TA Martinique, du 01-08-2024, n° 2400489
A47065W9
Référence
Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2024, et un mémoire complémentaire, enregistré le 31 juillet 2024, la société Ceta'Fer, représentée par Me Tiburce, demande au juge des référés, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative🏛, la procédure de passation, engagée par la collectivité territoriale de Martinique, en vue de la conclusion des lots n° 1 " secteur nord 1 ", n° 4 " secteur centre 1 " et n° 6 " secteur centre 3 " d'un accord-cadre à bons de commandes, relatif à la réalisation de travaux d'ouvrages bétonnés et de VRD, sur les équipements et le patrimoine de la collectivité, et la décision du 11 juillet 2024, par laquelle son offre a été rejetée ;
2°) d'enjoindre au président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique de reprendre la procédure de passation du marché au stade de la vérification des candidatures et d'admettre sa candidature, et ce dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) de prononcer la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires, contenus dans le mémoire en défense de la collectivité territoriale de Martinique, et de condamner la collectivité territoriale de Martinique à lui verser la somme de 3 000 euros, à titre de dommages et intérêts ;
4°) de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Martinique la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle soutient que :
- le motif de rejet de son offre est entaché d'erreur de fait, dès lors qu'elle a communiqué l'ensemble des documents demandés par le pouvoir adjudicateur, dans le délai imparti ;
- en tout état de cause, la méconnaissance du délai imparti ne permettait pas au pouvoir adjudicateur de rejeter son offre, dès lors que les documents peuvent être produits jusqu'à la signature du marché ;
- le manquement commis par le pouvoir adjudicateur est de nature à l'avoir lésée, dès lors qu'elle est à jour de ses obligations fiscales et sociales, et pouvait se voir attribuer le marché ;
- les termes employés dans les écritures de la collectivité territoriale de Martinique présentent un caractère injurieux, outrageant et diffamatoire à son encontre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2024, la collectivité territoriale de Martinique, représentée par Me Catol, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Ceta'Fer la somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que le manquement allégué ne peut avoir lésé la société requérante, dès lors que sa candidature n'était pas régulière et devait être rejetée.
La requête a été régulièrement communiquée à la société Trav BTP et à la société Colas Martinique, qui n'ont produit aucune observation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
le code de la commande publique,
- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse,
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Lancelot, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référé présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, tenue le 1er août 2024, en présence de Mme Pyrée, greffière d'audience, M. Lancelot a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Tiburce, avocate de la société Ceta'Fer, qui reprend les moyens développés dans ses écritures,
- les observations de Me Catol, avocat de la collectivité territoriale de Martinique, qui reprend les moyens développés dans ses écritures.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.
1. Par un avis d'appel public à la concurrence, publié le 7 octobre 2023, la collectivité territoriale de Martinique a lancé un appel d'offres ouvert, en vue de la conclusion d'un accord-cadre à bons de commande, ayant pour objet la réalisation de travaux d'ouvrages bétonnés et de VRD, sur les équipements et le patrimoine de la collectivité, pendant une durée de 12 mois. Le marché était divisé en 9 lots, et la société Ceta'Fer s'est portée candidate aux lots n° 1 " secteur nord 1 ", n° 4 " secteur centre 1 " et n° 6 " secteur centre 3 ". Par un courrier du 4 juin 2024, le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique a informé la société Ceta'Fer qu'elle était pressentie comme attributaire de ces 3 lots, et l'a invitée à fournir divers documents, afin d'attester qu'elle était à jour de ses obligations fiscales et sociales. Cependant, par un nouveau courrier du 9 juillet 2024, le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique a constaté qu'une partie des documents demandés lui avaient été remis tardivement et a informé la société Ceta'Fer que son offre était, par conséquent, rejetée. Les lots correspondants ont été attribués au candidat placé en deuxième position, à savoir la société Trav BTP pour le lot n° 1 et la société Colas Martinique pour les lots n° 4 et n° 6. Par la présente requête, la société Ceta'Fer demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation des 3 lots en litige.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique []. Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes du I de l'article L. 551-2 du même code🏛 : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".
3. Les personnes habilitées à engager le recours prévu à l'article L. 551-1 en cas de manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.
