Jurisprudence : Ass. plén., 28-11-2001, n° 00-11.197, publié, Cassation partielle.

Ass. plén., 28-11-2001, n° 00-11.197, publié, Cassation partielle.

A2337AXT

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Assemblée plénière
Audience publique du 28 novembre 2001
Pourvoi n° 00-11.197
M. Z
COUR DE CASSATION
ASSEMBLEE PLENIERE
Audience publique du 28 novembre 2001
Cassation partielle
M. Y, premier président
Pourvoi n° W 00-11.197
Arrêt n° 485
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant

Sur le pourvoi formé par

1°/ M. Z,

2°/ Mme Z,
en cassation d'un arrêt rendu le 16 décembre 1999 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), au profit de Mme W,
défenderesse à la cassation ;
Mme W, défenderesse au pourvoi principal, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
M. X premier président a, par ordonnance du 30 mars 2001, renvoyé la cause et les parties devant l'Assemblée plénière ;
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, devant l'Assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de Cassation par la SCP Monod et Colin, avocat des époux Z ;
Un mémoire en défense et pourvoi incident ont été déposés au greffe de la Cour de Cassation par la SCP Richard et Mandelkern, avocat de Mme W ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, devant l'Assemblée plénière, les moyens de cassation également annexés au présent arrêt ;
Un mémoire en réplique et défense à pourvoi incident ainsi que des observations complémentaires en demande ont été déposés par la SCP Monod et Colin ;
Des observations complémentaires et sur moyen relevé d'office ont été déposées par la SCP Richard et Mandelkern ;
Vu les ordonnances du premier président en date des 20 novembre 2001 et 22 novembre 2001 relatives à la composition de l'Assemblée plénière ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en Assemblée plénière, en l'audience publique du 23 novembre 2001, où étaient présents M. Y, premier président, MM. T, T, T, T, T, T, présidents, M. S, conseiller rapporteur, MM. Waquet, Renard-Payen, Mlle Fossereau, MM. Guerder, Tricot, Gougé, Guerrini, Mme Garnier, MM. Mazars, Croze, Rognon, conseillers, M. R, avocat général, Mme Q, greffier en chef ;
Sur le rapport de M. S, conseiller, assisté de M. P, greffier en chef, les observations de la SCP Monod et Colin, de la SCP Richard et Mandelkern, les conclusions de M. R, avocat général, tendant à la cassation sur le pourvoi incident et à la cassation sur le premier moyen du pourvoi principal, auxquelles les parties invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, du pourvoi incident, qui est préalable
Attendu que Mme Z, alors âgée de 30 ans, a donné naissance, le 25 avril 1997, à un enfant atteint d'une trisomie 21 ; que les époux Z ont engagé une action en réparation de leurs préjudices moral et matériel contre Mme W, médecin gynécologue, chargée par Mme Z de la surveillance de sa grossesse, à laquelle ils reprochaient de ne pas avoir prescrit l'amniocentèse que la patiente lui demandait ;
Attendu que Mme W fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à chacun des époux une certaine somme en réparation de son préjudice moral, alors, selon le moyen
1°/ qu'un médecin n'est tenu de conseiller à une femme enceinte de pratiquer un test chromosomique ou une amniocentèse que lorsqu'il existe des risques que le foetus soit atteint d'aberration chromosomique ; qu'en affirmant néanmoins que Mme Z était une "patiente à risques" en raison de la combinaison d'un antécédent familial d'anomalie de structure chromosomique et des difficultés présentées au cours de deux précédentes grossesses, soit une toxémie pour la première et l'interruption spontanée de la seconde sans étiologie apparente, l'oeuf étant totalement dévitalisé, sans expliquer en quoi les difficultés survenues lors des deux précédentes grossesses, qui n'avaient aucun lien avec une aberration chromosomique, étaient de nature à permettre de considérer que Mme Z était une "patiente à risques", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;

