Directive communautaire
DIRECTIVE 96/19/CE DE LA COMMISSION
du 13 mars 1996
modifiant la directive 90/388/CEE en ce qui concerne la réalisation de la pleine concurrence sur le marché des télécommunications
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 90 paragraphe 3,
(1) considérant que la directive 90/388/CEE de la Commission, du 28 juin 1990, relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications (1), modifiée en dernier lieu par la directive 96/2/CE (2), a ouvert ces marchés à la concurrence, à l'exception de la téléphonie vocale destinée au grand public et des services expressément exclus du champ de la directive, à savoir le service télex, les communications mobiles et les services de radiodiffusion et de télédiffusion offerts au public en général; que les communications par satellite ont été incluses dans le champ de la directive par la directive 94/46/CE de la Commission (3), les réseaux de télévision par câble, par la directive 95/51/CE de la Commission (4) et les communications mobiles et personnelles, par la directive 96/2/CE; que, selon la directive 90/388/CEE, les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin de garantir le droit de tout opérateur économique de fournir lesdits services de télécommunications;
(2) considérant que le Conseil, par sa résolution du 22 juillet 1993 (5), suite à la large consultation organisée par la Commission en 1992 sur la situation dans le secteur des télécommunications (le rapport de 1992), a estimé à l'unanimité qu'un objectif majeur de la politique communautaire des télécommunications devait consister à libéraliser l'ensemble des services de téléphonie vocale publique, au plus tard le 1er janvier 1998, tout en accordant aux États membres dont les réseaux sont moins développés, à savoir l'Espagne, la Grèce, l'Irlande et le Portugal, une période de transition supplémentaire pouvant atteindre cinq ans afin de leur permettre de procéder aux ajustements structurels nécessaires, notamment en matière de tarifs; qu'il a également considéré que les réseaux de très petite dimension pouvaient, lorsque cela se justifiait, bénéficier quant à eux d'un délai de deux ans au maximum; qu'il a également reconnu à l'unanimité, dans la résolution du 22 décembre 1994 (6), que la fourniture d'infrastructures de télécommunications devrait être également libéralisée d'ici le 1er janvier 1998, moyennant des périodes de transition identiques à celles accordées pour la libéralisation de la téléphonie vocale; que le Conseil a établi, dans la résolution du 18 septembre 1995 (7), des lignes directrices pour le futur cadre réglementaire;
(3) considérant que la directive 90/388/CEE conclut que l'existence de droits exclusifs ou spéciaux dans le domaine des services de télécommunications constitue fondamentalement une infraction à l'article 90 du traité, en liaison avec l'article 59, parce qu'ils limitent l'offre de services transfrontaliers; que, en matière de services et réseaux de télécommunications, ces droits spéciaux ont été définis dans ladite directive;
que, en vertu de cette directive, l'octroi de droits exclusifs pour la fourniture de services de télécommunications est en outre incompatible avec l'article 90 paragraphe 1 en liaison avec l'article 86 lorsqu'ils sont accordés à des organismes de télécommunications qui jouissent également de droits exclusifs ou spéciaux pour l'établissement et l'offre de réseaux de télécommunications étant donné que cet octroi revient à renforcer et à étendre leur position dominante ou mène à d'autres abus de telle position;
(4) considérant que, en 1990, la Commission a toutefois admis une exception, en vertu de l'article 90 paragraphe 2 du traité, en ce qui concerne la téléphonie vocale, étant donné que les moyens financiers nécessaires au développement du réseau proviennent encore principalement de l'exploitation de ce service et que son ouverture à la concurrence aurait pu à cette époque déstabiliser financièrement les organismes de télécommunications et les empêcher de mener à bien la mission d'intérêt économique général qui leur est impartie consistant en l'établissement et l'exploitation d'un réseau universel, c'est-à-dire qui possède une couverture géographique générale et peut être fourni, sur demande et dans un délai raisonnable, à tout prestataire de services ou utilisateur;
que, en outre, à l'époque de l'adoption de la directive 90/388/CEE, les organismes de télécommunications étaient en train de numériser leurs réseaux afin d'augmenter la gamme de services offerts à l'utilisateur final; que, aujourd'hui, la couverture géographique et la numérisation ont déjà été réalisées dans la plupart des États membres; que, si l'on tient compte des progrès dans l'utilisation d'applications hertziennes et des importants programmes d'investissement en cours, la couverture en fibre optique et la pénétration du réseau devraient être améliorées de manière significative au cours des prochaines années dans les États membres;
