Cour de justice des Communautés européennes27 février 2002
Affaire n°C-6/00
Abfall Service AG (ASA)
c/
Bundesminister für Umwelt, Jugend und Familie
ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
27 février 2002 (1)
"Environnement - Déchets - Règlement (CEE) n° 259/93 relatif aux transferts de déchets - Compétence de l'autorité d'expédition pour contrôler la qualification de l'objet du transfert (valorisation ou élimination) et s'opposer à un transfert reposant sur une qualification erronée - Directive 75/442/CEE relative aux déchets - Qualification du dépôt de déchets dans une mine désaffectée"
Dans l'affaire C-6/00,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Abfall Service AG (ASA)
et
Bundesminister für Umwelt, Jugend und Familie ,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation du règlement (CEE) n° 259/93 du Conseil, du 1er février 1993, concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'entrée et à la sortie de la Communauté européenne (JO L 30, p. 1), tel que modifié par la décision 98/368/CE de la Commission, du 18 mai 1998 (JO L 165 p. 20), ainsi que de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32), et par la décision 96/350/CE de la Commission, du 24 mai 1996 (JO L 135, p. 32),
LA COUR (cinquième chambre),
composée de MM. P. Jann, président de chambre, S. von Bahr et A. La Pergola (rapporteur), juges,
avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, chef de division,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Abfall Service AG (ASA), par Me C. Onz, Rechtsanwalt,
- pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement allemand, par M. W.-D. Plessing et Mme B. Muttelsee-Schön, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement néerlandais, par M. M. A. Fierstra, en qualité d'agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. G. zur Hausen, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales d'Abfall Service AG (ASA), représentée par Me C. Onz, du Bundesminister für Umwelt, Jugend und Familie, représenté par MM. C. Glasel et A. Moser, en qualité d'agents, du gouvernement allemand, représenté par M. W.-D. Plessing, du gouvernement français, représenté par M. D. Colas, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. G. zur Hausen, à l'audience du 12 juillet 2001,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 15 novembre 2001,
rend le présent
Arrêt
1.
Par ordonnance du 16 décembre 1999, parvenue à la Cour le 11 janvier 2000, le Verwaltungsgerichtshof a posé, en application de l'article 234 CE, cinq questions préjudicielles sur l'interprétation du règlement (CEE) n° 259/93 du Conseil, du 1er février 1993, concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'entrée et à la sortie de la Communauté européenne (JO L 30, p. 1), tel que modifié par la décision 98/368/CE de la Commission, du 18 mai 1998 (JO L 165 p. 20, ci-après le "règlement"), ainsi que de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32), et par la décision 96/350/CE de la Commission, du 24 mai 1996 (JO L 135, p. 32, ci-après la "directive").
2.
Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Abfall Service AG (ASA) (ci-après "Abfall Service"), au Bundesminister für Umwelt, Jugend und Familie (ci-après le "BMU"), au sujet de la légalité de la décision par laquelle ce dernier s'est opposé à un transfert de déchets envisagé par Abfall Service.
Le cadre juridique
La directive
3.
La directive a pour objectif essentiel la protection de la santé de l'homme et de l'environnement contre les effets préjudiciables causés par le ramassage, le transport, le traitement, le stockage et le dépôt des déchets. En particulier, le quatrième considérant de la directive 75/442 indique qu'il importe de favoriser la récupération des déchets et l'utilisation des matériaux de récupération afin de préserver les ressources naturelles.
4.
La directive définit à son article 1er, sous e), l'"élimination", comme "toute opération prévue à l'annexe II A", et, sous f), la "valorisation", comme "toute opération prévue à l'annexe II B".
5.
Selon l'article 3, paragraphe 1, de la directive:
"Les États membres doivent prendre des mesures appropriées pour promouvoir:
a) en premier lieu, la prévention ou la réduction de la production des déchets et de leur nocivité [...]
b) en deuxième lieu:
- la valorisation des déchets par recyclage, réemploi, récupération ou toute autre action visant à obtenir des matières premières secondaires
ou
- l'utilisation des déchets comme source d'énergie."
