Directive communautaire
DIRECTIVE DE LA COMMISSION
du 28 juin 1990
relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications
(90/388/CEE)
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 90 paragraphe 3,
(1)
considérant que le renforcement des télécommunications communautaires constitue l'une des conditions essentielles du développement harmonieux des activités économiques et d'un marché compétitif dans la Communauté tant du point de vue des fournisseurs de services que des utilisateurs; que la Commission a en conséquence défini, dans son livre vert sur le développement du marché commun des équipements et services de télécommunications et dans sa communication sur la mise en oeuvre du livre vert jusqu'en 1992, un programme d'action pour l'ouverture progressive du marché des télécommunications à la concurrence; que ce programme d'action ne concerne ni la radiotéléphonie mobile, ni la radiomessagerie ni les services de communication de masse dans le sens de la radiodiffusion ou de la télévision; que le Conseil, par sa résolution du 30 juin 1988 (1), a apporté son soutien aux objectifs de ce programme, et notamment à la création progressive d'un marché communautaire ouvert des services de télécommunications; que, au cours des dernières décennies, le secteur des télécommunications a connu une évolution technologique considérable; que celle-ci permet l'offre d'une gamme de plus en plus variée de services et, en particulier, de transmission de données; qu'elle rend, en outre, techniquement et économiquement possible un régime où la concurrence entre différents opérateurs peut s'installer;
(2)
considérant que, dans tous les États membres, l'établissement et l'exploitation du réseau de télécommunications ainsi que la fourniture de services y afférents sont généralement délégués, par l'octroi de droits exclusifs ou spéciaux, à un ou plusieurs organismes de télécommunications; que ces droits sont caractérisés par le pouvoir discrétionnaire que l'État exerce à des degrés divers en ce qui concerne l'accès au marché des services de télécommunications;
(3)
considérant que les organismes chargés de l'établissement et de l'exploitation du réseau de télécommunications sont des entreprises visées par l'article 90 paragraphe 1 du traité puisqu'ils exercent de façon organisée une activité économique, à savoir la fourniture de services de télécommunications; qu'ils sont soit des entreprises publiques, soit des entreprises auxquelles les États ont octroyé des droits exclusifs ou spéciaux;
(4)
considérant que, tout en assurant la tâche de service public, plusieurs États membres ont déjà réaménagé le système de droits exclusifs ou spéciaux jusqu'alors en vigueur dans le domaine des télécommunications; que, dans tous les cas, le régime de droits exclusifs ou spéciaux est maintenu pour l'établissement et pour l'exploitation du réseau de télécommunications; qu'il en va de même dans certains États membres pour tous les services de télécommunications alors que, dans d'autres, de tels droits ne couvrent que certains services; que, en outre, tous les États membres ont soit adopté eux-mêmes, soit permis aux organismes de télécommunications d'adopter des mesures administratives et réglementaires restreignant la libre prestation des services de télécommunications;
(5)
considérant que l'octroi, dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de l'État membre concerné, de droits exclusifs ou spéciaux à une ou plusieurs entreprises pour l'exploitation du réseau restreint la prestation des services concernés par d'autres entreprises au départ ou à destination d'autres États membres;
(6)
considérant que, dans la pratique, les restrictions, au sens de l'article 59 du traité, à la fourniture de services de télécommunications vers ou au départ d'autres États membres consistent notamment en l'interdiction de connexion de circuits loués par l'intermédiaire de concentrateurs, de multiplexeurs et d'autres installations au réseau téléphonique commuté, en l'imposition pour cette connexion de charges d'accès disproportionnées par rapport au service presté, en l'interdiction d'acheminement de signaux en provenance ou vers des tiers par voie de circuits loués ou en l'application d'un tarif proportionné à l'usage sans justification économique ou dans le refus de laisser accéder
certains prestataires de services au réseau de télécommunications; que ces restrictions d'usage et tarifs excessifs par rapport au coût de revient ont pour effet de faire obstacle à la prestation, au départ ou vers d'autres États membres, de services de télécommunications tels que:
- des services ayant pour objet l'amélioration des fonctions de télécommunication, par exemple la conversion de protocole, de code, de format ou de débit,
- des services basés sur l'information ayant pour objet l'accès à des bases de données,
- des services informatiques à distance,
- des services d'enregistrement et de retransmission de messages, par exemple le courrier électronique,
- des services de transaction, par exemple des transactions financières, transfert électronique de données à usage commercial, téléachat et téléréservation,
