Jurisprudence : CEDH, 01-10-1982, Req. 8692/79, Piersack

CEDH, 01-10-1982, Req. 8692/79, Piersack

A5322AZ7

Référence

CEDH, 01-10-1982, Req. 8692/79, Piersack. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1102788-cedh-01101982-req-869279-piersack
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Cour européenne des droits de l'homme

1er octobre 1982

Requête n°8692/79

Piersack




COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


En l'affaire Piersack c/ Belgique,


La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:


MM. G. Wiarda, président,


W. Ganshof van der Meersch,


G. Lagergren,


L. Liesch,


F. Gölcüklü,


J. Pinheiro Farinha,


R. Bernhardt,


ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 et 26 mars, puis le 21 septembre 1982,


Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:


PROCEDURE


1. L'affaire Piersack a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission"). A son origine se trouve une requête (n° 8692/79) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Christian Piersack, avait saisi la Commission le 15 mars 1979 en vertu de l'article 25 (art. 25) de la Convention.


2. La demande de la Commission a été déposée au greffe de la Cour le 14 octobre 1981, dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47). Elle renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration du Royaume de Belgique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de l'Etat défendeur, un manquement aux obligations lui incombant aux termes de l'article 6 § 1 (art. 6-1).


3. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. W. Ganshof van der Meersch, juge élu de nationalité belge (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 22 octobre 1981, celui-ci a désigné par tirage au sort, en présence du greffier, les cinq autres membres, à savoir M. Thór Vilhjálmsson, Mme D. Bindschedler-Robert, M. L. Liesch, M. J. Pinheiro Farinha et M. R. Bernhardt (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43). Le 25 novembre, il a dispensé de siéger Mme Bindschedler-Robert que le premier suppléant, M. F. Gölcüklü, a désormais remplacée (articles 22 § 1 et 24 § 4 du règlement).


4. Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Wiarda a recueilli par l'intermédiaire du greffier l'opinion de l'agent du Gouvernement, de même que celle du délégué de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 1er décembre 1981 il a constaté, eu égard notamment à leurs déclarations concordantes, qu'il n'y avait pas lieu de prévoir le dépôt de mémoires; il a décidé en outre que la procédure orale s'ouvrirait le 25 mars 1982.


Sur les instructions du président, le greffier a invité Commission et Gouvernement, les 29 janvier et 8 mars 1982, à produire plusieurs documents et fournir des précisions sur un point de fait. Il a reçu les pièces et renseignements demandés les 3 février, 16 février, 2 mars et 9 mars.


5. Les débats se sont déroulés en public le 25 mars, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Chambre avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.


Ont comparu:


- pour le Gouvernement


M. J. Niset, conseiller juridique au ministère de la justice, agent,


Me Anne De Bluts, avocat, conseil;


- pour la Commission


M. G. Tenekides, délégué,


Me M. Lancaster, conseil du requérant devant la Commission, assistant le délégué (article 29 § 1, seconde phrase, du règlement).


La Cour les a entendus en leurs plaidoiries et observations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions et à celles de l'un de ses membres. Le 1er juin 1982, le greffier a reçu de l'agent du Gouvernement une réponse écrite complémentaire.


6. A la délibération du 21 septembre 1982, M. G. Lagergren, deuxième juge suppléant, a remplacé M. Thór Vilhjálmsson, empêché (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement).


FAITS


I. Les circonstances de l'espèce


7. Le requérant, ressortissant belge né en 1948 et armurier de profession, subit à la prison de Mons une peine de dix-huit ans de travaux forcés que la Cour d'assises de la province de Brabant lui a infligée le 10 novembre 1978 pour meurtre.


8. Dans la nuit du 22 au 23 avril 1976, deux Français, MM. Gilles Gros et Michel Dulon, furent tués à coups de revolver à Bruxelles dans une voiture automobile où ils se tenaient en compagnie de M. Piersack, de M. Constantinos Kavadias (qui bénéficia ultérieurement d'un non-lieu) et d'un Portugais, M. Joao Tadeo Santos de Sousa Gravo.


A. De l'ouverture des poursuites à la saisine de la Cour de cassation


9. Soupçonné de ce double homicide, le requérant fit l'objet, le 9 juillet 1976, d'un mandat d'arrêt décerné par M. Preuveneers, juge d'instruction au tribunal de première instance de Bruxelles. Il se trouvait alors en France, mais les autorités de cet Etat l'appréhendèrent et, après avoir consenti à l'extrader, le livrèrent à la gendarmerie belge le 13 janvier 1977. Le procureur du Roi à Courtrai en informa son collègue de Bruxelles par une lettre du même jour. M. Pierre Van de Walle, premier substitut, la parapha puis l'envoya au magistrat du parquet chargé du dossier, Mme del Carril, qui la transmit à M. Preuveneers par une note ("apostille") du 17 janvier.


