Jurisprudence : CEDH, 05-11-2002, Req. 43191/98, LAIDIN

CEDH, 05-11-2002, Req. 43191/98, LAIDIN

A6856A3C

Référence

CEDH, 05-11-2002, Req. 43191/98, LAIDIN. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1110482-cedh-05112002-req-4319198-laidin
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Abstract

Par un arrêt du 5 novembre 2002 (CEDH, 05-11-2002, Req. 43191/98), la Cour européenne des Droits de l'Homme a condamné la France pour violation de l'article 5 § 4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention) de la Convention européenne des Droits de l'Homme en raison de l'examen tardif d'une demande de sortie de l'hôpital d'une personne internée pour troubles mentaux.

Cour européenne des droits de l'homme

5 novembre 2002

Requête n°43191/98

LAIDIN



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE LAIDIN c. FRANCE

(Requête n° 43191/98)

ARRÊT

STRASBOURG

5 novembre 2002

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Laidin c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président,

MM. M. Pellonpää,

J.-P. Costa,

Mme V. Stráznická,

MM. M. Fischbach,

J. Casadevall,

R. Maruste, juges,

et de M. M. O'Boyle, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 octobre 2002,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 43191/98) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Monique Laidin (" la requérante "), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (" la Commission ") le 20 février 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention "). Elle était représentée par M. P. Bernardet, sociologue, demeurant à la Fresnaye-sur-Chedouet.

2. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, Mme Michèle Dubrocard, sous-directrice des Droits de l'Homme au ministère des Affaires étrangères.

3. La requérante alléguait en particulier que la durée de l'examen de sa demande de sortie immédiate ne répondait pas aux prescriptions de l'article 5 § 4 de la Convention.

4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5. La requête a été attribuée à la 1ère section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

6. Par une décision du 24 août 1999, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.

7. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

8. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

9. Le 8 janvier 2002, la Section a déclaré le restant de la requête partiellement recevable.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

10. La requérante est née en 1935 et réside à Bellegarde (Ain).

Courant novembre 1997, la requérante se présenta à l'hôpital Sud-Léman de Saint Julien en Genevois pour faire soigner une plaie au crâne dont elle déclara ignorer l'origine.

11. Le 21 novembre 1997, elle fut transférée de cet hôpital au centre psychothérapique de l'Ain, Sainte-Madeleine de Bourg-en-Bresse, où elle fut placée sous hospitalisation à la demande d'un tiers, deux certificats médicaux constatant un " état délirant persécutoire ".

12. Le 22 novembre 1997, un médecin psychiatre établit un autre certificat aux termes duquel il concluait à la justification de l'internement.

La requérante déclare n'avoir reçu d'information, ni sur les raisons d'une telle détention, ni sur le traitement entrepris. Elle insiste sur le fait qu'elle ne pouvait pas avoir de contact avec l'extérieur.

13. Début décembre 1997, la requérante put sortir de l'isolement. Le 3 décembre 1997, elle écrivit au procureur de la République du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse pour se plaindre des conditions de son internement et pour demander sa sortie judiciaire. Ce courrier parvint à son destinataire le 8 décembre 1997.

14. Le 9 décembre 1997, le procureur de la République demanda au directeur de l'établissement psychiatrique de lui communiquer un certificat médical détaillé, ce qui fut fait le 26 décembre 1997. Le procureur accusa réception de ce document le 2 janvier 1998. Le même jour, il saisit le président du tribunal de grande instance d'une demande de sortie immédiate.

15. Le 14 janvier 1998, la requérante fut autorisée à sortir, à titre d'essai.

16. Le 3 février 1998, le greffier du tribunal demanda au centre psychothérapique de l'Ain le bulletin de situation administrative de la requérante. Ce bulletin, envoyé au greffe le 10 février 1998, mentionnait le fait que la requérante était en sortie à l'essai du 14 janvier 1998 au 26 février 1998.

17. Le 12 février 1998, le président du tribunal la convoqua à l'audience du 25 février 1998, à l'issue de laquelle il désigna un expert qui était chargé d'examiner la requérante.

18. Cette dernière informa le centre psychothérapique qu'elle se ferait désormais suivre exclusivement par son médecin traitant. Le médecin du centre la convoqua pour le 26 février 1998, date à laquelle il mit fin à la mesure d'hospitalisation de la requérante à la demande d'un tiers.

