ARRÊT DE LA COUR
25 juillet 2002 (1)
"Pourvoi - Règlement (CE) n° 1638/98 - Organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses - Recours en annulation - Personne individuellement concernée - Protection juridictionnelle effective - Recevabilité"
Dans l'affaire C-50/00 P,
Unión de Pequeños Agricultores, ayant son siège à Madrid (Espagne), représentée par Mes J. Ledesma Bartret et J. Jiménez Laiglesia y de Oñate, Abogados, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
ayant pour objet un pourvoi formé contre l'ordonnance du Tribunal de première instance des Communautés européennes (troisième chambre) du 23 novembre 1999, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (T-173/98, Rec. p. II-3357), et tendant à l'annulation de cette ordonnance,
les autres parties à la procédure étant:
Conseil de l'Union européenne, représenté par M. I. Díez Parra, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
soutenu par:
Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Guerra Fernández et Mme M. Condou-Durande, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie intervenante au pourvoi
LA COUR,
composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, M. P. Jann, Mmes F. Macken et N. Colneric, M. S. von Bahr, présidents de chambre, MM. C. Gulmann (rapporteur), D. A. O. Edward, A. La Pergola, J.-P. Puissochet, M. Wathelet, R. Schintgen, V. Skouris et J. N. Cunha Rodrigues, juges,
avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, chef de division,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 6 novembre 2001, au cours de laquelle Unión de Pequeños Agricultores a été représentée par Me J. Jiménez Laiglesia y de Oñate, le Conseil par M. I. Díez Parra et la Commission par M. J. Guerra Fernández et Mme M. Condou-Durande,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 21 mars 2002,
rend le présent
Arrêt
1.
Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 février 2000, Unión de Pequeños Agricultores a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'ordonnance du Tribunal de première instance du 23 novembre 1999, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (T-173/98, Rec. p. II-3357, ci-après l'"ordonnance attaquée"), par laquelle celui-ci a rejeté son recours tendant à l'annulation partielle du règlement (CE) n° 1638/98 du Conseil, du 20 juillet 1998, modifiant le règlement n° 136/66/CEE portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses (JO L 210, p. 32, ci-après "le règlement attaqué").
Le cadre juridique
2.
Le 22 septembre 1966, le Conseil a adopté le règlement n° 136/66/CEE, portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses (JO 1966, 172, p. 3025). Ce règlement a notamment mis en place une organisation commune des marchés de l'huile d'olive, articulée autour d'un système de prix garantis assortis d'aides à la production. Plusieurs modifications ont été apportées par la suite aux mécanismes instaurés par le règlement n° 136/66. L'organisation commune des marchés de l'huile d'olive ainsi modifiée prévoyait des régimes de prix d'intervention, d'aide à la production, d'aide à la consommation, de stockage ainsi que d'importations et d'exportations.
3.
Le 20 juillet 1998, le Conseil a adopté le règlement attaqué qui réforme, notamment, l'organisation commune des marchés de l'huile d'olive. À ce titre, le régime antérieur d'intervention a été aboli et remplacé par un régime d'aide aux contrats de stockage privé. L'aide à la consommation ainsi que l'aide spécifique aux petits producteurs ont été supprimées. Le mécanisme de stabilisation de l'aide à la production fondé sur une quantité maximale garantie pour toute la Communauté a été amendé par l'introduction d'une répartition de cette quantité maximale garantie entre les États membres producteurs sous la forme de quantités nationales garanties. Enfin, les oliveraies plantées après le 1er mai 1998 sont exclues, sauf exception, de tout régime d'aide futur.
La procédure devant le Tribunal et l'ordonnance attaquée
4.
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 octobre 1998, l'Unión de Pequeños Agricultores, qui est une association professionnelle regroupant et assurant la défense des intérêts de petites entreprises agricoles espagnoles et qui dispose de la personnalité juridique en vertu du droit espagnol, a introduit, en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, quatrième alinéa, CE),un recours tendant à l'annulation du règlement attaqué, à l'exception du régime des aides à l'olive de table.
5.
Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 23 décembre 1998, le Conseil a, en vertu de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, soulevé une exception d'irrecevabilité.
6.
Par l'ordonnance attaquée, le Tribunal a accueilli ladite exception d'irrecevabilité, en sorte qu'il a rejeté le recours comme manifestement irrecevable.
