Jurisprudence : CEDH, 05-02-2002, Req. 51564/99, CONKA

CEDH, 05-02-2002, Req. 51564/99, CONKA

A9043AX9

Référence

CEDH, 05-02-2002, Req. 51564/99, CONKA. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1082054-cedh-05022002-req-5156499-conka
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Cour européenne des droits de l'homme

5 février 2002

Requête n°51564/99

CONKA



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


TROISIÈME SECTION


AFFAIRE CONKA c. BELGIQUE
(Requête n° 51564/99)


ARRÊT


STRASBOURG
5 février 2002
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention.


En l'affaire Conka c. Belgique,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,

W. Fuhrmann,

P. Kuris,

K. Jungwiert,

Sir Nicolas Bratza,

MM. K. Traja, juges,

J. Velaers, juge ad hoc,

et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 15 mai 2001 et 15 janvier 2002,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :


PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 51564/99) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont quatre ressortissants slovaques, M. Ján Conka, Mme Mária Conková, Mlle Nad'a Conková et Mlle Nikola Conková (« les requérants »), ont saisi la Cour le 4 octobre 1999, en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants se plaignaient en particulier, sur le terrain des articles 5 et 13 de la Convention et 4 du Protocole n° 4, des conditions de leur arrestation et de leur expulsion vers la Slovaquie.
3. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement. A la suite du déport de Mme Tulkens, juge élu au titre de la Belgique (article 28), le Gouvernement a désigné M. J. Velaers pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
4. Par une décision du 13 mars 2001, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
5. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
6. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 15 mai 2001 (article 59 § 2 du règlement).


Ont comparu :
– pour le Gouvernement

M. C. Debrulle, Directeur général, agent,

Me R. Ergec, avocat, conseil,

MM. F. Bernard, F. Roosemont, T. Michaux, P. Smets,

J. Gilliaux et Mme I. Verheven, conseillers ;
– pour les requérants

MM. G.-H. Beauthier, N. Van Overloop, O. De Schutter, conseils.
La Cour a entendu en leurs déclarations, et en leurs réponses à ses questions, Me Beauthier, M. De Schutter, Me Ergec, Me Van Overloop et M. Gilliaux.


EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
7. M. Ján Conka, Mme Mária Conková, Mlle Nad'a Conková et Mlle Nikola Conková sont des ressortissants slovaques d'origine tzigane, nés respectivement en 1960, 1961, 1985 et 1991. Les deux premiers nommés sont les parents des deux derniers nommés.
8. Les requérants affirment que, de mars à novembre 1998, ils furent plusieurs fois violemment agressés par des « skinheads » en République slovaque. En novembre 1998, M. Conka aurait même, lors de l'une de ces agressions, été sérieusement blessé, au point de devoir être hospitalisé. La police aurait été appelée mais aurait refusé d'intervenir. Quelques jours plus tard, les époux Conka auraient à nouveau été insultés et menacés par des « skinheads ». A cette occasion aussi, la police aurait refusé d'intervenir.
Ces menaces permanentes auraient incité les requérants à fuir la Slovaquie pour la Belgique, où ils arrivèrent au début du mois de novembre 1998, M. Conka et ses deux enfants mineurs le 6 novembre, Mme Conková deux jours plus tard.


