Jurisprudence : CEDH, 15-11-1996, Req. 70/1995/576/662, Chahal c. Royaume-Uni

CEDH, 15-11-1996, Req. 70/1995/576/662, Chahal c. Royaume-Uni

A8422AWT

Référence

CEDH, 15-11-1996, Req. 70/1995/576/662, Chahal c. Royaume-Uni. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065348-cedh-15111996-req-701995576662-chahal-c-royaumeuni
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Cour européenne des droits de l'homme

15 novembre 1996

Requête n°70/1995/576/662

Chahal c. Royaume-Uni



""En l'affaire Chahal c. Royaume-Uni (1),

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 51 de son règlement A (2), en une grande chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président, R. Bernhardt, F. Gölcüklü, F. Matscher, L.-E. Pettiti, A. Spielmann, J. De Meyer, N. Valticos, S.K. Martens,
Mme E. Palm,
M. J.M. Morenilla,
Sir John Freeland,
MM. A.B. Baka, G. Mifsud Bonnici, J. Makarczyk, D. Gotchev, P. Jambrek, U. Lohmus, E. Levits,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 mars, 30 août et 25 octobre 1996,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

Notes du greffier

1. L'affaire porte le n° 70/1995/576/662. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

PROCÉDURE

1.
L'affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ("le Gouvernement") le 23 août 1995 et par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 13 septembre 1995, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve une requête (n° 22414/93) dirigée contre le Royaume-Uni et dont deux citoyens indiens, M. Karamjit Singh Chahal et Mme Darshan Kaur Chahal, et deux ressortissants britanniques, Mlle Kiranpreet Kaur Chahal et M. Bikaramjit Singh Chahal, avaient saisi la Commission le 27 juillet 1993 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La requête du Gouvernement renvoie à l'article 48 (art. 48) et la demande de la Commission aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 3, 5 paras. 1 et 4, 8 et 13 de la Convention (art. 3, art. 5-1, art. 5-4, art. 8, art. 13).

2.
En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, les requérants ont manifesté le désir de participer à l'instance et désigné leur conseil (article 30).

3.

La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir John Freeland, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement A). Le 5 septembre 1995, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. L.-E. Pettiti, B. Walsh, R. Macdonald, N. Valticos, F. Bigi, D. Gotchev et U. Lohmus, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement A) (art. 43).

4.
Le 24 août 1995, le Gouvernement a informé la Cour qu'il n'était pas prévu d'expulser le premier requérant dans l'immédiat et s'est engagé, au cas où une décision en ce sens serait prise, à la prévenir au moins deux semaines avant de passer à exécution.

Le 1er septembre 1994, la Commission avait recommandé au Gouvernement, conformément à l'article 36 de son règlement intérieur, de ne pas expulser le requérant avant la fin de la procédure devant elle. Cette mesure est restée recommandée au Gouvernement en vertu de l'article 36 par. 2 du règlement A de la Cour.

5.

En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, l'avocat des requérants et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et des requérants le 15 janvier 1996.

6.
Le 28 novembre 1995, M. Bernhardt, ayant consulté les membres de la chambre, a accordé à Amnesty International, à Justice ainsi qu'à Liberty, au Centre for Advice on Individual Rights in Europe ("AIRE Centre") et au Joint Council for the Welfare of Immigrants ("JCWI"), toutes organisations de défense des droits de l'homme ayant leur siège à Londres, l'autorisation de soumettre des observations conformément à l'article 37 par. 2 du règlement A. Le greffier a reçu les observations d'Amnesty International et de Justice le 15 janvier 1996 et celles de Liberty, AIRE Centre et JCWI le 24 janvier 1996.

7.
Le 21 février 1996, la chambre a décidé de se dessaisir avec effet immédiat au profit d'une grande chambre (article 51 par. 1 du règlement A).

8.
La grande chambre à constituer comprenait de plein droit M. Ryssdal, président de la Cour, M. Bernhardt, vice-président, et tous les autres membres et juges suppléants (MM. F. Matscher, A. Spielmann, J.M. Morenilla et E. Levits) de la chambre dessaisie (article 51 par. 2 a) et b) du règlement A). Le président a tiré au sort, le 24 février 1996, le nom des sept juges supplémentaires, à savoir M. F. Gölcüklü, M. J. De Meyer, M. S.K. Martens, Mme E. Palm, M. A.B. Baka, M. G. Mifsud Bonnici et M. P. Jambrek, en présence du greffier.

