hautement spécialisés, une telle pratique est de nature à offrir à celles-ci la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes. Il n'est toutefois pas avéré qu'elle existât à l'époque des faits de la cause.

Partant, eu égard aux circonstances susdécrites, il y a eu violation de l'article 6 § 1. "

38. La Cour a également été amenée à se prononcer sur le cas de requérants ayant choisi de se défendre sans la représentation d'un avocat aux Conseils (arrêts Voisine et Meftah et autres précités). Dans une telle situation, les requérants ne bénéficient pas de la pratique - réservée aux seuls avocats à la Cour de cassation - que la Cour a jugée " de nature à offrir [aux parties] la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes " (arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd précité, ibidem).

39. La Cour rappelle que le droit à une procédure contradictoire au sens de l'article 6 § 1, tel qu'interprété par la jurisprudence, " implique en principe le droit pour les parties à un procès de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue d'influencer sa décision " (voir, en matière pénale, (J. J. c. Pays-Bas arrêt du 27 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 613, § 43 in fine).

Or, en l'espèce, la Cour note que les requérants n'ont pu connaître le sens des conclusions de l'avocat général avant l'audience de la Cour de cassation et, partant, n'ont pu y répondre par une note en délibéré, alors même qu'ils ont le droit de déposer avant l'audience un mémoire signé par eux (arrêt Meftah et autres précité, § 51).

S'il est vrai que les requérants n'ont pas demandé l'aide juridictionnelle pour disposer d'une représentation par un avocat spécialisé, ils n'en ont pas pour autant renoncé au bénéfice des garanties d'une procédure contradictoire (ibidem).

40. Il en résulte que, faute d'avoir offert aux requérants un examen équitable de leur cause devant la Cour de cassation dans le cadre d'un procès contradictoire, en assurant la communication du sens des conclusions de l'avocat général et en permettant d'y répondre par écrit, il y a eu, en l'espèce, violation de l'article 6 § 1.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

41. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "

A. Frais et dépens

42. MM. Richen et Gaucher réclament le versement de la somme de 22 037,60 francs français (FRF), soit 3 359,61 euros (EUR), toutes taxes comprises (TTC), pour la procédure interne devant les trois degrés de juridictions. A cette somme s'ajoute celle de 23 920 FRF TTC, soit 3 646,58 EUR, au titre des honoraires pour leur représentation devant la Commission et la Cour.

43. Le Gouvernement ne se prononce pas.

44. S'agissant de la procédure interne, la Cour relève que le grief qui a conduit au constat de violation concerne un point spécifique de la seule phase de la procédure devant la Cour de cassation. Aucune somme ne doit donc lui être allouée de ce chef. Pour ce qui est des frais et dépens devant la Commission puis la Cour, les requérants n'ont certes pas fourni de pièces justificatives, mais la Cour estime, au vu des diligences écrites et orales manifestement accomplies par leur avocat, qu'il convient de leur allouer en équité, à chacun d'entre eux, la somme de 1 200 EUR.

B. Intérêts moratoires

45. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR , À l'UNANIMITÉ,

1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne l'absence de communication aux requérants du sens des conclusions de l'avocat général et l'impossibilité d'y répliquer par écrit ;

2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention concernant les autres griefs des requérants ;

3. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 200 EUR (mille deux cents) euros pour frais et dépens ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 janvier 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.


Greffier adjoint

Søren Nielsen


Président

Christos Rozakis

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