Jurisprudence : CEDH, 28-06-1984, Req. 7819/77, Campbell et Fell

CEDH, 28-06-1984, Req. 7819/77, Campbell et Fell

A5090AY8

Référence

CEDH, 28-06-1984, Req. 7819/77, Campbell et Fell. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1088579-cedh-28061984-req-781977-campbell-et-fell
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Cour européenne des droits de l'homme

28 juin 1984

Requête n°7819/77

Campbell et Fell




COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

En l'affaire Campbell et Fell,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux dispositions pertinentes de son règlement (*), en une Chambre composée des juges dont le nom suit:

(*) Note du greffier: Il s'agit du règlement applicable lors de l'introduction de l'instance. Un nouveau texte entré en vigueur le 1er janvier 1983 l'a remplacé, mais seulement pour les affaires portées devant la Cour après cette date.

MM. G. Wiarda, président,

J. Cremona,

Thór Vilhjálmsson,

F. Gölcüklü,

Sir Vincent Evans,

MM. R. Macdonald,

C. Russo,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après avoir délibéré en chambre du conseil les 23 septembre et 8 et 9 décembre 1983, puis les 2 et 3 mai 1984,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 14 octobre 1982, dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouvent deux requêtes (n° 7819/77 et 7878/77) dirigées contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord; M. John Joseph Campbell et le Père Patrick Fell les avaient introduites en 1977, en vertu de l'article 25 (art. 25), devant la Commission qui en ordonna la jonction les 14 et 19 mars 1981.

2. La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour par le Royaume-Uni (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur l'existence de violations des articles 6 et 8 (art. 6, art. 8) dans le cas de M. Campbell et des articles 6, 8 et 13 (art. 6, art. 8, art. 13) dans celui du Père Fell.

3. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit Sir Vincent Evans, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 28 octobre 1982, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. J. Cremona, Thór Vilhjálmsson, G. Lagergren, R. Macdonald et C. Russo, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Ultérieurement, M. F. Gölcüklü, suppléant, a remplacé M. Lagergren, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).

4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5), M. Wiarda a recueilli par l'intermédiaire du greffier l'opinion de l'agent du gouvernement du Royaume-Uni ("le Gouvernement"), de même que celle du délégué de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 17 novembre, il a décidé que l'agent aurait jusqu'au 31 janvier 1983 pour présenter un mémoire auquel le délégué pourrait répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier le lui aurait communiqué. Le 25 janvier, il a consenti à proroger le premier de ces délais jusqu'au 14 mars 1983.

Le mémoire du Gouvernement est parvenu au greffe le 17 mars 1983. Le 18 mai, le secrétaire de la Commission a transmis à la Cour un mémoire que les avocats des requérants avaient adressé au délégué; sa lettre exposait aussi l'avis du délégué sur la portée de l'affaire pendante devant la Cour et précisait que ce dernier se réservait le droit de formuler des observations sur les deux mémoires lors des audiences.

5. Le 7 juillet 1983, après avoir consulté agent du Gouvernement et délégué de la Commission par l'intermédiaire du greffier, le président a fixé au 20 septembre l'ouverture de la procédure orale dont il a circonscrit l'objet par une ordonnance du 27 juillet.

6. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La chambre avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

Mme A. Glover, jurisconsulte, ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth,

agent,

MM. M. Baker, avocat,

conseil,

C. Osborne,

P. Stevens,

J. Le Vay, du ministère de l'Intérieur,

conseillers;

- pour la Commission

M. T. Opsahl,

délégué,

MM. C. Thornberry, avocat,

A. Logan, solicitor, conseils des requérants devant la Commission, assistant le délégué (article 29 par. 1, seconde phrase, du règlement).

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions et à celles de deux de ses membres, M. Baker pour le Gouvernement, MM. Opsahl et Thornberry pour la Commission.

7. Dans leurs plaidoiries, MM. Baker et Thornberry avaient présenté certains arguments relatifs à l'application de l'article 50 (art. 50) de la Convention pour le cas où la Cour constaterait une violation. Conformément aux ordonnances et directives du président, le greffe a reçu à ce sujet:

- le 13 octobre 1983, par l'intermédiaire du délégué de la Commission, des observations des requérants;

- le 2 décembre 1983, un mémoire du Gouvernement;

- le 13 janvier 1984, une lettre du secrétaire de la Commission indiquant notamment que le délégué laissait à la Cour le soin de trancher la question.

FAITS

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPECE

A. Le contexte général et l'incident du 16 septembre 1976

8. Le premier requérant, M. John Joseph Campbell, est un ressortissant du Royaume-Uni né en Irlande du Nord en 1944; il réside en Angleterre depuis 1965.

