TA Limoges, du 04-06-2024, n° 2200943
A54685GM
Référence
► Les dispositions relatives au mandat, résultant du Code de justice administrative et du Code civil, ainsi que le principe d'indépendance de l'avocat, en vertu duquel ce dernier a le devoir de demeurer indépendant à l'égard de tous et notamment à l'égard de son client, impliquent, en principe, que l'avocat soit une personne distincte du requérant, dont les intérêts personnels ne sont pas en cause dans l'affaire, ce qui fait obstacle à ce que la requérante, exerçant la profession d'avocat, puisse assurer, en cette qualité, sa propre représentation au titre de l'article R. 431-2 du Code de justice administrative dans la présente instance à laquelle elle est personnellement partie.
Par une requête, un mémoire et des pièces enregistrés les 6 juillet 2022, 30 mai 2023 et 29 avril 2024, Mme C E et M. D E, représentés par Me Fadiaba-Gourdonneau, demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler les décisions des 20 juin et 27 juin 2022 par lesquels le directeur de l'école maternelle d'Oradour-sur-Glane et le maire de cette commune ont successivement refusé d'inscrire leur fils A dans cette école au titre de l'année scolaire 2022-2023 ;
2°) de mettre à la charge de la commune d'Oradour-sur-Glane une somme de 1 500 euros à leur verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Ils soutiennent que :
- contrairement à ce que fait valoir la rectrice de l'académie de Limoges, la circonstance que leur requête ait été présentée par Mme E en sa qualité d'avocate n'a pas pour effet de la rendre irrecevable ; l'avocate pouvait et est légalement autorisée à représenter en justice son époux, et elle-même lorsqu'elle agit ès qualité de représentante légale de son enfant mineur, lequel n'a pas qualité pour ester seul en justice ; aucune objection n'a été émise de la part du bâtonnier, qui a pourtant été informé préalablement à l'enregistrement du recours contentieux ;
- dès lors que le maire de la commune d'Oradour-sur-Glane avait établi un certificat d'inscription de leur enfant A au titre de l'année scolaire 2022-2023, le directeur de l'école maternelle de cette commune était, en vertu de l'article 2 du décret n° 89-122 du 24 février 1989🏛, placé en situation de compétence liée pour procéder à cette inscription, qu'il ne pouvait donc pas légalement refuser ultérieurement le 20 juin 2022 ;
- la décision finalement prise par le maire de la commune d'Oradour-sur-Glane de refuser d'inscrire leur enfant A à l'école maternelle de cette commune au titre de l'année scolaire 2022-2023 révèle une décision d'abrogation de l'" avis favorable à l'inscription " du 12 février 2022, lequel constituait une décision créatrice de droits ; or cette abrogation est intervenue au-delà du délai de quatre mois prévu par les dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration🏛 ;
- le directeur de l'école maternelle et le maire de la commune d'Oradour-sur-Glane ne pouvaient, sans commettre d'erreur de droit, refuser l'inscription de leur fils A en se fondant sur sa date de naissance ;
- en se fondant sur le critère de l'absence de création d'une classe de toute petite section à l'école maternelle d'Oradour-sur-Glane pour refuser l'inscription dans cette école maternelle de leur enfant A au titre de l'année scolaire 2022-2023, le directeur de l'école et le maire de la commune ont commis une erreur de droit et ont méconnu les articles L. 113-1 et R. 113-2 du code de l'éducation🏛 et la circulaire n° 2012-202 du 18 décembre 2012 ; le critère fondamental pour admettre en école maternelle un enfant âgé de deux ans n'est pas l'existence d'une classe de toute petite section dans l'école mais bien le nombre de places disponibles ; dans la mesure où leur fils A était inscrit dans les prévisions d'effectifs d'élèves pour la rentrée scolaire à venir, son intégration en classe de petite section à compter de septembre 2022 ne pouvait lui être refusée ;
- le refus d'inscription de leur fils A à l'école maternelle d'Oradour-sur-Glane au titre de l'année scolaire 2022-2023 porte atteinte à l'intérêt supérieur de cet enfant et méconnaît le 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 mars 2023, la rectrice de l'académie de Limoges conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable car elle ne pouvait être présentée par Mme E en sa qualité d'avocate, cette dernière ne pouvant en effet être regardée comme bénéficiant d'un mandat régulier de représentation en justice ;
- les requérants ne soulèvent pas de moyen de nature à entraîner l'annulation des actes qu'ils contestent.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 septembre 2023, la commune d'Oradour-sur-Glane conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- alors que la création d'une classe de toute petite section relève de la seule compétence du conseil municipal de la commune, le directeur de l'école maternelle d'Oradour-sur-Glane était, en l'absence de telle classe dans cette école, placé en situation de compétence liée pour refuser l'inscription de l'enfant A au titre de l'année scolaire 2022-2023 ;
- aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'éducation ;
- le code de procédure civile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971🏛 ;
- le décret n° 89-122 du 24 février 1989🏛 ;
- le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005🏛 ;
- le décret n° 2023-552 du 30 juin 2023🏛 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Boschet,
- et les conclusions de M. Houssais, rapporteur public.
