Cour de justice des Communautés européennes
19 mars 2002
Affaire n°C-426/98
Commission des Communautés européennes
c/
République hellénique
ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
19 mars 2002 (1)
"Manquement d'État - Directive 69/335/CEE - Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux - Contributions spéciales imposées lors de la constitution des sociétés anonymes et des sociétés à responsabilité limitée, lors de la publication et de la modification de leurs statuts ainsi que lors de l'augmentation de leur capital social"
Dans l'affaire C-426/98,
Commission des Communautés européennes, représentée par M. D. Gouloussis, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République hellénique, représentée par M. P. Mylonopoulos, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
ayant pour objet de faire constater que, en imposant, outre le droit d'apport, d'autres contributions spéciales sur le capital des sociétés anonymes et des sociétés à responsabilité limitée lors de leur constitution, lors de la publication et de la modification de leurs statuts ainsi que lors de l'augmentation de leur capital, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE et, plus particulièrement, des dispositions des articles 7 et 10 de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO L 249, p. 25), telle que modifiée par la directive 85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985 (JO L 156, p. 23),
LA COUR (sixième chambre),
composée de Mme N. Colneric, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, MM. C. Gulmann, J.-P. Puissochet, R. Schintgen (rapporteur) et V. Skouris, juges,
avocat général: Mme C. Stix-Hackl,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 4 avril 2001, au cours de laquelle la Commission a été représentée par Mme M. Patakia et M. R. Lyal, en qualité d'agents, et la République hellénique par M. P. Mylonopoulos et par M. G. Lazos, en qualité d'agent,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 7 juin 2001,
rend le présent
Arrêt
1.
Par requête déposée au greffe de la Cour le 26 novembre 1998, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en imposant, outre le droit d'apport, d'autres contributions spéciales sur le capital des sociétés anonymes et des sociétés à responsabilité limitée lors de leur constitution, lors de la publication et de la modification de leurs statuts ainsi que lors de l'augmentationde leur capital, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité et, plus particulièrement, des dispositions des articles 7 et 10 de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO L 249, p. 25), telle que modifiée par la directive 85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985 (JO L 156, p. 23, ci-après la "directive 69/335").
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
2.
L'article 7 de la directive 69/335 prévoit:
"1. Les États membres exonèrent du droit d'apport les opérations, autres que celles visées à l'article 9, qui étaient exonérées ou taxées à un taux égal ou inférieur à 0,50 % à la date du 1er juillet 1984.
L'exonération est soumise aux conditions qui étaient applicables à cette date, pour l'octroi de l'exonération ou, le cas échéant, pour l'imposition à un taux égal ou inférieur à 0,50 %.
La République hellénique détermine les opérations qu'elle exonère du droit d'apport.
2. Les États membres peuvent soit exonérer du droit d'apport toutes les opérations autres que celles visées au paragraphe 1, soit les soumettre à un taux unique ne dépassant pas 1 %.
3. En cas d'augmentation du capital social en conformité avec l'article 4 paragraphe 1 point c), faisant suite à une réduction du capital social effectuée en raison de pertes subies, la partie de l'augmentation correspondant à la réduction du capital peut être exonérée, à la condition que cette augmentation intervienne dans les quatre ans après la réduction du capital."
3.
L'article 10 de la directive 69/335 dispose:
"En dehors du droit d'apport, les États membres ne perçoivent, en ce qui concerne les sociétés, associations ou personnes morales poursuivant des buts lucratifs, aucune imposition, sous quelque forme que ce soit:
a) pour les opérations visées à l'article 4;
b) pour les apports, prêts ou prestations, effectués dans le cadre des opérations visées à l'article 4;
c) pour l'immatriculation ou pour toute autre formalité préalable à l'exercice d'une activité, à laquelle une société, association ou personne morale poursuivant des buts lucratifs peut être soumise en raison de sa forme juridique."
4.
Les dispositions de l'article 12, paragraphe 1, de la directive 69/335 établissent une liste exhaustive des taxes et droits autres que le droit d'apport qui, par dérogation à ses articles 10 et 11, peuvent frapper les sociétés de capitaux à l'occasion des opérations visées par ces dernières dispositions. L'article 12, paragraphe 1, sous e), de ladite directive mentionne les "droits ayant un caractère rémunératoire".
