Jurisprudence : CJCE, 05-11-2002, aff. C-466/98, Commission des Communautés européennes c/ Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord

CJCE, 05-11-2002, aff. C-466/98, Commission des Communautés européennes c/ Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord

A4244A3L

Référence

CJCE, 05-11-2002, aff. C-466/98, Commission des Communautés européennes c/ Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1107840-cjce-05112002-aff-c46698-commission-des-communautes-europeennes-c-royaumeuni-de-grandebretagne-et-di
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c/
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord



ARRÊT DE LA COUR


5 novembre 2002 (1)


"Manquement d'État - Conclusion et application par un État membre d'un accord bilatéral avec les États-Unis d'Amérique - Accord autorisant les États-Unis d'Amérique à révoquer, à suspendre ou à limiter les droits de trafic des transporteurs aériens désignés par le Royaume-Uni qui ne sont pas détenus par ce dernier ou par des ressortissants britanniques - Article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE)"


Dans l'affaire C-466/98,


Commission des Communautés européennes, représentée par M. F. Benyon, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,


partie requérante,


contre


Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par M. J. E. Collins, en qualité d'agent, assisté de M. D. Anderson, QC, ayant élu domicile à Luxembourg,


partie défenderesse,


soutenu par


Royaume des Pays-Bas, représenté par M. M. A. Fierstra et Mme J. van Bakel, en qualité d'agents,


partie intervenante,


ayant pour objet de faire constater que, en concluant et en appliquant un accord relatif aux services aériens, signé le 23 juillet 1977 avec les États-Unis d'Amérique, qui prévoit la révocation, la suspension ou la limitation des droits de trafic dans les cas où les transporteurs aériens désignés par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ne sont pas détenus par ce dernier ou par des ressortissants britanniques, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE),


LA COUR,


composée de M. J.-P. Puissochet, président de la sixième chambre, faisant fonction de président, M. R. Schintgen, président de chambre, MM. C. Gulmann, D. A. O. Edward, A. La Pergola, P. Jann et V. Skouris (rapporteur), Mmes F. Macken et N. Colneric, MM. S. von Bahr et J. N. Cunha Rodrigues, juges,


avocat général: M. A. Tizzano,


greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint, et Mme D. Louterman-Hubeau, chef de division,


vu le rapport d'audience,


ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 8 mai 2001, au cours de laquelle la Commission a été représentée par M. F. Benyon, le Royaume-Uni par M. J. E. Collins, assisté de M. D. Anderson, et le royaume des Pays-Bas par Mmes J. van Bakel et H. G. Sevenster et M. J. van Haersolte, en qualité d'agents,


ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 31 janvier 2002,


rend le présent


Arrêt


1.


Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 décembre 1998, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en concluant et en appliquant un accord relatif aux services aériens, signé le 23 juillet 1977 avec les États-Unis d'Amérique, qui prévoit la révocation, la suspension ou la limitation des droits de trafic dans les cas où les transporteurs aériens désignés par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ne sont pas détenus par ce dernier ou par des ressortissants britanniques, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE).


2.


Par ordonnance du président de la Cour du 8 juillet 1999, le royaume des Pays-Bas a été admis à intervenir à l'appui des conclusions du Royaume-Uni.


Les antécédents du litige


3.


Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale ou après cette dernière, plusieurs États qui, par la suite, sont devenus membres de la Communauté, dont le Royaume-Uni, ont conclu avec les États-Unis d'Amérique des accords bilatéraux dans le domaine du transport aérien.


4.


Un tel accord bilatéral, le premier accord des Bermudes (ci-après l'"accord Bermuda I"), a été conclu entre le Royaume-Uni et les États-Unis d'Amérique pour la première fois en 1946. Cet accord comportait notamment un article 6, aux termes duquel "chaque partie contractante se réserve le droit de suspendre ou de révoquer l'exercice des droits spécifiés dans l'annexe du présent accord d'une compagnie désignée par l'autre partie contractante lorsqu'elle considère qu'il n'est pas satisfait à la condition selon laquelle une part substantielle de la propriété et le contrôle effectif de cette compagnie appartiennent à des ressortissants de l'une des parties contractantes [...]".


5.


Par la suite, un autre accord, le second accord des Bermudes (ci-après l'"accord Bermuda II"), a remplacé l'accord Bermuda I avec effet au 23 juillet 1977, date à laquelle il a été signé et est entré en vigueur. L'article 5 de l'accord Bermuda II prévoit:


"(1) Chaque partie contractante peut révoquer, suspendre, limiter ou soumettre à des conditions les licences d'exploitation ou autorisations techniques d'une compagnie aérienne désignée par l'autre partie contractante lorsque:


a) la propriété et le contrôle effectif de cette compagnie aérienne n'appartiennent pas pour l'essentiel à la partie contractante qui la désigne ou aux ressortissants de cette partie contractante;


[...]