19. Le 5 mars 1998, le centre psychothérapique informa le tribunal du fait que la requérante se trouvait depuis le 26 février 1998 en sortie définitive. Par courrier du 19 mars 1998, le président du tribunal déchargea l'expert psychiatre de sa mission. Le dossier fut classé le 20 mars 1998.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

Code de la santé publique

Article L. 333 :

" Une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être hospitalisée sans son consentement à la demande d'un tiers que si :

1o Ses troubles rendent impossible son consentement ;

2o Son état impose des soins immédiats assortis d'une surveillance constante en milieu hospitalier.

La demande d'admission est présentée soit par un membre de la famille du malade, soit par une personne susceptible d'agir dans l'intérêt de celui-ci, à l'exclusion des personnels soignants dès lors qu'ils exercent dans l'établissement d'accueil.

Cette demande doit être manuscrite et signée par la personne qui la formule. Si cette dernière ne sait pas écrire, la demande est reçue par le maire, le commissaire de police ou le directeur de l'établissement qui en donne acte. Elle comporte les nom, prénoms, profession, âge et domicile tant de la personne qui demande l'hospitalisation que de celle dont l'hospitalisation est demandée et l'indication de la nature des relations qui existent entre elles ainsi que, s'il y a lieu, de leur degré de parenté.

La demande d'admission est accompagnée de deux certificats médicaux datant de moins de quinze jours et circonstanciés, attestant que les conditions prévues par les deuxième et troisième alinéas sont remplies. (...) "

Article L. 351 :

" Toute personne hospitalisée sans son consentement ou retenue dans quelque établissement que ce soit, public ou privé, qui accueille des malades soignés pour troubles mentaux, son tuteur si elle est mineure, son tuteur ou curateur si, majeure, elle a été mise sous tutelle ou curatelle, son conjoint, son concubin, tout parent ou toute personne susceptible d'agir dans l'intérêt du malade et éventuellement le curateur à la personne peuvent, à quelque époque que ce soit, se pourvoir par simple requête devant le président du tribunal de grande instance du lieu de la situation de l'établissement qui, statuant en la forme des référés après débat contradictoire et après les vérifications nécessaires, ordonne, s'il y a lieu, la sortie immédiate.

Toute personne qui a demandé l'hospitalisation ou le procureur de la République, d'office, peut se pourvoir aux mêmes fins.

Le président du tribunal de grande instance peut également se saisir d'office, à tout moment, pour ordonner qu'il soit mis fin à l'hospitalisation sans consentement. A cette fin, toute personne intéressée peut porter à sa connaissance les informations qu'elle estimerait utiles sur la situation d'un malade hospitalisé. "

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

20. La requérante allègue une violation de l'article 5 § 4 de la Convention en raison du délai qui s'est écoulé entre la saisine du tribunal de sa demande de sortie immédiate et la date de sa première audience. L'article 5 § 4 se lit comme suit :

" Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. ".

21. Le Gouvernement estime que le délai doit être apprécié à compter du 2 janvier 1998, date de saisine du président du tribunal de grande instance. En effet, la requérante pouvait le saisir directement et le délai écoulé entre la saisine du procureur et celle du président du tribunal ne devrait pas être imputé aux autorités internes.

Il en conclut que, le président du tribunal n'ayant été saisi que le 2 janvier 1998 et la requérante étant sortie du centre le 14 janvier 1998, elle n'est restée dans l'attente d'une décision lui permettant une sortie éventuelle que durant douze jours et que la durée de la procédure de référé a répondu aux exigences de l'article 5 § 4 de la Convention.

22. La requérante conteste que le point de départ du délai soit la date de saisine du président du tribunal par le procureur de la République. Elle expose qu'elle n'a pas été informée des voies de recours qu'elle pouvait exercer et que dans ces conditions, il convient de considérer qu'elle a saisi le tribunal le 9 décembre 1997.

Quant au terme de la procédure, la requérante considère qu'il doit être fixé au 26 février 1998, date de sa sortie définitive du centre psychothérapique.

Elle estime qu'un délai de dix-sept jours pour envoyer un bulletin de situation et un délai de plus de sept semaines entre la saisine du juge et la première audience ne paraissent en tout état de cause pas compatibles avec les dispositions de l'article 5 § 4 de la Convention.

23. La Cour constate que la requérante saisit, le 3 décembre 1997, le procureur de la République pour demander sa sortie.

24. La Cour convient que la procédure prévue par l'article L. 351 du code de la santé publique prévoit que la personne hospitalisée peut saisir le président du tribunal de grande instance d'une demande de sortie immédiate et que, en s'adressant au procureur de la République, la requérante ne s'est pas adressée directement à l'autorité compétente.