7.
Tout d'abord, après avoir rappelé, au point 34 de l'ordonnance attaquée, que, selon une jurisprudence constante, l'article 173, quatrième alinéa, du traité confère aux particuliers le droit d'attaquer toute décision qui, bien que prise sous l'apparence d'un règlement, les concerne directement et individuellement et que le critère de distinction entre le règlement et la décision doit être recherché dans la portée générale ou non de l'acte en question, le Tribunal a conclu, au point 44 de ladite ordonnance, que le règlement attaqué revêt, par sa nature et sa portée, un caractère normatif et ne constitue pas une décision au sens de l'article 189 du traité CE (devenu article 249 CE).
8.
Ensuite, après avoir rappelé, au point 45 de l'ordonnance attaquée, que, dans certaines circonstances, même un acte normatif s'appliquant à la généralité des opérateurs économiques intéressés peut concerner individuellement certains d'entre eux et que, partant, un acte communautaire peut revêtir à la fois un caractère normatif et, à l'égard de certains opérateurs économiques intéressés, un caractère décisionnel, le Tribunal a relevé:
- au point 46 de l'ordonnance attaquée, que, "[p]our ce faire, une personne physique ou morale doit cependant être en mesure de démontrer qu'elle est atteinte, par l'acte en cause, en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d'une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne [...]" et,
- au point 47 de la même ordonnance, que, en outre, la recevabilité des recours introduits par les associations peut, à cet égard, être admise, à tout le moins, dans les situations où une disposition légale reconnaît expressément aux associations professionnelles une série de facultés à caractère procédural, lorsque l'association représente les intérêts d'entreprises qui, quant à elles, seraient recevables à agir et lorsque l'association est individualisée en raison de l'incidence de l'acte contesté sur ses intérêts propres en tant qu'association notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l'acte dont l'annulation est demandée.
9.
Or, en l'espèce, le Tribunal a conclu, au point 48 de l'ordonnance attaquée, que la requérante ne saurait se prévaloir d'aucune de ces trois situations pour justifier la recevabilité de son recours.
10.
À cet égard, le Tribunal a notamment relevé, au point 50 de l'ordonnance attaquée, que "la requérante n'a pas démontré que ses membres sont atteints par le règlement attaqué en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne. Il suffit, à cet égard, de rappeler que le fait que le règlement attaqué ait affecté, au moment de son adoption, les membres de la requérante agissant alors sur les marchés de l'huile d'olive, le cas échéant, en entraînant la cessation d'activité de quelques-uns d'entre eux, n'est pas de nature à les caractériser par rapport à tout autre opérateur communautaire, dès lors qu'ils se trouvent dans une situation objectivement déterminée, comparable à celle de tout autre opérateur qui pourrait à présent ou à l'avenir entrer sur ces marchés [...]. Le règlement attaqué ne concerne les membres de la requérante qu'en raison de leur qualité objective d'opérateur économique actif sur ces marchés, au même titre que tous les autres opérateurs actifs sur ceux-ci."
11.
Le Tribunal a en outre relevé, aux points 53 à 55 de l'ordonnance attaquée, que la requérante ne saurait non plus arguer de ce que le règlement attaqué affecterait certains de ses intérêts spécifiques pour justifier la recevabilité de son recours et il a conclu, au point 58 de cette ordonnance, que la requérante ne se trouvait individualisée en vertu d'aucun des critères retenus par la jurisprudence en matière de recevabilité d'un recours en annulation introduit par une association.
12.
Enfin, le Tribunal a examiné le dernier argument que la requérante avait invoqué pour établir qu'elle était individuellement concernée par les dispositions du règlement attaqué, à savoir le risque de ne pas bénéficier d'une protection juridictionnelle effective. À cet égard il a jugé ce qui suit:
"61 En ce qui concerne l'argument tiré du défaut de protection juridictionnelle effective, il consiste à dénoncer l'absence de voies de recours internes permettant, le cas échéant, un contrôle de validité du règlement attaqué par la voie du renvoi préjudiciel fondé sur l'article 177 du traité [CE (devenu article 234 CE)].