2°/ que la mise en oeuvre de la responsabilité civile d'un médecin suppose l'existence d'un lien de causalité entre les faits qui lui sont reprochés et le préjudice dont il est demandé réparation ; qu'en décidant néanmoins que le fait, pour le docteur W, de n'avoir pas proposé à Mme Z un test permettant de dépister la trisomie 21 avait privé M. et Mme Z de la possibilité de recourir à une interruption volontaire de grossesse thérapeutique, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces derniers n'avaient pas renoncé par avance à pratiquer une telle interruption volontaire de grossesse, quand bien même l'enfant aurait été atteint de la trisomie 21, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'un lien de causalité entre l'omission de faire pratiquer ces examens et la perte de chance, et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que les juges, après avoir relevé que Mme Z avait signalé à Mme W, à l'occasion de sa précédente grossesse, que son premier enfant, victime d'une toxémie gravidique, avait été accouché par césarienne et était atteint de problèmes psychomoteurs, et que l'une de ses belles-soeurs était trisomique, ce qui avait conduit le médecin à prescrire un examen de dépistage du risque accru de trisomie 21 que l'intervention d'une fausse couche n'avait pas permis d'exécuter, énoncent qu'en omettant de prescrire à nouveau ce test ou de faire pratiquer l'amniocentèse que demandait cette "patiente à risques", Mme W l'a privée d'une information qui lui aurait permis, soit de recourir à une interruption thérapeutique de grossesse, soit de se préparer avec son mari à l'accueil d'un second enfant handicapé ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel, sans être tenue de faire une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu retenir tant la négligence du médecin que le lien de causalité entre cette faute et le préjudice moral des parents de l'enfant handicapé ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ;
Sur le second moyen du pourvoi principal tel que reproduit en annexe
Attendu que ce moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine du préjudice par les juges du fond ;

Mais, sur le premier moyen du pourvoi principal
Vu l'article 1147 du Code civil ;
Attendu que, pour débouter les époux Z de leur demande de réparation du préjudice matériel résultant des soins particuliers que requiert leur enfant trisomique, les juges énoncent que, l'anomalie génétique dont l'enfant est porteur étant indépendante de la faute médicale imputable au médecin, ses parents ne peuvent obtenir réparation du préjudice matériel résultant pour eux de son handicap ;
Attendu, cependant, que dès lors, d'une part, que la faute commise par le médecin dans l'exécution du contrat formé avec Mme Z avait empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse pour motif thérapeutique, et, d'autre part, qu'il n'était pas contesté que les conditions médicales d'une telle interruption de grossesse étaient réunies, les parents pouvaient demander la réparation du préjudice matériel résultant pour eux du handicap en relation de causalité directe avec la faute retenue ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté les époux Z de leur demande de réparation du préjudice matériel résultant pour eux du handicap de leur fils Yvan, l'arrêt rendu le 16 décembre 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne Mme W aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne Mme W à payer aux époux Z la somme de 3 800 euros ou 24 926,37 francs ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, siégeant en Assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du vingt-huit novembre deux mille un.
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Monod et Colin, avocat aux Conseils pour les époux Z.