10. Le 4 février 1977, le juge d'instruction écrivit au procureur du Roi à Bruxelles pour le prier d'indiquer si le parquet comptait dénoncer les faits aux autorités portugaises quant au coïnculpé Santos de Sousa, qu'elles ne paraissaient plus disposées à extrader. Sur son apostille, il porta de sa main, entre parenthèses, la mention "à l'attention de M. Van de Walle". Mme del Carril répondit à


M Preuveneers le 9 février 1977.


11. Le 20 juin, le procureur général près la Cour d'appel de Bruxelles communiqua au procureur du Roi une commission rogatoire exécutée au Portugal à l'égard de M. Santos de Sousa. M. Van de Walle parapha cette apostille puis l'expédia au substitut qui avait succédé à Mme del Carril dans le traitement de l'affaire, M. De Nauw. Celui-ci la transmit au juge d'instruction le 22.


12. Nommé le 18 novembre 1977 conseiller à la Cour d'appel de Bruxelles, M. Van de Walle prêta serment en cette qualité le 13 décembre. La majeure partie de l'instruction était achevée à l'époque, mais certains actes eurent encore lieu par la suite.


13. Le 12 mai 1978, le substitut De Nauw signa le réquisitoire de prise de corps; auparavant, il en avait référé au procureur général près la Cour d'appel par un rapport de quarante-cinq pages auquel ce magistrat avait répondu le 11 mai. Par un arrêt du 16 juin, la Chambre des mises en accusation de la Cour d'appel de Bruxelles renvoya le requérant devant la Cour d'assises de la province de Brabant pour homicide volontaire et prémédité sur la personne de MM. Gros et Dulon. Le procureur général dressa l'acte d'accusation le 27 juin.


14. La Cour d'assises siégea du 6 au 10 novembre 1978 sous la présidence de M. Van de Walle. Après qu'elle eut entendu, notamment, de nombreux témoins à charge et à décharge, les douze jurés se retirèrent pour délibérer sur la culpabilité de M. Piersack qui protestait de son innocence. Sur la troisième question à résoudre par eux, relative au "fait principal", ils n'aboutirent à une conclusion affirmative que par sept voix contre cinq. Après avoir délibéré sur ladite question en chambre du conseil, le président et les deux assesseurs déclarèrent se réunir à la majorité du jury.


En définitive, la Cour d'assises jugea le requérant coupable de meurtre sur la personne de M. Dulon. L'acquittant pour le surplus et lui reconnaissant des circonstances atténuantes, elle le condamna le 10 novembre 1978 à dix-huit ans de travaux forcés. Elle constata en outre que M. Santos de Sousa, arrêté au Portugal, n'avait pu – en raison de sa nationalité - être extradé en Belgique.


15. Le requérant saisit alors la Cour de cassation. Par le sixième moyen de son pourvoi, le seul à entrer en ligne de compte en l'espèce, il alléguait la violation de l'article 127 du code judiciaire, aux termes duquel "à peine de nullité, les magistrats" ayant "rempli dans l'affaire les fonctions de ministère public (...) ne peuvent (...) présider les assises (...)". La note manuscrite "à l'attention de M. P. Van de Walle" figurant sur l'apostille du 4 février 1977 (paragraphe 10 ci-dessus), prétendait-il, indiquait que celui-ci, "et non un autre magistrat du parquet", s'était occupé du dossier à l'époque et que, partant, il avait "participé, d'une manière ou d'une autre, à l'instruction de l'affaire". M. Piersack ne mentionnait pas les pièces des 13 janvier et 20 juin 1977 (paragraphes 9 et 11 ci-dessus), car ni son avocat ni lui-même n'avaient encore identifié le signataire du paraphe qu'elles portaient ; c'est le Gouvernement qui l'a spontanément indiquée à la Commission dans ses observations écrites de mars 1980 sur la recevabilité de la requête.


