Jurisprudence : CA Paris, 3e, C, 12-04-2002, n° 2001/06984

CA Paris, 3e, C, 12-04-2002, n° 2001/06984

A2192AZ9

Référence

CA Paris, 3e, C, 12-04-2002, n° 2001/06984. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1119816-ca-paris-3e-c-12042002-n-200106984
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Abstract

Mandataire révocable ad nutum, c'est-à-dire librement et sur un simple "signe de la tête", le président du conseil d'administration se trouve dans une position précaire.



COUR D'APPEL DE PARIS
3è chambre, section C
ARRÊT DU 12 AVRIL 2002
(N° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général 2001/06984
Décision dont appel Jugement rendu le 05/02/2001 par le TRIBUNAL DE COMMERCE de PARIS 1ère Chambre - RG n° 1999/92801 (Pt M. ...) Date ordonnance de clôture 28 février 2002 Nature de la décision CONTRADICTOIRE Décision CONFIRMATION PARTIELLE

APPELANT
Monsieur Z DanielZ
né le ..... à LOUPPY LE CHATEAU (55), de nationalité française
directeur,
demeurant 3, rue de la Gare 558000 LAHEYCOURT agissant tant en son nom personnel qu'en qualite d'actionnaire de la Société BRADFER INVESTISSEMENT SA
représenté par la SCP REGNIER-BEQUET, avoué
assisté de Maître RELIQUET Frédéric, avocat au barreau des Hautes de Seine
Toque PN 731
INTIMÉS
Monsieur Z Jean-LouisZ
demeurant LAHEYCOURT
Madame Z CatherineZ
demeurant LAHEYCOURT
représentés par la SCP MONIN, avoué
assistés de Maître ROUX Olivier, avocat au barreau de Paris Toque T 1102
INTIMÉ
Monsieur Y RobertY
né le ..... à Lyon, de nationalité française, retraité
demeurant PARIS
représenté par la SCP ARNAUDY-BAECHLIN, avoué
assisté de Maître ZERBIB Séverine, avocat plaidant pour la SCP BARRY et associés, avocat au barreau de Paris Toque C 866

COMPOSITION DE LA COUR Lors des débats et du délibéré
PRÉSIDENT Monsieur ALBERTINI
CONSEILLERS Madame ... ... et Monsieur ...
DÉBATS
A l'audience publique du 1er mars 2002
GREFFIER
Lors des débats et lors du prononcé de l'arrêt
Madame ... L. dossier a été communiqué au Ministère public
ARRÊT Contradictoire - prononcé publiquement par Monsieur ALBERTINI, Président lequel a signé la minute avec Madame FALIGAND, greffier au prononcé de l'arrêt.

Vu l'appel interjeté par Monsieur Daniel Z du jugement rendu le 5 février 2001 par le tribunal de commerce de Paris qui le déboute de toutes ses demandes et le condamne à payer, au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, à Monsieur Jean-Louis Z et à Madame Catherine Z la somme de 4.500 euros et à Monsieur Robert Y celle de 4.500 euros, et déboute Monsieur et Madame Z ainsi que Monsieur Y du surplus de leurs demandes ;
Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 1er février 2002 pour Monsieur Daniel Z qui demande à la cour de
réformer le jugement déféré, et statuant à nouveau
juger abusive la révocation de ses mandats de directeur général de la société Bergère de France et de président directeur général de la société Bradfer Investissements, dire qu'en votant cette révocation, Messieurs Jean-Louis Z et Robert Y et Madame Catherine Z ont commis des fautes et lui ont causé des préjudices, les condamner, en conséquence, solidairement à lui payer la somme de 76.224, 51 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et, en réparation de son préjudice matériel, à prendre en charge le supplément d'impôt sur la fortune (I.S.F.), correspondant à ses participations dans les sociétés Bergère de France et Bradfer Investissements pour les années 1999, 2000 et 2001, sauf à parfaire jusqu'à ce qu'il ait été réintégré dans ses fonctions, soit à ce jour la somme de 200.897, 62 euros, débouter Monsieur Y et les époux Jean-Louis Z de toutes leurs demandes,
les condamner au paiement de la somme de 100.000 francs, soit 15.244, 90 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 7 février 2002 pour Monsieur et Madame Jean-Louis Z tendant à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de l'appelant à leur payer la somme complémentaire de 4.500 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 15 janvier 2002 pour Monsieur Robert Y qui prie la cour de confirmer le jugement dont appel, de condamner en outre l'appelant au paiement de la somme de 15.244, 90 euros à titre de dommages et intérêts et de la somme de 7.622, 45 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