6.
Aux termes de l'annexe II A de la directive, intitulée "Opérations d'élimination":
"NB: La présente annexe vise à récapituler les opérations d'élimination telles qu'elles sont effectuées en pratique. [...]
D 1 Dépôt sur ou dans le sol (par exemple, mise en décharge, etc.)
[...]
D 3 Injection en profondeur (par exemple, injection des déchets pompables dans des puits, des dômes de sel ou des failles géologiques naturelles, etc.)
[...]
D 12 Stockage permanent (par exemple, placement de conteneurs dans une mine, etc.)
[...]"
7.
Aux termes de l'annexe II B de la directive, intitulée "Opérations de valorisation":
"NB: La présente annexe vise à récapituler les opérations de valorisation telles qu'elles sont effectuées en pratique. [...]
[...]
R 5 Recyclage ou récupération d'autres matières inorganiques
[...]
R 10 Épandage sur le sol au profit de l'agriculture ou de l'écologie
[...]"
Le règlement
8.
Le règlement organise notamment la surveillance et le contrôle des transferts de déchets entre États membres.
9.
Le règlement définit à son article 2, sous i), l'"élimination", comme "les opérations définies à l'article 1er point e) de la directive 75/442/CEE", et, sous k), la "valorisation", comme "les opérations définies à l'article 1er point f) de la directive 75/442/CEE".
10.
Le titre II du règlement, intitulé "Transferts de déchets entre États membres", comporte notamment deux chapitres distincts traitant, l'un, de la procédure applicable aux transferts de déchets destinés à être éliminés (chapitre A, articles 3 à 5) et l'autre, de la procédure applicable aux transferts de déchets destinés à être valorisés (chapitre B, articles 6 à 11). La procédure prévue pour cette seconde catégorie de déchets est moins contraignante que celle applicable à la première catégorie.
11.
En vertu des dispositions de l'article 6, paragraphe 1, du règlement, lorsque le producteur ou le détenteur de déchets a l'intention de transférer d'un État membre dans un autre et/ou de faire transiter par un ou plusieurs autres États membres des déchets destinés à être valorisés, énumérés à l'annexe III dudit règlement (liste orange de déchets), il en informe l'autorité compétente de destination et adresse copie de la notification aux autorités compétentes d'expédition et de transit ainsi qu'au destinataire.
12.
Selon l'article 6, paragraphe 3, du règlement, la notification est effectuée au moyen du document de suivi qui est délivré par l'autorité compétente d'expédition. Le paragraphe 5 de ladite disposition précise les informations qui doivent être fournies par le notifiant sur le document de suivi, parmi lesquelles figurent les informations concernant les opérations de valorisation visées à l'annexe II B de la directive (article 6, paragraphe 5, cinquième tiret).
13.
En vertu de l'article 6, paragraphe 6, dudit règlement, le notifiant doit conclure un contrat avec le destinataire pour la valorisation des déchets et une copie de ce contrat doit être fournie à l'autorité compétente sur demande de cette dernière.
14.
L'article 7, paragraphe 2, du règlement, fixe le délai ainsi que les conditions et modalités que doivent respecter les autorités compétentes de destination, d'expédition et de transit pour soulever des objections contre le projet notifié de transfert de déchets destinés à être valorisés. Ladite disposition prévoit en particulier que les objections doivent être fondées sur le paragraphe 4 de celle-ci.
15.
L'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement dispose:
"Les autorités compétentes de destination et d'expédition peuvent soulever des objections motivées contre le transfert envisagé:
- conformément à la directive 75/442/CEE, et notamment à son article 7
ou
- s'il n'est pas conforme aux dispositions législatives et réglementaires nationales en matière de protection de l'environnement, d'ordre public, de sécurité publique ou de protection de la santé
ou
- si le notifiant ou le destinataire s'est, dans le passé, rendu coupable de transferts illicites; dans ce cas, l'autorité compétente d'expédition peut refuser tout transfert impliquant la personne en question, conformément à sa législation nationale
ou
- si le transfert est contraire aux obligations résultant de conventions internationales conclues par l'État membre ou les États membres concerné(s)
ou
- si le rapport entre les déchets valorisables et non valorisables, la valeur estimée des matières qui seront finalement valorisées ou le coût de la valorisation et le coût de l'élimination de la partie non valorisable sont tels que la valorisation ne se justifie pas d'un point de vue économique et écologique."