(2) [...] ces droits ne peuvent être exercés qu'en agissant de concert avec l'autre partie contractante."


6.


En outre, selon l'article 3, paragraphe 6, de l'accord Bermuda II, chaque partie contractante a l'obligation d'accorder les licences d'exploitation appropriées et les autorisations techniques à une compagnie aérienne, lorsqu'il est satisfait à certaines conditions, notamment celle selon laquelle la propriété et le contrôle effectif de cette compagnie appartiennent pour l'essentiel à la partie contractante qui la désigne ou aux ressortissants de cette partie contractante.


7.


Il résulte du dossier que, en 1992, les États-Unis d'Amérique ont pris l'initiative de proposer à différents États européens de conclure avec eux un accord bilatéral dit "de ciel ouvert". Au cours des années 1993 et 1994, les États-Unis d'Amérique ont accentué leurs efforts pour conclure de tels accords avec le plus grand nombre possible d'États européens.


8.


Dans une lettre du 17 novembre 1994 adressée aux États membres, la Commission a attiré l'attention de ces derniers sur les effets négatifs qu'entraîneraient ces accords bilatéraux pour la Communauté et a pris position en déclarant que ce type d'accord serait de nature à affecter la réglementation interne de la Communauté. Elle a ajouté que la négociation de tels accords ne pourrait être conduite efficacement et de façon juridiquement valable qu'au niveau communautaire.


9.


Eu égard à cette correspondance, la Commission a, par lettre du 20 avril 1995, demandé au gouvernement du Royaume-Uni de s'engager à ne pas négocier, parapher, conclure ou ratifier d'accord bilatéral avec les États-Unis d'Amérique. Néanmoins, le Royaume-Uni a poursuivi la négociation d'un accord avec les États-Unis d'Amérique et a conclu cet accord le 5 juin 1995.


Les faits et la procédure précontentieuse


10.


Le 17 juillet 1995, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure au Royaume-Uni, dans laquelle elle relevait notamment que, à sa connaissance, les droits de trafic accordés au Royaume-Uni par les États-Unis d'Amérique en vertu de leur accord devaient être octroyés sur la base de la nationalité du transporteur. Selon la Commission, cela constituait une violation de l'article 52 du traité, parce que, aux termes dudit accord, parmi les transporteurs aériens ayant obtenu une licence du Royaume-Uni conformément au règlement (CEE) n° 2407/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant les licences des transporteurs aériens (JO L 240, p. 1), ceux établis au Royaume-Uni qui sont détenus et contrôlés par des ressortissants d'un autre État membre se verraient refuser les droits de trafic aux États-Unis d'Amérique, tandis que ceux qui sont détenus et contrôlés par des ressortissants britanniques se verraient accorder ces droits.


11.


Le Royaume-Uni a répondu à la lettre de mise en demeure de la Commission par lettre du 13 septembre 1995. Il ressort de cette lettre que le Royaume-Uni et les États-Unis d'Amérique sont convenus de modifier l'accord Bermuda II par l'accord conclu le 5 juin 1995. En ce qui concerne l'article 52 du traité, le Royaume-Uni indiquait que la clause de l'accord Bermuda II relative à la propriété et au contrôle des transporteurs aériens n'avait pas été modifiée par l'accord du 5 juin 1995. Selon lui, cette disposition n'interdisait pas la désignation par les autorités britanniques de transporteurs aériens qui ne sont ni détenus ni contrôlés par des ressortissants britanniques, mais donnait seulement aux États-Unis d'Amérique la possibilité de refuser cette désignation tout en permettant au Royaume-Uni de demander des consultations en cas de refus des États-Unis d'Amérique.


12.


En réponse, la Commission a adressé le 16 mars 1998 un avis motivé au Royaume-Uni, dans lequel elle déclarait que, en concluant avec les États-Unis d'Amérique et en appliquant l'accord Bermuda II, qui prévoit la révocation, la suspension ou la limitation des droits de trafic dans les cas où les transporteurs aériens désignés par le Royaume-Uni ne sont pas détenus par le Royaume-Uni ou par des ressortissants britanniques, le Royaume-Uni avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 52 du traité. Elle invitait cet État membre à se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification.


13.