1. Le 12 février 2022, conformément à un mot dans le carnet de liaison qui avait été laissé la veille par l'enseignant de son premier enfant scolarisé à l'école maternelle d'Oradour-sur-Glane, Mme E s'est rendue à la mairie de cette commune pour réaliser certaines démarches nécessaires à l'inscription dans cette école de son second enfant A, né le 27 février 2020, au titre de l'année scolaire 2022-2023. Le même jour, le maire de la commune d'Oradour-sur-Glane a rendu un avis favorable à cette inscription. Cependant, par une décision du 20 juin 2022, le directeur de l'école maternelle d'Oradour-sur-Glane a indiqué à Mme E et à son époux qu'il ne pourrait être donné une suite favorable à leur demande d'inscription de leur enfant A au titre de l'année scolaire 2022-2023. Par un courrier du même jour, Mme E a formé un recours gracieux contre cette décision. Ultérieurement, par une décision du 27 juin 2022, le maire de la commune d'Oradour-sur-Glane, renouvelant ses " excuses pour l'erreur administrative commise ", a aussi indiqué aux époux E que leur enfant A ne pouvait être inscrit à l'école maternelle de cette commune au titre de l'année scolaire 2022-2023. Par cette requête, M. et Mme E demandent au tribunal d'annuler, d'une part, la décision du 20 juin 2022 du directeur de l'école maternelle d'Oradour-sur-Glane, d'autre part, la décision du 27 juin 2022 du maire de cette commune.
2. Aux termes de l'article 1984 du code civil🏛 : " Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom ". Selon l'article 411 du code de procédure civile🏛 : " Le mandat de représentation en justice emporte pouvoir et devoir d'accomplir au nom du mandant les actes de la procédure ". Aux termes de l'article R. 431-2 du code de justice administrative🏛 : " Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, lorsque les conclusions de la demande tendent au paiement d'une somme d'argent, à la décharge ou à la réduction de sommes dont le paiement est réclamé au requérant ou à la solution d'un litige né de l'exécution d'un contrat. / La signature des requêtes et mémoires par l'un de ces mandataires vaut constitution et élection de domicile chez lui ".
3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1971🏛 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : " () / La profession d'avocat est une profession libérale et indépendante ". Selon l'article 3 de cette loi : " Les avocats sont des auxiliaires de justice. / Ils prêtent serment en ces termes : "Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec () indépendance ". Aux termes de l'article 2 du décret du 12 juillet 2005🏛 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, dans sa version applicable au litige : " La profession d'avocat est une profession libérale et indépendante quel que soit son mode d'exercice ". Aux termes de l'article 3 de ce décret : " L'avocat exerce ses fonctions avec () indépendance (). / Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes () de désintéressement ". Aux termes de l'article 7 de ce même décret : " Sauf accord écrit des parties, il s'abstient de s'occuper des affaires de tous les clients concernés lorsque surgit un conflit d'intérêt, lorsque le secret professionnel risque d'être violé ou lorsque son indépendance risque de ne plus être entière ".
4. Les dispositions relatives au mandat, résultant du code de justice administrative et du code civil, ainsi que le principe d'indépendance de l'avocat, en vertu duquel ce dernier a le devoir de demeurer indépendant à l'égard de tous et notamment à l'égard de son client, impliquent, en principe, que l'avocat soit une personne distincte du requérant, dont les intérêts personnels ne sont pas en cause dans l'affaire, ce qui fait obstacle à ce que Mme E, exerçant la profession d'avocat, puisse assurer, en cette qualité, sa propre représentation au titre de l'article R. 431-2 du code de justice administrative dans la présente instance à laquelle elle est personnellement partie. Ces mêmes dispositions et principe font obstacle à ce que Mme E assure, en sa qualité d'avocate, la représentation de son époux, dont les intérêts se confondent en l'espèce avec les siens. Dans ces conditions, quand bien même les époux E ne seraient parties à l'instance qu'en tant que représentants légaux de leur fils A, que le bâtonnier de Limoges aurait été préalablement informé de cette situation sans s'y opposer et que le présent recours n'est pas au nombre de ceux qui sont soumis à l'obligation de représentation par un avocat, la rectrice de l'académie de Limoges est fondée à soutenir que leur requête est irrecevable et qu'elle doit ainsi être rejetée.
Article 1er : La requête des époux E est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié aux époux E, à la commune d'Oradour-sur-Glane et à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée pour information à la rectrice de l'académie de Limoges et au bâtonnier de l'ordre des avocats de Limoges.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :
M. Artus, président,
M. Martha, premier conseiller,
M. Boschet, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2024.
Le rapporteur,
J.B. BOSCHET
Le président,
D. ARTUSLa greffière,
M. B
La République mande et ordonne
à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision
Pour expédition conforme
Pour Le Greffier en Chef
La greffière,
M. B
mf
Article, 411, CPC Loi, 71-1130, 31-12-1971 Décret, 2005-790, 12-07-2005 Article, 1984, C. civ. Décret, 89-122, 24-02-1989 Article, L113-1, C. éduc. Article, R431-2, CJA Article, 3, convention internationale relative aux droits de l'enfant Circulaire, 2012-202, 18-12-2012 Décret, 2023-552, 30-06-2023 Directeur d'une école Écoles maternelles Enregistrement Établissement d'un certificat Certificat d'inscription Situation de compétence liée Abrogation Avis favorable Décision créatrice de droits Rentrée scolaire Mandat régulier Enfants scolarisés Dons par les personnes Actes de procédures Payement des sommes Paiement réclamé Exécution du contrat Élection de domicile Professions judiciaires et juridiques Auxiliaire de justice Déontologie Profession libérale Accord écrit Conflit d'intérêts Secret professionnel