4. Aux termes de l'article L. 2141-2 du code de la commande publique🏛 : " Sont exclues de la procédure de passation les personnes qui n'ont pas souscrit les déclarations leur incombant en matière fiscale ou sociale ou n'ont pas acquitté les impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales exigibles. Cette exclusion n'est pas applicable aux personnes qui, avant la date à laquelle l'acheteur se prononce sur la recevabilité de leur candidature ont, en l'absence de toute mesure d'exécution du comptable ou de l'organisme chargé du recouvrement, acquitté les dits impôts, taxes, contributions et cotisations ou constitué des garanties jugées suffisantes par le comptable ou l'organisme chargé du recouvrement ou, à défaut, ont conclu et respectent un accord contraignant avec les organismes chargés du recouvrement en vue de payer les impôts, taxes, contributions ou cotisations, ainsi que les éventuels intérêts échus, pénalités ou amendes ". Aux termes de l'article R. 2143-7 du même code : " L'acheteur accepte comme preuve suffisante attestant que le candidat ne se trouve pas dans un cas d'exclusion mentionné à l'article L. 2141-2, les certificats délivrés par les administrations et organismes compétents. La liste des impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales devant donner lieu à délivrance d'un certificat ainsi que la liste des administrations et organismes compétents figurent dans un arrêté du ministre chargé de l'économie annexé au présent code ". Aux termes de l'article R. 2144-7 du même code🏛 : " Si un candidat ou un soumissionnaire se trouve dans un cas d'exclusion, ne satisfait pas aux conditions de participation fixées par l'acheteur, produit, à l'appui de sa candidature, de faux renseignements ou documents, ou ne peut produire dans le délai imparti les documents justificatifs, les moyens de preuve, les compléments ou explications requis par l'acheteur, sa candidature est déclarée irrecevable et le candidat est éliminé. Dans ce cas, lorsque la vérification des candidatures intervient après la sélection des candidats ou le classement des offres, le candidat ou le soumissionnaire dont l'offre a été classée immédiatement après la sienne est sollicité pour produire les documents nécessaires. Si nécessaire, cette procédure peut être reproduite tant qu'il subsiste des candidatures recevables ou des offres qui n'ont pas été écartées au motif qu'elles sont inappropriées, irrégulières ou inacceptables ".
5. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées que le candidat auquel il est envisagé d'attribuer le marché doit produire des documents attestant notamment qu'il est à jour de ses obligations fiscales et sociales avant la signature du marché. A défaut, son offre doit être rejetée, le candidat dont l'offre a été classée immédiatement après la sienne pouvant se voir attribuer le marché.
6. En outre, aux termes de l'article 3-1-3 du règlement de la consultation du marché en litige : " Le soumissionnaire auquel il est envisagé d'attribuer le marché devra fournir dans un délai de 10 jours calendaires, à compter de la demande présentée par le représentant de l'acheteur, les justificatifs et moyens de preuve suivants, justifiant qu'il n'entre pas dans l'un des cas d'exclusion prévu aux articles R. 2143-6 à R. 2143-10 du code de la commande publique🏛🏛 : [] la copie des certificats délivrés par les administrations et organismes compétents attestant qu'il a effectué les déclarations lui incombant en matière fiscale ou sociale ou qu'il a acquitté les impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales exigibles dont la liste est fixée par voie réglementaire, dans les conditions de l'article L. 2141-2 et L. 2341-2 du code de la commande publique🏛 ".
7. Il résulte de l'instruction, et notamment des termes du courrier adressé par le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique à la société Ceta'Fer le 9 juillet 2024, que, pour rejeter l'offre de la société Ceta'Fer et attribuer les lots aux candidats, dont l'offre avait été classée immédiatement après celle de la société Ceta'Fer, le pouvoir adjudicateur s'est fondé sur la circonstance que la société Ceta'Fer aurait transmis son attestation relative aux congés payés le 17 juin 2024, soit au-delà du délai de 10 jours qui lui était imparti par le courrier du 4 juin 2024 et par l'article 3-1-3 du règlement de la consultation. Il ressort cependant des pièces concordantes produites par la société Ceta'Fer qu'elle a adressé à la collectivité territoriale de Martinique, par courriel, le 14 juin 2024, à 11h48, l'ensemble des pièces demandées par le pouvoir adjudicateur, dont le certificat attestant le respect de ses obligations relatives aux congés payés à la date du 17 mai 2024. Par suite, la société Ceta'Fer a régulièrement mis en mesure la collectivité territoriale de Martinique de s'assurer qu'elle était à jour de ses obligations, dans le délai qui lui était imparti et, en tout état de cause, avant la signature du marché. Dans ces conditions, la collectivité territoriale de Martinique ne pouvait légalement attribuer le lot n° 1 à la société Trav BTP, et les lots n° 4 et n° 6 à la société Colas Martinique, dont les offres avaient été classées en deuxième position.
