COUR DE CASSATION
Première chambre civile
Audience publique du 3 juillet 2001
Pourvoi n° 98-16.854
M. Bride Z ¢
M. Y Y Y près la cour d'appel de Basse-Terre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par M. Bride Z, demeurant Pointe-à-Pitre,
en cassation d'un arrêt rendu le 18 mars 1998 par la cour d'appel de Basse-Terre (audience solennelle), au profit de M. Y Y Y près la cour d'appel de Basse-Terre, dont le siège est Basse-Terre,
défendeur à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 29 mai 2001, où étaient présents M. Sargos, conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président, M. Bargue, conseiller rapporteur, M. Aubert, conseiller, M. Roehrich, avocat général, Mme Aydalot, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Bargue, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. Z, les conclusions de M. Roehrich, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que, par requête du 20 janvier 1997, le procureur général près la cour d'appel de Basse-Terre a saisi le conseil de l'ordre des avocats d'une action disciplinaire contre M. Z, avocat au barreau de la Guadeloupe, lui reprochant divers manquements et notamment d'avoir unilatéralement fixé et retenu des honoraires sur le montant des indemnités versées par la commission d'indemnisation des victimes d'infraction à l'une de ses clientes mineure, Mlle ..., d'avoir manqué de diligences dans la défense d'une autre mineure, Mlle ..., victime d'un accident de la circulation et d'avoir conservé à titre d'honoraires une partie des indemnités versées ; que, constatant que le conseil de l'ordre n'avait pas statué dans le délai de deux mois prescrit par l'article 197 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 et, en en déduisant que sa demande avait été rejetée, le procureur général a saisi directement la cour d'appel des plaintes correspondant à ces mêmes affaires ; que par décision du 6 septembre 1997, le conseil de l'Ordre a relaxé M. Z de ces poursuites à l'exception de celle relative au dossier de Mlle ... ; que le procureur général ayant interjeté appel de cette décision, M. Z a opposé l'irrégularité tant de l'appel que de la saisine directe de la cour d'appel ;
Sur le premier moyen
Attendu que M. Z fait grief à l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 18 mars 1998) d'avoir déclaré les deux saisines recevables, joint les instances, annulé la délibération du conseil de l'ordre pour avoir outrepassé ses pouvoirs en statuant après son dessaisissement, et, le déclarant coupable de manquements aux règles professionnelles, à la probité, à l'honneur et à la délicatesse dans les affaires Piperol et Noël-Lhery, d'avoir prononcé à son encontre une peine d'interdiction temporaire d'exercer les fonctions pendant une durée de six mois, alors qu'en refusant de constater la nullité de l'appel formé à l'encontre de la délibération du conseil de l'ordre et en aggravant la peine prononcée à l'encontre de M. Z alors que ladite délibération avait de ce fait acquis définitivement force de chose jugée, la cour d'appel aurait violé les articles 901 du nouveau Code de procédure civile et 1351 du Code civil ;
Mais attendu que la décision du conseil de l'ordre en matière disciplinaire pouvant, aux termes de l'article 24 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, être déférée à la cour d'appel par le procureur général, et la déclaration d'appel ayant été notifiée à M. Z, qui ne pouvait se méprendre sur la portée de cet acte portant l'en-tête de la cour d'appel de Basse-Terre, il en résulte que l'appel était régulier, de sorte que le moyen est inopérant ;
Sur les deuxième et troisième moyens réunis
Attendu que M. Z reproche encore à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable la saisine directe faite par le procureur général le 22 avril 1997, alors, selon les moyens
1°) que le conseil de l'Ordre ne se trouvant dessaisi des poursuites disciplinaires exercées devant lui ni par l'expiration du délai mentionné à l'article 197 du décret du 27 novembre 1991, ni par la saisine de la cour d'appel par le procureur général, la cour d'appel ne pouvait statuer sur celle-ci qu'autant qu'à la date à laquelle elle a statué, la présomption suivant laquelle le conseil de l'ordre était réputé avoir rejeté la demande qui lui avait été présentée ne se trouvait pas renversée par la preuve contraire, que cette preuve résultait en l'espèce de la sanction prononcée à l'encontre de M. Z par le conseil de l'ordre, de sorte qu'en s'estimant néanmoins valablement saisie par la requête aux fins de saisine directe du procureur général, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte précité ;
