Jurisprudence : CEDH, 16-05-2002, Req. 38396/97, KARATAS ET SARI

CEDH, 16-05-2002, Req. 38396/97, KARATAS ET SARI

A6308AYB

Référence

CEDH, 16-05-2002, Req. 38396/97, KARATAS ET SARI. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1091005-cedh-16052002-req-3839697-karatas-et-sari
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Cour européenne des droits de l'homme

16 mai 2002

Requête n°38396/97

KARATAS ET SARI



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


PREMIÈRE SECTION


AFFAIRE KARATAS ET SARI c. FRANCE


(Requête n° 38396/97)


ARRÊT


STRASBOURG


16 mai 2002


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article44 §2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Karatas et Sari c. France,


La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée


M.C.L. Rozakis, président,


MmeF. Tulkens,


MM.J.P. Costa,


P. Lorenzen,


E. Levits,


A. Kovler,


V. Zagrebelsky, juges,


etdeM.S. Nielsen, greffier adjoint de section,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24janvier et le 25avril2002,


Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:


PROCÉDURE


1.A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n38396/97) dirigée contre la France par des ressortissants de nationalité turque. Dursun Karatas ("le requérant") et Zerrin Sari ("la requérante"), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 4août 1997 en vertu de l'ancien article25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention").


2.Les requérants sont représentés par Mes Jan Fermon et Ties Prakken, avocats respectivement au barreau de Bruxelles (Belgique) et d'Amsterdam (Pays-Bas). Le gouvernement français ("le Gouvernement") est représenté par son agent, Mme Michèle Dubrocard, sous-directrice des droits de l'homme à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.


3.Invoquant les articles 6 § 1 et 3 c) les requérants se plaignent de ne pas avoir eu droit à un procès équitable, faute d'avoir pu se faire entendre par l'intermédiaire de leurs avocats, ainsi que d'une violation de leur droit d'accès à un tribunal, en raison de l'impossibilité d'exercer l'opposition au jugement de condamnation sans se faire préalablement emprisonner. Le 21octobre 1998, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement, en l'invitant à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé.


4.A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention, l'examen de l'affaire a été confié, en application de l'article5§2 dudit Protocole à la nouvelle Cour.


5.La requête a été attribuée à l'ancienne troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).


6.Le 4 mai 2000, la Cour a déclaré la requête recevable.


7.Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée.


EN FAIT


I.LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE


8.Le 13 décembre 1978, le premier requérant prit la tête d'un mouvement dénommé Devrimci Sol ("Dev Sol") ou gauche révolutionnaire. Ce mouvement se livra à une déstabilisation du régime politique turc par des actions violentes revendiquées par des communiqués ou par voie de presse, et commises tant en Turquie qu'à l'étranger. Toutefois, à la suite du coup d'Etat militaire de 1980, l'organisation fut sévèrement atteinte par la répression qui s'ensuivit. A cette occasion, le requérant fut arrêté et condamné à dix ans et six mois d'emprisonnement pour ses responsabilités au sein de l'organisation. Depuis son évasion de la prison d'Istanbul, le 25 octobre 1989, il est activement recherché par les autorités turques. De 1981 à 1994, l'organisation se manifesta en France par des actions à caractère politique, menées avec violence.


9.D'après les renseignements de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST), Dev sol se finance par les gains provenant de l'utilisation de réseaux de trafics illicites divers et s'appuie sur différents relais politiques, notamment en France l'Association Culturelle du Peuple en France (ACPF) sise à Paris qui lui sert de base.


10.Dans son rapport de synthèse du 8 août 1994, la DST estimait que la venue en France des requérants s'expliquait par la volonté du requérant de reprendre le contrôle des militants de son organisation et d'inaugurer les nouveaux locaux de Dev Sol à Paris.


11.Le 9septembre1994, les requérants furent arrêtés, en compagnie de K.K., terroriste recherché par les autorités turques, par la police française des airs et des frontières, lors d'un contrôle des passeports au poste de frontière franco-italien de Modane. K.K., de nationalité néerlandaise, exhiba son passeport néerlandais en cours de validité. Les requérants étaient en possession de faux passeports néerlandais respectivement établis au nom de MehmetBelgic et MelisHale. L'enquête devait établir que ces passeports avaient été volés aux Pays-Bas entre fin 1993 et début 1994.


12.Le contrôle des empreintes digitales réalisé par la police turque démontra que MehmetBelgic était en réalité le requérant et que la femme qui disait s'appeler MelisHale était en réalité la requérante, avocate au barreau d'Istanbul connue pour ses activités politiques. Les renseignements réunis sur K K. confirmaient qu'il était directeur du journal "Mucadele" (le combat), et responsable de Dev Sol à Paris.