5.
Ainsi qu'il ressort de son premier considérant, la directive 69/335 tend à promouvoir la liberté de circulation des capitaux, considérée comme essentielle à la création d'une union économique ayant des caractéristiques analogues à celles d'un marché intérieur.
6.
Selon le dernier considérant de la directive 69/335, le maintien d'autres impôts indirects présentant les mêmes caractéristiques que le droit d'apport ou le droit de timbre sur les titres risque de remettre en cause les buts poursuivis par ladite directive et, dès lors, leur suppression s'impose.
7.
Conformément à l'article 3 de la directive 85/303, les États membres devaient prendre les mesures nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 1er janvier 1986.
La réglementation nationale
8.
En vertu de l'article 10, paragraphe 1, sous p, aa), du décret-loi n° 4114/1960, le Fonds des juristes est financé, notamment, "par le paiement d'un montant d'un pour cent (1 %) sur la valeur de l'objet de toute convention établie par acte notarié". L'article 14, paragraphe 1, de la loi n° 1512/1985 a porté le taux de cette contribution à 1,30 %.
9.
Constitue une autre ressource dudit Fonds des juristes le prélèvement institué par l'article 10, paragraphe 1, sous p, bb), du décret-loi n° 4114/1960, qui prévoit:
"[...] le paiement d'un montant de cinq pour mille (5 0/00) sur le montant de chaque société commerciale constituée, tel que fixé par les services fiscaux compétents, pour la publication des statuts de ces sociétés, conformément aux dispositions des articles 42 à 46 du code de commerce. Sont soumis au paiement de ce même montant lors de leur publication conformément à ce qui précède:
(1) les augmentations de capital intervenant par le biais d'une modification des statuts des sociétés précitées, ainsi que des sociétés à responsabilité limitée, dans la mesure où les augmentations de capital des sociétés à responsabilité limitée interviennent dans les douze (12) mois à compter de leur constitution;
(2) [...] et
(3) les actes par lesquels est prolongée la durée d'existence des sociétés. Dans ce cas, la somme précitée est versée au titre du montant du capital des sociétés pour lequel est dû le droit de timbre correspondant. Le droit qui, en vertu des dispositions précitées, doit être versé au Fonds ne peut en aucun cas être inférieur à la moitié de la limite inférieure du droit de timbre qui, à chaque fois, est prévu au titre des statuts des sociétés. Toutes les autres modifications des statuts et la dissolution de sociétés sont soumises à un droit fixe de cent (100) GRD en faveur du Fonds."
10.
L'article 17 de la loi n° 1676/1986 dispose:
"Conformément aux dispositions de la présente loi, une taxe dénommée 'taxe sur la concentration de capitaux est imposée:
a) aux sociétés commerciales et aux associations de professionnels,
b) aux organisations coopératives de tout niveau, à toute autre société, personne morale, union de personnes ou communauté par indivision, dans la mesure où l'objectif visé par ces personnes est lucratif,
c) aux succursales de sociétés étrangères."
11.
Conformément à l'article 21 de la même loi, le taux de cette taxe est fixé à "un pour cent (1 %) de la valeur soumise à imposition".
12.
Il ressort en outre de l'arrêté royal n° 22/1956 qu'il est procédé au prélèvement, en faveur du Fonds social des avocats, d'une part, d'un montant correspondant à 1 % du capital des sociétés de personnes et des sociétés à responsabilité limitée lors de la publication des statuts de ces sociétés auprès du Polymeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance d'Athènes) (Grèce) et, d'autre part, d'un montant correspondant aux deux tiers du droit de timbre (0,5 % du capital) lors de la publication des actes prolongeant la durée d'existence de ces sociétés.
La procédure précontentieuse
13.
Considérant que, en Grèce, la somme des impôts indirects frappant la constitution des sociétés anonymes et des sociétés à responsabilité limitée, la publication et la modification de leurs statuts ainsi que l'augmentation de leur capital social dépassait largement le taux fixé par l'article 7 de la directive 69/335 et était donc contraire aux dispositions de cette directive, la Commission a, par lettre du 3 février 1993, mis la République hellénique en demeure de présenter ses observations dans un délai de deux mois.