2°) que ni l'expiration du délai de deux mois mentionné par l'article 197 du décret du 27 novembre 1991, ni la saisine de la cour d'appel n'ont pour effet de dessaisir le conseil de l'ordre des poursuites disciplinaires exercées devant lui, de sorte que c'est sans commettre d'excès de pouvoir que le conseil de l'ordre a pu statuer sur ces poursuites, nonobstant l'expiration dudit délai et la requête portée par le procureur général devant la cour d'appel, laquelle, en estimant néanmoins irrégulière cette délibération, aà nouveau violé le même texte ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 197 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, le conseil de l'ordre doit statuer dans les deux mois sur la demande de poursuites disciplinaires émanant du procureur général et qu'à défaut de le faire la demande est réputée rejetée ; que, dès lors, la cour d'appel qui a constaté qu'aucune décision n'était intervenue dans le délai légal, fût-ce pour surseoir à statuer afin d'ordonner une mesure d'instruction, a exactement décidé que le conseil de l'ordre s'était trouvé dessaisi par sa décision implicite de rejet et que la saisine directe faite par le procureur général était recevable ; d'où il suit que les deuxième et troisième moyens ne sont pas fondés ;
Sur le quatrième moyen, pris en ses trois branches
Attendu que M. Z fait enfin grief à l'arrêt de l'avoir déclaré coupable de manquements aux règles professionnelles, à la probité, à l'honneur et à la délicatesse pour avoir prélevé directement des honoraires sans autorisation préalable sur des indemnités devant revenir aux mineures Felixia ... et Cidji ..., placées, l'une sous le régime de l'administration légale sous contrôle judiciaire, l'autre sous le régime de l'administration légale pure et simple et de l'avoir condamné à une peine, assortie du sursis, d'interdiction temporaire d'exercer ses fonctions, alors, selon le moyen
1°) qu'une convention d'honoraires, même autorisant l'avocat à prélever ses honoraires sur le montant d'une indemnité à venir, ne comporte aucune renonciation à un droit, inséparable du droit d'ester en justice au nom du mineur, elle est au nombre des actes que le tuteur peut accomplir seul, sans l'autorisation du conseil de famille, dès lors que l'action a elle-même un caractère patrimonial, ce qui est le cas d'une action en réparation du préjudice subi par le mineur, de sorte que la mère de l'enfant Noël-Lhery a pu valablement autoriser M. Z à prélever le montant de ses honoraires sur les indemnités devant revenir tant à elle-même qu'à sa fille et M. Z retenir le montant de ses honoraires sur ces sommes sans méconnaître les dispositions de l'article 389-5 du Code civil, et qu'en estimant le contraire, la cour d'appel a violé cette disposition ;
2°) que le paiement d'une note d'honoraires n'est ni un acte de disposition, ni un acte portant emploi des capitaux du mineur, requérant l'autorisation préalable du juge des tutelles dans le régime de l'administration légale sous contrôle judiciaire, de sorte qu'en estimant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 389-6 du Code civil ;
3°) que la cour d'appel qui ne constate pas que M. Z aurait dans l'un ou l'autre cas prélevé des sommes dont il n'était pas créancier, n'a caractérisé ni l'atteinte portée aux droits de ses clients mineurs, ni la faute commise par celui-ci, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 22 de la loi du 31 décembre 1971 ;
Mais attendu que le paiement des honoraires d'avocat constitue un acte d'administration qui nécessite au moins l'autorisation de l'un des deux administrateurs légaux du mineur ; que l'arrêt constate que M. Z avait prélevé directement sur le compte client ouvert à la Carpa au nom de Mlle ... une somme à titre d'honoraires sans autorisation de la mère, administratrice légale de la mineure et qu'une partie de la somme prélevée directement par M. Z à titre d'honoraires n'était pas justifiée par la "convention d'honoraires et quittance provisionnelle" signée par l'administratrice légale de la mineure Cidji Noël ... ; que la circonstance que les mineures n'aient pas été lésées étant indifférente, la cour d'appel qui a ainsi caractérisé un manquement à la délicatesse et à la probité, a, par ces motifs légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Z aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juillet deux mille un.