13.Après leur arrestation, les requérants et K.K. furent transférés à l'unité spéciale anti-terroriste de la police, dont le siège est établi à Paris. La quatorzième section du parquet du tribunal de grande instance à Paris, prit la direction des poursuites et un juge d'instruction spécialisé dans les affaires de terrorisme fut chargé de l'instruction.


14.Devant les enquêteurs de l'unité spécialisée de la police, la requérante déclara qu'elle ne savait pas que MehmetBelgic avait pour véritable identité Dursun Karatas, qu'elle n'était en compagnie de celui-ci que suite à un concours de circonstances, qu'elle avait demandé l'asile en France suite aux persécutions dont elle a été victime en Turquie à cause de son travail d'avocate au barreau d'Istanbul, et qu'elle avait ensuite quitté la France.


15.Le 12 septembre 1994, les requérants et K.K. furent mis en examen des chefs d'association de malfaiteurs ayant pour objet de préparer un acte de terrorisme, de recel de vol, d'usage de faux document administratif et d'entrée irrégulière en France. Ils furent placés sous mandat de dépôt et mis en détention provisoire.


16.Le requérant admit devant le magistrat instructeur avoir exercé des fonctions dirigeantes au sein de Dev Sol, ainsi qu'avoir utilisé un faux passeport. Les requérants nièrent toutes les charges relatives aux accusations d'association de malfaiteurs.


17.Le 28novembre1994, la requérante et K.K. furent mis en liberté sous contrôle judiciaire. Le contrôle judiciaire dont bénéficiait la requérante était assorti des obligations de ne pas sortir des limites territoriales de la France métropolitaine, se présenter une fois par semaine, à compter du 5décembre1994, au commissariat de police d'Argenteuil (Val-d'Oise), et résider effectivement à Argenteuil chez M.G.V.R.


18.Le requérant interjeta appel de l'ordonnance de prolongation de sa détention provisoire prise par le magistrat instructeur le 6 janvier 1995. Par un arrêt en date du 26 janvier 1995, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris ordonnait sa remise en liberté et son placement sous contrôle judiciaire avec obligation de ne pas sortir du département du Var et de se présenter une fois par semaine, à compter du 2 février 1995, à la brigade de gendarmerie du Luc (Var). D'après les renseignements recueillis par la police, le requérant était presque aussitôt "exfiltré" vers l'étranger, nonobstant l'obligation de rester en France en vertu du contrôle judiciaire. La requérante disparaissait également peu de temps après sa libération et sa mise sous contrôle judiciaire.


19.Le 3 février 1995, le magistrat instructeur délivra un mandat d'arrêt international contre le requérant et un autre, le 7 avril 1995, contre la requérante.


20.Le 16 septembre 1996, l'affaire fut renvoyée par le juge d'instruction devant le tribunal correctionnel de Paris. Les requérants ainsi que K.K. furent cités à son audience des 14, 15 et 16janvier 1997. Les requérants furent renvoyés pour y être jugés pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits puni de dixans, avec cette circonstance que ces infractions étaient en relation à titre principal ou connexe avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. Il était également reproché aux requérants d'avoir recelé des documents administratifs qu'ils savaient provenir de vols, d'avoir fait usage de ces documents contrefaits, falsifiés ou altérés et d'avoir pénétré illégalement en France.


21.Outre les requérants, huit autres personnes comparurent pour des faits de participation à une association de malfaiteurs, en leur qualité de membres de Devrimci-Sol. K.K assisté par les avocats des requérants, était entendu à l'audience du 14 janvier 1997.


22.Par jugement du 6 février 1997, après audience des 14, 15 et 16janvier 1997, le tribunal correctionnel de Paris constatait, qu'en l'absence des requérants, il y avait lieu de statuer par défaut à leur encontre.


23.A cet égard, les avocats des requérants précisent avoir déposé des conclusions devant le tribunal tendant à ce qu'ils soient entendus en qualité de représentants de leurs clients. Ils fournissent un exemplaire de ces conclusions. Ce document ne comporte pas de date ; il est signé de leur main, ainsi que de celle de Me O., avocat au Barreau de Paris. Ils indiquent que le tribunal aurait rejeté cette demande constatant, qu'en l'absence des prévenus, le jugement devait être rendu par défaut à leur encontre, sans que leurs conseils puissent être entendus. Toutefois, le procès-verbal des débats ne comporte aucune mention relative à un tel dépôt de conclusions, ou relative à leur rejet par cette juridiction. Il ne résulte pas davantage que les avocats des requérants aient demandé à ce qu'il leur soit donné acte d'un tel refus. Par ailleurs, le jugement du tribunal correctionnel ne fait aucune référence à la demande des avocats des requérants.