Le Royaume-Uni a répondu, par lettre du 19 juin 1998, que la disposition contestée de l'accord Bermuda II ne faisait que reprendre une clause figurant dans l'accord Bermuda I, conclu avant son adhésion aux Communautés européennes. Selon lui, le droit contesté dont bénéficiaient les États-Unis d'Amérique en vertu de l'accord Bermuda II trouvait donc son origine dans l'accord Bermuda I et serait maintenu en vertu de l'article 234 du traité CE (devenu, après modification, article 307 CE).


14.


N'étant pas convaincue par l'argumentation du Royaume-Uni, la Commission a introduit le présent recours.


Le recours


15.


Dans son recours, la Commission reproche au Royaume-Uni d'avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 52 du traité en concluant et en appliquant l'accord Bermuda II, qui comporte la clause susvisée relative à la propriété et au contrôle des transporteurs aériens.


16.


À l'appui de sa défense, le Royaume-Uni avance d'abord que le droit reconnu aux États-Unis d'Amérique de révoquer, de suspendre ou de limiter les droits de trafic dans les cas où les transporteurs aériens désignés par le Royaume-Uni ne sont pas détenus par ce dernier ou par des ressortissants britanniques est couvert et donc maintenu par l'article 234 du traité. Ensuite, il conteste tant l'applicabilité de l'article 52 du traité dans le cas d'espèce que la violation de cet article. Enfin, il soutient que la clause relative à la propriété et au contrôle des transporteurs aériens est, en tout état de cause,justifiée au titre de l'article 56 du traité CE (devenu, après modification, article 46 CE).


Sur l'applicabilité de l'article 234 du traité


Argumentation des parties


17.


Le gouvernement du Royaume-Uni soutient que la protection conférée par l'article 234 du traité n'est pas limitée à des conventions qui ont été conclues par des États membres antérieurement à l'entrée en vigueur du traité sur leur territoire, mais s'étend aux droits et obligations résultant de telles conventions. Selon lui, le point de savoir si une convention antérieure à l'adhésion a été modifiée, voire même remplacée, depuis l'adhésion de l'État membre à la Communauté ne revêt qu'une importance secondaire. Ainsi, l'article 234 du traité ne s'appliquerait pas à des droits et à des obligations figurant dans une convention après l'expiration de celle-ci, sauf dans des circonstances où des droits et des obligations similaires en substance auraient été maintenus, sans rupture, dans un nouvel accord.


18.


Tel serait le cas en l'espèce. En effet, bien que l'accord Bermuda II ait été conclu en 1977, soit quatre ans après l'entrée en vigueur du traité CEE au Royaume-Uni, le droit reconnu aux États-Unis d'Amérique par l'article 5 de l'accord Bermuda II aurait été conféré à l'origine, en matière de lignes aériennes régulières, par l'article 6 de l'accord Bermuda I et, depuis, n'aurait pas été modifié en substance. Bien que les formulations des deux articles ne soient pas entièrement identiques, en ce qu'elles reflètent les structures différentes des deux accords Bermuda I et II, l'article 6 de l'accord Bermuda I et l'article 5 de l'accord Bermuda II seraient substantiellement identiques dans leur application aux services aériens réguliers, ce qui démontrerait la continuité du droit en cause d'un accord à l'autre. S'il est vrai qu'il existe une différence de fond entre les effets de l'accord Bermuda I et ceux de l'accord Bermuda II, en ce que ce dernier s'applique également aux vols charters, celle-ci ne serait pas une différence de principe entre les deux accords mais une modification faite pour s'adapter à l'importance croissante des services charters.


19.


Le gouvernement néerlandais, qui conclut également à l'applicabilité de l'article 234 du traité en l'espèce, soutient que les modifications que le Royaume-Uni a apportées à l'accord Bermuda II par l'accord du 5 juin 1995 ne peuvent pas être considérées comme un nouvel accord, parce qu'il apparaît que seules les modifications apportées à l'annexe I de l'accord Bermuda II relativement aux droits de trafic sont des modifications substantielles.


20.


La Commission conteste l'argumentation du Royaume-Uni. Elle soutient que l'article 234 du traité ne s'applique qu'aux conventions conclues, dans le cas du Royaume-Uni, avant son adhésion à la Communauté le 1er janvier 1973, alors que l'accord Bermuda II a été conclu plus tard, à savoir en 1977. Elle considère que, en tant que dérogation aux dispositions du traité, l'article 234 de celui-ci doit être interprété strictement. Enparticulier, il ne résulterait aucunement de cette disposition qu'elle doit s'appliquer aux droits et obligations qui ont fait partie d'accords en vigueur à un moment donné, sans tenir compte du fait que ces accords ont depuis expiré. Même si ces droits et obligations sont repris dans un autre accord, cela ne saurait justifier l'allégation selon laquelle l'accord initial se trouve d'une certaine manière perpétué.

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