que, en 1990, des préoccupations étaient également exprimées à l'encontre de l'ouverture immédiate de la téléphonie vocale à la concurrence parce que la structure des tarifs des organismes de télécommunication était sans rapport avec les coûts réels; qu'une ouverture du marché à cette époque aurait permis aux nouveaux entrants de se concentrer sur les segments les plus profitables comme la téléphonie internationale et gagner des parts de marché seulement sur la base de ces tarifs déséquilibrés; que, entre-temps, des efforts substantiels ont été faits pour rééquilibrer les tarifs en fonction des coûts en vue de la libéralisation annoncée; que le Parlement européen et le Conseil ont depuis lors reconnu qu'il existe des moyens moins restrictifs que l'octroi de droits exclusifs ou spéciaux pour assurer cette tâche d'intérêt économique général;
(5) considérant que, pour ces raisons et conformément aux résolutions du Conseil du 22 juillet 1993 et du 22 décembre 1994, le maintien de droits spéciaux et exclusifs pour la téléphonie vocale ne se justifie plus; que l'exception admise par la directive 90/388/CEE doit être supprimée et ladite directive modifiée en conséquence, y compris en ce qui concerne les définitions utilisées; que, afin de permettre aux organismes de télécommunications d'achever de se préparer à la concurrence, et en particulier de continuer le rééquilibrage nécessaire de leurs tarifs, les États membres peuvent maintenir les droits exclusifs et spéciaux actuels relatifs à la téléphonie vocale jusqu'au 1er janvier 1998 au plus tard; que les États membres dotés de réseaux moins développés ou de très petits réseaux doivent pouvoir bénéficier d'une exception temporaire lorsque celle-ci se justifie par la nécessité de procéder à des ajustements structurels, mais seulement pour la durée nécessaire à ces ajustements; que ces États membres devraient se voir accorder un délai supplémentaire respectivement de cinq ans au maximum ou de deux ans au maximum, sur leur demande, pour autant que ce délai soit requis afin d'achever les ajustements structurels nécessaires; que les États membres qui pourraient demander à bénéficier de cette possibilité sont l'Espagne, l'Irlande, la Grèce et le Portugal en ce qui concerne les réseaux moins développés et le Luxembourg pour ceux de très petite taille; que les résolutions du 22 juillet 1993 et du 22 décembre 1994 ont également demandé la possibilité de telles périodes de transition;
(6) considérant que l'abolition des droits exclusifs et spéciaux vise en particulier à permettre aux organismes de télécommunication actuels d'offrir directement leur service de téléphonie vocale dans les autres États membres à partir du 1er janvier 1998; que ces organismes disposent actuellement des aptitudes et de l'expérience requises pour entrer sur ces marchés dès leur ouverture à la concurrence; qu'ils devront cependant dans presque tous les États membres entrer en concurrence avec l'organisme de télécommunications national, auquel a été accordé le droit exclusif ou spécial non seulement de fournir le service en question mais également d'établir et d'exploiter l'infrastructure nécessaire à cet effet, y compris d'acquérir des droits "indefeasable rights of use" dans les circuits internationaux; que la flexibilité et les économies d'échelles que cela permet empêcheraient que cette position dominante en matière de téléphonie vocale soit entamée par le jeu normal de la concurrence une fois la téléphonie vocale libéralisée; que ceci ferait perdurer cette position dominante de l'organisme de télécommunications national sur son marché intérieur à moins que les nouveaux entrants sur le marché de la téléphonie vocale se voient accorder les mêmes droits et obligations; que, en particulier, si les nouveaux entrants ne sont pas autorisés à choisir librement l'infrastructure nécessaire pour offrir leurs services en concurrence avec l'opérateur dominant, cette restriction les empêcherait de facto de s'établir sur le marché de la téléphonie vocale, y compris pour la fourniture de communications transfrontalières; que le maintien de droits spéciaux restreignant le nombre d'entreprises autorisées à mettre en place et à exploiter des infrastructures de télécommunications limiterait dès lors la liberté de prestation de services au sens de l'article 59 du traité; que le fait que la limitation du droit d'établir ses propres infrastructures s'appliquerait apparemment, dans l'État membre concerné, sans distinction à toutes les entreprises fournissant des services de téléphonie vocale autres que l'organisme national de télécommunications, et ne serait pas suffisant pour soustraire le traitement préférentiel de ce dernier champ d'application de l'article 59 du traité; que, compte tenu de ce que la plupart des nouveaux entrants proviendront d'autres États membres, une telle mesure affecterait en pratique plus fortement les entreprises d'autres États membres que les entreprises nationales; que, d'autre part, outre que ces restrictions ne semblent pas avoir de justification, il existerait en tout état de cause des moyens moins restrictifs tels que les procédures d'autorisation pour garantir les intérêts généraux et de nature non économique concernés;