14.
Dans sa réponse du 6 mai 1993, la République hellénique a fait valoir, d'une part, que les charges visées n'étaient pas des impositions indirectes et, d'autre part, qu'elles constituaient la contrepartie de services fournis aux redevables et avaient donc un caractère rémunératoire au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335.
15.
La Commission a réitéré ses critiques dans l'avis motivé qu'elle a adressé à la République hellénique le 23 février 1996. Elle l'y invitait à adopter, dans un délai de deux mois, les mesures nécessaires pour se conformer aux obligations résultant du traité et de la directive 69/335.
16.
Par lettre du 19 juin 1996, la République hellénique a répondu à l'avis motivé en défendant le même point de vue que dans sa réponse à la lettre de mise en demeure.
17.
Dans ces conditions, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
Sur le fond
18.
La Commission fait, en substance, grief à la République hellénique d'avoir violé les obligations qui résultent pour elle des articles 7, paragraphe 2, et 10 de la directive 69/335, en prévoyant, outre la taxe sur la concentration de capitaux qui correspond au droit d'apport prévu par la directive 69/335, d'autres charges frappant les sociétés anonymes et les sociétés à responsabilité limitée lorsque celles-ci se constituent, procèdent à la publication ou à la modification de leurs statuts et réalisent une augmentation de leur capital social. Dans certains cas, les opérations visées seraient ainsi soumises à un taux d'imposition global de 3,8 %, dépassant de 2,8 % le plafond fixé à l'article 7, paragraphe 2, de la directive 69/335. Partant, ces charges constitueraient des impositions prohibées par l'article 10 de la même directive.
19.
En vue de déterminer si le manquement allégué est effectivement constitué, il convient, dans un premier temps, d'examiner si les charges visées par le recours constituent des impositions prohibées par l'article 10 de la directive 69/335. Si tel devait être le cas, il y aurait lieu, dans un second temps, de vérifier si elles n'ont pas un caractère rémunératoire, au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de cette directive.
Sur la qualification en tant qu'impositions des charges visées par le recours
20.
Le gouvernement hellénique soutient que les charges visées par le recours, prélevées au bénéfice du Fonds des juristes et du Fonds social des avocats, sont dues en raison de l'intervention des avocats et des notaires, qui sont affiliés à ces Fonds, lors de l'établissement et de l'authentification des actes constatant une opération relevant de la directive 69/335. Les sommes ainsi collectées neconstitueraient ni des "contributions sociales" ni des "impôts", au sens de la directive 69/335.
21.
À cet égard, le gouvernement hellénique fait plus particulièrement valoir que, pour qu'une charge puisse être qualifiée de "contribution sociale" ou d'"impôt", au sens de l'article 4 de la Constitution hellénique, elle doit être dépourvue de caractère rémunératoire aux yeux du redevable. En l'espèce, d'une part, les charges visées ne sauraient être qualifiées de "contributions sociales" puisque les redevables recevraient, en contrepartie, un service. D'autre part, ces charges ne sauraient non plus être qualifiées d'"impôts" étant donné qu'une charge qui n'est pas versée au budget de l'État, qui ne finance pas les besoins généraux de l'État et dont le montant n'est pas fixé en fonction de la capacité contributive des redevables ne constituerait pas un "impôt", de même que ne constituerait pas un "impôt" une charge prélevée en contrepartie d'un service fourni par l'État.
22.
Le gouvernement hellénique fait encore valoir que, dans la mesure où le redevable reçoit des services de personnes affiliées aux organismes en faveur desquels les charges visées sont prélevées, lesdites charges s'apparentent plutôt à des "cotisations patronales" qu'à des "impôts". Il soutient que l'existence d'une relation entre un employé et un employeur n'est pas nécessaire pour pouvoir qualifier une charge déterminée de "cotisation patronale". À supposer même que cette relation soit nécessaire, le lien existant entre l'avocat et son client devrait s'analyser, pendant la durée du mandat, comme telle. L'absence d'une relation d'assurance directe entre le redevable des charges visées et les fonds qui en bénéficient n'aurait aucune incidence sur la qualification juridique desdites charges, dès lors que, dans la relation d'assurance tripartite classique, à savoir celle qui lie l'employeur, l'employé et l'organisme d'assurance sociale, le versement de la "cotisation patronale" à l'organisme d'assurance sociale ne ferait pas de l'employeur un affilié de cet organisme.