SUR CE, LA COUR
Considérant que la société Bergère de France a été créée en 1947 par Monsieur Robert Z, avec pour activité la vente par correspondance de fils à tricoter et d'articles textiles et toutes opérations se rapportant à la filature et au traitement de toutes fibres naturelles synthétiques ou artificielles destinées à la fabrication de fils à tricoter ;
Considérant que, le 5 juillet 1991, Monsieur Robert Z a constitué une société holding dénommée société financière Bergère de France, devenue Bradfer Investissements, ayant pour objet la prise de participations dans les
Cour d'Appel de Paris 3è chambre, section C
ARRÊT DU 12 AVRIL 2002 RG N° 2001/06984 - 3ème page



différentes sociétés du groupe, dont la principale d'entre elles, Bergère de France ;
Considérant que parvenu à un âge avancé, il a remis les destinées du groupe à ses deux fils, Jean-Louis et Daniel, selon le principe d'égalité, ceux-ci disposant avec leurs épouses respectives du même nombre d'actions de Bradfer Investissements, soit 49,99% chacun, le reste des actions étant attribuées à trois actionnaires étrangers à la famille, Messieurs Y, ... et ...;
Considérant que dans le même esprit de répartition du patrimoine et de gestion paritaire du groupe, les fonctions de mandataires sociaux des différentes sociétés ont été attribuées de la manière suivante
- à Daniel W celles de président directeur général du holding Bradfer Investissements, Jean-Louis W étant directeur général,
- à Jean-Louis W celles de président directeur général des filiales Bergère de France, Coditex, Daniel W étant directeur général ;
Considérant qu'à partir de l'année 1996, des dissensions se sont élevées entre les deux frères ; que Monsieur Daniel W a été révoqué de ses fonctions de directeur général de Bergère de France lors d'un conseil d'administration en date du 9 juin 1998 par quatre voix, celles des époux Jean-Louis W et de Messieurs VaucherVaucher et ..., ce dernier ayant quitté le conseil avant la fin et donné mandat à Monsieur Y, contre deux, celles des époux Daniel W; que Monsieur Daniel W a également été révoqué de ses fonctions de président du conseil d'administration de Bradfer Investissements lors d'un conseil d'administration en date du 30 juin 1998, par trois voix (celles des époux Jean-Louis W et de Monsieur Y) contre deux, celles des époux Daniel W;
Considérant qu'estimant la responsabilité des administrateurs engagée vis-à-vis de lui-même et en raison d'agissements qu'il jugeait contraires à l'intérêt social, Monsieur Daniel W a assigné Monsieur Jean-Louis W et Madame Catherine W, son épouse ainsi que Monsieur Robert Y pour les voir condamner au paiement de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral et de celui consécutif au supplément de l'impôt sur la fortune lui incombant pour l'année 1999, sauf à parfaire jusqu'à ce qu'il ait été réintégré dans ses fonctions ;
Considérant que le jugement déféré l'a débouté de ses demandes en relevant que le tribunal n'avait pas à s'immiscer dans la gestion des sociétés, qu'il n'était pas établi que la révocation aurait été accompagnée de mesures de nature à affecter l'honorabilité de Monsieur Daniel W et que, si ce dernier estimait que des irrégularités auraient été commises dans la gestion des sociétés, ce point n'était pas l'objet du litige soumis au tribunal ;
Considérant que l'appelant rappelle que devant l'absence de réponse à ses observations sur la situation de certaines sociétés du groupe et sur les agissements des époux Jean-Louis W, bénéficiaires, selon lui, de nombreux avantages en nature non autorisés, il a été amené à faire procéder à un audit juridique sur le "groupe Bergère de France"déposé le 14 mai 1998, ayant mis en évidence diverses anomalies, et à mettre fin, par lettre du 15 mai 1998, aux fonctions de maître ..., conseil juridique du groupe depuis de nombreuses années, ajoutant qu'une instruction pénale a d'ailleurs été ouverte par le parquet de Bar le Duc ;