B. Conclusions du ministère public près la Cour de cassation


16. Dans ses conclusions, l'avocat général Velu retraça l'évolution de la législation et de la jurisprudence belges en la matière. Il y distinguait trois phases:


a) Avant 1955 la Cour de cassation avait rendu, malgré l'absence de règles écrites, huit arrêts d'après lesquels "le magistrat [ayant] exercé les fonctions de ministère public dans une poursuite ne


[pouvait] plus en connaître comme juge et, notamment, comme membre de la cour d'assises". Ils fondaient "cette interdiction" sur "un principe général et absolu" découlant "de la nature même des


fonctions". L'avocat général les résumait ainsi:


"Il importe peu - que le magistrat du ministère public ne soit intervenu dans l'affaire qu'occasionnellement ou accidentellement


(...);


- que son intervention n'ait pas mis en cause nominativement un ou plusieurs inculpés;


- ou [qu'elle] n'ait comporté aucun acte d'instruction.


Il suffit que le magistrat du ministère public ait dans la cause pris part personnellement à l'exercice de l'action publique.


L'incompatibilité existe dès qu'il y a eu dans la cause, à l'occasion de la poursuite, intervention personnelle du magistrat, en qualité de membre du ministère public."


b) Deux faits nouveaux avaient marqué la deuxième période (1955-1968), pendant laquelle la Cour de cassation ne semblait pas avoir eu à trancher "le problème de l'incompatibilité entre les fonctions de ministère public et de membre du siège": l'incorporation de la Convention à l'ordre juridique interne belge et "les développements donnés par la jurisprudence nationale au principe général du droit de l'examen impartial du litige par le juge".


"Le droit du justiciable à un tribunal impartial", au sens de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, pouvait impliquer pour le juge soit la simple "obligation (...) de s'abstenir s'il [avait], au sujet de l'affaire, un parti pris quelconque", soit le devoir plus large de "s'abstenir dès qu'on [pouvait] légitimement redouter qu'il ne présent[ât] pas les garanties d'impartialité requises". L'avocat général écartait la première interprétation, "restrictive", au profit de la seconde, "extensive"; il invoquait notamment l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (recours au but et à l'objet) et l'arrêt Delcourt du 17 janvier 1970 (série A n° 11, pp. 14-15, § 25 in fine). Il se référait en outre, cette fois quant au "principe général du droit de l'examen impartial du litige par le juge", à des arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat de Belgique. Il citait de surcroît le passage suivant d'une mercuriale prononcée le 1er septembre 1970 devant la Cour de cassation: "tout juge dont on peut redouter légitimement un manque d'impartialité doit s'abstenir de participer à la décision".


c) Caractérisée par l'entrée en vigueur des articles 127 et 292 du code judiciaire (paragraphe 22 ci-dessous), la troisième phase a vu la Cour de cassation appliquer le second d'entre eux à des "litiges dans lesquels une décision avait été rendue par un juge ayant précédemment exercé les fonctions de ministère public". Les cinq arrêts énumérés par l'avocat général demeuraient, selon lui, "dans la ligne" de ceux de la première période. Il en ressortait:


(i) qu'"en dépit de l'article 292 du code judiciaire, le principe général du droit de l'examen impartial du litige par le juge a conservé toute sa valeur";


(ii) qu'aux fins de cet article, "connaître d'une cause dans l'exercice des fonctions de ministère public" signifie y "intervenir (...) en qualité de partie poursuivante";


(iii) qu'on ne saurait parler de pareille intervention si, dans la cause en question, un magistrat du parquet a simplement


- assisté "à une audience du tribunal où ce dernier s'est limité à prendre une mesure d'ordre intérieur";


- ou "accompli un acte (...) manifestement dépourvu d'intérêt pour l'exercice de l'action publique".


A la lumière de ces considérations, l'avocat général estimait qu'il fallait casser "l'arrêt attaqué (...) soit sur le sixième moyen du demandeur (...) soit sur le moyen, pris d'office, de la violation de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention (...) ou du principe général du droit de l'examen impartial du litige par le juge".


"L'apostille du 4 février 1977", soulignait-il, émanait "du magistrat instructeur, celui qui tout naturellement connaissait "le mieux non seulement les éléments de l'affaire", mais aussi l'identité du ou des "magistrats du ministère public qui interv[enai]ent dans la poursuite". Or M. Preuveneers y avait ajouté "la mention manuscrite 'à l'attention de M. P. Van de Walle'", désignant de la sorte "le destinataire personnel de l'acte":


"Il est logique de considérer que si le magistrat instructeur adresse cette apostille à l'attention de M. P. Van de Walle, c'est qu'il sait que d'une façon ou d'une autre ce magistrat a dans la cause pris part,


personnellement, à l'exercice de l'action publique.

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