En novembre 1973, il se vit condamner à dix ans d'emprisonnement du chef, entre autres, d'association de malfaiteurs pour perpétrer un vol qualifié et de détention d'une arme à feu dans le dessein de commettre un tel vol. Incarcéré dans divers établissements, il se trouvait le 16 septembre 1976 à la prison d'Albany, dans l'île de Wight. Il vit à l'heure actuelle en liberté.

9. Le second requérant, le Père Patrick Fell, est un ressortissant du Royaume-Uni né en Angleterre en 1940. Il s'agit d'un prêtre catholique romain.

En novembre 1973, il s'entendit infliger douze années d'emprisonnement du chef d'association de malfaiteurs pour provoquer un incendie, d'association de malfaiteurs aux fins de sabotage et de participation à la direction et au commandement d'une organisation recourant à la violence dans un but politique. Lui aussi a séjourné dans diverses prisons, se trouvait le 16 septembre 1976 dans celle d'Albany et vit à l'heure actuelle en liberté.

10. Tout au long de leur privation de liberté les deux requérants ont été classés dans la "catégorie A" (paragraphe 44 a) ci-dessous). L'administration croyait que les infractions dont on les a reconnnus coupables figuraient parmi les activités terroristes de l'Armée républicaine irlandaise ou s'y rattachaient, mais d'après le rapport de la Commission ils n'ont cessé de nier être membres de cette organisation.

11. Le 16 septembre 1976, un incident survint à la prison d'Albany. Devant la Commission, Gouvernement et requérants ont beaucoup discuté de ce qui s'était produit au juste, surtout quant aux armes et aux voies de fait utilisées, mais le résumé suivant suffit aux besoins de la présente procédure.

M. Campbell, le Père Fell et quatre codétenus protestèrent contre le traitement réservé à un camarade en s'asseyant dans un couloir de l'établissement et en refusant d'en bouger. Des gardiens les en délogèrent après une lutte au cours de laquelle certains d'entre eux et les deux requérants subirent des blessures. Plus grièvement atteint, M. Campbell fut transféré à l'hôpital de la prison de Parkhurst pour y recevoir des soins; il regagna Albany le 30 septembre 1976.

B. L'action disciplinaire contre M. Campbell

12. Les six prisonniers impliqués dans l'incident furent accusés d'infractions disciplinaires au règlement pénitentiaire (amendé) de 1964 (Prison Rules); le comité des visiteurs de la prison (Board of Visitors) les en déclara coupables (paragraphes 26-33 ci-dessous). Il examina leur cas le 24 septembre 1976, sauf celui de M. Campbell qui se trouvait encore à Parkhurst.

13. Le 1er octobre 1976, aussitôt après son retour à la prison d'Albany, M. Campbell fut informé qu'on le poursuivait par la voie disciplinaire pour mutinerie ou incitation à la mutinerie et pour voies de fait graves sur la personne d'un gardien, tous actes réprimés par l'article 47 paras. 1 et 2 du règlement pénitentiaire (paragraphe 27 ci-dessous). Le premier chef concernait sa participation à l'incident aux côtés de codétenus; le second se fondait sur le reproche d'avoir frappé un gardien avec un manche à balai pendant la bagarre.

Une audition préliminaire devant le directeur de la prison (paragraphe 31 ci-dessous) eut lieu le 1er octobre, date à laquelle fut saisi le comité des visiteurs de la prison. Celui-ci entendit la cause à huis clos le 6 octobre. Le requérant avait reçu, avant l'une et l'autre audiences, "des avis de rapport" et, avant celle du comité, une copie du formulaire décrivant la procédure (paragraphe 36 ci-dessous). Les "avis de rapport" relatifs à l'instance engagée devant le comité furent délivrés le 5 octobre à 8 h du matin. Ils commençaient respectivement ainsi:

"[Un gardien] vous a dénoncé pour avoir, le 16 septembre 1976 vers 19 h 30, commis dans la salle D une infraction au paragraphe 1 de l'article 47 du règlement pénitentiaire, c'est-à-dire un acte de mutinerie."

et

"[Un gardien] vous a dénoncé pour avoir, le 16 septembre 1976 vers 22 h 05, commis dans la salle D une infraction au paragraphe 2 de l'article 47 du règlement pénitentiaire, c'est-à-dire frappé un gardien avec un manche à balai."

A la fin de chacun des deux avis on lisait ce qui suit:

"Votre cas passera en jugement (adjudication) demain; vous aurez toute latitude pour vous défendre. Si vous voulez répondre par écrit à l'accusation, vous pouvez le faire au dos de ce formulaire."

