Jurisprudence : CEDH, 17-12-1996, Req. 43/1994/490/572, Saunders c. Royaume-Uni

CEDH, 17-12-1996, Req. 43/1994/490/572, Saunders c. Royaume-Uni

A8427AWZ

Référence

CEDH, 17-12-1996, Req. 43/1994/490/572, Saunders c. Royaume-Uni. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065353-cedh-17121996-req-431994490572-saunders-c-royaumeuni
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Cour européenne des droits de l'homme

17 décembre 1996

Requête n°43/1994/490/572

Saunders c. Royaume-Uni

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En l'affaire Saunders c. Royaume-Uni (1),

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée conformément à l'article 51 de son règlement A (2), en une grande chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Bernhardt, président, Thór Vilhjálmsson, F. Gölcüklü, L.-E. Pettiti, B. Walsh, A. Spielmann, J. De Meyer, N. Valticos, S.K. Martens, Mme E. Palm, MM. R. Pekkanen, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, Sir John Freeland, MM. L. Wildhaber, G. Mifsud Bonnici, J. Makarczyk, D. Gotchev, B. Repik, P. Kuris,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 février, 22 avril et 29 novembre 1996,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

Notes du greffier

1. L'affaire porte le n° 43/1994/490/572. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

PROCEDURE

1.
L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission"), puis par le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ("le Gouvernement") les 9 et 13 septembre 1994 respectivement, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve une requête (n° 19187/91) dirigée contre le Royaume-Uni et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ernest Saunders, avait saisi la Commission le 20 juillet 1988 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Comme la requête du Gouvernement, elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).

2.
En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné ses conseils (article 30).

3.
La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir John Freeland, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A). Le 24 septembre 1994, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. R. Bernhardt, Thór Vilhjálmsson, F. Gölcüklü, J.M. Morenilla, J. Makarczyk, B. Repik et P. Kuris, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43). Ultérieurement, M. N. Valticos, suppléant, a remplacé M. Ryssdal, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement A). M. Bernhardt a succédé à M. Ryssdal à la présidence de la chambre.

4.
En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, les avocats du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38 du règlement A). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du requérant le 16 février 1995 et celui du Gouvernement le 27 février.

5.
Le 22 mars 1995, le président de la chambre a autorisé Liberty, en vertu de l'article 37 par. 2 du règlement A, à présenter des observations écrites sur des aspects particuliers de l'affaire. Elles sont arrivées le 31 juillet 1995. Le Gouvernement y a répondu le 3 octobre.

6.
Le 28 avril 1995, après avoir examiné les observations écrites du requérant et du Gouvernement, la chambre a accueilli une demande de celui-ci visant à l'ajournement de l'audience dans l'attente d'une décision de la Cour d'appel (Court of Appeal) que le ministre avait saisie de la cause du requérant (paragraphe 39 ci-dessous). A la suite de l'arrêt de la Cour d'appel du 27 novembre 1995, le requérant a déposé un mémoire complémentaire le 3 janvier 1996. Celui du Gouvernement en réponse est parvenu le 23 janvier.

7.
Le 25 janvier 1996, le président a refusé d'autoriser trois des coaccusés de l'intéressé à déposer, en vertu de l'article 37 par. 2 du règlement A, des observations écrites en l'espèce.

8.
Ainsi qu'il en avait décidé, les débats se sont déroulés en public le 19 février 1996 au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

MM. M. Eaton, conseiller juridique adjoint, ministère

des Affaires étrangères et du Commonwealth, agent,

S. Kentridge QC, Mme E. Gloster QC, M. J. Eadie, Barrister-at-Law,

conseils, Mme T. Dunstan, ministère du Commerce et de l'Industrie, M. J. Gardner, ministère du Commerce et de l'Industrie, Mme R. Quick, ministère du Commerce et de l'Industrie, MM. G. Dickinson, bureau de la répression des fraudes,

L. Leigh, London School of Economics, conseillers;

- pour la Commission

M. N. Bratza,

délégué;

- pour le requérant

MM. M. Beloff QC,

M. Hunt, Barrister-at-Law,

conseils,

P. Williams, Solicitor,

G. Devlin, Mme L. Devlin,

conseillers.

La Cour a entendu des déclarations de MM. Bratza, Beloff et Kentridge, ainsi que des réponses à ses questions.

9.
A la suite des délibérations du 23 février 1996, la chambre s'est dessaisie au profit d'une grande chambre (article 51 par. 1 du règlement A).