Elle relève toutefois que cette même disposition prévoit que le procureur de la République peut se pourvoir aux mêmes fins, ce qu'il fit en l'espèce le 2 janvier 1998, alors qu'il avait reçu le courrier de la requérante le 8 décembre précédent.

25. Dans ces conditions, la Cour estime que le point de départ de la procédure engagée par la requérante doit être fixé au 8 décembre 1997, date de la réception de sa demande par le procureur de la République.

26. Pour ce qui est de la date de la fin de la procédure, la Cour note que la requérante recouvra la liberté, aux fins de l'article 5, lors de sa sortie à l'essai le 14 janvier 1998, même si ce n'est que le 26 février 1998 que la mesure d'internement fut levée définitivement (voir arrêt Weeks c. Royaume-Uni du 2 mars 1987, série A n° 114, p. 22, § 40).

27. Dès lors, la durée de la procédure à prendre en considération est de plus de cinq semaines.

28. La Cour rappelle qu'en garantissant un recours aux personnes arrêtées ou détenues, l'article 5 § 4 consacre aussi le droit pour celles-ci d'obtenir, dans un bref délai à compter de l'introduction du recours, une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale (arrêts Van der Leer c. Pays-Bas du 21 février 1990, série A n° 170-A, p. 14, § 35 et Musial c. Pologne [GC], n° 24557/94, § 43, CEDH 1999-II).

Le souci dominant que traduit cette disposition est bien celui d'une certaine célérité. Pour arriver à une conclusion définitive, il y a lieu de prendre en compte les circonstances de l'affaire (voir arrêt E. c. Norvège du 29 août 1990, série A n° 181-A, pp. 27-28, § 64 et Delbec c. France, n° 43125/98, § 33, 18 juin 2002, non publié).

29. La Cour constate qu'en l'espèce, le procureur, saisi le 8 décembre, demanda le lendemain à l'hôpital un certificat médical détaillé, qui lui fut fourni seulement le 26 décembre suivant.

Si le Procureur accusa réception de ce document le 2 janvier 1998, et saisit aussitôt le président du tribunal, ce qui témoigne de sa diligence, il n'en demeure pas moins qu'il s'est écoulé un mois entre la date où la requérante a envoyé sa lettre (voir § 13 ci-dessus) et celle où le président du tribunal fut saisi.

Quant au président du tribunal, saisi lui-même le 2 janvier 1998, il fixa, le 12 février 1998, une audience pour le 25 février 1998, soit presque un mois et demi après que la requérante fut sortie à l'essai et la veille de la levée définitive de la mesure d'internement.

30. Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités compétentes, s'agissant d'une procédure particulière dont le but était de faire statuer sans délai sur une demande de sortie d'internement, n'ont pas statué " à bref délai ".

Partant, il y a eu en l'espèce violation de l'article 5 § 4 de la Convention.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

31. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "

A. Dommage

32. La requérante demande 15 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la durée de la procédure de sortie judiciaire et de l'angoisse que cela a créée chez elle.

33. Le Gouvernement estime que la demande est excessive et propose d'octroyer à la requérante la somme globale de 850 euros.

34. La Cour estime que la requérante a indubitablement subi un préjudice moral du fait de la durée de l'examen de sa demande de sortie immédiate de centre hospitalier spécialisé. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle lui alloue 6 000 euros à ce titre.

B. Frais et dépens

35. La requérante demande 150 euros pour les frais et dépens exposés en France, dont elle indique ne pas avoir gardé de traces. Elle fournit par ailleurs une facture de son représentant d'un montant de 12 800 FF dont elle demande le remboursement de 60 %, soit 1 050 euros environ.

36. La Cour relève tout d'abord que rien dans l'exposé des faits ne permet d'établir qu'un conseil soit intervenu dans la procédure de sortie immédiate ni que la requérante ait engagé des frais à cette occasion.

37. S'agissant par ailleurs des frais réclamés au titre de la procédure devant les organes de la Convention, la Cour rappelle qu'en application de l'article 36 § 4 a) de son Règlement, un requérant ne peut être représenté, dans la procédure consécutive à une décision sur la recevabilité, que par un conseil habilité à exercer dans l'une des Parties contractantes. Ceci n'est pas le cas du représentant de la requérante. Au titre des frais engagés avant la recevabilité de la requête, la Cour décide, statuant en équité, d'allouer la somme de 1 000 euros.

C. Intérêts moratoires

38. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage (Goodwin c. Royaume-Uni, n° 28957/95, 11.7.2002, § 124).

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention ;

2. Dit, à l'unanimité,

a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral

ii. 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 novembre 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.


Greffier

Michael O'Boyle


Président

Nicolas Bratza

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