M. Campbell ne comparut à aucune des deux occasions. Les registres révèlent qu'avant son audition par le directeur, il déclara qu'il ne consentirait pas à y assister s'il ne pouvait s'y faire représenter par un avocat. Conformément à la pratique alors courante (paragraphe 36 ci-dessous), il essuya un refus analogue quand il demanda le bénéfice de pareille représentation devant le comité des visiteurs. Le président de cet organe lui avait rendu visite avant la séance et l'avait prévenu qu'elle se déroulerait même sans lui. Le dossier relève que le requérant comprit l'avertissement et les accusations portées contre lui. Il s'avère qu'il ne sollicita expressément ni un entretien préalable avec un solicitor, démarche qui aurait échoué elle aussi sous l'empire de la pratique de l'époque (ibidem), ni un ajournement des débats.

M. Campbell a fourni à la Commission puis à la Cour des explications supplémentaires de sa non-comparution: à la lumière du résultat de l'audience du 24 septembre et de sa propre expérience d'une telle procédure, il ne croyait pas à un examen équitable de sa cause et estimait sa présence inutile; en second lieu, il se sentait très malade à la suite de ses blessures et, le 6 octobre, se trouvait "dans la cellule de punition où il gisait sur le sol, incapable de marcher, privé de nourriture et souffrant beaucoup". Le Gouvernement conteste ces dernières allégations et le médecin de l'établissement avait certifié, avant l'une et l'autre audiences, l'aptitude de l'intéressé à subir une peine. La Commission ne tient pas pour établi que M. Campbell ait été empêché de se présenter devant le comité des visiteurs et n'ait pas plutôt résolu, pour des raisons personnelles, de ne pas le faire; elle part de l'hypothèse qu'il porte lui-même la responsabilité de son absence.

14. Devant ledit comité, pour chaque accusation il fut plaidé non coupable au nom du requérant qui n'invoqua par écrit aucun moyen de défense. Selon le procès-verbal des débats - lesquels ne paraissent avoir duré plus de quinze minutes dans aucun des deux cas -, un gardien déposa sur l'accusation de mutinerie en lisant une déclaration relative au rôle que M. Campbell et ses camarades auraient joué dans l'incident, un autre sur l'accusation de voies de fait en affirmant que M. Campbell l'avait frappé. Le comité accepta le témoignage du premier et son président interrogea le second sur certains points.

Reconnu le 6 octobre 1976 coupable des deux chefs, le requérant se vit infliger, pour la mutinerie et les voies de fait respectivement, 450 et 120 jours de perte de remise de peine plus 56 jours et 35 jours de perte de privilèges, d'exclusion du travail en commun, d'interruption de la rémunération et de régime cellulaire, sanctions à purger cumulativement pour les deux infractions (paragraphes 28 et 29 ci-dessous). Lors de son arrivée à la prison, on lui avait indiqué le mois de mai 1980 comme la date approximative de son élargissement (paragraphe 29 ci-dessous); au moment où statua le comité dix procédures disciplinaires distinctes lui avaient déjà fait perdre 145 jours de remise et il lui restait un crédit potentiel de 1072 jours.

15. Les observations déposées en son nom auprès de la Commission les 1er septembre 1977 et 17 avril 1979 indiquaient, les premières qu'il songeait à inviter les tribunaux anglais, par la voie du "certiorari" (paragraphes 39-41 ci-dessous), à censurer ladite décision, les secondes qu'il les avait saisis d'une telle demande.

Une note produite le 23 juillet 1980 a cependant révélé que sur le conseil de leur avocat, donné en novembre 1979 et juin 1980, M. Campbell et le Père Fell avaient décidé de ne pas exercer pareil recours. Quant au premier, l'avocat estimait cette procédure vouée à l'échec parce que l'intéressé avait "refusé" de participer à l'instance. Lors des audiences du 20 septembre 1983 devant la Cour, le Gouvernement a déclaré que même en 1980, le ministère de l'Intérieur n'aurait sans doute pas soulevé d'objections si M. Campbell avait sollicité l'autorisation de réclamer un certiorari hors délai (paragraphe 41 ci-dessous), mais qu'il le ferait aujourd'hui. Le requérant n'a jamais agi en ce sens.

La question rebondit par la suite dans le cas du Père Fell à qui l'on avait déjà dit, en novembre 1979, qu'un recours pouvait se concevoir. En février 1981, un senior counsel lui suggéra d'introduire immédiatement une demande de certiorari au motif qu'un manquement grave à l'équité (substantial unfairness) avait entaché l'audience du 24 septembre 1976 devant le comité des visiteurs, à laquelle il avait assisté. Dans le courant de l'année le requérant obtint d'un tribunal l'autorisation nécessaire, mais il fut débouté en première instance puis en appel.

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