Considérant qu'il soutient qu'en votant la révocation de ses mandats, les administrateurs, loin de vouloir mettre un terme au désaccord persistant entre les deux frères de nature à empêcher la poursuite d'une politique cohérente du groupe, ont, au contraire, entendu masquer les irrégularités qui avaient pu être commises auparavant et faire obstacle à une remise en ordre de la gestion de certaines sociétés du groupe et qu'en éliminant délibérément un "actionnaire représentant la moitié du capital social", les administrateurs, y compris Monsieur Y, ont fait prévaloir l'intérêt de l'un d'entre eux sur l'intérêt du groupe ;
Mais considérant que la preuve des irrégularités reprochées à Monsieur Jean-Louis W et à son épouse, et de leur gravité, vivement contestées par les intéressés et qui n'ont jusqu'à ce jour, soit depuis plus de trois ans, donné lieu à aucune décision de nature pénale, n'est pas apportée ;
Considérant que, ainsi que l'aà bon droit relevé la décision déférée, la révocation du président du conseil d'administration comme celle du directeur général d'une société anonyme peut intervenir à tout moment, que les juges n'ont pas à se prononcer sur le bien-fondé des griefs qui sont adressés à la personne révoquée et que la révocation n'est abusive que si elle est accompagnée de circonstances qui portent atteinte à la réputation ou à l'honneur du dirigeant révoqué ou si elle a été décidée brutalement sans respecter le principe de la contradiction ;
Considérant que Monsieur Daniel W dénonce à ce sujet la procédure, selon lui, sournoise et brutale employée par les intimés qui a violé le principe de contradiction ainsi que la publicité humiliante donnée aux décisions de révocation par Jean-Louis W notamment ;
Considérant qu'il prétend plus précisément que c'est à dessein que Monsieur Jean-Louis W qui n'avait pas mis ce point à l'ordre du jour du conseil d'administration de Bergère de France du 9 juin 1998, a attendu le départ de Monsieur ... dont il craignait un vote défavorable à sa proposition et la fin du conseil pour aborder la question de la révocation de son frère de ses fonctions de directeur général de la société ;
Or considérant que s'il n'est pas contestable qu'il existait de graves dissensions entre les deux frères sur la gestion de l'entreprise et son avenir et si celles-ci n'étaient pas récentes, il résulte cependant du procès-verbal du conseil d'administration de Bergère de France du 9 juin 1998, au cours duquel la révocation a été votée, que Monsieur Daniel W n'a, lors de cette réunion, cessé de manifester une opposition sur tous les sujets mis à l'ordre du jour et les propositions du président ; que Monsieur Daniel W venait au surplus peu de temps avant, sans en avertir son frère qui n'aurait pas manqué de s'y opposer, de signifier à Maître ... sa décision de mettre un terme à ses fonctions de conseil juridique des sociétés du groupe ; que dans ces circonstances, et alors même qu'il ignorait les conclusions de l'audit qui ne lui sera adressé que le 15 juillet suivant, c'est légitimement et sans qu'aucune préméditation soit démontrée, que constatant l'attitude devenue incompatible de son frère avec l'exercice de ses fonctions de directeur général, Monsieur Jean-Louis W, a, quoique ce point ne fut pas à l'ordre du jour, proposé la révocation de Monsieur Daniel W ; que celui-ci a été entendu et s'est expliqué et que la décision a été adoptée par quatre voix dont celle de Monsieur Y à titre personnel et comme mandataire de Monsieur ... ; qu'il n'est aucunement démontré que Monsieur Y aurait voté la résolution litigieuse dans un but autre que celui de faire cesser le handicap sérieux que constituait la divergence de plus en plus accusée au sein de la direction ; qu'aucun élément n'est non plus produit de nature à établir que ce même administrateur, qui soutient, sans être démenti, n'avoir jamais été mis en cause par son mandant, aurait trahi la confiance mise en lui par Monsieur ... en votant comme il l'a fait ;
Considérant, s'agissant de la décision de révocation de Monsieur Daniel W de ses fonctions de président du conseil d'administration de la société Bradfer Investissements, que la convocation en date du 23 juin 1998 pour le conseil du 30 juin suivant comportait dans l'ordre du jour la décision à prendre concernant le maintien ou la révocation du mandat de président de Monsieur Daniel W ; que Monsieur Jean-Louis W a exposé les motifs de la demande de révocation ; que Monsieur Daniel W a été entendu et a fourni ses explications, non sans avoir consulté à trois reprises Maître F., avocat choisi par lui comme conseil de la société en remplacement de Maître ...;