- des services de téléaction, par exemple télémesure et télécontrôle;
(7)
considérant que l'article 66, en liaison avec les articles 55 et 56 du traité, autorise des exceptions à la liberté de prestation de services pour des raisons non économiques; que les restrictions admises à ce titre sont, d'une part, l'exercice, même à titre occasionnel, de l'autorité publique et, d'autre part, l'ordre public, la sécurité publique et la santé publique; que, s'agissant d'exceptions, elles doivent être interprétées de manière restrictive; qu'aucun service de télécommunications ne constitue une participation à l'exercice de l'autorité publique impliquant la faculté d'user de prérogatives exorbitantes par rapport au droit commun, de privilèges de puissance publique et d'un pouvoir de coercition qui s'imposent aux citoyens; que l'offre de services de télécommunications ne peut en soi porter atteinte à l'ordre public et ne peut affecter la santé publique;
(8)
considérant que la jurisprudence de la Cour de justice admet, en outre, des restrictions à la liberté de prestation de services lorsqu'elles répondent à des exigences essentielles nécessitées par l'intérêt général, sont appliquées sans effets discriminatoires et sont proportionnées à l'objectif visé; que la protection des consommateurs ne rend pas indispensable des restrictions à la libre prestation de services en matière de télécommunications, car cet objectif peut également être atteint dans un régime de libre concurrence; que la protection de la propriété intellectuelle ne peut pas non plus être invoquée en la matière; que les seules exigences essentielles dérogeant à l'article 59 du traité qui peuvent justifier des restrictions à l'usage du réseau public sont l'intégrité de ce dernier, la sécurité de son fonctionnement et, dans les cas justifiés, l'interopérabilité et la protection des données; que les restrictions imposées doivent toutefois être proportionnées aux objectifs poursuivis par ces exigences légitimes; que
les États membres devront rendre publiques et
notifier ces restrictions à la Commission afin de permettre à cette dernière d'apprécier cette proportionnalité;
(9)
considérant que, dans ce contexte, la sécurité de fonctionnement du réseau vise à assurer la disponibilité du réseau public en cas d'urgence; que l'intégrité technique du réseau public vise à assurer son fonctionnement normal et l'interconnexion des réseaux publics dans la Communauté basée sur des spécifications techniques communes; que la notion d'interopérabilité des services vise le respect de ces spécifications techniques minimales mises en place pour accroître la prestation de services et le choix de l'usager; que la protection de données vise à garantir la confidentialité des communications et la protection des données personnelles;
(10)
considérant également que, outre les exigences essentielles qui peuvent être incluses comme conditions dans les procédures d'autorisation ou de déclaration, les États membres peuvent inclure, en ce qui concerne le service de commutation de données, des conditions relatives à des obligations de service public qui constituent des réglementations de commerce objectives, sans effets discriminatoires et transparentes concernant les conditions de permanence, de disponibilité et de qualité du service;
(11)
considérant enfin que, lorsqu'un État membre a chargé un organisme de télécommunications de fournir des services de commutation de données par paquets ou par circuits pour le public et lorsque ce service pourrait être mis en échec du fait de la concurrence d'opérateurs privés, la Commission peut autoriser cet État membre à imposer des conditions additionnelles, y compris au niveau de la couverture géographique, pour la fourniture de ce service; que, pour l'appréciation de ces mesures, la Commission, dans le cadre de la mise en oeuvre des objectifs fondamentaux du traité, prévus à l'article 2 de celui-ci, y compris celui de renforcer la cohésion économique et sociale de la Communauté visée à l'article 130 A du traité, prendra en compte également la situation des États membres dont le réseau pour la fourniture de services de commutation de données par paquets ou par circuits n'est pas encore suffisamment développé et qui pourrait justifier, pour ces États membres, un maintien jusqu'au 1er janvier 1996 de la date prévue pour la simple revente de capacité des lignes louées;
(12)
considérant que l'article 59 du traité prévoit la suppression de toute autre restriction à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation; que le maintien ou l'introduction de tout droit exclusif ou spécial ne répondant pas aux critères précités constitue de
ce fait une infraction à l'article 90 en liaison avec l'article 59;
(13)
considérant que l'article 86 du traité déclare incompatible avec le marché commun tout comportement d'une ou de plusieurs entreprises qui constituerait une exploitation abusive d'une position dominante sur le
marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci; que les organismes de télécommunications sont des entreprises au sens de cet article, parce qu'ils exercent des activités économiques et en particulier la fourniture du service que constitue la mise à disposition des usagers du réseau et de services de télécommunications; que cette mise à disposition du réseau constitue un marché de services distinct étant donné qu'il n'est pas interchangeable avec d'autres services; que la mise à disposition du réseau de télécommunications et les autres services de télécommunications sont fournis à des conditions de concurrence suffisamment homogènes dans chacun des marchés nationaux pour permettre à la Commission d'apprécier la puissance économique des entreprises qui les fournissent sur ces territoires; que les territoires des États membres constituent autant de marchés géographiques distincts; que ceci est dû à la différence entre les réglementations visant les conditions d'accès et de fonctionnement technique, relatives à la fourniture du réseau et de ces services de télécommunications; que, en outre, chacun d'entre eux constitue une partie substantielle du marché commun;
(14)
considérant que ces entreprises détiennent sur chacun de leurs marchés nationaux, individuellement ou collectivement, une position dominante pour l'établissement et l'exploitation du réseau de télécommunications parce qu'elles sont les seules à disposer dans chaque État membre d'un réseau couvrant l'ensemple du territoire de ceux-ci et parce que leur gouvernement leur a octroyé le droit exclusif d'exploiter le réseau, seules ou conjointement avec d'autres entreprises;
(15)
considérant que, lorsque les droits exclusifs ou spéciaux sont octroyés en matière de services de télécommunications par l'État à des organismes qui disposent déjà d'une position dominante pour l'établissement et l'exploitation du réseau, ces droits ont pour effet de renforcer cette position dominante en l'étendant aux services;
(16)
considérant que, en outre, les droits exclusifs ou spéciaux octroyés par l'État aux organismes de télécommunications en ce qui concerne la fourniture de certains services de télécommunications ont pour effet que ces organismes:
a) excluent du marché ou restreignent l'accès des concurrents au marché des services de télécommunications en limitant ainsi le libre choix des utilisateurs, ce qui est susceptible de limiter le progrès technologique au préjudice des consommateurs;
b) imposent aux utilisateurs du réseau d'avoir recours aux services qui font l'objet des droits exclusifs et subordonnent ainsi la conclusion des contrats d'utilisation du réseau à l'acceptation de prestations supplémentaires qui n'ont pas de liens avec l'objet de ces contrats;
que chacun de ces comportements constitue un abus de position dominante distinct, susceptible d'affecter d'une manière sensible le commerce entre États membres; que, en effet, tous les services en question
peuvent, en principe, être offerts par des fournisseurs établis dans d'autres États membres; que la structure de la concurrence à l'intérieur du marché commun en est modifiée dans une mesure substantielle; que, en tout état de cause, les droits spéciaux exclusifs accordés pour ces services ont pour effet de créer une situation contraire à l'objectif de l'article 3 point f) du traité, qui prévoit l'établissement d'un régime assurant que la concurrence ne soit pas faussée dans le marché commun et donc, a fortiori, que la concurrence ne soit pas éliminée; que les États membres sont tenus, en vertu de l'article 5 du traité, de s'abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation
des objectifs du traité, y compris celui de l'article 3 point f);
(17)
considérant donc que les droits exclusifs octroyés en matière de services de télécommunications aux entreprises publiques ou aux entreprises auxquelles les États membres ont accordé des droits spéciaux ou exclusifs pour l'établissement du réseau de télécommunications sont incompatibles avec l'article 90 paragraphe 1 en liaison avec l'article 86;
(18)
considérant que l'article 90 paragraphe 2 du traité permet de déroger à l'application des articles 59 et 86 du traité dans les cas où celle-ci ferait échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière impartie aux organismes de télécommunications; qu'une telle mission consiste en l'établissement et l'exploitation d'un réseau universel, c'est-à-dire ayant une couverture géographique générale et étant fourni, sur demande et dans un délai raisonnable, à tout fournisseur de services ou utilisateur; que les moyens financiers pour le développement de ce réseau proviennent encore principalement de l'exploitation du service de téléphonie vocale; que, par conséquent, l'ouverture de ce service à la concurrence pourrait menacer l'équilibre financier des organismes de télécommunications; que le service de téléphonie vocale, qu'il soit offert à partir du réseau téléphonique actuel ou faisant partie du service RNIS (réseau numérique à intégration de services), constitue en outre le moyen actuellement le plus important de notification et d'appel des services d'urgence responsables de la sécurité publique;