10. Conformément à l'article 51 par. 2 a) et b) du règlement A, le président et le vice-président de la Cour (MM. Ryssdal et Bernhardt), ainsi que les autres membres et suppléants (à savoir MM. B. Walsh, J. De Meyer, S.K. Martens et D. Gotchev) de la chambre originaire sont devenus membres de la grande chambre.

M. Ryssdal étant empêché (paragraphe 3 ci-dessus), le vice-président a tiré au sort, le 1er mars 1996, en présence d'un agent du greffe, le nom des huit juges supplémentaires, à savoir M. L.-E. Pettiti, M. R. Macdonald, M. A. Spielmann, Mme E. Palm, M. R. Pekkanen, M. A.N. Loizou, M. L. Wildhaber et M. G. Mifsud Bonnici (article 51 par. 2 c) du règlement A). Ultérieurement, M. Macdonald n'a pas été en mesure de prendre part à l'examen de l'affaire.

11. Le 6 mars 1996, le Gouvernement a sollicité l'autorisation de déposer de brèves observations écrites complémentaires. Le président de la grande chambre a accédé à sa demande le 19 mars 1996. Lesdites observations sont parvenues le 4 avril, celles du délégué et du requérant en réponse le 18 avril.

12. Après avoir consulté l'agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et le requérant, la grande chambre a décidé, le 22 avril 1996, qu'il n'y avait pas lieu de rouvrir les débats après le dessaisissement de la chambre (articles 26 et 38 combinés avec l'article 51 par. 6 du règlement A).

13. Le 8 août 1996, le président a accepté de verser au dossier un article produit par le Gouvernement.

EN FAIT

I.
Les circonstances de l'espèce

A. Les faits ayant conduit à la désignation d'inspecteurs

14. Le requérant est devenu président-directeur général de Guinness PLC ("Guinness") en 1981.

15. Au début de 1986, Guinness se trouvait en concurrence avec une autre société, Argyll Group PLC ("Argyll"), pour la reprise d'une troisième société, la Distillers Company PLC ("Distillers"). Guinness emporta la bataille. Comme celle d'Argyll, l'offre de Guinness aux actionnaires de la Distillers comprenait un important échange de parts et les prix auxquels les actions de Guinness et d'Argyll étaient cotées à la bourse de Londres constituèrent donc un élément déterminant pour les deux parties. Au cours du raid, le prix de l'action Guinness augmenta spectaculairement, mais une fois qu'on déclara l'offre sans condition, le prix chuta sensiblement.

16. L'importante augmentation du prix des actions de Guinness cotées en bourse pendant l'offre publique d'achat provenait d'une opération illégale de soutien des parts. Y étaient impliquées certaines personnes (les "supporters") qui acquéraient des parts de Guinness pour maintenir ou gonfler ses actions cotées en bourse. Les supporters obtinrent des indemnités secrètes pour les pertes qu'ils pouvaient subir et, pour certains d'entre eux, d'énormes honoraires en cas de réussite de l'offre de Guinness. Ces incitations étaient illégales pour deux raisons: 1) elles ne furent pas révélées sur le marché conformément au code de la Cité sur les reprises et fusions; 2) elles furent acquittées sur les propres liquidités de Guinness, en contravention à l'article 151 de la loi de 1985 sur les sociétés ("la loi de 1985"), qui interdit à une société de prêter un appui financier pour favoriser l'achat de ses propres actions.

17. Les supporters qui avaient acquis des actions dans le cadre de l'opération illégale de soutien des parts furent indemnisés et récompensés. En outre, certaines personnes qui avaient aidé à trouver des supporters obtinrent en contrepartie d'importantes gratifications. Celles-ci aussi provenaient des fonds de Guinness. Dans la plupart des cas, ces paiements furent effectués au moyen de fausses factures. Celles-ci cachaient que le versement avait trait à la participation des supporters ou d'autres bénéficiaires à l'opération illégale de soutien des actions.

18. Des allégations et des rumeurs quant à des agissements répréhensibles au cours du raid conduisirent le ministre du Commerce et de l'Industrie à désigner des inspecteurs quelques mois après les événements, en vertu des articles 432 et 442 de la loi de 1985 (paragraphes 45 et 46 ci-dessous). Les inspecteurs étaient habilités à enquêter sur les affaires de Guinness.

B. L'enquête des inspecteurs

19. Le 10 décembre 1986, les inspecteurs entamèrent l'audition des témoins. M. Seelig, un directeur de la banque d'affaires conseiller de Guinness, fut le premier d'entre eux.