9.
M. Macdonald, empêché d'assister à l'audience, a été remplacé par M. J. Makarczyk.

M. Bigi est décédé après l'audience. M. Walsh non plus n'a pu assister à la suite de l'examen de l'affaire.

10.
Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 25 mars 1996, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement
M. I. Christie, ministère des Affaires

étrangères et du Commonwealth,

agent, Sir Nicholas Lyell QC, député, Attorney-General, MM. J. Eadie,

conseils,

C. Whomersley, secrétariat juridique

du service des Law Officers,

D. Nissen, ministère de l'Intérieur,

C. Osborne, ministère de l'Intérieur,

D. Cooke, ministère de l'Intérieur,

J. Crump, ministère de l'Intérieur,

J. Marshall, ministère des Affaires

étrangères et du Commonwealth,

conseillers;

- pour la Commission

M. N. Bratza,

délégué;

- pour les requérants

MM. N. Blake QC,

conseil,

D. Burgess,

solicitor.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Bratza, M. Blake et Sir Nicholas Lyell.

11.
Le 29 mars 1996, la grande chambre a décidé de ne pas joindre au dossier de l'affaire deux attestations sous serment soumises le 21 mars 1996 en raison de leur tardiveté et des objections formulées par le Gouvernement.

EN FAIT

I.
Les circonstances de l'espèce

A. Les requérants

12.
Les quatre requérants, sikhs, appartiennent à la même famille.

Le premier requérant, Karamjit Singh Chahal, est un citoyen indien né en 1948. En 1971, il entra clandestinement au Royaume-Uni pour y chercher un emploi. En 1974, il adressa au ministère de l'Intérieur une demande en vue de régulariser sa situation et obtint le 10 décembre 1974 un permis de séjour illimité en vertu d'une amnistie touchant les clandestins arrivés avant le 1er janvier 1973. Il est détenu depuis le 16 août 1990 à la prison de Bedford dans l'attente de son expulsion.

La seconde requérante, Darshan Kaur Chahal, également de nationalité indienne, est née en 1956. Elle arriva en Angleterre le 12 septembre 1975 après son mariage avec le premier requérant en Inde et vit actuellement à Luton avec leurs deux enfants, Kiranpreet Kaur Chahal (née en 1977) et Bikaramjit Singh Chahal (né en 1978), respectivement les troisième et quatrième requérants. Nés au Royaume-Uni, les deux enfants ont la nationalité britannique.

13.
Les deux premiers requérants sollicitèrent la nationalité britannique en décembre 1987. La demande de M. Chahal fut rejetée le 4 avril 1989, tandis que celle de Mme Chahal reste pendante.

B. Contexte: le conflit au Pendjab

14.
Depuis la partition de l'Inde en 1947, de nombreux sikhs se sont lancés dans une campagne politique en faveur d'une patrie sikhe indépendante, le Khalistan, équivalant à peu près à la province indienne du Pendjab. A la fin des années 70 apparut un groupe important, dirigé par Sant Jarnail Singh Bhindranwale, dont la base était le Temple d'or d'Amritsar, le lieu saint le plus vénéré des sikhs. Le Gouvernement affirme que Sant Bhindranwale utilisait le Temple d'or non seulement pour prêcher la doctrine sikhe orthodoxe, mais également pour y stocker des armes et qu'il appelait à utiliser la violence pour instaurer un Khalistan indépendant.

15.
La situation au Pendjab se dégrada après l'assassinat d'un policier de haut rang dans le Temple d'or en 1983. Le 6 juin 1984, l'armée indienne prit le temple d'assaut au cours d'un festival religieux et tua Sant Bhindranwale ainsi qu'un millier de sikhs. Quatre mois plus tard, Mme Indira Gandhi, premier ministre indien, fut abattue à coups de feu par deux de ses gardes du corps sikhs. La riposte hindoue entraîna la mort de plus de 2 000 sikhs au cours d'émeutes à Delhi.

16.
Depuis 1984, le conflit au Pendjab aurait coûté la vie à plus de 20 000 personnes; il a culminé en 1992, année où, d'après des articles parus dans la presse indienne rassemblés par le ministère britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth, 4 000 personnes environ ont trouvé la mort au cours d'incidents survenus au Pendjab et ailleurs. Divers éléments donnent à penser que tant les séparatistes sikhs que les forces de sécurité ont perpétré des violences et des actes contraires aux droits de l'homme (paragraphes 45-56 ci-dessous).

C. Visite de M. Chahal en Inde en 1984

17.
Le 1er janvier 1984, M. Chahal partit pour le Pendjab avec sa femme et ses enfants afin d'y rendre visite à leur famille. Il affirme que, pendant son séjour, il est allé à maintes reprises au Temple d'or, où il a écouté une dizaine de fois les prêches de Sant Bhindranwale. Lors d'une visite, sa femme, son fils et lui ont été reçus en audience privée par le Sant. C'est à cette époque que M. Chahal se fit baptiser et commença à suivre les préceptes de l'orthodoxie sikhe. Il participa également à l'organisation de la résistance passive destinée à défendre l'autonomie du Pendjab.