62 À cet égard, il convient de souligner que le principe d'égalité de tous les justiciables quant aux conditions d'accès au juge communautaire par le biais du recours en annulation requiert que ces conditions ne soient pas fonction des circonstances propres au système juridictionnel de chaque État membre. À ce sujet, il y a d'ailleurs lieu de relever que, par application du principe de coopération loyale énoncé à l'article 5 du traité CE (devenu article 10 CE), les États membres sont tenus de contribuer au caractère complet du système de voies de recours et de procédures mis en place par le traité CE et destiné à confier au juge communautaire le contrôle de la légalité des actes des institutions communautaires (voir, à cet égard, arrêt [du 23 avril 1986,] Les Verts/Parlement, [294/83, Rec. p. 1339], point 23).
63 Ces éléments ne sauraient toutefois justifier que le Tribunal s'écarte du système des voies de recours instauré par l'article 173, quatrième alinéa, du traité, telqu'il a été explicité par la jurisprudence, et dépasse les limites de sa compétence posées par cette disposition.
64 La requérante ne saurait non plus tirer aucun argument de la longueur éventuelle d'une procédure fondée sur l'article du traité. Cette circonstance ne saurait en effet justifier une modification du système des voies de recours et des procédures établi par les articles 173, 177 et 178 du traité CE (devenu article 235 CE) et destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions. En aucun cas, un tel argument ne permet de déclarer recevable un recours en annulation formé par une personne physique ou morale qui ne satisfait pas aux conditions posées par l'article 173, quatrième alinéa, du traité (ordonnance de la Cour du 24 avril 1996, CNPAAP/Conseil, C-87/95 P, Rec. p. I-2003, point 38)."
13.
Au terme de ces considérations, le Tribunal a constaté, au point 65 de l'ordonnance attaquée, que la requérante ne pouvait être considérée comme individuellement concernée par le règlement attaqué et que, étant donné qu'elle ne satisfaisait pas à l'une des conditions de recevabilité posées par l'article 173, quatrième alinéa, du traité, il n'était pas nécessaire d'examiner la question de savoir si elle était directement concernée par ledit règlement.
Le pourvoi
14.
Par son pourvoi, la requérante demande à ce qu'il plaise à la Cour:
- annuler l'ordonnance attaquée;
- déclarer recevable son recours au fond et renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue sur celui-ci.
15.
Le Conseil a conclu à ce qu'il plaise à la Cour:
- déclarer le pourvoi manifestement irrecevable ou, à titre subsidiaire, manifestement non fondé;
- condamner la requérante aux dépens.
16.
Par ordonnance du président de la Cour du 12 septembre 2000, la Commission a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.
17.
À l'appui de son pourvoi, la requérante invoque quatre moyens.
18.
En premier lieu, elle soutient que le Tribunal a, au point 61 de l'ordonnance attaquée, interprété de manière erronée son argument tiré de l'absence d'une protection juridictionnelle effective en cas d'irrecevabilité du recours. En effet, elle n'aurait pasfondé cet argument sur la simple absence de voies de recours internes, mais sur le fait que la déclaration d'irrecevabilité ne respecterait pas en l'espèce la condition d'effectivité qui s'attache au droit fondamental dont elle se prévaut. En deuxième lieu, la requérante fait valoir que la motivation de l'ordonnance attaquée est insuffisante, car elle ne répond pas aux arguments de fait et de droit invoqués dans sa requête et dans ses observations sur l'exception d'irrecevabilité, mais se limite, au point 63 de la même ordonnance, à ne retenir que l'un d'eux, qu'elle reproduit au surplus de manière inexacte. En troisième lieu, la requérante prétend que le point 62 de ladite ordonnance est contradictoire. À cet égard, elle argue que, si le principe de coopération loyale requiert la création d'une voie de recours interne permettant, le cas échéant, un renvoi préjudiciel sur la question de la validité de l'acte communautaire, force est de constater que le respect du droit d'un particulier à une protection juridictionnelle effective est fonction des circonstances propres au système juridictionnel de chaque État membre. En quatrième lieu, la requérante fait valoir que, en n'examinant pas en l'espèce si le fait de déclarer le recours irrecevable n'aboutissait pas, compte tenu de tous les éléments de fait et de droit, à méconnaître le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, l'ordonnance attaquée a méconnu un droit fondamental qui fait partie intégrante de l'ordre juridique communautaire.
Sur la recevabilité du pourvoi