20. Le 12 janvier 1987, les inspecteurs informèrent le ministère du Commerce et de l'Industrie ("le DTI") qu'ils possédaient des éléments de preuve matériels d'infractions pénales. Le même jour, le DTI prit contact avec M. John Wood au parquet (Director of Public Prosecutions' office - "le DPP"). Il fut décidé que la marche à suivre était d'autoriser les inspecteurs à poursuivre leur enquête et d'en communiquer les procès-verbaux au service des poursuites (Crown Prosecution Service - "le CPS"), créé en septembre 1986.

21. Le 14 janvier 1987, le requérant fut licencié par Guinness.

22. Le 29 janvier 1987, le ministre exigea des inspecteurs qu'ils l'informent de tout élément qui viendrait à leur connaissance dans le cadre de leur enquête en vertu de l'article 437 (1A) de la loi de 1985. Après quoi les inspecteurs transmirent au ministre les procès-verbaux des auditions auxquelles ils procédaient et les autres pièces qu'ils recueillaient.

23. Le 30 janvier 1987 eut lieu une réunion entre les inspecteurs, le solicitor et d'autres fonctionnaires du DTI, M. John Wood et un représentant du CPS. Entre autres choses, on y identifia les accusés potentiels - dont le requérant -, les chefs d'accusation possibles furent envisagés et l'on estima qu'il fallait prendre une décision quant au moment où commencerait l'enquête pénale. Tous les intéressés convinrent de la nécessité de travailler en étroite collaboration pour ouvrir la voie à des inculpations dans les meilleurs délais. Les inspecteurs se dirent prêts à coopérer tout en se réservant le droit de mener leur enquête comme bon leur semblait.

24. Le 5 février 1987, M. John Wood, qui avait été nommé chef des services juridiques du CPS, chargea une équipe d'avocats d'examiner les aspects pénaux de l'enquête. Les procès-verbaux et pièces des inspecteurs furent communiqués à cette équipe après réception et examen par le DTI.

25. Les inspecteurs interrogèrent le requérant à neuf reprises: les 10-11, 20 et 26 février, 4-5 mars, 6 mai et 11-12 juin 1987. L'intéressé fut accompagné de ses hommes de loi d'un bout à l'autre de ces entretiens.

C. La procédure pénale

26. Au cours de la première semaine de mai 1987, le DPP demanda officiellement à la police de procéder à l'enquête pénale. Les procès-verbaux et documents obtenus grâce aux entretiens des inspecteurs furent alors transmis à la police.

27. Le requérant fut par la suite inculpé de nombreuses infractions en rapport avec l'opération illégale de soutien des actions et, avec ses coaccusés, fut renvoyé en jugement devant la Crown Court le 27 avril 1989.

Vu le grand nombre d'avocats et celui des accusés, le juge de la Crown Court décida le 21 septembre 1989 que se dérouleraient deux procès distincts.

28. Du 6 au 16 novembre 1989, le tribunal tint une audience préliminaire (voir dire - arguments sur un point de droit en l'absence de jury), l'un des coaccusés du requérant, M. Parnes, ayant demandé à ce que les procès-verbaux du DTI fussent déclarés irrecevables. M. Parnes faisait valoir à titre principal qu'il fallait exclure les déclarations obtenues au cours de trois interrogatoires devant les inspecteurs:

i. conformément à l'article 76 de la loi de 1984 sur la police et les preuves en matière pénale (Police and Criminal Evidence Act 1984 - "la PACE"), car, selon lui, elles avaient été obtenues sous la pression ou dans des circonstances risquant d'en compromettre la fiabilité;

ii. en vertu de l'article 78 de la PACE, car admettre ces preuves nuirait à l'équité du procès eu égard aux circonstances dans lesquelles elles avaient été obtenues.

Le 21 novembre 1989, le juge du fond (le juge Henry) estima les procès-verbaux recevables. Il déclara qu'on admettait d'une manière générale que les entretiens pouvaient passer pour des "aveux" tels que définis à l'article 82 par. 1 de la PACE. Selon lui, l'interprétation de la loi de 1985 permettait aux inspecteurs de poser aux témoins des questions pouvant les incriminer, les témoins étaient tenus d'y répondre et les réponses étaient recevables dans la procédure pénale. Le juge écarta l'assertion de M. Parnes d'après laquelle les inspecteurs eussent dû mettre en garde contre l'auto-incrimination. Il avait la conviction que nulle pression n'avait été exercée en vue de l'obtention de la déposition et que les réponses n'avaient pas été recueillies par suite de propos ou d'actes risquant de les priver de crédibilité vu l'ensemble des circonstances du moment.

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