23.
Il convient de rappeler, en premier lieu, qu'il est de jurisprudence constante que la qualification d'une imposition, d'une taxe, d'un droit ou d'un prélèvement au regard du droit communautaire est effectuée en fonction des caractéristiques objectives de l'imposition, indépendamment de la qualification qui lui est donnée en droit national (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 1996, Bautiaa et Société française maritime, C-197/94 et C-252/94, Rec. p. I-505, point 39, et du 27 octobre 1998, Nonwoven, C-4/97, Rec. p. I-6469, point 19).
24.
Il convient de relever, en second lieu, que l'article 10 de la directive 69/335, lu à la lumière de son dernier considérant, prohibe notamment les impôts indirects qui présentent les mêmes caractéristiques que le droit d'apport. Sont ainsi visées, parmi d'autres, les impositions qui, quelle que soit leur forme, sont dues pour la constitution d'une société de capitaux et l'augmentation de son capital [article 10, sous a)] ou pour l'immatriculation ou toute autre formalité préalable à l'exercice d'une activité, à laquelle une société peut être soumise en raison de sa formejuridique [article 10, sous c)]. Cette dernière interdiction se justifie par le fait que, si les impositions concernées ne frappent pas les apports de capitaux en tant que tels, elles sont néanmoins perçues en raison des formalités liées à la forme juridique de la société, c'est-à-dire de l'instrument utilisé pour rassembler des capitaux, de sorte que leur maintien risquerait de mettre également en cause les buts poursuivis par la directive (arrêt du 11 juin 1996, Denkavit Internationaal e.a., C-2/94, Rec. p. I-2827, point 23).
25.
Dès lors que la directive 69/335 s'oppose au prélèvement de toute imposition, sous quelque forme que ce soit, lors des opérations relevant de son champ d'application et n'interdit pas seulement la perception d'impôts indirects, l'argumentation du gouvernement hellénique tendant à démontrer que les charges visées par le recours ne constituent pas des impôts indirects mais s'apparentent à des cotisations patronales n'est pas pertinente.
26.
Dans ces conditions, il convient d'examiner les caractéristiques des charges visées par le recours afin de déterminer si leur prélèvement est prohibé par l'article 10 de la directive 69/335.
27.
En ce qui concerne, d'abord, la charge prévue à l'article 10, paragraphe 1, sous p, aa), du décret-loi n° 4114/1960, il y a lieu de rappeler qu'elle est due lorsqu'une convention est établie par acte notarié. Dans la mesure où l'acte de constitution d'une société anonyme ou d'une société à responsabilité limitée doit, en application respectivement de la loi n° 2190/1920 relative aux sociétés anonymes et de la loi n° 3190/1955 relative aux sociétés à responsabilité limitée, obligatoirement revêtir la forme notariée, l'authentification de cet acte par un notaire constitue une formalité préalable à l'exercice d'une activité par la société au sens de l'article 10, sous c), de la directive 69/335 et la charge prélevée à cette occasion est directement visée par l'interdiction posée par cette disposition.
28.
S'agissant, ensuite, de la charge prévue à l'article 10, paragraphe 1, sous p, bb), du décret-loi n° 4114/1960, prélevée lors de la constitution de toute société commerciale au titre de la publication de ses statuts, il y a lieu de relever qu'il est constant en l'espèce que, d'une part, cette publication est obligatoire et, d'autre part, sont redevables de cette charge des sociétés de capitaux au sens de la directive 69/335. Dans ces conditions, force est de constater que, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 27 du présent arrêt, cette charge est également directement visée par l'interdiction posée à l'article 10, sous c), de ladite directive.
29.