Considérant que Monsieur Daniel W soutient aussi que les intimés, et au premier chef Monsieur Jean-Louis W, l'ont humilié publiquement ; qu'il a ainsi essuyé des commentaires acides et insultants notamment lors du comité d'entreprise convoqué, à la demande de son frère, le 10 juin 1998 et que la décision a fait l'objet d'un affichage public à côté des poinçonneuses ; qu'il en veut pour preuve le témoignage de la secrétaire du comité d'entreprise et de Monsieur ..., directeur technique au sein de l'entreprise ; qu'il fait également état de la signature d'une pétition du personnel en sa faveur ;
Mais considérant que Monsieur Jean-Louis W réplique à juste raison que s'il a décidé de réunir au plus vite le comité d'entreprise de Bergère de France, en présence de son frère, c'est pour donner immédiatement au personnel une information aussi complète que possible et couper court à des rumeurs et interrogations préjudiciables à tous, y compris à Monsieur Daniel W ; qu'il ajoute, sans être démenti sur ce point que c'est le comité d'entreprise qui a pris l'initiative d'afficher le procès-verbal de la réunion dans les locaux de l'entreprise, à l'endroit qui lui est réservé pour ses communications au personnel et que Monsieur Daniel W n'a pas cherché à l'en dissuader, à défaut de pouvoir le lui interdire ; que les témoignages cités qui émanent de personnes proches de Monsieur Daniel W ne suffisent pas à démontrer l'existence de propos, voire d'un climat vexatoire ou attentatoire à l'honorabilité de Monsieur Daniel W de la part de son frère ou de sa belle-soeur ; qu'enfin, et comme l'aà juste titre jugé le tribunal, il est courant que des salariés dont certains apparaissent avoir apprécié Monsieur Daniel W, s'inquiètent de changements au niveau de la direction générale ;
Considérant que de ce qui précède, il ressort qu'aucune faute ni abus n'est établi dans la mise en oeuvre de la double révocation de Monsieur Daniel W à l'encontre des intimés et que l'appelant ne peut qu'être débouté de toutes ses demandes ;
Considérant que c'est sans preuve et de manière vexatoire que Monsieur Daniel W a reproché à Monsieur Y d'avoir participé aux décisions de révocation non pas dans l'intérêt des sociétés mais dans l'intérêt particulier de Monsieur Jean-Louis W pour permettre à ce dernier de masquer les irrégularités qui lui étaient reprochées par son frère ; qu'une telle accusation cause à l'intéressé un préjudice moral qui sera réparé par l'allocation de dommages et intérêts à concurrence de la somme de 6.000 euros ;
Considérant que l'équité commande d'allouer, au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, en sus de celle déjà accordée sur ce même fondement par la décision déférée, à Monsieur Y celle de 4.500 euros ;
Considérant que le même motif d'équité conduit en revanche à débouter Monsieur et Madame Jean-Louis W de leurs demandes d'indemnité au titre de leurs frais irrépétibles présentées tant en première instance qu'en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS
Confirme la décision déférée, sauf en celles de ses dispositions relatives à l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au profit de Monsieur et Madame Jean-Louis PetitPetit, ... à nouveau de ce chef
Déboute ceux-ci de leurs demandes d'indemnité au titre de leurs frais irrépétibles,
Y ajoutant
Condamne Monsieur Daniel W à payer à Monsieur Y la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 4.500 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à application de ces mêmes dispositions au profit des autres intimés,
Condamne Monsieur Daniel W aux dépens d'appel et admet la société civile professionnelle Monin et la société civile professionnelle Arnaudy et Baechlin, avoués, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du même code .
LE GREFFIER,
LE PRÉSIDENT

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