18.
La police du Pendjab l'arrêta le 30 mars 1984. Il fut détenu pendant vingt et un jours. Il affirma être resté menottes aux poignets dans des conditions insalubres et avoir été battu jusqu'à tomber dans le coma, avoir reçu des décharges électriques sur diverses parties du corps et subi un simulacre d'exécution. Il fut ensuite libéré sans qu'aucune charge soit retenue contre lui.

Il regagna le Royaume-Uni le 27 mai 1984 et n'est pas retourné en Inde depuis.

D. Activités politiques et religieuses de M. Chahal au Royaume-Uni

19.
Depuis son retour au Royaume-Uni, M. Chahal occupe une place importante dans la communauté sikhe, laquelle fut horrifiée par l'attaque du Temple d'or. Il prit part à l'organisation d'une manifestation à Londres pour protester contre l'attitude du gouvernement indien, devint membre à plein temps du comité du temple sikh (gurdwara) de Belvedere (Erith, Kent) et parcourut Londres pour persuader les jeunes sikhs de se faire baptiser.

20.
M. Jasbir Singh Rode entra au Royaume-Uni en août 1984. Il s'agissait du neveu de Sant Bhindranwale, reconnu par les sikhs comme son successeur en tant que chef spirituel. M. Chahal le rencontra à son arrivée puis l'accompagna dans la tournée qu'il effectua au Royaume-Uni, l'aidant à accomplir les baptêmes. M. Rode joua un rôle décisif dans la création au Royaume-Uni d'antennes de la Fédération internationale de la jeunesse sikhe (International Sikh Youth Federation - "ISYF"), l'organisation en étant en grande partie assumée par M. Chahal. L'ISYF devait jouer le rôle de section britannique de la Fédération panindienne des étudiants sikhs (All India Sikh Students' Federation). Cette dernière fut interdite par le gouvernement indien jusqu'à la mi-1985 et il semblerait que les autorités indiennes la considèrent toujours comme militante.

21.
M. Rode fut expulsé du Royaume-Uni en décembre 1984 pour incitation publique à la violence dans le cadre de la campagne séparatiste. A son arrivée en Inde, il fut emprisonné sans jugement jusque vers la fin de l'année 1988. Peu après sa sortie de prison, il apparut que ses opinions politiques s'étaient modifiées. Il déclarait désormais que les sikhs devaient défendre leur cause en adoptant des méthodes constitutionnelles, ce que nombre de sikhs jugeaient inadmissible au dire des requérants. Il se produisit de ce fait une scission parmi les anciens partisans de M. Rode.

22.
Au Royaume-Uni, selon le Gouvernement, cela se traduisit par une fracture de l'ISYF le long d'une ligne coupant l'île en deux. Au nord de cette ligne, la plupart des antennes de l'ISYF restèrent fidèles à M. Rode, alors qu'au sud, l'ISYF se lia avec un autre activiste politique du Pendjab, le Dr Sohan Singh, qui continuait à soutenir la création d'une patrie indépendante. M. Chahal ainsi que, selon lui, toutes les grandes figures spirituelles et intellectuelles de la communauté sikhe au Royaume-Uni appartenaient à la faction du sud.

E. Infractions pénales présumées de M. Chahal

23.
En octobre 1985, M. Chahal fut placé en détention en vertu de la loi de 1984 sur la prévention du terrorisme (dispositions temporaires) (Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1984 - "la PTA"), car soupçonné d'avoir participé à un complot visant à assassiner le premier ministre indien, M. Rajiv Gandhi, lors d'une visite officielle au Royaume-Uni. Il fut libéré faute de preuve.

En 1986, il fut arrêté et soumis à deux interrogatoires (l'un en vertu de la PTA), la police le croyant impliqué dans un complot de l'ISYF destiné à assassiner des sikhs modérés au Royaume-Uni. Il fut dans les deux cas libéré sans que l'on retienne de charge contre lui.

M. Chahal a nié toute participation à ces divers complots.

24.
En mars 1986, M. Chahal fut accusé d'avoir provoqué une rixe et commis des voies de fait à la suite de troubles survenus au temple sikh de East Ham, à Londres. Pendant son procès, qui se déroula en mai 1987, des échauffourées se produisirent au temple sikh de Belvedere, dont la presse nationale se fit largement l'écho. M. Chahal fut arrêté en raison de ces incidents et conduit dans le prétoire les menottes aux mains le dernier jour de son procès. Il fut reconnu coupable sur les deux chefs d'accusation en rapport avec les troubles d'East Ham et condamné à purger des peines non cumulables de six et neuf mois.

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