En ce qui concerne les charges prélevées en application de ces deux dispositions nationales lorsqu'une société à responsabilité limitée procède, dans les douze mois suivant sa constitution, à une augmentation de son capital social, il y a lieu de considérer que ces charges sont prohibées par l'article 10, sous c), de la directive 69/335, dans la mesure où elles sont dues pour des formalités qui, tout en ne constituant pas formellement une procédure préalable à l'exercice de l'activité d'une telle société, n'en conditionnent pas moins l'exercice et la poursuite de cetteactivité (voir, en ce sens, arrêt du 2 décembre 1997, Fantask e.a., C-188/95, Rec. p. I-6783, point 22).
30.
S'agissant, enfin, de la charge prélevée en vertu de l'arrêté royal n° 22/1956 au titre de la publication, auprès du Polymeles Protodikeio Athinon, des statuts, initiaux ou modifiés, des sociétés de personnes et des sociétés à responsabilité limitée ayant leur siège dans le ressort de ce tribunal, il convient de relever qu'il n'est pas contesté que ladite publication constitue une obligation légale pour ces sociétés. Il s'ensuit qu'elle doit être regardée, selon le cas, comme constituant soit une formalité préalable à l'exercice de l'activité de ces sociétés, soit une formalité qui conditionne l'exercice et la poursuite de cette activité, au sens de l'article 10, sous c), de la directive 69/335. Partant, la charge prélevée à cette occasion relève de l'interdiction posée par cette disposition.
31.
Compte tenu de ce qui précède, force est de constater que les charges visées par le recours constituent des impositions prohibées en vertu de l'article 10, sous c), de la directive 69/335.
Sur le caractère rémunératoire des charges visées par le recours
32.
À titre subsidiaire, le gouvernement hellénique fait valoir que les charges visées par le recours ont un caractère rémunératoire, au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335, et sont donc compatibles avec cette directive. En effet, eu égard à la jurisprudence de la Cour, qui aurait considéré qu'une taxe annuelle due en raison de l'immatriculation des sociétés de capitaux à un registre des entreprises (arrêt du 20 avril 1993, Ponente Carni et Cispadana Costruzioni, C-71/91 et C-178/91, Rec. p. I-1915) et une taxe, même forfaitaire, due en contrepartie d'une opération imposée par la loi dans l'intérêt général (arrêt Denkavit Internationaal e.a., précité) peuvent avoir un caractère rémunératoire au sens de cette disposition, les charges visées par le recours, perçues au profit d'organismes d'assurance sociale en contrepartie de services fournis par les affiliés de ces organismes, seraient manifestement compatibles avec la directive 69/335.
33.
La Commission, quant à elle, soutient que lesdites charges ne sauraient constituer des droits ayant un caractère rémunératoire, au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335, dès lors que, d'une part, les avocats qui interviennent lors de l'établissement des actes visés en l'espèce seraient rémunérés sur le fondement des conventions qui les lient à leurs clients et que, d'autre part, il ne découlerait d'aucune disposition législative nationale que ces charges ont une quelconque relation avec la rémunération des avocats.
34.
Elle considère, en outre, que les deux arrêts invoqués par le gouvernement hellénique ne sont pas pertinents en l'espèce puisque les droits examinés dans le premier arrêt auraient été d'une toute autre nature que ceux en cause en l'espèceet que ceux visés dans le second arrêt n'auraient pas relevé du champ d'application de l'article 10 de la directive 69/335.
35.
À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, qu'il est de jurisprudence constante que la distinction entre les impositions interdites par l'article 10 de la directive 69/335 et les droits ayant un caractère rémunératoire dont la perception est autorisée conformément à l'article 12, paragraphe 1, sous e), de ladite directive implique que ces derniers comprennent les seules rétributions dont le montant est calculé sur la base du coût du service rendu. Une rétribution dont le montant serait dénué de tout lien avec le coût de ce service particulier ou dont le montant serait calculé non en fonction du coût de l'opération dont elle est la contrepartie, mais en fonction de l'ensemble des coûts de fonctionnement et d'investissement du service chargé de cette opération, devrait être regardée comme une imposition relevant de la seule interdiction instituée par l'article 10 de la directive 69/335 (voir, notamment, arrêts du 29 septembre 1999, Modelo, C-56/98, Rec. p. I-6427, point 29, et du 21 juin 2001, SONAE, C-206/99, Rec. p. I-4679, point 32).