24.Dans son jugement long de quarante-trois pages, le tribunal, s'appuyant sur un rapport de la Direction de la surveillance du territoire (DST), rappela l'historique du mouvement en cause. Il releva notamment que Dev Sol, qui avait toujours pratiqué la guérilla urbaine depuis sa création en 1978, avait développé ses activités en Europe, via l'Allemagne. Concernant plus particulièrement son activité en France, le tribunal constata que l'organisation n'avait pas d'existence officielle, mais agissait au travers d'associations diverses et se finançait par la vente de périodiques, les collectes de fonds et extorsions commises avec menaces, contrainte ou violences, le produit de diverses escroqueries aux ASSEDIC et les revenus tirés de l'exploitation de filières d'immigration clandestine. Quant au requérant, le tribunal nota qu'il avait été condamné à dix ans et six mois d'emprisonnement pour ses responsabilités au sein de l'organisation, et s'était évadé de la prison d'Istanbul le 25octobre1989, avant que d'autres affaires qui lui étaient reprochées ne soient jugées. Estimant qu'il y avait association de malfaiteurs, le tribunal décida d'examiner, cas par cas, si chaque prévenu avait participé aux activités de Dev Sol avec la volonté d'apporter une aide efficace à cette organisation dans la poursuite de ses buts.


25.Le tribunal releva que le requérant et ses sympathisants voulaient affirmer leur loi, notamment en France, au sein du mouvement par le biais d'actions violentes ayant conduit à des poursuites judiciaires. Le tribunal releva également que l'arrestation du requérant avait valu de nombreuses menaces, tant aux policiers, qu'au juge d'instruction et aux intérêts français en Europe, menaces qui cessèrent avec sa mise en liberté. Le tribunal reprit ensuite les déclarations des co-prévenus.


26.Le tribunal jugea que toutes les constatations et déclarations permettaient d'établir l'existence d'une "entente établie entre des personnes ayant la résolution d'agir en commun dans le but de commettre des crimes et des délits", et que Dev-Sol était une "organisation terroriste dont les manifestations en France (attaques de consulats ou d'ambassades, assassinats, extorsions de fonds commises avec violences, menaces ou sous conditions) [troublaient] gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur".


27.Concernant le requérant, le tribunal correctionnel releva qu'il était entré clandestinement en France avec un faux passeport qu'il savait volé, et qu'il avait participé en toute connaissance de cause à cette association de malfaiteurs, en sa qualité de "leader historique de Dev-Sol en train, au moment des faits, d'assurer son hégémonie au travers de la création du DHKP-C [anciennement Dev-Sol] et de l'élimination de ses opposants". Le tribunal jugea que la requérante était entrée clandestinement en France avec un faux passeport qu'elle savait volé, et qu'elle était un "membre de Dev-Sol suffisamment haut placé dans la hiérarchie très compartimentée de cette organisation pour accompagner en Syrie et en France le requérant et pour s'enfuir avec lui".


28.Le tribunal correctionnel condamna les requérants, notamment sur le fondement des articles 421-1 et 450-1 du code pénal, à respectivement quatre ans et deux ans d'emprisonnement, avec interdiction du territoire français pour une durée de trois ans. Enfin, il décerna des mandats d'arrêt à leur encontre en se prononçant en ces termes: "la fuite [des requérants] après [leur] mise en liberté sous contrôle judiciaire démontre qu'[ils] n'offr[ent] aucune garantie de représentation en justice. Il convient, en conséquence, de décerner un mandat d'arrêt à [leur] encontre".


29.Le 14 février 1997, K.K. interjeta par télécopie appel de ce jugement devant la Cour d'appel de Paris. Par un arrêt du 25 septembre 1997, cette juridiction déclara l'appel par télécopie irrecevable pour ne pas avoir été interjeté conformément à l'article 502 du code de procédure pénale. K.K se pourvut en cassation contre cette décision, l'affaire est actuellement pendante devant la Cour de cassation.


30.Le 10 juin 1997, le jugement fut signifié à parquetà l'égard des requérants.


II.LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


A.Le Code de procédure pénale


Les dispositions pertinentes à l'époque des faits se lisent comme suit:

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