MOYENS ANNEXES à
l'arrêt n° 485 (Assemblée plénière)
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR écarté l'action formée par les époux Z, contre le gynécologue de Madame Z, le Dr W, afin d'obtenir réparation du préjudice matériel résultant des soins particuliers que requiert leur enfant trisomique, Yvan ;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE le préjudice matériel qui est allégué, et qui serait caractérisé par le fait d'avoir perdu une chance d'éviter de subvenir au besoin d'un enfant atteint d'un handicap important n'est pas distinct de celui déjà indemnisé, au titre de l'impossibilité de n'avoir pu faire un choix éclairé, les difficultés matérielles résultant de l'état de l'enfant, relevant elles de l'anomalie génétique dont l'enfant était atteint, à la naissance, hors de toute faute médicale ; ET AUX MOTIFS PROPRES QUE le Tribunal a exactement énoncé que l'anomalie génétique dont était atteint l'enfant Yvan était indépendante de toute faute médicale imputable au Dr W ; qu'à juste titre encore, le Tribunal en a déduit que les parents ne pouvaient obtenir réparation du préjudice résultant pour eux, du handicap de l'enfant ;
ALORS QUE le gynécologue, qui omet d'informer les parents des anomalies génétiques présentées par le foetus, doit réparer le préjudice matériel lié aux soins particuliers que requiert l'entretien de l'enfant handicapé ; qu'il est constant que Madame W a engagé sa responsabilité, pour avoir privé Monsieur et Madame Z de la faculté de recourir à un avortement thérapeutique, en s'abstenant de pratiquer un test de dépistage de la trisomie 21 qui aurait informé les parents de l'anomalie génétique présentée par leur fils ; qu'en se déterminant d'après cette considération inopérante que l'anomalie génétique présentée par l'enfant n'était pas imputable à la faute du Dr W, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, d'où il résultait que la faute de Madame W était en relation directe avec le préjudice matériel invoqué par Monsieur et Madame Z ; qu'elle a ainsi violé l'article 1147 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR, par infirmation du jugement déféré, limité à la somme de 200 000 F la condamnation du Docteur W en réparation du préjudice moral subi par Monsieur et Madame Z ;
AUX MOTIFS QUE le tribunal, à juste titre, a estimé que la perte de chance subie par les intimés de connaître le diagnostic découlait directement du manquement à son obligation d'information pesant sur le praticien, qui a donc été pertinemment condamné à réparer leur préjudice moral ; que la Cour estime qu'une somme de 200 000 F indemnisera de manière équitable le préjudice moral subi par chacun des père et mère de l'enfant Yvan ;
ALORS QUE tenus de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, les juges du fond ne peuvent se fonder sur l'équité ; qu'en estimant, pour réduire le montant des dommages-intérêts alloués aux exposants par les premiers juges, qu'une somme de 200 000 francs correspondait à une indemnisation "équitable" du préjudice moral subi par chacun d'eux, la Cour d'appel a violé l'article 12 du nouveau Code de procédure civile.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Richard et Mandelkern, avocat aux Conseils pour Mme W.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné le Docteur W à payer à Monsieur et Madame Z, la somme de 200 000 francs chacun en réparation de leur préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE, sur le préjudice moral, le Tribunal a procédé à une analyse des documents médicaux versés aux débats ; que la Cour rectifiera l'erreur du jugement qui a indiqué que le Docteur W avait effectué le suivi médical des trois grossesses de Madame Z alors qu'elle n'était pas le médecin de cette dernière pour la première de celle-ci ; que le dossier médical de la patiente permet, cependant, de relever que, lors de la seconde grossesse, Madame Z a signalé au Docteur W qu'une césarienne avait été pratiquée pour l'aîné de ses enfants en raison d'un bassin rétréci et d'une toxémie et qu'une de ses belles-soeurs était trisomique, ce qui avait justifié la prescription d'un test HT 21 ; que cette seconde grossesse a, cependant, été interrompue spontanément sans étiologie apparente, l'oeuf étant totalement dévitalisé ; que le Docteur W, chargée de la surveillance de la troisième grossesse de sa patiente, ne saurait avoir ignoré ces antécédents médicaux déjà signalés quelques mois auparavant même si elle ne les a pas reportés sur la fiche de surveillance médicale ; qu'en tout état de cause, il appartient au médecin de questionner sa patiente pour connaître les antécédents médicaux de celle-ci ; que, certes, le contrôle des caryotypes, effectué postérieurement à la naissance d'Yvan, a montré que ceux-ci étaient normaux chez l'un et l'autre des intimés et que Monsieur Z n'était pas porteur de la translocation identifiée chez sa soeur ; que cependant, la conjugaison de cet antécédent familial et des difficultés présentées par la parturiente au cours de ces deux grossesses précédentes permettait de considérer qu'elle était une "patiente à risques", alors même qu'elle n'était âgée que de trente ans, justifiant l'indication d'une amniocentèse ou, à tout le moins du test HT 21 déjà prescrit en cours de deuxième grossesse ; qu'en omettant de faire procéder à cet examen, le Docteur W a privé sa patiente d'une information qui devait l'éclairer sur l'avenir de l'enfant et ainsi lui permettre de prendre une décision quant à la possibilité de recourir à une interruption volontaire de grossesse thérapeutique et, à tout le moins, en cas de refus d'une telle décision, de se préparer à l'accueil d'un second enfant handicapé au sein de la famille ; que, dès lors, à juste titre encore, le Tribunal a estimé que la perte de chance subie par les intimés de connaître le diagnostic, découlait directement du manquement à son obligation d'information pesant sur le praticien qui a donc été pertinemment condamné à réparer leur préjudice moral ;
1°) ALORS QU'un médecin n'est tenu de conseiller à une femme enceinte de pratiquer un test chromosomique ou une amniocentèse que lorsqu'il existe des risques que le foetus soit atteint d'aberration chromosomique ; qu'en affirmant néanmoins que Madame Z était une "patiente à risques", en raison de la combinaison d'un antécédent familial d'anomalie de structure chromosomique et des difficultés présentées par Madame Z au cours des deux précédentes grossesses, soit une toxémie pour la première et l'interruption spontanée de la seconde sans étiologie apparente, l'oeuf étant totalement dévitalisé, sans expliquer en quoi les difficultés survenues lors des deux précédentes grossesses, qui n'avaient aucun lien avec une aberration chromosomique, étaient de nature à permettre de considérer que Madame Z était une "patiente à risques", la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
2°) ALORS QUE la mise en oeuvre de la responsabilité civile d'un médecin suppose l'existence d'un lien de causalité entre les faits qui lui sont reprochés et le préjudice dont il est demandé réparation ; qu'en décidant néanmoins que le fait, pour le Docteur W, de n'avoir pas proposé à Madame Z un test permettant de dépister la trisomie 21 avait privé Monsieur et Madame Z de la possibilité de recourir à une interruption volontaire de grossesse thérapeutique, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces derniers n'avaient pas renoncé par avance à pratiquer une telle interruption volontaire de grossesse, quand bien même l'enfant aurait été atteint de la trisomie 21, la Cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'un lien de causalité entre l'omission de faire pratiquer ces examens et la perte de chance, et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil.

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