36.
Il y a lieu également de préciser que ne saurait avoir un caractère rémunératoire, au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335, un droit qui ne bénéficie pas, sous quelque forme que ce soit, entièrement et exclusivement à la personne physique ou morale qui fournit ou qui finance le service dont le droit est supposé constituer la contrepartie.
37.
Or, il n'est pas établi, d'une part, que les publications au titre desquelles une partie des charges visées par le recours est prélevée constituent des services effectivement fournis par des avocats ou des notaires affiliés au Fonds des juristes ou au Fonds social des avocats et, d'autre part, que ces charges, prétendument perçues pour rémunérer le service fourni par une personne déterminée et versées aux Fonds susmentionnés, bénéficient entièrement et exclusivement à cette même personne ou à son ayant droit.
38.
Il importe de relever, en second lieu, que les droits en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Ponente Carni et Cispadana Costruzioni ainsi que Denkavit Internationaal e.a., précités, se distinguent des charges visées par le recours en ce que leurs bénéficiaires étaient les personnes morales chargées de fournir, soit directement, soit indirectement, des services aux redevables de ces droits et non des personnes morales ne fournissant aucun service à ces redevables.
39.
Dans ces conditions, il y a lieu de constater qu'il n'est pas établi que les charges visées par le recours ont un caractère rémunératoire au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335.
Sur la limitation des effets dans le temps du présent arrêt
40.
Lors de l'audience, le gouvernement hellénique a demandé à la Cour de limiter les effets dans le temps du présent arrêt au cas où elle constaterait que les chargesvisées par le recours ne sont pas compatibles avec la directive 69/335. Il a fait valoir à cet effet des considérations relatives aux conséquences financières de l'arrêt à intervenir pour le Fonds des juristes et au respect de la confiance légitime des affiliés de ce Fonds.
41.
À cet égard, force est de constater que la confiance légitime dont le respect est ainsi demandé est en réalité la confiance que les affiliés ont dans la capacité des fonds à financer les prestations auxquelles ils s'attendent. L'argumentation du gouvernement hellénique est donc uniquement inspirée par des considérations d'ordre financier.
42.
Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, si, à titre exceptionnel, cette dernière peut, par application d'un principe général de sécurité juridique inhérent à l'ordre juridique communautaire, être amenée à limiter les effets dans le temps d'un arrêt constatant le manquement d'un État membre à une des obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire, les conséquences financières qui pourraient découler pour un État d'un arrêt de la Cour n'ont jamais justifié, par elles-mêmes, une telle limitation. Limiter les effets d'un arrêt en s'appuyant uniquement sur ce type de considérations aboutirait à réduire de façon substantielle la protection juridictionnelle des droits que les particuliers tirent du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 1998, Commission/France, C-35/97, Rec. p. I-5325, points 49 et 52).
43.
Il s'ensuit que la demande du gouvernement hellénique tendant à la limitation des effets dans le temps du présent arrêt doit être rejetée.
44.
Au vu de ce qui précède, il convient de constater que, en imposant, outre le droit d'apport, d'autres contributions spéciales sur le capital des sociétés anonymes et des sociétés à responsabilité limitée lors de leur constitution, lors de la publication et de la modification de leurs statuts ainsi que lors de l'augmentation de leur capital, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 7 et 10 de la directive 69/335.
Sur les dépens
45.
Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
déclare et arrête:
1) En imposant, outre le droit d'apport, d'autres contributions spéciales sur le capital des sociétés anonymes et des sociétés à responsabilité limitée lors de leur constitution, lors de la publication et de la modification de leurs statuts ainsi que lors de l'augmentation de leur capital, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 7 et 10 de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, telle que modifiée par la directive 85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985.
2) La République hellénique est condamnée aux dépens.
Colneric
Gulmann
Puissochet
Schintgen Skouris
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 mars 2002.
Le greffier
Le président de la sixième chambre
R. Grass
F. Macken
1: Langue de procédure: le grec.