A. La demande d'asile des requérants
9. Le 12 novembre 1998, les requérants demandèrent l'asile politique en Belgique.
10. Le 3 mars 1999, les demandes d'asile furent déclarées irrecevables par le ministre de l'Intérieur, direction générale de l'Office des Etrangers, au motif que les intéressés n'apportaient pas assez d'éléments indiquant qu'en Slovaquie leur vie serait en danger au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Les décisions refusant le séjour étaient accompagnées de décisions de refus d'accès au territoire, elles-mêmes munies d'un ordre de quitter le territoire dans les cinq jours.
11. Le 5 mars 1999, les requérants introduisirent contre les décisions refusant le séjour un recours urgent auprès du Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (« le Commissaire général »).
12. Le 14 avril 1999, M. Conka fut invité à se présenter le 22 avril au Commissariat, pour s'expliquer sur les motifs de sa demande d'asile. Il ne donna pas suite à cette convocation.
13. Le 23 avril 1999, Mme Conková fut entendue, assistée d'un interprète, par les services du Commissaire à la prison de Gand, où elle se trouvait en détention préventive. Le 17 mai 1999, elle fut condamnée à huit mois de prison, pour vol, par le tribunal correctionnel de Gand.
14. Le 18 juin 1999, le Commisariat général confirma les décisions de l'Office des étrangers refusant le séjour des requérants. S'agissant de M. Conka, il fonda sa décision sur le fait que, sans avancer de motifs valables, l'intéressé n'avait pas donné suite à sa convocation. Au sujet de Mme Conková, le Commissaire releva, sur quelque deux pages de motivation, des contradictions importantes dans sa déposition et émit de sérieux doutes quant à sa crédibilité.
Ainsi Mme Conková déclara-t-elle entre autres que le 4 novembre 1998, son époux, M. Conka, avait été violemment attaqué par des skinheads, au point d'avoir dû être transporté à l'hôpital. La requérante aurait appelé la police, mais celle-ci ne serait pas intervenue. Cet incident aurait été la cause directe de leur décision de fuir la Slovaquie. Or, d'après le Commissaire général, cette déclaration était contredite par le fait que le billet d'avion avec lequel la requérante a voyagé avait déjà été émis le 2 octobre 1998 et que les tickets de bus avec lesquels son époux et ses enfants sont venus en Belgique avaient été émis le 2 novembre 1998, c'est-à-dire avant l'incident cité du 4 novembre. En outre la version de cet incident présentée par Mme Conková ne concordait pas, d'après le Commissaire général, avec la version de sa belle-fille, notamment quant au point important de savoir si la police était intervenue.
Les décisions du Commissaire précisèrent que les requérants pouvaient être reconduits à la frontière du pays qu'ils avaient fui, c'est-à-dire la Slovaquie, et que le délai de cinq jours pour quitter le territoire, lequel délai avait été suspendu par l'introduction du recours urgent, recommençait à courir avec la notification des décisions aux requérants.
15. Le 24 juin 1999, Mme Conková fut mise en liberté et se vit remettre un nouvel ordre de quitter le territoire dans les cinq jours, soit pour le 29 juin à minuit.
16. Le 3 août 1999, les requérants introduisirent devant le Conseil d'Etat des recours en annulation de la décision du 18 juin 1999, accompagnés de demandes en suspension ordinaire. Les requérants demandèrent également le bénéfice de l'assistance judiciaire.
17. Le 23 septembre 1999, le Conseil d'Etat rejeta les demandes d'assistance judiciaire, au motif qu'elles n'étaient pas accompagnées du certificat d'indigence requis à cet effet par l'article 676, 3° du Code judiciaire. En effet, à la demande de Mme Conková était jointe une copie dudit certificat au lieu de l'original. En conséquence, les ordonnances de rejet invitèrent les requérants à payer les droits dans les quinze jours de leur notification. Aucune suite n'ayant été donnée à cette invitation, les recours en annulation et en suspension furent rayés du rôle le 28 octobre 1999.


B. L'arrestation et l'expulsion des requérants
18. Fin septembre 1999, la police de la ville de Gand convoqua pour le 1er octobre 1999 plusieurs dizaines de familles tziganes slovaques, dont les requérants. Rédigée en néerlandais et en slovaque, la convocation indiquait que la mesure avait pour but de compléter le dossier relatif à leur demande d'asile.
19. Au commissariat, où était présent aussi un interprète maîtrisant la langue slovaque, les requérants se virent remettre un nouvel ordre de quitter le territoire, daté du 29 septembre 1999 et accompagné d'une décision de remise à la frontière slovaque et de privation de liberté à cette fin. Le document remis, qui présentait un libellé identique pour tous, indiquait, comme recours disponibles contre la décision d'expulsion, un recours en annulation et en suspension au Conseil d'Etat, à introduire dans les soixante jours de la notification de la décision, et comme recours disponible contre la privation de liberté, un recours à la chambre du conseil du tribunal correctionnel. Certaines personnes convoquées auraient néanmoins été autorisées à quitter librement le commissariat, selon le Gouvernement, pour des motifs humanitaires ou administratifs.
20. Quelques heures plus tard, les requérants furent emmenés, avec d'autres familles tziganes et en compagnie de l'interprète, au centre fermé de transit à Steenokkerzeel, dit le centre « 127bis », près de l'aéroport de Bruxelles. Il semble que l'interprète ne soit resté que quelque temps au centre. Selon le Gouvernement, il aurait pu être rappelé à la demande des intéressés. De leur côté, ceux-ci prétendent qu'on leur aurait dit que plus aucun recours ne pouvait être introduit contre la décision d'éloignement prise à leur égard.
21. Pendant leur séjour, les familles slovaques reçurent la visite d'une délégation de parlementaires belges, du consul de Slovaquie, de délégués de certaines organisations non gouvernementales et de médecins. Le vendredi 1er octobre 1999 à 22 h 30, le conseil des requérants, Me Van Overloop, a été informé de la détention de ses clients par l'intermédiaire du président de la Ligue des droits des Roms. Se considérant toujours mandaté par les requérants, Me Van Overloop envoya le 4 octobre 1999 un fax à l'Office des étrangers informant celui-ci de ce que les requérants se trouvaient dans le centre de transit 127bis en vue d'être rapatriés en Slovaquie; il demandait de ne pas les éloigner, au motif qu'il devaient prendre soin d'un membre de leur famille qui était hospitalisé. En revanche, Me Van Overloop n'a pas intenté de recours contre les décisions d'éloignement et de privation de liberté du 29 septembre 1999.
22. Le 5 octobre 1999, les familles concernées furent conduites vers l'aéroport militaire de Melsbroek. Sur place, les passagers se virent inscrire sur la main, au stylo à bille, le numéro du siège qui leur était attribué dans l'avion. Celui-ci quitta la Belgique pour la Slovaquie à 17 h 45.
23. Peu après, le ministre de l'Intérieur déclara, en réponse à une question parlementaire posée le 23 décembre 1999 :
« En raison de la concentration de demandeurs d'asile de nationalité slovaque à Gand, un rapatriement collectif en Slovaquie a été organisé. (...) Des rapports que j'ai reçus du bourgmestre de Gand et du Directeur général de l'Office des étrangers, il ressort que cette opération a été correctement préparée, même si la rédaction malencontreuse de la lettre adressée par la police de Gand à un certain nombre de Slovaques a pu les induire en erreur. Tant l'Office des étrangers que les services de police de la ville de Gand ont été surpris par le grand nombre de Slovaques répondant à la convocation qui leur avait été adressée. Cet élément de fait eut pour conséquence la détention de ces personnes dans le centre 127bis en vue de leur éloignement quelques jours plus tard. (...) »