8. La circonstance que la société Ceta'Fer aurait bénéficié d'un échelonnement, pour le versement de ses cotisations à la caisse de congés payés, n'est pas de nature à établir qu'elle n'était pas à jour de ses obligations, à la date à laquelle le pouvoir adjudicateur s'est prononcé sur la recevabilité de sa candidature, ni que les déclarations présentées lors de sa candidature présenteraient un caractère mensonger. Au contraire, ainsi qu'il a été évoqué ci-dessus, le certificat délivré par la caisse des congés payés atteste que la société Ceta'Fer était à jour de ses obligations, à la date du 17 mai 2024. Dans ces conditions, la collectivité territoriale de Martinique n'est pas fondée à faire valoir que la candidature de la société Ceta'Fer n'était pas recevable, et ne pouvait être validée. Par suite, le manquement commis par la collectivité territoriale de Martinique est directement susceptible d'avoir lésé la société Ceta'Fer, dont l'offre était classée en tête.
9. Il résulte de ce qui précède, compte tenu du manquement relevé, qui se rapporte à la seule phase de vérification des candidatures, postérieurement au classement des offres, que la procédure de passation ne doit être annulée qu'à compter de cette phase.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
10. L'exécution de la présente ordonnance n'implique pas que la collectivité territoriale de Martinique serait nécessairement tenue de reprendre la procédure de passation des lots n° 1, n° 4 et n° 6 du marché en litige. Il n'appartient, au contraire, qu'à la collectivité territoriale de Martinique de décider si elle entend toujours conclure ce marché. Si la collectivité territoriale de Martinique décide de passer un tel marché, il lui est loisible de décider de reprendre intégralement la procédure de passation ou de ne reprendre cette procédure qu'au stade de la vérification des candidatures. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte, présentées par la société Ceta'Fer, et tendant à ce qu'il soit enjoint au président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique de reprendre la procédure, au stade de la vérification des candidatures, doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à la suppression d'écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires et à l'attribution de dommages et intérêts :
11. Contrairement à ce que soutient la société Ceta'Fer, les termes employés par la collectivité territoriale de Martinique dans son mémoire en défense, malgré leur virulence, n'excèdent pas les limites de la controverse entre parties dans le cadre d'une procédure contentieuse. Dès lors, il n'y a pas lieu d'en prononcer la suppression par application des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881🏛 sur la liberté de la presse, reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative🏛, qui permettent aux tribunaux, dans les causes dont ils sont saisis, de prononcer la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter également les conclusions de la société Ceta'Fer, tendant au versement par la collectivité territoriale de Martinique de dommages et intérêts.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Ceta'Fer, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la collectivité territoriale de Martinique, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des mêmes dispositions et de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Martinique une somme de 1 500 euros, au titre des frais exposés par la société Ceta'Fer et non compris dans les dépens.
Article 1er : La procédure de passation des lots n° 1, n° 4 et n° 6 du marché en litige est annulée, à compter de la phase de vérification des candidatures.
Article 2 : La collectivité territoriale de Martinique versera à la société Ceta'Fer la somme de 1 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Ceta'Fer est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la collectivité territoriale de Martinique sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Ceta'Fer, à la collectivité territoriale de Martinique, à la société Trav BTP et à la société Colas Martinique.
Fait à Schoelcher, le 1er août 2024.
Le juge des référés,
F. Lancelot
La greffière,
M. Pyrée
La République mande et ordonne au préfet de la Martinique, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Article, L741-2, CJA Article, L551-1, CJA Accord cadre Travaux Suppression Pouvoirs adjudicateurs Signature d'un marché Obligation fiscale Avis d'appel public à la concurrence Mise en concurrence Prestation de service Intérêt public Entreprise concurrente Mesure d'exécution Moyen de preuve Cotisations Collectivité tenue