Jurisprudence : CE Contentieux, 08-11-2001, n° 239734

ARRÊT DU CONSEIL D'ETAT


CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux


Cette décision sera publiée au Recueil LEBON

N° 239734

M. Yilmaz KAIGISIZ

Ordonnance du 8 novembre 2001

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE JUGE DES REFERES

Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 5 novembre 2001, présentée par M. Yilmaz KAYGISIZ, demeurant 1, rue de la Fontaine aux Ecus à Provins (77480) ; M. KAYGISIZ demande au président de la Section du contentieux du Conseil d'Etat

1°) d'annuler l'ordonnance en date du 15 octobre 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, statuant en application de l'article L.521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de lui faire restituer le titre de séjour en cours de validité qui lui a été retiré le 3 juillet 2001, sous astreinte de 10 000 F par jour;

2°) d'ordonner cette restitution ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 F au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

il soutient qu'il est titulaire d'un titre de séjour délivré le 9 septembre 1994 et expirant le 8 septembre 2004 ; que la suspension de l'arrêté d'expulsion fait obstacle à ce que l'administration retienne le support matériel de ce titre de séjour jusqu'à ce qu'il ait été statué au fond sur la légalité de l'arrêté d'expulsion ; que l'impossibilité de présenter ce titre l'expose à des sanctions pénales ; qu'il y a urgence à ce qu'il soit rétabli dans l'exercice de ses droits auxquels une atteinte gave et manifestement illégale a ainsi été portée;

Vu la décision du ministre de l'intérieur en date du 25 septembre 2001 ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2001, présenté par le ministre de l'intérieur qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que l'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'expulsion perd son droit au séjour et que son titre de séjour doit lui être retiré en application du 4° de l'article 5 du décret du 30 juin 1946 ; que l'arrêté d'expulsion n'ayant pas été annulé mais seulement suspendu, M. KAYGISIZ n'a pas droit au séjour; qu'ainsi le ministre de l'intérieur était fondé à refuser de lui restituer son titre de séjour légalement retiré par le préfet de l'Aube ;

Vu les autres pièces du dossier;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée et le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 modifié;

Vu le code de justice administrative, notamment son livre V ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. Yilmaz KAYGISIZ, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du jeudi 8 novembre 2001 à 10 heures ;

Considérant qu'aux termes de l'article L.521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale » ;

Considérant qu'en vertu de l'article L.521-1 du même code, la suspension de l'exécution d'une décision administrative comporte, à moins que le juge des référés n'en décide autrement, la suspension provisoire de l'ensemble de ses effets ; qu'ainsi la suspension de la décision d'expulser du territoire français un ressortissant étranger titulaire d'un titre de séjour régulier en cours de validité fait provisoirement obstacle à ce que l'intéressé soit privé de la possibilité de justifier de la régularité de sa situation au regard de la législation relative au séjour en France des étrangers ; que par suite, dans le cas où ce titre de séjour a fait l'objet d'une mesure de rétention matérielle par l'administration en exécution de la décision d'expulsion, la suspension de cette dernière décision a pour effet d'imposer la restitution de ce document à son titulaire jusqu'à l'expiration de la période de suspension ; que le refus de le restituer pendant sa période de validité, dans les conditions précisées ci-dessus, porte à son titulaire une atteinte grave à la liberté fondamentale d'aller et de venir sur le territoire français dont il bénéficie en qualité de ressortissant étranger en situation régulière ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par ordonnance du 30 août 2001, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a suspendu, en application de l'article L.521-1 du code de justice administrative, l'arrêté en date du 10 mai 2001 par lequel le ministre de l'intérieur a ordonné l'expulsion de M. KAYGISIZ jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cet arrêté ; que par lettre du 11 septembre 2001, ce dernier a sollicité la restitution de son titre de séjour, valable jusqu'au 8 septembre 2004 ; que par lettre du 25 septembre 2001, le ministre de l'intérieur a rejeté cette demande au motif que seule l'annulation contentieuse de la mesure d'expulsion aurait contraint l'administration de replacer l'intéressé dans la situation qui était la sienne antérieurement ; que ce refus, qui, contrairement à ce qui a été jugé par l'ordonnance attaquée du 15 octobre 2001, méconnaît la portée de l'ordonnance de suspension du 30 août 2001, porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l'article L.521-2 du code de justice administrative ;

Considérant que l'impossibilité dans laquelle se trouve M. KAYGISIZ de présenter un document justifiant de la régularité de son séjour en France crée une situation d'urgence au sens du même article;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. KAYGISIZ est fondé à demander, outre l'annulation de l'ordonnance attaquée, qu'il soit enjoint à l'administration de lui restituer sans délai son titre de séjour, sous astreinte de 1000 F par jour de retard à compter du huitième jour suivant la notification de la présente ordonnance;

Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l'Etat à verser à M. KAYGISIZ la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

ORDONNE:

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 15 octobre 2001 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de faire procéder à la restitution à M. KAYGISIZ de son titre de séjour sous astreinte de 1000 F par jour de retard à compter du huitième jour suivant la notification de la présente ordonnance.

Article 3 : L'Etat versera à M. KAYGISIZ la somme de 10 000 F au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. KAYGISIZ et au ministre de l'intérieur.

Fait à Paris, le 8 novembre 2001

Signé: Yves Robineau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le secrétaire,

Françoise Longuet

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