16.
L'article 26 du règlement prévoit:
"1. Constitue un trafic illégal tout transfert de déchets:
[...]
c) effectué avec le consentement des autorités compétentes concernées obtenu par falsification, fausse déclaration ou fraude
[...]
5. Les États membres intentent toute action judiciaire appropriée pour interdire et sanctionner le trafic illégal."
17.
Aux termes de l'article 30, paragraphe 1, du règlement:
"Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les transferts de déchets ont lieu conformément aux dispositions du présent règlement. Ces mesurespeuvent inclure des contrôles d'établissements et d'entreprises conformément à l'article 13 de la directive 75/442/CEE et des contrôles des envois sur place."
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18.
Le 2 mars 1998, Abfall Service, établie à Graz (Autriche), a notifié au BMU, en tant qu'autorité compétente d'expédition, son intention de transférer 7 000 tonnes de déchets dangereux à l'entreprise Salzwerke AG, établie en Allemagne.
19.
Selon cette notification, les déchets en cause étaient des scories et des cendres constituant les résidus de l'activité d'incinérateurs de déchets, transformés en un "produit spécifique" dans une installation de traitement des déchets de la ville de Vienne (Autriche). Ces déchets étaient destinés à être déposés dans une ancienne mine de sel à Kochendorf (Allemagne), afin d'y combler des galeries (remblais de mine).
20.
Dans les documents joints à la notification, Abfall Service a qualifié de "valorisation" l'utilisation des déchets à transférer et l'a classée comme relevant de l'opération mentionnée à l'annexe II B, point R 5, de la directive.
21.
L'autorité compétente de destination, le Regierungspräsidium de Stuttgart (Allemagne), a informé Abfall Service que rien ne s'opposerait probablement à ce qu'elle approuve ladite notification en tant qu'opération de valorisation.
22.
Par décision du 19 juin 1998, le BMU a soulevé une objection à ce transfert en application de l'article 7, paragraphe 4, sous a), cinquième tiret, du règlement. Cette objection était fondée sur le fait que le transfert envisagé constituerait en réalité une opération d'élimination, à savoir l'opération mentionnée à l'annexe II A, point D 12, de la directive.
23.
Abfall Service a introduit un recours contre la décision du BMU devant le Verwaltungsgerichtshof. Elle a fait valoir en particulier que la motivation de l'objection, à savoir que l'opération envisagée ne constituerait pas une valorisation mais plutôt une élimination, ne correspond pas aux circonstances visées à l'article 7, paragraphe 4, sous a), cinquième tiret, du règlement.
24.
Dans ces circonstances, le Verwaltungsgerichtshof, estimant que la solution du litige dont il est saisi dépend d'une interprétation du droit communautaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) L'autorité compétente d'expédition au sens du règlement (CE) n° 259/93 du Conseil, du 1er février 1993, concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'entrée et à la sortie de la Communauté européenne [...], est-elle compétente pour vérifier l'exactitude de la qualification de valorisation selon un procédé de valorisation visé à l'annexe II B de la directive75/442/CEE donnée par le notifiant aux déchets devant être valorisés, conformément à l'article 6, paragraphe 5, cinquième tiret, du règlement n° 259/93, et pour interdire le transfert des déchets dans l'hypothèse où cette qualification est erronée?
2) L'autorité compétente d'expédition peut-elle invoquer les motifs visés à l'article 7, paragraphe 4, sous a), cinquième tiret, du règlement n° 259/93 dans l'objection motivée qu'elle soulève à l'encontre d'un transfert de déchets pour déclarer que, contrairement à la qualification donnée par le notifiant dans le document de suivi, le transfert envisagé n'est pas réalisé à des fins de valorisation, mais à des fins d'élimination?