II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La loi sur les étrangers
24. En droit belge, la procédure relative à la reconnaissance du statut de réfugié est régie par la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers (« la loi sur les étrangers ») et par l'arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.
La procédure de reconnaissance de la qualité de réfugié comporte deux phases. La première phase, dite de la recevabilité, porte sur l'admissibilité au statut, tandis que la seconde porte sur l'éligibilité au statut.
Les autorités habilitées à intervenir au cours de l'examen de la recevabilité sont l'Office des étrangers et, sur recours, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, comme autorités administratives, et le Conseil d'Etat, au titre du contentieux de l'annulation. Au cours de la phase de l'éligibilité, ce sont le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, comme autorité administrative, la Commission permanente de recours des réfugiés, comme juridiction administrative, et le Conseil d'Etat, comme juge de cassation administrative. Enfin, la chambre du conseil du tribunal correctionnel est compétente pour connaître des recours dirigés contre des mesures privatives de liberté prises en cours de procédure ou à la fin de celle-ci (voir ci-dessous).
25. Les dispositions de la loi sur les étrangers applicables en l'espèce se lisent ainsi :
Article 6
« Sauf dérogations prévues par un traité international, par la loi ou par un arrêté royal, l'étranger ne peut demeurer plus de trois mois dans le Royaume, à moins que le visa ou l'autorisation tenant lieu de visa, apposé sur son passeport ou sur le titre de voyage en tenant lieu, ne fixe une autre durée. (...) »
Article 7
« Sans préjudice des dispositions plus favorables contenues dans un traité international, le Ministre ou son délégué peut donner l'ordre de quitter le territoire avant une date déterminée, à l'étranger qui n'est ni autorisé ni admis à séjourner plus de trois mois ou à s'établir dans le Royaume : (...)
2° s'il demeure dans le Royaume au-delà du délai fixé conformément à l'article 6, ou ne peut apporter la preuve que ce délai n'est pas dépassé. (...)
Dans les mêmes cas, si le Ministre ou son délégué l'estime nécessaire, il peut faire ramener sans délai l'étranger à la frontière.
L'étranger peut être détenu à cette fin pendant le temps strictement nécessaire à l'exécution de la mesure sans que la durée de la détention puisse dépasser deux mois.»
Article 8
« L'ordre de quitter le territoire ou la décision de remise à la frontière indique la disposition de l'article 7 qui est appliquée. »
Article 57/2
« Il est créé, auprès du Ministre, un « Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides ». Celui-ci comprend un Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides et ses deux adjoints. Le Commissaire général et ses adjoints prennent leurs décisions et émettent leurs avis en toute indépendance. »
Article 57/3
« Le Commissaire général dirige le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides.

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