(7) considérant en outre que l'abolition des droits exclusifs et spéciaux en ce qui concerne l'offre de téléphonie vocale n'aurait que peu ou pas d'effet si les nouveaux entrants étaient obligés d'utiliser le réseau public de télécommmunications de l'organisme de télécommunications en place qu'ils veulent concurrencer sur le marché de la téléphonie vocale; que le fait de réserver à une entreprise qui vend des services de télécommunications la tâche de fournir à ses concurrents la matière première indispensable dans ce domaine, c'est-à-dire la capacité de transmission, revient à lui conférer le pouvoir de déterminer à son gré où, quand et à quel coût ces derniers peuvent offrir leurs services, et de surveiller leurs clients et le trafic généré par ceux-ci; que cela revient à placer cette entreprise dans une situation où elle serait incitée à abuser de sa position dominante; que la directive 90/388/CEE ne traite pas explicitement de la construction et de l'exploitation de réseaux de télécommunications, parce qu'elle accorde une exception temporaire au titre de l'article 90 paragraphe 2 du traité en ce qui concerne les droits exclusifs et spéciaux pour le service le plus important en termes économiques fourni sur des réseaux de télécommunications, à savoir la téléphonie vocale; que cette directive prévoyait néanmoins un examen par la Commission de la situation de l'ensemble du secteur des télécommunications en 1992;
qu'il est vrai que la directive 92/44/CEE du Conseil, du 5 juin 1992, relative à l'application de la fourniture de réseau ouvert aux lignes louées (8), modifiée par la décision 94/439/CE de la Commission (9), harmonise les principes de base relatifs à l'offre de lignes louées, mais qu'elle ne couvre que les conditions d'accès et d'utilisation de lignes louées; que le but de la directive n'est pas de porter remède au conflit d'intérêt entre les organismes de télécommunications en tant que fournisseurs de services et d'infrastructure; qu'elle n'impose pas de séparation structurelle entre les activités des organismes de télécommunications comme fournisseurs de lignes louées et comme prestataires de services; que des plaintes montrent que, même dans les États membres qui ont transposé cette directive, les organismes de télécommunications utilisent toujours leur pouvoir de contrôle sur les conditions d'accès à leur réseau au détriment de leurs concurrents sur le marché des services; que ces plaintes montrent que les organismes de télécommunications continuent d'appliquer des tarifs excessifs et qu'ils utilisent l'information acquise en tant que fournisseurs d'infrastructure au sujet des services envisagés par leurs concurrents pour cibler des clients sur le marché des services; que la directive 92/44/CEE énonce seulement le principe de l'orientation des tarifs sur les coûts et n'empêche pas par ailleurs les organismes de télécommunications d'utiliser l'information acquise en tant que fournisseurs de capacité sur les habitudes de consommation des abonnés, indispensable pour cibler certaines catégories spécifiques d'utilisateurs, et sur l'élasticité de la demande dans chaque segment du marché et chaque région de l'État membre concerné; que le cadre réglementaire actuel ne résout pas le conflit d'intérêt mentionné ci-dessus; que le moyen le plus approprié de régler ce conflit d'intérêt est donc de permettre aux prestataires de services d'utiliser leur propre infrastructure de télécommunications ou celle de tiers, plutôt que celle de leur principal concurrent, pour offrir leurs services à l'utilisateur final; que, dans sa résolution du 22 décembre 1994, le Conseil a également approuvé le principe de la libéralisation de la fourniture d'infrastructure;
que les États membres doivent par conséquent abolir les droits exclusifs actuels concernant la fourniture et l'utilisation des infrastructures de télécommunications, qui enfreignent l'article 90 paragraphe 1 du traité en liaison avec ses articles 59 et 86, et autoriser les prestataires de téléphonie vocale à utiliser leur propre infrastructure et/ou toute autre infrastructure de leur choix;
(8) considérant que la directive 90/388/CEE rappelle que les règles du traité, y compris celles relatives à la concurrence, s'appliquent au service télex; que, en même temps, elle établit que l'octroi de droits exclusifs ou spéciaux pour la fourniture de services de télécommunications aux organismes de télécommunications est contraire à l'article 90 paragraphe 1 en liaison avec l'article 59 du traité, parce qu'ils limitent l'offre de services transfrontaliers; que la directive avait cependant considéré qu'une approche spécifique était requise, compte tenu de prévisions relatives à l'érosion rapide de l'importance du service télex; que, entre-temps, il s'est avéré que le télex continuera de coexister avec les nouveaux services tels que la télécopie dans les prochaines années, notamment parce que le télex est le seul réseau normalisé couvrant l'ensemble du monde et dont les messages font foi dans les litiges judiciaires; que le maintien de cette approche n'est dès lors plus justifié;